etampes histoire logo

Renouveler la connaissance de notre passé,
partager les fruits de nos recherches,
promouvoir le patrimoine régional

  • Accueil
  • Qui sommes nous
    • Historique
    • Buts et méthodes
    • Vie de l'association
    • Adhérer
  • Nos activités
    • Programme des conférences
    • Présentation conférences
    • Expositions
    • Sorties
    • Patrimoines
  • Nos publications
    • Cahiers d'Etampes-Histoire
    • Ouvrages
  • En ligne
    • Exposition 14-18
    • Diaporama Renard
  • Participer
    • Recueillir des témoignages
    • Rechercher des documents
    • Ouvrir des pistes de recherche
  • Nous contacter

Libre lecture

 Etampes en révolution 423x640

  

   Cet ouvrage publié en 1989 à l'occasion du bicentenaire de la Révolution Française est épuisé depuis longtemps. Il a sûrement vieilli car depuis les connaissances sur cette période ont progressé. Il représente pourtant la première tentative de synthèse sur cette période de l'histoire locale, et à ce titre peut être le point de départ de nouvelles recherches. C'est pourquoi nous avons décidé de le mettre à la disposition du public avec l'aimable autorisation de Lys Éditions Amatteis www.77livres.fr

 

Étampes en révolution (1789-1799)

 

Ce livre est le fruit d'un travail collectif, de la recherche à la rédaction et au choix des illustrations auquel ont participé:
Beaudouin Frédéric, Carenton Christian, Douchin Jocelyne, Durand Jean-Pierre, Feret Romuald,Gaillard Georges, Gelis Jacques, Goux Laurent, Hébert-Roux Françoise, Larroque Marie Thérèze, Magot Marie-Jo, Martin Michel, Robinot Claude, Slomovici Laurent, Vilfrite Bernard.

 

 Avant-propos

Ce livre est né d'abord des circonstances

 Les anniversaires sont souvent l'occasion d'une mise à jour, voire d'une réécriture de l'Histoire. L'approche du bicentenaire de la Révolution française n'était-il pas le moment idéal pour faire le point sur le déroulement de cet évènement majeur à Étampes et dans la région ? La Grande Révolution a beaucoup attisé les passions; et les Français se sont longtemps définis par rapport à elle: pour ou contre les idées qu'elle avait fait germer. Deux siècles après, quel est notre regard sur ce qu'ont vécu ces milliers d'hommes et de femmes dont les noms même sont aujourd'hui effacés de notre mémoire ? Peut-on vraiment se satisfaire de ces compilations hâtives qui empruntent aux érudits du siècle dernier les préjugés autant que la matière ?

Ce livre est donc né aussi d'un constat

 L'histoire locale de la Révolution était à faire. Plus nous avancions dans notre travail, plus nous constations combien les études antérieures avaient vieilli. La seule publication sérieuse - sur les Cahiers de Doléances - avait plus d'un siècle. Un évènement majeur comme la mort de Simonneau avait bien donné lieu à quelques mises au point; mais les auteurs avaient parfois négligé de consulter les sources essentielles, quand ils ne s'étaient pas tout bonnement contentés de recopier les vues schématiques et les anecdotes de ceux qui les avaient précédés ! Combien y en a-t-il de ces "emprunts" inavoués ! Certains d'entre nous s'étaient rendu compte de cette indigence, lorsque, dans le cadre d'un mémoire universitaire, ils avaient été amenés à étudier la période. On pouvait y voir comme un défi Nous avons essayé de le relever, en allant aux sources de cette histoire; en consultant principalement les registres de délibérations du Conseil général de la commune, c'est à dire de la municipalité conservés aux Archives municipales d'Étampes: six gros volumes in-folio, bourrés d'informations, la plupart inédites. Nous avons complété cette documentation par la consultation de dossiers conservés aux Archives départementales de l'Essonne et des Yvelines; sans oublier mémoires de maîtrise et articles divers.

Ce livre est né enfin d'une volonté commune

 Rendre à l'histoire locale la place qu'elle mérite. Cette histoire-là n'est pas un genre mineur, à condition qu'on la traite bien. Elle demande beaucoup de travail, de patience, d'humilité, et le titre honorable d'historien local ne se mérite qu'après une fréquentation assidue des archivs et des documents. Elle ne doit pas céder à l'anecdote gratuite, mais montrer comment les grands évènements nationaux viennent retentir dans la vie quotidienne de ceux qui en sont les témoins et parfois les acteurs anonymes. Ainsi échappera-t-on au cercle étroit des grands noms "qui font l'Histoire" pour mieux appréhender  ceux qui la vivent. Ajoutons qu'aujourd'hui, parce qu'elle se veut globale et qu'elle implique des démarches diverses mais complémentaires, l'histoire locale ne peut qu'être collective.

L'Histoire n'est pas "un produit" comme les autres

 Elle est pleine d'incertitudes et d'inconnues dues à la disparition des archives, à notre propre ignorance.

L'Histoire est création

 Elle ne consiste pas à faire illusion en présentant sous des habits neufs des textes abusivement sollicités.

L'Histoire est vivante

 Elle doit tenir compte des méthodes nouvelles, intégrer les acquits contemporains de la connaissance.

 

Cette recherche et cette écriture en commun de l'histoire d'Étampes pendant la Révolution ont été pour nous un enrichissement et un plaisir. Notre voeu est qu'à la lecture de ces pages vous partagiez l'entrain qui fut le nôtre, et que vous retrouviez deux siècles après, les espérances et les peines des hommes et des femmes de la région qui ont fait ou subi la Révolution.

Chapitre 1 - Étampes et sa région à la fin du XVIIIe siècle

  A la veille de la Révolution, Étampes est une ville importante à la fois par sa population et par les fonctions qu'elle assume. Avec ses 7500 habitants, elle n'a guère de rivale: il faut aller jusqu'à Chartres, Orléans ou Melun pour rencontrer une cité concurrente. La ville est à la tête d'une élection dépendant de la généralité* de Paris et un subdélégué * y demeure en permanence. Chef-lieu d'un bailliage* étendu, auquel celui de La Ferté-Alais est rattaché en 1769, c'est en ses murs que se tiennent au printemps 1789 les assemblées qui élisent les représentants de la région aux États Généraux. Elle possède encore un grenier à sel* qui lève la gabelle*. Du point de vue religieux enfin; elle est le siège d'un doyenné relevant du diocèse de Sens, abrite dans ses murs plusieurs couvents et s'enorgueillit des deux chapitres* des collégiales Notre-Dame et Sainte-Croix.
 Étampes fait bien figure au XVIIIe siècle de petite capitale régionale: elle entretient des liens étroits et multiples avec les campagnes environnantes dont la diversité est bien mise en lumière par les témoignages contemporains. Celui de Claude-François Boncerf, docteur en médecine à l'Hôtel-Dieu d'Étampes, est particulièrement précieux; son mémoire s'intitule "Observations et réflexions sur la topographie médicale d'une partie du Hurepoix, du Gâtinais, d'une partie de l'Orléanais et du pays Chartrain"; il est adressé, le 1er juin 1788, à l'Académie royale de Médecine, dont Boncerf est correspondant. Sa description des campagnes est riche de détails significatifs. L'examen des plans d'intendance dressés sur ordre de Bertier de Sauvigny entre 1778 et 1789 vient corroborer ses remarques.

Au sud et à l'ouest, "la belle et féconde Beauce"

 Au sud et à l'ouest d'Étampes, écrit Boncerf, "il n'y a ni forêt, ni montagne (entendons colline); il y a seulement quelques bosquets de bois; il n'y a de vallée que celle du Grand Saint-Mars (de Chalo Saint-Mars, par opposition au Petit Saint-Mars à Étampes)... Toute cette étendue de terrain (...) est la belle et féconde Beauce." Dans ces plaines monotones où le peuplement est clairsemé, les blés règnent en maîtres: les terres labourées y occupent plus de 80%, parfois même plus de 90% des finages *, ne laissant place ni aux prés, ni aux bois. Les cultures sont peu diversifiées car la proximité de la capitale les a réduites au rôle de greniers: c'est déjà une agriculture marchande et spécialisée: "les arbres fruitiers ne réussisent pas dans ce canton, ni les plantes potagères, mais avec leur blé et par le moyen de leur commerce, (les habitants) se procurent toutes les douceurs de la vie et ne manquent de rien". On élève aussi des moutons, ce qui explique la présence, principalement entre Angerville et Pussay, d'un important artisanat rural. Le docteur Boncerf évoque "ces fabricants de bas, c'est à dire des personnes qui font filer la laine, tricoter les bas et les apprêter". Les conditions de travail sont très insalubres, mais c'est là un appoint indispensable de ressources pour un prolétariat rural qui semble misérable. L'hiver, les femmes "se rassemblent dans des caves ou dans des écuries pour se faire compagnie et pour épargner du bois en tricotant." Ici, le bois est rare et cher et l'on est parfois réduit à utiliser le chaume comme combustible. 
 La Beauce est aussi le pays des grandes fermes dont les propriétaires sont nobles, ecclésiatiques ou bourgeois, souvent Parisiens. A proximité immédiate d'Étampes, les Célestins de Marcoussis, titulaires d'un des plus importants bénéfices ecclésiastiques* de la région, possèdent les fermes de Bois-Renault, d'Ardennes, du Pavillon de l'Humery, de Villesauvage et de Saclas, en tout près de 750 hectares ! Ils sont aussi seigneurs d'Ardennes, de Saint-Hilaire et Pierrefitte. Ces exploitations sont tenues à bail par de gros fermiers, véritables entrepreneurs de cultures, qui s'efforcent de concentrer entre leurs mains plusieurs esploitations, pratique dénoncée par Boncerf et plus tard par le cahier de doléances du Tiers-État d'Étampes, et l'abbé Dolivier de Mauchamps. Certains de ces fermiers seigneuriaux finissent dans la peau de bons bourgeois d'Étampes ! Quel contraste avec la condition des ouvriers agricoles et des petits paysans, décrits par Brayard; un inspecteur des manufactures, en 1787.: "Ce sont les fermiers et les seigneurs qui sont riches, le paysan n'a rien, pas même un enclos autour de son habitation pour y mettre paître une vache; aussi vit-il misérablement au milieu d'un pays fertile."

A l'est et au nord, la diversité des paysages et des activités

 Si Étampes est un centre privilégié de collectage des produits de la riche terre beauceronne, un grand marché aux grains qui approvisionne régulièrement la capitale, elle se trouve aussi au contact de "pays" très différents: Hurepoix et Gâtinais. "Ces endroits sont remplis d'arbres fruitiers, de vignes; ils produisent d'excellents légumes de toute espèce" écrit Boncerf à propos des campagnes situées entre Étampes et la vallée de l'École. "C'est un pays extraordinairement varié par les montagnes, bois, coteaux, vignes, terres labourables et de mauvais prés le long de la rivière de Malesherbes ou d'Essonne, qui traverse ce canton." Les terres y sont moins riches mais mieux réparties, plus morcelées aussi, les contrastes sociaux sont moins violents; la population y est plus dense. La vigne, culture peuplante, est presque toujours présente, ocuppant parfois plus de 10% du terroir, comme à Boissy-le-Cutté. Les procès-verbaux d'arpentage révèlent aussi l'importance des terrains boisés. Friches, bois, marais et communaux couvrent partout plus de 20% du finage*. Le bûcheronnage fournit de l'ouvrage aux paysans, tout comme les carrières de grès ou l'extraction de la tourbe. Le Hurepoix, au nord d'Étampes, est lui-aussi boisé; la vigne y est également présente; à Saint-Sulpice de Favières, 9% des terres sont plantées en vigne. Cependant, les labours dominent sur les plateaux voisins, comme à Torfou ou Mauchamps: c'est un pays de transition entre Beauce et Gâtinais, animé par le trafic de la grand-route de Paris à Orléans.

A Étampes, le commerce et le pouvoir

 C'est sur ce grand chemin de Paris, à mi-distance d'Orléans et de la capitale, qu'Étampes prospère. C'est l'axe vital de la région car les autres routes sont médiocres voire impraticables. Les paysans de Fontaine-le-Rivière, dans leur cahier de doléances, se plaignent de ne pouvoir conduire leurs grains au marché d'Étampes, tant les chemins sont mauvais. Les villages du Hurepoix et du Gâtinais situés sur la route de Ris à Fontainebleau sont unanimes à dénoncer son état lamentable. Quant aux liaisons transversales, comme celle de Milly à Dourdan, elles sont tout aussi médiocres et beaucoup moins empruntées. Sur la grand-route au contraire, les villages et les bourgs disposant d'un relais de poste, Étrechy, Mondésir, Monnerville ou Angerville, sont vivifiés par le passage: les foires et les marchés aux blés et aux laines de ce dernier sont très actifs; partout, les auberges abondent. Étampes bénéficie au premier chef de ce trafic intense: elle lui doit une partie de ses activités.
 Lieu de convergence des produits de la terre, de transit sur "le plus grand passage du Royaume", Étampes est aussi lieu de pouvoir. L'absence d'harmonisation des circonscriptions sous l'Ancien Régime est trop connue pour qu'il soit nécessaire d'y insister longuement. La réforme de Calonne, en 1787, ajoute un échelon administratif supplémentaire: le "département d'Étampes et de Melun". En un sens, cette miltiplication des instances présente l'avantage, pour une bourgeoisie ambitieuse, d'augmenter le nombre des "places" et des "offices". Elle est aussi l'un des instruments de la domination exercée par Étampes sur "ses" campagnes: pouvoir économique certes, mais aussi fiscal, judiciaire, réglementaire et de police. Ce n'est d'ailleurs pas le seul: les titulaires des prévôtés * et autres châtellenies *, des justices seigneuriales de la région, font le plus souvent partie de ce petit monde des "officiers" *, fort influents en ville et à la municipalité, mais aussi dans tout le "plat pays d'Étampes". En revanche, il faut bien reconnaître que l'enchevêtrement des ressorts administratifs constitue aussi un obstacle: le terroir d'Étampes est véritablement haché par des limites artificielles. La généralité d'Orléans commence à la sortie de Méréville, et Chalo Saint-Mars appartient déjà au diocèse de Chartres. Les Étampois ont le sentiment d'être dans une sorte de cul-de-sac administratif: ils aspirent à constituer un ensemble homogène, où leur cité maîtriserait son espace et donnerait sa mesure...

Une ville qui s'ouvre

 Depuis le Moyen-Âge, ce sont les murailles qui font la ville. A Étampes, trois paroisses se partagent l'espace clos à l'intérieur des remparts: Sain-Gilles, Saint-Basile et Notre-Dame; il y a là un territoire assez vaste et aéré, car les maisons groupées le long des rues possèdent presque toutes jardin et verger. A la veille de la Révolution, la guerre de siège est un vieux souvenir. L'entretien des murs a été délaissé depuis près d'un siècle: l'herbe pousse maintenant sur le chemin de ronde et les taillis ont pris progressivement possession des fossés. Les fortifications ont toujours fière allure, mais il ne reste plus que 5 des  8 portes qui gardaient autrefois les entrées de la cité. La porte Saint-Martin, qui donnait sur l'actuelle place de la Bastille, a disparu la première en 1771; la porte Saint-Jacques qui commandait au nord la route de Paris, a été rasée à son tour en 1775; la porte Saint-Fiacre qui débouchait sur le Marais, à l'est, vient juste d'être mise à bas. Mais si le contrôle des hommes qui entrent dans la ville a été progressivement abandonné au cours du siècle - il réapparaîtra avec la Révolution - le contrôle des marchandises, lui, demeure; les barrières d'octroi installées aux portes principales, ou à leur emplacement, permettent en effet de substantielles rentrées d'argent. La position de la ville "sur une des plus grandes routes de France rend ces barrières très intéressantes pour le gouvernement auquel elles produisent un million et demi de recettes par an", écrit l'auteur d'un "Précis en faveur de la Ville d'Étampes."
 Étampes présente encore parfois l'image d'une ville médiévale. On y circule mal. Les rues sont étroites, souvent tortueuses, et elles se rattachent avec plus ou moins de bonheur aux deux grands axes sud-ouest/nord-est constitués par la grande rue et la rue basse. La grande rue est constamment animée par le passage des charrois et des hommes. Mais un goulot d'étranglement se produit régulièrement à la porte Saint-Martin, en arrivant à l'actuelle place de la Bastille; c'est la rue d'Enfer! Fort heureusement, en 1769, on perce la rue Neuve Saint-Gilles, ce qui améliore sensiblement la circulation. La chaussée est fréquemment défoncée et les embouteilages d'autant plus fréquents que le parcours est loin d'être rectiligne et les maisons nullement alignées ! Ce n'est qu'à partir de 1795 que les propriétaires de constructions nouvelles seront tenus de satisfaire à l'alignement. La nuit, les rouliers laissent leurs charrettes sur la chaussée sans éclairage, occasionnant des accidents. On se préoccupe bien d'éclairer les rues, mais avant la Révolution la pose de réverbères sans  cesse évoquée par la municipalité est toujours différée.
Étampes est une ville propre, où le balayage et le nettoiement de la chaussée, au moins dans le centre, sont effectués deux fois par semaine; ce souci d'hygiène publique se perpétuera sous la Révolution. Mais la présence dans la ville, et surtout dans les faubourgs, d'animaux indispensables aux activités agricoles et aux charrois, favorise la présence dans les cours de fumiers nauséabonds; les miasmes y prolifèrent, surtout en été; et alors, gare à l'épidémie ! En 1761, une "fièvre putride et venimeuse" se déclara au faubourg Saint-Pierre, où la malpropreté des rues et la fermentation des fumiers avait "infecté l'air" et "vicié les digestions". Certains malades rendirent jusqu'à trente vers... L'épidémie fut jugulée, après l'enlèvement des fumiers et l'administration de remèdes. Le "médecin des Lumières" fit ses preuves, puisque finalement peu de malades trépassèrent. 
 Les temps changent, et les hommes aussi. A la ville héritée de l'époque médiévale, on préfère maintenant une cité plus ouverte sur la campagne. A partir des années 1770, les Étampois prennent goût à la promenade. Pour les satisfaire, on commence à aménager à la porte Saint-Jacques, en direction du Port, la promenade du Jeu de Paume: on trace des allées et une rotonde; on plante des tilleuls, sous lesquels s'installent chaque année les baraques de la foire Saint-Michel. Dix ans plus tard, c'est à l'est, entre la rivière et le marais, que l'on se plaît. A la belle saison, les gens aisés et oisifs font de "la Prairie" - l'actuelle promenade des Prés - un lieu de sociabilité à la mode. La Révolution poursuit cet aménagement des abords des anciennes fortifications, n'hésitant pas à détruire alors ce qui gêne la circulation: en 1793, en livrant l'ancienne porte Evezard à la pioche des démolisseurs, elle facilite l'accès à la place du Port, qui est nivelée et plantée.

Une ville de l'eau

 Un chevelu de ruisseaux et de rivières, dont le cours a été pogressivement aménagé au cours des siècles, irrigue toute la ville. Régulièrement curées par les riverains, comme les règlements municipaux les y obligent, bordées d'aulnes, d'ormes, de peupliers et de saules, ces rivères conditionnent la vie des habitants de la cité. Étampes est une ville de l'eau. Une eau utile.
 En un temps où "l'eau qui court" est chargée de toutes les vertus, la rivière fournit d'abord la boisson commune. Oh ! bien sûr, il ne faut pas y regarder de trop près ! "Quoique cette eau soit bonne, elle a cependant dans l'été un petit goût de vase ou d'herbes croupies. Il est hors de doute qu'elle s'altère dans sa course le long de la ville, attendu qu'il y a des latrines qui donnent dessus (...) Les personnes qui sont près de la rivière boivent de cette eau: ils font attention de la puiser de grand matin ou dans le temps des repas des ouvriers." Chaque jour, lavandières et ménagères font également usage de cette eau qui dissout paraît-il fort bien le savon et passe pour assurer une bonne cuisson des légumes. Un trop grand éloignement de la rivière fait préférer l'eau des puits domestiques, qui sont fort répandus; mais, comme partout, on se méfie beaucoup de cette "eau morte" des profondeurs, que l'on soupçonne toujours d'être contaminée.
 Un certain nombre d'activités artisanales sont directement tributaires de l'eau de la rivière dont le débit reste constant toute l'année. Des moulins sont égrenés en chapelets sur le cours de la Louette, de la Chalouette et de la Juine. Les meuniers ne sont pas les seuls bénéficiaires de la rivière. Étampes en effet ne se contente pas de moudre les grains: elle travaille aussi la pâte à papier, les peaux et les toisons des moutons de Beauce. Mais si les roues des moulins à blé ou à papier contribuent à oxygéner l'eau par le brassage permanent auquel ils la soumettent, les mégissiers et les tanneurs la corrompent en y laissant tremper cuirs et peaux, en y jetant des restes de chaux et différents résidus de leurs métiers; et les amidonniers ne sont pas les derniers à la souiller, au point d'en rendre les abords nauséabonds au temps des chaleurs. Un contemporain "trouve fâcheux que les gens qui font ces métiers ne soient pas relégués au-dessous (en aval). La police qui se fait avec exactitude dans ce pays, ajoute-t-il, n'a aucune inspection sur ces métiers pour les empêcher de salir la rivière." La rivière-égoût ne date pas d'aujourd'hui...

Étampes et ses quartiers

 Étampes est encore au XVIIIe siècle un agglomérat de quartiers parfaitement individuaiisés. Les paroisses Saint-Basile et Notre-Dame en constituent le coeur politique, alors que Saint-Gilles en est le centre économique; quant à Saint-Martin et Saint-Pierre ce sont essentiellement deux faubourgs ruraux, à l'écart de la ville proprement dite.
 Saint-Basile et Notre-Dame sont les paroisses les plus huppées d'Étampes. C'est dans cette partie "haute" de la ville d'alors, à distance du monde du travail bruyant et diversifié, que résident la plupart des nobles, des grands bourgeois et des membres du haut-clergé d'Étampes: si nous y ajoutons les marchands et les artisans aisés, les rentiers du sol et les membres de l'administration royale, nous avons une image assez juste de la "bonne société" étampoise de l'époque, de tous ces gens de condition et autres privilégiés, "qui ne sont pas excédés de fatigue" , selon l'expression d'un contemporain. 
 Si le territoire de Saint-Basile qui englobe un bon tronçon de la grande rue est assez homogène, il n'en va pas de même pour celui de Notre-Dame, qui comprend, outre le quartier proche de l'église, deux vastes excroissances hors les murs: le faubourg Evézard ou faubourg des Capucins, et le Perray. Le premier s'étend  au nord, entre la rivière et la colline du Mâchefer. En bordure de rivière, où le port est depuis longremps délaissé, s'étendent des marais potagers et des vergers. Le passage des charrois anime le faubourg depuis la porte Saint-Jacques, près de laquelle se trouvait encore il y a peu le cimetière Notre-Dame jusqu'aux Capucins; la "Maison neuve" marque ici la limite septentrionale d'une urbanisation un peu lâche. A l'est, au-delà de la Porte Saint-Pierre située au débouché de notre actuelle rue au Comte, une chaussée surhaussée et empierrée - d'où son nom de Perray - assure le franchissement des divers bras de la Juine et la traversée de la Prairie. De part et d'autre de la chaussée, on a construit depuis le siècle précédent des maisons dépourvues de caves, par crainte des montées d'eau.
 Dans le quartier Saint-Gilles, sur la place de l'église, s'activent en permanence des hommes de force et de peine, qui montent et descendent des sacs, en un perpétuel va-et-vient des charrettes aux greniers. Ici vit une communauté solidaire de mesureurs * et de remueurs de grains, de portefaix et de tâcherons, travaillant dur dans la poussière des entrepôts. Un peuple fort en gueule, buvant sec, volontiers revendicatif, et qui, la Révolution venue, participe activement au débat politique au sein de la section du Midi.
 Le mercredi se tient "le petit marché", où l'on vend légumes verts et secs, beurre, oeufs, fromages. Le samedi, "le grand marché" aux grains anime ce coeur économique d'Étampes et de sa région, qu'est alors la place Saint-Gilles. "On y amène du blé de toutes les parties de la Beauce, du Gâtinais, et même des environs de Chateaudun, de manière, , rapporte un contemporain, que cette ville peut être regardée comme un des principaux magasins ou greniers de la capitalle". Tout autour de la place et dans les rues avoisinantes, demeurent les marchands de blé ou blatiers, les meuniers fariniers et tous ceux qui, de près ou de loin, vivent du transport et du commerce: des céréales: regrattiers, bourreliers-selliers, voituriers et marchands de chevaux.
 Les denrées vendues sont d'aillieurs extrèmement variées. A tout seigneur tout honneur: le froment est toujours la céréale la plus recherchée et bien sûr la plus chère. Mais il y a froment et froment. A Étampes, il en est de trois qualités: la première est le "bon blé", la seconde le "blé moyen", la troisième le "petit blé". Ensuite viennent le seigle, le méteil * dont il existe également trois qualités. L'orge est destinée aux  boulangers et aux brasseurs, et l'avoine pour le picotin des chevaux. A côté des céréales, on vend ausi des pommes de terre rouges et blanches, des lentilles et des haricots, des vesces et des graines de chanvre, toutes ces "grenailles" vendues au boisseau de seize livres, enfin des foins et sainfouins, de la paille et de la filasse. Dans les périodes difficiles, où la disette menace de tourner à la famine, comme plus tard au printemps de l'an III, les céréales panifiables disparaissent du marché et sont remplacées par la fève des marais, la châtaigne et même le gland...
 Le commerce des "bleds", entendons des céréales, est officiellement un marché libre où joue la loi de l'offre et de la demande: mais le grain est une denrée trop essentielle à la vie, il a été à l'origine de trop d'"émotions" dans le passé, pour qu'on puisse accepter de voir jouer pleinement la liberté de transaction. Aussi le commerce du blé est-il un commerce sous surveillance. Deux facteurs qui jouent dans le même sens viennent en effet perturber fréquemment un équilibre tojours fragile: la mauvaise récolte et la spéculation sciemment organisée. Malgré les premiers battages, les prix restent alors anormalement élevés, et les producteurs font l'année durant d'excellentes affaires... Les plus malins attendent patiemment la période de la "soudure" qui peut débuter dès le mois de mai, parfois avant. Les gros fermiers courent les marchés où les prix sont les plus avantageux. Pour eux, l'année de mauvaise récolte est une année de profits: ils ont moins à vendre, mais gagnent tellement sur chaque sac qu'au total ils s'y retrouvent largement ! Mais qui dit envolée du prix du grain, dit pain cher à l'étal du boulanger. En juin et juillet, il n'est pas rare que l'achat de la précieuse denrée, base de la nourriture pour le plus grand nombre, absorbe la totalité des revenus. Vient alors le temps des restrictions qui suscitent le mécontentement et la colère: et puis la rumeur court que certains font des "amas" pour affamer le peuple, que les "accapareurs" veulent exporter les grains à l'étranger... Lorsque la faim taraude les ventres, le moindre incident, la moindre altercation peut dégénérer. Les autorités locales essaient d'éviter qu'on en arrive à des extrémités: ils assurent la régularité des transactions et maintiennent l'ordre.
 Les villes ayant marché, comme Étampes, Dourdan, Montlhéry, Angerville, sont tenues de faire respecter une réglementation qui impose de strictes conditions de vente. Si la doctrine libérale veut que chaque producteur-vendeur puisse écouler ses grains où bon lui semble, la police des grains exige que l'on effectue les transactions au marché et nulle part ailleurs. Il est formellement interdit sous des peines sévères de vendre et acheter à la ferme ou encore "sur montre" - c'est à dire sur échantillon - dans les auberges et autres lieux de rencontre. A plusieurs reprises, sous la Révolution, il faudra rappeler avec fermeté à ceux qui vont sur la route au-devant des producteurs pour leur acheter une partie de leur chargement qu'ils se mettent dans l'illégalité.
 Chaque jour de marché, la municipalité dépêche place Saint-Gilles deux "appréciateurs de grains" qui, nommés chaque année, sont chargés de relever le prix des denrées vendues et d'en tenir registre: c'est en effet le prix moyen consigné chaque samedi sur le marché qui détermine pour la semaine le prix du pain chez le boulanger. Ces mercuriales sont régulièrement transmises à l'intendant et par son intermédiaire au gouvernement, toujours attentif aux fluctuations des denrées de première nécessité En période de crise, pour assurer l'ordre et parer à toute éventualité, la municipalité délègue sur le marché la force armée: gendarmes ou miliciens, puis à partir de 1789 gardes nationales et même troupes réglées. 
 Le marché d'Étampes draine la plus grande partie de la production du nord de la Beauce. Les cultivateurs viennent parfois de 20 à 25 kilomètres y apporter leurs cargaisons. En fin de matinée, ils déchargent leurs sacs qu'ils disposent "en piles" sur la place; le bord des sacs est roulé, de manière à faire apparaître le grain; l'acheteur doit pouvoir juger de la qualité, de la propreté de la marchandise. A la différence d'Arpajon ou Dourdan, Étampes ne possède pas de halles couvertes; mais il est probable qu'on protège les grains des intempéries grâce à des abris mobiles installés sur la place" déjà pavée, mais dépourvue d'arbres à l'époque. Dès que le marché est officiellement ouvert, en général à 13 heures, mais l'heure d'ouverture varie fréquemment pendant la Révolution, les transactions commencent; elles se déroulent selon un rite immuable, qui a pour but de ménager les intérêts de chacun; tout le monde en effet n'achète pas en même temps. Les particuliers - ceux qui peuvent cuire eux-mêmes - et la ville, lorsqu'elle veut faire des stocks, sont les premiers servis; puis vient l'heure des boulangers, enfin celle des marchands de blé. Ces derniers jouent un rôle important , car ils sont souvent les plus gros acheteurs; munis d'autorisations - les acquits à caution - visées par les autorités, ils revendent les grains aux régions déficitaires, à Paris surtout. De plus en plus, en effet, tout ce qui n'est pas consommé à Étampes et dans ses environs est dirigé vers la capitale; l'administration parisienne prend d'ailleurs l'habitude d'entretenir maintenant sur place des commissaires qui défendent ses intérêts. En année difficile, lorsqu'arrive la période de soudure, la ville d'Étampes confie elle-aussi à des commissaires dûment mandatés le soin de faire des achats auprès des vendeurs.
 Au cours du siècle, on a pris progressivement l'habitude de faire voyager les farines plutôt que les grains. Étampes y trouve son compte puisqu'après blutage* elle conserve les sons servant à la nourriture des chevaux et des porcs. Mais la méthode profite surtout aux propriétaires de moulins, qui passent du travail des peaux et du papier à la meunerie. La profession de meunier est une profession "qui monte" au cours de la seconde moitié du XVIIIe siècle; Étampes avait dix meuniers en 1756; elle en a sans doute moitié plus à la veille de la Révolution.
 Le travail des peaux et des toisons reste cependant une activité essentielle du quartier Saint-Gilles, la seconde après le commerce des grains. Tanneurs et mégissiers y ont leurs ateliers et leurs hangars. Le travail du cuir y a fixé aussi bon nombre de cordonniers, et celui de la laine y a attiré divers artisans du vêtement: tisserands, tailleurs et fripiers, en particulier la famille de Sulpice Constance Boyard, une "figure " de la Révolution à Étampes.
 Le commerce des blés de Beauce et le transport vers Paris des vins de l'Orléanais font vivre un grand nombre d'hôteliers et d'aubergistes de la paroisse Saint-Gilles; aussi la plupart sont-ils installés sur l'axe autour duquel tourne l'essentiel de la vie économique d'Étampes, la rue Saint-Jacques. Marchands, voituriers et rouliers font étape dans ces auberges qui disposent de vastes écuries et de remises à charettes. Ils ont le choix entre les "Trois Rois", "l'Écu de France", "Le Duc de Bourgogne" ou encore le "Lion d'or" et les "Trois Marchands". Les dizaines de chevaux qui y trouvent asile chaque nuit y laissent une véritable mine d'or: le fumier qui va féconder les jardins et les champs des alentours!
 Avec seulement 8,5% de la population, le faubourg Saint-Pierre constitue la plus petite paroisse d'Étampes; c'est en fait un faubourg très rural, né du passage, étiré le long de deux rues. Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, il vit du vin et du lait. La bonne exposition de son coteau, son sol bien égoutté font vivre une importante communauté vigneronne: d'après le tarif de 1756, 74 chefs de famille y travaillent la vigne, c'est à dire que près de trois vignerons étampois sur quatre (71%) habitent ce quartier. Mais les vignes, de petite taille, sont defaible rapport; bon an mal an, elles permettent tout juste de se procurer le nécessaire; et la crise générale de la viticulture à la fin de l'Ancien Régime n'arrange rien. Heureusement, il y a le lait, celui des femmes; les nourrices de Saint-Pierre accueillent chez elles de très jeunes enfants qu'elles élèvent en même temps que leur progéniture, enfants de familles étampoises, enfants parisiens surtout. Ce "nourrissage mercenaire", même s'il est peu payé, permet à bon nombre de ménages de surmonter les difficultés du temps. Mais les mauvaises conditions d'hygiène et les maladies font que bon nombre de nourrisons passent rapidement de vie à trépas. Aussi le bilan démographique de la paroisse est-il fréquemment négatif.
 Mais Saint-Pierre, c'est aussi le Bourgneuf, ce grand domaine à la campagne, appartenant à Charles Jean-Marie de Valory, colonel d'infanterie, gouverneur et grand bailli d'Étampes en 1789. Un homme important donc; un gentilhomme ouvert aux idées nouvelles, possédant sans aucun doute à l'époque l'une des plus belles bibliothèques d'Étampes, et recevant volontiers chez lui les plus grands écrivains du temps, tel Voltaire.
 A distance de la ville, et fière de s'en distinguer, gros bourg rural serré autour de son église, Saint-Martin est la plus grosse paroisse d'Étampes, avant Saint-Basile: un Étampois sur quatre y demeure. Mais c'est aussi celle où l'on trouve, à cause des maladies endémiques, le plus faible pourcentage de personnes âgées d'Étampes (4% de personnes de plus de 70 ans contre 7% ailleurs). Saint-Martin vit de la terre de Beauce,qui commence ici sur le plateau où ses nombreux laboureurs détiennent de riches parcelles. En 1756, ces cultivateurs qui possèdent au moins une charrue et un train d'attelage, représentent les trois-quarts de cette catégorie de propriétaires-exploitants à Étampes. La paroisse vit aussi de ses ouches, ces jardins gras et humides, qui fournissent en abondance des légumes que ses horticulteurs portent au marché de bon matin; elle vit également de ses vignes accrochées aux pentes les mieux exposées.
 Aux activités agricoles dominantes qui donnent à Saint-Martin sa coloration de gros bourg rural, il faut ajouter le commerce des produits de l'élevage - c'est ici que l'on trouve le plus grand nombre de marchands-poulaillers d'Étampes - mais aussi les représentants de tous les commerces de bouche, sans oublier les nombreux artisans de toutes spécialités, qui permettent à  Saint-Martin de vivre de manière tout à fait autonome par rapport à Étampes.
 Saint-Martin, c'est aussi la route, celle d'Orléans. Les auberges et les cabarets, moins nombreux pourtant qu'à saint-Gilles, témoignent de l'importance du trafic. Le point faible se situe au passage de la rivière, au niveau de la rue Reverseleux. Le pont, étroit et surtout mal entretenu, est une gêne constante pour les lourds charrois qui l'empruntent; il faut constamment réparer les dégâts occasionnés aux parapets et refaire la chaussée dont le mauvais état compromet la bonne marche des convois.
 Point de rencontre de régions différentes, Étampes en porte la marque dans le caractère même de ses quartiers. Saint-Martin et ses laboureurs, c'est déjà la Beauce et ses riches moissons; Saint-Basile, Notre-Dame et le faubourg des Capucins, avec leurs jardins, leurs vergers, les bosquets de la colline du Mâchefer évoquent le Hurepoix proche; quant à Saint-Pierre, avec son vignoble de côteaux, il "tire" sur le Gâtinais Mais n'était-ce pas déjà ce que soulignait Dom Fleureau, un siècle plus tôt, lorsqu'il parlait des portes d'Étampes et de leur correspondance avec les "pays" environnants ?

Une société contrastée

 Au début des années 1780, Étampes est une ville aisée que l'expansion économique du pays a enrichi. C'est l'ensemble de la population qui a profité de la hausse à peu près continue tout au long du siècle du prix des céréales. Inégalement bien sûr ! Disons qu'avant la crise des dernières années de l'Ancien Régime, le pauvre y est un peu moins pauvre et le riche infiniment plus riche.
 Deux documents permettent une approche de cette réalité sociale étampoise. Une enquête fiscale tout d'abord, le "Tarif" de 1756 qui recense tous les propriétaires, privilégiés ou non, avec indication de leur domicile, de leur profession et du "pied" d'imposition de leurs biens immobiliers. La nature même du document en montre les limites; tous ceux qui ne sont que locataires, tous ceux qui, domestiques, compagnons, manouvriers ou "brassiers", ne possèdent pas un pouce de terrain, n'y figurent pas. Tel qu'il est, le "Tarif" qui remplace avantageusement la taille*- à laquelle la ville royale a le privilège de n'être pas soumise - donne un bon instantané de la société étampoise de la seconde moitié du XVIIIe siècle. Une deuxième source viet compléter les données statistiques du "Tarif"; il s'agit d'un autre mémoire rédigé en 1785 par Claude-François Boncerf. Cette topographie médicale constitue une mine de renseignements sur la ville, les occupations des habitants, leurs manières de vivre, leurs mentalités à la veille de la Révolution.
 La société étampoise apparaît alors fort contrastée. Un groupe restreint de "personnes de qualité", de gentilshommes, de titulaires d'offices civils et militaires, de chanoines titrés et de magistrats tiennent le haut du pavé. Tous ces Étampois qui "vivent noblement" ont un hôtel particulier dans la ville, et bien souvent "maisons des champs" dans les vallées des alentours; l'été venu, ils se retirent dans "leur campagne", pour profiter d'une nature dont il est alors de bon ton de vanter les charmes... Tous sont privilégiés de la fortune et du rang et bien décidés à le rester. Certains adhèrent aux idées nouvelles, sont ouverts à la connaissance scientifique et littéraire. Gageons que nombre d'entre eux ont souscrit à l'Encyclopédie, cette Bible des "Lumières". Ces gens "éclairés" ne dédaignent pas de fréquenter les bourgeois aisés de la ville dont la manière de vivre tend à se rapprocher de la leur et qui se piquent eux aussi, depuis le début du siècle, de belles lettres et de culture, tout en veillant avec efficacité à la direction de leurs affaires.
 Ceux-là sont gens actifs; ils contrôlent la vie économique de la ville et sont de plus en plus désireux d'accéder aux affaires publiques. Certains, d'ailleurs, participent déjà comme notables à la gestion municipale. Partisans de la réforme fiscale et politique, ils ne peuvent que se réjouir de la décision royale de l'automne 1788: la convocation des États Généraux va enfin permettre de trouver une solution à la crise financière et de restaurer l'autorité de l'État. Sans doute y-a-t-il une marge entre l'artisan de quartier secondé par deux ou trois compagnons, et le chef d'entreprise qui donne du travail à 20, 30 ou 40 salariés.
 La base de la pyramide est constituée par une multitude de compagnons et d'hommes de journée rémunérés à la tâche dans l'agriculture, l'artisanat et le commerce. Tous ont souvent bien du mal en ces temps de crise à joindre les deux bouts. Tous ont les yeux fixés sur ce baromètre qu'est le prix moyen du blé sur le marché. Ils sont les principales victimes de la crise qui frappe l'économie au cours de la décennie 1780. La hausse constante des prix, alors que les salaires ne suivent pas, la précarité de l'emploi leur font mettre toutes leurs espérances dans la réforme de l'impôt et le contrôle plus étroit du commerce des grains.
 Les moeurs et les goûts évoluent de manière sensible durant le quart de siècle qui précède la Révolution. Traditionnellement sobres et économes, les Étampois n'échappent pas à cette transformation générale de la société française. Paris donne le ton, et on en adopte les modes. On raffole du café au lait; et les ouvrières elles-mêmes en prennent à leur déjeuner. D'une manière générale pourtant, la manière de se nourrir reflète bien les clivages sociaux. Les riches mangent bien; leur table est variée et ils ne regardent guère à la dépense. Les bourgeois, les marchands et les artisans aisés "mangent de bon pain, de la viande de boucherie, souvent de la volaille, des fruits et des légumes." Les salariés et gens de peine accompagnent leur pain bis de fromages, de légumes et de fruits, et quand cela leur est possible de viande de porc. La boisson constitue également un bon test de la disparité sociale; alors que les bourgeois boivent au repas des vins d'Orléans et même de Bourgogne, plus titrés, plus chers aussi, "ceux de la classe du peuple" consomment celui du pays, plus léger et se conservant mal: le vin des coteaux d'Étampes est un vin populaire.
 En ce XVIIIe siècle finissant, les habitants d'Étampes, si l'on en croit Boncerf, sont "gais, polis, d'un bon caractère, serviables, jaloux les uns des autres, satiriques mais nullement vindicatifs; ils sont susceptibles de sciences, prompts à la répartie avec sagacité, mais ils sont enclins à l'indolence; ils aiment les armes, la musique, la danse; de manière que la gaieté paraît leur élément." Même si on soupçonne quelque complaisance dans cette peinture de la mentalité étampoise, nous sommes tout de même bien loin du cliché habituel sur la lourdeur de l'esprit beauceron.
  De plus en plus, on se persuade de l'utilité de l'instruction: à Saint-Gilles, les soeurs de la Congrégation accueillent jusqu'à 150 enfants de la bourgeoisie étampoise. Malgré leur déclin, les Barnabites contribuent encore à former aux humanités et aux sciences. Mais, pour achever leurs études, les jeunes gens sont contraints de quitter Étampes, suivant en cela l'exemple de Guettard ou Geoffroy-Saint-Hilaire: "une grande partie des jeunes gens aisés, ainsi que ceux de la seconde classe" - les fils de bourgeois - se fixe à Paris dans différents états" souligne encore Boncerf. L'hémorragie des élites aspirées par la capitale, une constante depuis le Moyen-Âge, s'accélère.

Les attitudes devant la vie

 Si les conditions professionnelles et sociales des Étampois sont d'une grande diversité, leurs attitudes devant la vie sont davantage à l'unisson; avec des nuances bien sûr. Comme dans toute la région parisienne, les comportements sont alors en train d'évoluer, et la Révolution accélère cette mutation.
 Contrairement à ce que l'on imagine parfois, on se marie tard à cette époque. Les garçons convolent généralement à plus de 27 ans et les filles à plus de 26; et c'est là sans doute le résultat des difficultés d' "établissement" que rencontrent les jeunes gens. Un mariage à un âge aussi avancé diminue naturellement la période féconde de la femme, qui cesse d'avoir des enfants autour de 45 ans. Le plus souvent, on se marie "entre soi"; mais trois hommes ou femmes sur dix qui se marient à Étampes dans le dernier quart du XVIIIe siècle ne sont pas natifs de la ville.
 A la veille de la Révolution, on enregistre environ 260 naissances par an. Dans le même temps, il meurt 280 personnes. Ce solde négatif a plusieurs causes. Et tout d'abord la baisse sensible du taux de fécondité, qui a d'ailleurs débuté bien avant 1789: une femme mariée entre 20-24 ans qui mettait 6 enfants au monde dans les vingt dernières années de l'Ancien Régime n'en a plus que 4 au début du XIXe siècle. La Révolution marque donc à Étampes, comme dans toute la région parisienne, une accélération de l'évolution vers les comportements contemporains. Le nombre de mariages ici n'est pas en cause - une soixantaine par an - mais bien la limitation volontaire des naissances. Car les "funestes secrets" sont connus des Étampois. Boncerf s'en fait l'écho, lorsqu'il souligne que la population de Saint-Basile, "habitée par des bourgeois et des gens aisés a diminué plutôt que d'augmenter, parce que les riches ne veulent qu'un certain nombre d'enfants". Et si la situation de la paroisse Saint-Pierre n'est pas brillante, "c'est (aussi) parce que les nourrices évitent de faire des enfants afin de garder leur nourrisson." Chacun a donc ses raisons; mais tous ont leur part de responsabilité dans la stagnation voire le déclin de la population. Le déficit démographique s'explique aussi par le rôle de mouroir que joue la ville. Des villageois, des étrangers à la région trouvent refuge à l'hôpital et y meurent (45 morts par an en moyenne). Le phénomène s'accentue certaines années (1770, 1772,1781,1783), lorsqu'apparaît quelque fièvre épidémique, dont pâtissent surtout les enfants: 175 enfants de moins de 4 ans disparaissent dans la seule année 1770, et 203 en 1781 !
 Une telle évolution qui porte en germe le vieillissement et le déclin, est heureusement enrayée par l'arrivée de personnes nouvelles qui s'intègrent assez aisément. Ces immigrés appartiennent à toutes les conditions et viennent le plus souvent d'un village ou d'un bourg de la région. Mais certains sont de vrais déracinés. Le médecin Boncerf est d'origine franc-comtoise, Sibillon, maire d'Étampes en 1793, est lorrain, et Clartan, qui sera maire à deux reprises lui-aussi pendant la Révolution, est né en Suisse près de Genève. C'est en épousant une Étampoise que ces hommes font souche. Avant de se fixer à Étampes, ils ont parfois fait étape à Paris; Boncerf y a étudié la médecine et Clartan, ancien officier de Monsieur frère du roi, y a séjourné plusieurs années. Ces exemples ont le mérite d'attirer l'attention sur un fait essentiel: Étampes est une ville qui se renouvelle par apport extérieur.
 Mais ce n'est pas seulement par le contrôle des naissances que se manifeste la mutation des comportements. Les conceptions prénuptiales par exemple augmentent notablement dans la période qui précède la Révolution; même tendance pour les naissances illégitimes qui constituent près de 4 naissances sur 100 entre 1780 et 1789. Notons pourtant que ce taux assez élevé pour l'Ancien Régime se trouve gonflé par l'accouchement clandestin de filles-mères de la campagne à l'hôpital d'Étampes; la seule manière pour elles d'échapper au déshonneur.
 Certains se scandalisent de cette dégradation des moeurs. Regardant vers un passé qui fait figure d'âge d'or, ils vont répétant que la morale se perd, que la population se tarit, que la race dégénère... En 1789, Étampes se prépare à élire ses députés aux États-Généraux et... sa Rosière. Comme pour signifier que la restauration de l'État ne se conçoit pas sans exaltation de la Vertu.

Sources

Archives nationales

Brayard, inspecteur des Manufactures, Rapport; 1785; F12 562

Archives départementales des Yvelines

Plans d'Intendance, C1-C3 Élection de Paris; C35, Election d'Etampes; C94 Election de Melun; C103 Election de Nemours
Procès-Verbaux d'arpentage, C4-C6 Election de Paris; C36 Election d'Etampes; C95 Election de Melun; C104 Election de Nemours.

Archives municipales d'Étampes

Registre du Tarif (1756-1790). non coté.

Archives de la Société royale de médecine

Claude-François Boncerf, Topographie médicale de la ville d'Étampes, 1785, carton 177, dossier 1, pièce 3
Claude-François Boncerf, Observations et réflexions sur la topographie médicale d'une partie du Hurepoix, du Gâtinais, d'une partie de l'Orléanais et du pays chartrain, 1788, carton 175, dossier 1, pièce 2.
Claude-François Boncerf, Topographie de l'hôpital d'Étampes, 1782, publiée par Paul PINSON, dans le Bull. de la Soc. Hist. et Arch. de Corbeil, de l'Essonne et du Hurepoix, 1900, p. 30-37.

Bibliographie

Mémoires des Intendants sur l'état des Généralités pour l'instruction du duc de Bourgogne, publié par BOISLISLE, Paris 1881.
CROCY Jean-Philippe, l'Hôtel-Dieu d'Étampes de 1695 à 1789; Essonne et Hurepoix; Mémoires et Documents de la Société Hist. et Arch. de Corbeil, de l'Essonne et du Hurepoix, t. XIV, 1988, p.89-143.
FLEUREAU dom Basile, Les Antiquitez de la ville et du duché d'Étampes, avec l'histoire de l'abbaye de Morigny, Paris, 1683.
GENY Claude, Étampes de 1770 à 1836; aspects démographiques; Thèse de l'École des Chartes, 1975.
MARQUIS Léon , Les rues d'Étampes, Étampes, 1881. 
89 EN ESSONNE, n°1, "Le pays, les hommes, l'orage", 1989.

 

Chapître 2 - Les derniers beaux jours de l'Ancien Régime (Janvier 1787 - Mars 1789)

 

 La Révolution n'éclate pas dans un ciel sans nuages. Bien avant 1789, l'effervescence est grande dans le royaume. Un vent de réformes souffle sur la société, mais les tenants de l'ordre établi résistent pied à pied. Louis XVI bataille avec les Parlements, faisant alterner réformes et reculades. Et puis le mauvais temps s'en mêle... Une série de mauvaises récoltes compromet l'équilibre toujours fragile des subsistances. La crise financière est tellement grave qu'il faut se résoudre à réunir en mai 1789 les États Généraux... ce qui ne s'était pas fait depuis 1614.
 A Étampes, on n'est pas insensible à l'air du temps. Peu à peu, la vie municipale s'anime; on s'efforce de mettre en place de nouvelles structures; on ébauche un partage du pouvoir local. L'annonce de la tenue des États Généraux délie les langues et révèle des tensions latentes au sein du corps social. La grêle de l'été 1788 et le froid glacial de l'hiver suivant ne font qu'aviver les souffrances des plus démunis. Alors s'achèvent, sans qu'on en ait vraiment conscience, les derniers beaux jours de l'Ancien Régime...

 Avant la Révolution,

la réorganisation du pouvoir municipal

 C'est en janvier 1787 qu'entre en scène la municipalité conduite par Picart de Noir-Épinay, celle-là même qui devait affronter un peu plus tard les premières turbulences révolutionnaires. Ce renouvellement des édiles n'est pas seulement un changement d'hommes; il fait suite à un conflit aigu au sein du bureau municipal sortant, élu le 2 février 1786, opposant notamment le maire Hochereau des Grèves au premier échevin*, Thomas Petit-Ducoudray. Au coeur de cet affrontement, on trouve une question éminemment d'actualité en ces dernières années de l'Ancien Régime: la question fiscale. Petit-Ducoudray, désireux de lutter contre certains abus, mène alors un combat contre les exemptions indues, et met en cause le système de perception des impôts. La contestation prend de telles proportions que l'intendant* Bertier de Sauvigny en personne intervient. Un arrêt du Conseil d'État de décembre 1786 casse l'élection du début de l'année et réorganise entièrement le fonctionnement de la vie municipale étampoise.
 

 

 

 

 

 

 
  • Historique
  • Buts et méthodes
  • Vie de l'association
  • Adhérer

Inscription Newsletter

Plan de site - Mentions légales

Copyright © Brandon 2019 All rights reserved. Custom Design by Youjoomla.com
YJSimpleGrid Joomla! Templates Framework official website
Vie de l'association