Afin de rester en contact avec vous en ces temps de confinement, nous mettons en ligne à votre intention quelques articles sur des sujets divers, souvent en rapport avec l'actualité :
La guerre franco-prussienne et la Commune vues d'Étampes
par Claude Robinot
Cet article est la reprise d’une conférence d’Etampes-histoire faite en 1991 et publiée dans un ouvrage aujourd’hui épuisé : « Le pays d’Etampes au XIXe siècle ». Nous avons en avons relu le texte et apporté quelques modifications et compléments que des recherches récentes nous ont permis de mettre à jour.
Le paisible printemps de l’année terrible
En mai 1870, Etampes aime à donner d’elle-même l’image d’une paisible sous-préfecture de Seine-et-Oise, abritée dans les derniers vallons qui précèdent le plateau beauceron, digérant avec une lenteur rurale les avancées du progrès, bien qu’elle ne soit qu’à une heure de chemin de fer de la capitale. Les grandes affaires du moment sont les travaux entrepris pour doter la ville de l’éclairage au gaz et le projet de quelques citoyens de faire abattre les deux pilastres construits un siècle plus tôt à la porte Saint-Jacques devenue trop étroite pour la circulation.
Prudente et loyaliste, Etampes joue sa partition politique à l’unisson du pays, mais en sourdine. Le plébiscite impérial modifiant la constitution de 1852 ne soulève pas de passion particulière. Comme dans tout le reste de l’Empire on vote le dimanche 8 mai 1870. Le oui l’emporte par 75 %, soit un peu moins que la moyenne nationale qui est de 82 %. Il faut dire que le sous-préfet avait bien fait les choses puisque pour les 12 000 électeurs de l’arrondissement il avait fait imprimer 50 000 bulletins OUI. Le chroniqueur du journal local l’Abeille remarque ironiquement que cette sage précaution se justifie par le fait « qu’il s’en perd beaucoup ». Rien là que de très normal, Etampes n’est pas une ville d’opposition, elle accueille avec bienveillance, comme partout, l’évolution libérale de l’Empire qui, pense-t-on a encore de beaux jours devant lui.
Etampes sur le pied de guerre...
Début juillet, lorsque parviennent les premiers échos d’une tension avec la Prusse, aucune inquiétude ne transparaît. On brocarde Bismarck, puis on dit bien haut que « c’est le cadet de nos soucis [et] on a bien plus à faire pour se préserver de la chaleur dévorante du soleil qui vient nous relancer... » (1). L’annonce officielle des hostilités le 19 juillet 1870, ne provoque pas d’émoi particulier. Un peu à contre-cœur et incrédule, Etampes s’apprête à vivre sur le pied de guerre. Il a fallu une bonne semaine pour que l’idée fasse son chemin et le journal l’Abeille affiche un patriotisme modéré et de circonstance : « ... Toute incertitude a cessé. C’est bien la GUERRE que nous aurons. Laissons la parole aux évènements ; qu’il nous soit permis d’accompagner de nos vœux les plus ardents les vaillants soldats qui s’en vont sur le Rhin défendre l’honneur de la patrie » (2). En cette période de moisson la guerre est bien lointaine. Henri de la Bigne, soucieux de mettre à jour les connaissances géographiques de ses concitoyens, rédige un petit article décrivant la frontière du nord-est, théâtre présumé des opérations militaires. Rassurant il signale que : « les troupes étrangères ne sont jamais entrées dans la ville depuis qu’elle est française. » (3). L’imprudent stratège amateur parlait de Metz !
Le départ des recrues et des réservistes de l’arrondissement se fait dans la bonne humeur et prend plutôt l’allure d’une fin de permission arrosée que d’une mobilisation si l’on en croit la feuille locale : « Décidément la Marseillaise va devenir une scie... patriotique si l’on veut mais enfin une scie. Depuis le commencement de la semaine, les jeunes soldats de la réserve se promenaient dans les rues d’Etampes en chantant l’hymne guerrier de Rouget de L’Isle, et ce matin encore en montant en wagon, nous retrouvons d’autres soldats de la réserve... et toujours la Marseillaise. Ils sont du reste assez raisonnables ces braves gens ; ils se sont mis en manche de chemise pour éviter la chaleur, et ce débraillé ne leur va pas mal ;
ils descendent au buffet et quand la cloche du départ se fait entendre ils remontent tranquillement en wagon : qui avec une brioche, qui avec une bouteille de vin. A chaque arrêt, les chants reprennent, les uniformes se mêlent dans le brouhaha des quolibets, des mots échangés avec les voyageurs qui attendent à diverses gares ; ils parlent de Berlin. – vous y serez peut-être plus tôt que vous ne le voudrez, leur crie un brave homme à la station de Bouray ! » (4). Le premier effet de la guerre est d’animer la ville par le passage de miliciens et de soldats à qui l’on offre force rafraichissements (une collecte a été organisée à l’exemple d’autres villes). Les badauds s’en donnent à cœur joie. L’annonce du passage à Etampes d’un régiment de ligne provoque un attroupement à la gare, car le bruit a couru qu’il y avait parmi eux Abd El Khader !
L’insouciance est encore de mise, les lettres de soldats publiées dans la presse sont bien sûr rassurantes et très convenues, imprégnées du naïf optimisme de tous les avant-guerres :
« Chers parents,
« Je vous écris ces mots pour vous apprendre de mes nouvelles : je me porte très bien, je souhaite que ma lettre vous trouve de même. Il ne faut pas vous tourmenter de moi, je ne me tourmente pas. J’ai été paresseux à vous écrire car je ne voulais pas vous écrire avant de savoir où j’allais. Depuis le 16 nous faisons des apprêts pour aller en Prusse. Je suis parti de Versailles, vendredi à 7 heures du soir par le chemin de fer et arrivé à Nancy à 5 heures du soir le samedi, et nous sommes campé dans la prairie jusqu’à nouvel ordre. Je suis toujours avec M. de Saint-Périer il est content que je sois avec lui et moi aussi. Tout ce que je souhaite est que vous ne vous tourmentiez pas, parce que moi je ne me tourmente pas, et, l’on n’est pas malheureux ; on est reçu partout à bras ouverts. Depuis Versailles jusqu’à Nancy, il y avait du bœuf, bouillon, vin, bière, pain, pour rien à toutes les stations. Rien de plus à vous marquer pour le moment, je finis ma lettre en vous embrassant de tout cœur.
« Votre dévoué fils. Gustave Berthot. » (5)
Cependant, lentement, la ville et les environ se vident de leurs jeunes gens. Les réservistes partis, c’est le tour des recrues de la classe 69, puis de celles de la classe 70, dont le tirage au sort a eu lieu en juin. On s’est arrêté alors au numéro 66, mais tous les conscrits du canton doivent rejoindre leurs unités dans des conditions précipitées alors que l’étau allemand se referme sur Paris. Les Prussiens bombardent Ablon et tirent sur les trains. Les conscrits partis d’Etampes doivent s’arrêter à Savigny et rejoindre Versailles à pied par Dourdan. (6)
Les gardes mobiles d’Etampes ont un peu plus de chance. Partis la veille, 16 septembre 1870, ils entrent dans Paris juste avant l’investissement de la capitale et l’interruption des communications ferroviaires. Ils y resteront toute la durée du siège. Les « moblots » comme on les appelle familièrement, forment une troupe peu expérimentée. Ces soldats territoriaux levés à la hâte parmi les « bons numéros » qui avaient échappé à la conscription ont été convoqués le 29 août (trois jours avant la défaite de Sedan) au chef-lieu d’arrondissement. Ils constituent le bataillon d’Etampes du 60e régiment de la garde mobile de Seine-et-Oise. Ils n’ont pas d’uniformes et encore moins de fusils. Pendant que leurs officiers se rendent à Versailles pour recevoir leurs instructions, les moblots font de l’exercice sous l’œil narquois des gamins désœuvrés qui les imitent. C’est après quinze jours de ce régime que les moblots d’Etampes partent pour Paris non sans avoir bruyamment fêté leur départ dans les rues et les auberges.
Plus de vingt mille soldats sont passés par la ville, un bon millier ont quitté la région alors que la nouvelle des premières défaites et des progrès de l’invasion arrive à Etampes. Devant la sous-préfecture (aujourd’hui l’école de musique) de petits groupes guettent les nouvelles transmises par le télégraphe.
Depuis le 9 août, les Etampois ne peuvent ignorer la gravité de la situation. Le sous-préfet Vivaux les a informés que le département est en état de siège et qu’il faut convoquer d’urgence la garde nationale sédentaire. Cette troupe, pale héritière dans l’ancienne milice bourgeoise, qui n’existe plus que sur le papier, depuis la création des mobiles en 1849, est une bien maigre protection pour une ville qui sent approcher la menace prussienne. Les poses guerrières de ces bourgeois en armes font tellement sourire que s’en est devenu un thème classique de la caricature de l’époque. Le sous-préfet et le maire se plaignent du peu d’enthousiasme qu’ils rencontrent auprès des Etampois : sur un effectif théorique de 1000 gardes on en réuni à peine la moitié ! Effort tardif et bien inutile car les fusils et les cartouches commandés à Versailles se sont égarés à cause de la désorganisation des transports. Quand ils arrivent il est trop tard, on essaie vainement de les mettre à l’abri en les expédiant sur Orléans, mais ils seront interceptés par les Prussiens. Le maire ne peut compter que sur 60 fusils dans le poste de garde de l’Hôtel de Ville ; c’est suffisant pour maintenir l’ordre mais dérisoire pour envisager une résistance organisée.
Au début de septembre, le sous-préfet Vivaux en informe sa hiérarchie : « Etampes est une ville ouverte, malgré mes efforts pour remonter le moral de la population qui m’entoure, le sentiment de peur l’emporte... cette situation est celle de tout mon arrondissement qui ne compte que des communes rurales... » (7). La seule solution serait, selon-lui, de faire couvrir la ville par des troupes auxquelles il joindrait les quelques fusils courageux des environs pour retarder la marche de l’ennemi. Mais l’autorité militaire en décide autrement. Un officier du génie venu inspecter les lieux juge que seule la gare mérite d’être défendue d’un coup de main de l’ennemi. Des travaux sont donc envisagés. Il faut entourer le bâtiment d’un fossé de 4 mètres et boucher les entrées avec des madriers. La route de Dourdan et le boulevard Henri IV seront barricadés pour faire de la station d’Etampes une imprenable redoute. Quelques jours plus tard les travaux sont jugés inutiles par la compagnie d’Orléans. Avant de partir, l’officier du génie donne cependant quelques conseils simples pour assurer la sécurité : entretenir quelques guetteurs qui, sur la tour de Guinette, se mettraient en rapport avec les villages voisins pour les avertir de l’arrivée d’éclaireurs ennemis ou de maraudeurs ! Redonner au donjon royal de Philippe Auguste un rôle militaire qu’il avait perdu depuis Henri IV, est peu rassurant et pour tout dire ridicule !
Une municipalité de crise ?
Le réflexe constant des Etampois sur la longue durée, quand le danger menace, est de se tourner vers les autorités municipales. Ces notables élus et investis ont l’obligation morale de veiller à la protection de leurs concitoyens. Or, la guerre et les premières victoires prussiennes surprennent Etampes en pleine campagne électorale pour le renouvellement du conseil municipal. Un premier tour très disputé, a eu lieu le 6 août. Malgré la faible participation le dépouillement se poursuit jusqu’à 4 heures du matin. Les résultats sont décevants il n’y a que 5 élus sur 23 ! Le maire sortant, Albin Pommeret des Varennes qui n’a obtenu que peu de suffrage abandonne la partie. Peut-être paye-t-il ses sympathies conservatrices et bonapartistes ? Son fils, Saint-Cyrien et officier d’infanterie a fait les campagnes de Chine de 1859 à 1862 et a enchainé presqu’aussitôt avec la désastreuse expédition mexicaine, où il a reçu la croix de la légion d’honneur. Il est aussi probable que Pommeret a été poussé vers la sortie par le sous-préfet Vivaux qui le juge déconsidéré, exalté et peu susceptible d’organiser la défense de la ville. Le nouveau conseil municipal n’entre en fonction que le 26 août ; qui porte à sa tête Alphonse Philippe Auguste Brunard, le 4 septembre 1870, le jour même de la proclamation de la République par Gambetta, deux jours après la reddition de Napoléon III à Sedan ! Etampes, avec une rapidité dont elle est peu coutumière prend acte du changement de régime. Lorsqu’on examine attentivement le procès-verbal d’installation du premier magistrat consigné sur le registre municipal on s’aperçoit que la formule : « le maire jure fidélité à la Constitution et à l’Empereur » avait été prudemment écrite au crayon papier. Il suffit donc de gommer le dernier terme et de surcharger à l’encre « à la Constitution et aux lois ». Il reste bien quelques traces, mais tout est conforme à la légalité républicaine naissante.

Fig 1 : Obéissance à la Constitution et aux lois, surchargent « obéissance à l’Empereur » dont on devine encore la trace, proclamation de la République le 4 septembre oblige !

Fig 2 : A droite, portrait photographique d’Alphonse Brunard, cliché Serge Poeuf, in Corpus étampois.
Le sous-préfet Vivaux apprécie Alphonse Brunard, le nouveau maire, déjà conseiller dans la municipalité précédente, c’est un négociant et un industriel entreprenant, il installera à Etampes le premier moulin à vapeur. Il ne s’affiche pas bonapartiste, ni non plus républicain. Il est avant tout investi dans ses fonctions. Vivaux le présente au préfet comme énergique et l’homme de la situation : « il a tenu bravement tête à plusieurs braillards plus pressés de faire disparaître un buste (celui de l’Empereur) que de songer à la composition immédiate des cadres d’officiers de la garde nationale. » (8). C’est donc à un notable respecté et homme de caractère qu’échoit la responsabilité de la ville, au moment où les Etampois, pris dans la tourmente des événements militaires sont à portée de canon, puis de fusils des Prussiens.
Etampes, ville de front ou ville de l’arrière ?
Incapable de se défendre et sans grande volonté de résister, la ville ne peut assister qu’impuissante à l’invasion allemande. Elle reste sans prise sur les combats, proches ou lointains, dont l’issue incertaine peut faire de ses faubourgs un théâtre d’opérations.
Deux épisodes célèbre de la guerre franco-prussienne placent la Beauce dans la zone de belligérance. Le désastre de Sedan (1er septembre 1870) permet aux armées allemandes de venir assiéger Paris et d’occuper en un peu plus d’un mois tout l’espace entre Seine et Loire. Ensuite, c’est la capitulation de l’armée de Bazaine enferméeAprès Sedan, la IIIe armée allemande commandée par le prince royal de Prusse et le général bavarois Von der Thann se rue sur Paris pour l’investir. A partir du 12 septembre, elle longe la rive droite de la Seine vers Vigneux et Ablon, puisque tous les ponts ont été détruits jusqu’à Montereau. Le 17 septembre les Bavarois franchissent le fleuve à Corbeil, après avoir bombardé et pris la ville. Deux jours plus tard, les armées allemandes occupent Versailles et parachèvent l’investissement de la capitale, désormais isolée du reste du pays. Le prince Albert de Prusse, lui, traverse la Seine à Melun avec ses cavaliers et pousse jusqu’à Milly-la-Forêt et Dannemois. Etampes n’est toujours pas occupée même si des éclaireurs ennemis s’y montrent régulièrement depuis le 19 septembre. L’avance allemande marque une pause du 22 au 28 septembre parce que Von der Thann, prudent et méthodique, concentre ses troupes autour d’Arpajon, pendant que Le commandement français n’est pas encore en mesure d’opposer un corps de bataille organisé face à la progression des Bavarois. L’armée de la Loire, commence à peine à se constituer, regroupant les forces disponibles dans les forêts d’Orléans et de Pithiviers. Pendant cette période quelques unités se risquent en Gâtinais et en Beauce pour ralentir la marche de l’armée allemande, avant de s’évanouir et disparaître par les vallées. Un de ces engagements met aux prises, le 18 septembre, à Dannemois, jour de la fête locale, des francs-tireurs de Paris renforcés par des gardes nationaux du crû à un régiment de hussards de la mort, venant de Melun. En deux heures de combats, les Français cachés dans les bois de Courances et de Moigny, mettent hors de combats 250 Prussiens et tuent le colonel. Ils n’ont à déplorer que la perte de 4 francs-tireurs. En mesure de représailles, les Prussiens incendient une quinzaine de maisons et pillent le village. Le maire et son fils, un instant, menacés d’exécution, sont emmenés dans un groupe de 11 otages (9). L’engagement le plus proche d’Etampes, se déroule sur la route de Pithiviers, à la ferme de Courpain, le 8 octobre 1870. Deux compagnies de Francs-tireurs, des parisiens et quelques beaucerons, sont embusqués dans les vallées de la Juine et de l’Eclimont, vers Fontaine-la-Rivière. Elles reçoivent le renfort de lanciers patrouillant aux abords de Sermaises, au moment où l’avant-garde prussienne pousse sur la route. La fusillade et la canonnade dure toute la journée. Puis réalisant qu’ils sont face à un corps d’armée, les Français se replient par la vallée sur Méréville, où les Prussiens, pour la perte de huit hommes, fusillent deux francs-tireurs et imposent une amende de 50 000 Francs. (10).
l’avant-garde prussienne sonde la résistance française dans toutes les directions. Début octobre, les colonnes ennemies s’aventurent jusqu’à Ablis vers l’ouest et Toury au sud en venant de Pithiviers. Dans cette dernière ville, les Uhlans prussiens se heurtent à une vive résistance qui les fait battre en retraite jusqu’à Angerville. Rendus furieux par cet échec, ils chargent à la lance les habitants de Pussay trop curieux, qui baguenaudaient sur le pas de leur porte. De manière inattendue, c’est par le sud qu’Etampes est occupée le 6 octobre 1870, alors que tous les mouvements précédents l’avaient épargnée. Les jours suivants, elle est traversée par le gros de l’armée bavaroise qui, venant d’Arpajon, fait route vers Orléans.

Fig 3 : Soldats volontaires et irréguliers organisés par départements, comme les gardes mobiles, ils pratiquent l’embuscade pour ralentir l’avancée prussienne. De nombreux villages beaucerons ont encore aujourd’hui, une « rue des francs-tireurs ».
Les Prussiens ayant acquis la certitude que ces soldats isolés sont en liaison avec une armée française qui se constitue sur la rive sud de la Loire, consolident leurs arrières. Ils établissent un camp autour de Marolles en Beauce et de la Forêt Sainte-Croix, avant d’envisager de reprendre leur marche vers le sud.
Le Combat décisif a lieu le 10 octobre, autour d’Artenay. Les Allemands disposent 14 000 hommes et de 102 pièces d’artillerie. Ils avancent en plusieurs colonnes de part et d’autre de la route « ci-devant impériale » de Paris à Toulouse. En face, le commandement français ne peut aligner que des unités disparates, régiments de ligne, troupes d’Afrique, mobiles et francs-tireurs, soit 8 000 hommes qu’on a rassemblé à la hâte. Les tirailleurs algériens arrivent à Artenay après une marche de 48 kilomètres. Ils n’ont que 5 heures de repos quand ils enchainent avec un combat qui dure plus de 6 heures. La position d’Artenay, rendue intenable par la supériorité de l’artillerie ennemie, est évacuée. On se replie dans le désordre, au milieu d’une foule de badauds venus d’Orléans pour assister au combat. Le lendemain, 11 octobre, Von der Thann installe son état-major à Orléans.
La bataille de Coulmiers un espoir de courte durée.

Fig 4 : La victoire de Coulmiers, reprend Orléans dont on aperçoit la cathédrale au loin. Le général d’Aurelles de Paladines en cavalier victorieux. Un zouave surveille un Prussien et un Bavarois prisonniers.
La veille de la défaite d’Artenay, Gambetta, échappé de Paris en ballon dirigeable, a rejoint Tours. C’est dans cette ville que la délégation du gouvernement de la Défense nationale, dirigée par Crémieux et Freycinet, lève en un mois une armée de 600 000 hommes ; essentiellement des troupes d’Afrique, des francs-tireurs et des légions de gardes mobiles venus des départements non occupés de l’ouest et du sud. Le commandement en est confié au général D’Aurelles de Paladines, qui a fait toute sa carrière outre-mer. Tours a été choisie parce que c’est un nœud ferroviaire important qui permet la concentration des troupes qui partiront à la reconquête du terrain perdu. D’Aurelles de Paladines réussit à former deux corps d’armée entre Vierzon et Salbris, soit 100 000 hommes qu’il dispose début novembre, sur une ligne parallèle à la Loire, entre Argent sur Sauldre et Blois, masquant ainsi ses mouvements à l’abri des forêts solognotes. L’offensive commence par le franchissement du fleuve en plusieurs points : Sully, Blois et Meung. L’attaque est portée le 7 novembre à l’ouest d’Orléans, les Bavarois sont bousculés dans la forêt de M, deux Marchenoir, deux jours plus tard, ils sont battus à Coulmiers en pleine Beauce. Von der Thann réalise alors qu’il est dans une position délicate. S’il reste à Orléans, il risque d’être coupé de ses alliés Prussiens. Il préfère donc évacuer la ville et se replier par petites étapes, plus au nord, par la route de Paris, à Artenay, Toury et Angerville. Le recul effectué, la IIIe armée se déploie dans un arc de cercle qui court de Beaune-la-Rolande à l’Est jusqu’à Châteaudun à l’ouest de part et d’autre de la route de Paris où est installé le commandement vers Toury. D’Aurelles de Paladines hésite à exploiter la victoire de Coulmiers en marchant sur Etampes pour couper la retraite allemande. Il préfère fortifier sa position au nord de la Loire en s’appuyant sur les forêts pour faire d’Orléans un camp retranché. Cette décision se justifie par le projet de mener une offensive coordonnée avec les troupes assiégées depuis deux mois dans Paris. Le 24 novembre, le général Trochu qui commande Paris envoie un message par ballon sur ses intentions. Des vents contraires le font dériver le lendemain vers la Norvège ! Tours n’est informé de la sortie parisienne que le 29 novembre, mais c’est déjà trop tard. Les Allemands libérés par la capitulation de Bazaine à Metz, acheminent d’énormes renforts autour de Paris et sur la Loire. Le 28 novembre, les Français échouent dans leur tentative de percée à Beaune-la-Rolande. Ils subissent un nouvel échec en Beauce, dans le Village de Loigny, entre Orgères et Toury, le 2 décembre 1870. L’armée de la Loire est battue et se replie définitivement au sud du fleuve. D’autres combats auront lieu, notamment les sorties parisiennes désespérées pour desserrer l’étau, au Bourget ou à Buzenval. Le 28 janvier l’armistice réclamé par Thiers est signé.

Fig 5 : L’agonie du général de Sonis, commandant des zouaves pontificaux. Ce tableau qui figura longtemps dans l’église de Loigny est l’œuvre de Lionel Royer dont on connait surtout le « Vercingétorix jette ses armes aux pieds de César », souvent repris par les manuels scolaires républicains, alors que le tableau de Loigny est dans une imagerie plus sulpicienne, reprise dans les manuels scolaires des écoles religieuses.
Les mémoires de guerre en Gâtinais et en Beauce
Revenons un instant sur ces batailles qui ont laissé des traces différentes dans les mémoires locales et nationales.
A Beaune-la-Rolande, le corps de bataille français qui se monte à 35 000 hommes est composé de d’infanterie de ligne, de soldats d’Afrique (zouaves et turcos) renforcés par les mobiles et les francs-tireurs de différents départements dont l’expérience militaire est très récente. Les Prussiens, pourtant moins nombreux font échouer l’offensive française. Parmi les victimes enterrées dans l’ossuaire de Beaune, deux ont laissé une trace mémorielle significative. Le premier est le peintre impressionniste Jean Frédéric Bazille, âgé de 30 ans, engagé par patriotisme dans un régiment de zouave. Ce fils d’une riche famille protestante de Montpellier était l’ami de Renoir et de Manet. Une exposition récente lui a été consacrée au musée d’Orsay. Il demeure le symbole d’un talent sacrifié. Le deuxième est un soldat d’Afrique, un turco algérien du nom d’Ahmed Ben Kaddour tué après avoir tiré à de nombreuses reprises sur des Prussiens caché dans un abri. Ce fait d’arme a été immortalisé le peintre Jules Simon dont le tableau est exposé au musée de l’armée. Le sort tragique des armes a réuni dans un même temps et peut-être dans une célébration commune, le jeune peintre bourgeois, sergent de zouave, et le turco algérien, modèle d’une peinture héroïque.

Fig 6, 7, 8, 9 : Portrait photographique de Bazille et la plaque apposée à la demande de sa famille, à l’endroit où il a été tué. A droite, « Le turco Ben Kaddour » Tableau de Jules Monge (1892), au musée de l’armée. La maison de Juranville où il est mort après avoir tué sept Prussiens est restée célèbre, photographiée en carte postale (ci-dessous)

A Coulmiers et à Loigny, les cultivateurs ont glané dans leurs champs les fruits de : « nout’ récolte ed’ d’ soixant’-dix » dont le récit a bercé l’enfance de Gaston Couté et nourri son antimilitarisme. Il se fait l’écho de ce souvenir dans sa célèbre « complainte des ramasseux d’morts », écrite en 1898. Le poète réuni dans une même compassion, deux moblots, un bavaroué tombés au combat :
« l’premier j’avons r’trouvé son bras,
Un galon de lain’roug’ su’ la manche
Dans un champ à Tienne, au creux d’eun’ ra’
Quant au s’cond, il ‘tait tout d’eun’ pièce
Mais eun’ ball’ gn’avait vrillé l’front [...]
L’trouésième, avec son casque à ch’nille,
Avait logé dans nout’ maison
Il avait toute eun chié’ d’famille
Qu’il eusspliquait en son jargon. (11)
A Loigny (aujourd’hui Loigny-la-Bataille) les casques, les képis et les armes collectées au gré des labours ont servi de base à un musée longtemps installé dans la sacristie de l’église et aujourd’hui dans un espace muséographique dédié. Un peu à l’écart du village, dans le « bois des zouaves » un monument célèbre le souvenir du général de Sonis et des zouaves pontificaux. Cet épisode militaire mérite qu’on s’y arrête un instant. Pendant les combats, une partie des régiments formés de moblots et de francs-tireurs sans grande expérience militaire fuient sous le feu des Prussiens. Deux corps de troupe résistent et enrayent la débandade : les mobiles bretons du commandant de Charrette et les zouaves pontificaux (originaires de l’ouest de la France) qui chargent au cri de : « vive la France, vive Pie IX ! ». Le général de Sonis, blessé au cours de la bataille, reste étendu dans le bois avant qu’on vienne le secourir. Le récit de ses souffrances est devenu, sous la troisième république, un classique destiné à l’édification morale et patriotique des enfants des écoles chrétiennes : « Vers onze heures du soir, la neige commença de tomber à gros flocons. Peu à Peu les cris cessèrent ; les moribonds rendaient l’âme, le froid engourdissait tout ; il se fit un silence de mort... je vis deux formes humaines se trainer vers moi. C’étaient deux zouaves pontificaux, tout deux enfants du peuple, car l’un était attaché au service du curé de Saint-Brieuc, l’autre était un ouvrier cordonnier parisien [...] Ces deux jeunes blessés qu’une foi commune avait placé au milieu de la meilleure noblesse de France, étaient de fervents chrétiens, et ils venaient me demander de parler de Dieu. » (12)
Ce récit de Mgr Baumard, nous renseigne peu sur la bataille, en revanche il nous dit beaucoup sur la mémoire catholique de la guerre franco-prussienne. Les zouaves pontificaux étaient des volontaires majoritairement français, chargés de défendre les Etats du pape contre les partisans de l’unité italienne. En septembre 1870, après la chute de Rome, le régiment est licencié et rentre en France. Charrette et de Sonis remobilisent les volontaires sous leur ancien uniforme et propose leur service au gouvernement de la Défense nationale. Ces soldats, qui étaient dans une tradition catholique ultramontaine, monarchiste et conservatrice, viennent se battre aux côtés de gardes mobiles et de gardes nationaux plutôt républicains. Le patriotisme guerrier qui était une valeur ancrée à gauche, depuis les armées de la Révolution, s’installe aussi dans la droite catholique. Ce basculement, prépare le ralliement futur des « blancs » à la République.
En Beauce et dans le Gâtinais, les souvenirs de la guerre franco-prussienne sont restés vivaces jusqu’au premier conflit mondial. Ils ont pourtant nourri des choix politiques antagonistes de l’antimilitarisme à l’exaltation de la revanche.
Etampes, bien qu’à proximité du front, dans la zone des turbulences, est restée une ville de l’arrière, soumise pendant cinq mois à la pax germanica.
Etampes, ville de l’arrière prussien
La présence de l’armée allemande à Etampes peu se résumer en trois mots : passage, occupation et réquisitions.
Pendant cinq mois, il passe une moyenne journalière de 1000 soldats, mais, la veille de la bataille d’Artenay, plus de 10 000 hommes traversent Etampes ! Les officiers sont logés en ville, les hommes et les chevaux campent au nord, entre le faubourg Saint-Pierre, les abattoirs et la gare. Quant à l’occupation permanente elle est assurée par 500 à 1000 étapiers bavarois d’octobre 1870 à janvier 1871, puis par la Landwher prussienne jusqu’à la mi-février. Leur fonction essentielle est d’assurer le ravitaillement de l’armée allemande.
Au dire du maire, les rapports avec les troupes sédentaires ne sont pas trop mauvais. L’éditorialiste de l’Abeille confie que : « ce sont de bons bougres, [...] au bout de cinq mois on a appris à se connaître ».
Le coût d’entretien d’un soldat prussien est soigneusement tarifé par l’administration militaire. Il faut fournir par homme et par jour 750 grammes de pain, 500 grammes de viande, 250 grammes de lard, du café, du tabac ou des cigares, plus un demi-litre de vin ou un litre de bière. Sans oublier l’avoine, le foin et la paille pour les chevaux. Ce qui fait 8 francs par jour, disons l’équivalent d’une bonne journée de salaire d’un ouvrier très qualifié. Le coût d’un officier se monte au double. Un officier supérieur revient à 25 francs, soit une semaine de salaire !
Presque quotidiennement, les officiers d’intendance bavarois transmettent au conseil municipal les ordres de réquisition que le maire signe et prend sur lui de répartir entre les habitants. Lourde responsabilité, mais ce système qui a l’avantage de fixer une norme et d’éviter les exactions, semble avoir fonctionné à la satisfaction de tous. Les Allemands n’ont eu recours qu’exceptionnellement aux réquisitions directes, plus brutales et plus difficiles à évaluer. Des commerçants, des artisans et des fermiers d’Etampes ont dû répondre aux exigences de l’occupant, très peu ont accusé après coup Brunard et ses adjoints d’une attitude partiale. Ces fournisseurs involontaires de l’ennemi ont soigneusement relevé sur des factures la liste et les montant des fournitures réquisitionnées, dans l’espoir de se faire rembourser après la guerre. Une partie des dossiers d’indemnisation ont été conservés dans les archives municipales, c’est pour nous l’occasion de faire un inventaire hétéroclite. A côté des couvertures, toiles et flanelles, on trouve des cruches, carafes et verres, des tuyaux de poêle, des fers à chevaux et un nombre impressionnant de vases de nuit !
Si les Etampois se font une raison de l’occupation et du passage des troupes, ils sont indignés de voir leur ville transformée en centre d’approvisionnement. Les chevaux et les voitures des fermiers d’alentour (plus de 500) sont réquisitionnés et parqués dans les bâtiments de la gare des marchandises. Les cochers doivent rester là en attendant que l’autorité militaire leur donne un ordre de transport. Les Etampois regardent en connaisseurs passer les troupeaux de bovins et de moutons saisis par les vivandiers allemands. A défaut des habitants le sujet alimente les conversations. On dit qu’à : « Pithiviers, à Boynes, les Bavarois qui avaient parmi eux d’anciens garçons bouchers, n’ont pris que les bêtes d’élite ». On s’indigne que : « des moutons allemands sont casernés à Saint-Michel ; [...] ils occupent la journée les prés et les jardins d’alentour ; bientôt les arbres n’auront plus d’écorce et les choux ont disparus, tout leur est bon à ces moutons allemands. » (13).
Au pillage organisé selon les tacites lois de la guerre, s’ajoutent les inévitables exactions, vols et violences de soldats ivres ou incontrôlés. Comme toujours les fermes isolées ou les petits villages sont plus exposés à ce genre d’action que les villes. Tous les animaux des fermes de Villesauvage, très mal situées à la sortie sud d’Etampes, ont été volés par des soldats de passage. A Ormoy-la-Rivière, les soldats menacent de brûler le village s’ils n’obtiennent pas sur le champ trois tonneaux de vin. Le maire de Brières-les-Scellés est balafré par un officier qui le trouve trop lent à satisfaire ses exigences ! A Etampes, la plus notable victime est l’inspecteur scolaire de l’arrondissement ; il se plaint auprès des autorités académiques que des Prussiens en route pour Artenay ont saccagé sa maison et emporté le linge, l’argenterie et une forte somme d’argent. Les gestes de mauvaise humeur et de récrimination contre l’occupant sont au reste peu nombreux. On accuse plus volontiers d’énigmatiques maraudeurs qu’on soupçonne être des juifs, montés sur des chariots lorrains qui suivent comme des charognards la progressions des armées. Face au malheur du temps, resurgissent les vieilles rumeurs accusatrices contres les colporteurs, les rôdeurs étrangers et les vagabonds.
L’entrée des Prussiens à Etampes ne soulève ni peur excessive ni panique. La première réaction, c’est l’incrédulité et la prudence. Dix jours avant leur arrivée, l’Abeille d’Etampes a du mal à croire que : « Notre riante vallée [sera] souillée par des hordes barbares qu’on croirait contemporaines d’Attila ». Une petite centaine d’habitants, des rentiers et des propriétaires, si on en juge par une liste conservée aux archives, préfèrent mettre une sage distance entre eux et les Prussiens et se réfugient en province. Comme le maire menace de réquisitionner en priorité les maisons délaissées pour le cantonnement des troupes, certains hésitent à partir. D’autres en confient la garde à des domestiques ou a des voisins, écrivant au maire que des affaires urgentes les retiennent momentanément en province...
Les premiers uniformes allemands sont aperçus à Etampes le 19 septembre 1870 en milieu d’après-midi, alors que la population est affairée dans les coteaux car c’est le premier jour des vendanges. Il s’agit d’une quarantaine de cavaliers prussiens, trainant derrière eux quelques chariots. Il se dirigent sur Etampes après avoir mis le feu à une ferme près d’Etrechy et tiré quelques coups de feu dans les bois de Brunehaut. La curiosité l’emporte sur la peur : cinq cent personnes, femmes, enfants badauds se portent à leur rencontre sans aucune hostilité. Ce qui leur vaut cette admonestation grandiloquente du chroniqueur local : « Nous sommes bien peu patriotes, ô Français de la décadence, ils entrent dans vos villes et vous les recevez mieux que des soldats français ; on leur sourit dans les rues et les faubourgs [...] prenez garde cela frise la trahison. » (14).
C’est ce jour là que se produit la fameuse altercation entre des cavaliers prussiens et le maire d’Etampes, Alphonse Brunard. Un épisode sur lequel a été bâtie, avec peut-être un brin de complaisance, une réputation de bravoure et d’énergie. Le corpus étampois a publié tous les récits concernant cet épisode (15). Léon Marquis en 1881, Henry de la Bigne dans l’Abeille, dix ans plus tôt, et Charles Béranger dans un cahier manuscrit non daté font le même récit canonique de l’évènement dont aucun n’affirme avoir été le témoin. Le maire reçoit dans la cour de l’hôtel de ville, un officier prussien et quelques cavaliers pendant que les autres, devant les grilles, font face à la foule massée sur la place. Brunard irrité par les exigences de l’officier le saisit au collet, les soldats le mette en joue mais n’osent pas tirer de peur de tuer leur chef. Les Prussiens finissent par se retirer et n’obtiennent que le droit d’étape dans la ville. Le récit de l’Abeille et celui de Béranger se recoupent au point d’employer les mêmes mots et expressions sans qu’il soit possible de déterminer qui en est l’auteur premier. Le manuscrit de Béranger, même s’il a été peut-être témoin de l’affaire, n’est pas un journal écrit à chaud, mais une reconstruction postérieure de la période. Peut-être même, s’est-il servi de la prose de La Bigne pour écrire ? Il est impossible de trancher. La dernière évocation de l’événement, faite cette fois par un témoin, dans l’hommage funèbre à Brunard, par le meunier Louis-Laurent Chenu est plus sobre. Brunard a résisté aux exigences des soldats et n’a pas cédé devant la menace des armes. Son attitude courageuse les a fait hésiter, ils ont baissé les fusils. Il est probable que la présence de la foule ait contribué à cette temporisation puisqu’ils obtiennent ce qu’ils venaient chercher, le gîte et le couvert.
Replaçons la « geste héroïque » de Brunard dans son contexte, les cavaliers qui arrivent en ville, s’apparentent plus à une avant-garde d’éclaireurs qu’à une troupe en marche, même si le gros de l’armée allemande arrive depuis Arpajon. Devant l’absence de résistance de la population ils ont probablement voulu forcer leur avantage et poser « d’outrecuidantes prétentions » (15). Le maire, qui est un homme énergique, habitué à la pression, un industriel qui a l’habitude de négocier, a eu assez de lucidité pour juger la situation et refuser ce qui lui paraissait excessif. Ce n’est qu’une hypothèse, mais elle est confirmée par les jugements moqueurs que les Etampois portent sur le comportement d’autres villages face à l’ennemi. On rit de la naïveté des habitants de Saint-Arnoult qui, après que des éclaireurs aient annoncé la venue de 12 000 hommes, tuent des porcs, cuisent du pain et finalement en restent pour leur frais.
L’admiration que les Etampois vouent à leur édile tient autant à son courage qu’à sa capacité à négocier des conditions moins dures. Lorsque la ville est taxée d’une amende de 40 000 francs pour le sabotage du fil télégraphique. Il refuse de payer, expliquant que le câble a été coupé à l’extérieur de la ville et que les habitants n’y sont pour rien. Son entêtement lui vaut d’être pris en otage avec d’autres membres du conseil. Il négocie avec Von der Thann et obtient du bavarois une réduction de moitié de l’amende. Elle est ensuite répartie entre les 400 contribuables les plus imposés d’Etampes. Ce qui ne se fait pas sans difficulté et protestation de la part de certains qui auraient préféré que l’on acquitte l’amende avec l’argent de l’emprunt lancé pour venir en aide aux ouvriers sans travail ! La gestion municipale pendant l’occupation est faite d’une manière rigoureuse en écartant tous les égoïsmes dans la répartition des charges. Cette intégrité vaudra à Brunard, en 1900, l’apposition d’une plaque sur sa maison et dans la rue qui porte son nom. On peut aussi comprendre que les mémoires locales aient eu tendance à magnifier le courage du maire en construisant une légende héroïque.
La ville étant éloignée des combats, la réalité de la guerre ne la touche que par ricochet. C’est le passage de longues colonnes de prisonniers et le séjour de centaines de blessés qui font prendre conscience aux Etampois de l’ampleur de la défaite. Nous avons plusieurs témoignages de l’effet produit dans la ville et la région de la vision des prisonniers français.
Gabriel Fautras, instituteur du petit village beauceron de Bricy, est arrêté et pris en otage après la défaite d’Artenay. Etampes est sa première halte sur le chemin de la captivité qui le conduit par la Ferté-Alais et Corbeil, vers l’Allemagne du nord. Plus de vingt-cinq ans après cette expérience, l’ancien maître d’école devenu inspecteur primaire, rédige ses souvenirs à l’attention des jeunes générations. Il se rappelle qu’après Angerville les Beaucerons ont manifesté leur solidarité et leur compassion. Sur le pas de sa porte, un habitant du lieu qui s’indigne, est arraché à sa femme et son enfant et emmené de force jusqu’à Etampes où il peut par bonheur s’échapper... Gabriel Fautras nous fait apercevoir l’atmosphère de la ville : « Les prisonniers entrèrent à Etampes sur quatre rangs, les femmes pleuraient, les hommes s’indignaient... Des inscriptions à la craie sur les portes indiquaient le logement des troupes allemandes [...] les prisonniers furent parqués à l’extrémité nord de la ville dans le jardin ruiné d’un établissement industriel [...] des fenêtres on voyait la ville entière[...] et la voie ferrée déserte. » (17). C’est un choc pour la population qui secourt les prisonniers en leur lançant du pain des fenêtres. Quelques-uns parviennent à s’évader grâce à la complicité des habitants qui leur fournissent des habits civils.
Après la bataille de Loigny, les mêmes scènes se reproduisent et les captifs bénéficient de la même solidarité. Trois églises d’Etampes sont réquisitionnées l’espace d’une nuit pour héberger les soldats vaincus, renouant ainsi avec une fonction qui avait été la leur sous la Révolution. D’après un sous-officier de Marine qui écrit pour remercier les Etampois de leur dévouement, on peut évaluer à 500 sur un total de 6000 les prisonniers qui ont pu profiter des circonstances pour « tourner les talons aux forteresses prussiennes » et tromper la vigilance des gardiens grâce à des habits d’honnêtes bourgeois prêtés par la population locale.

Fig 10 et 11 : Prisonniers traversant Etampes, illustration du livre de Gabriel Fautras. A droit les prisonniers parqués dans la cathédrale Saint Spire de Corbeil. C’est par là que passèrent les vaincus de Loigny. Photo publiée dans le Bulletin de la Société Historique et archéologique de Corbeil.
Quant aux blessés, Prussiens et Français, la centaine de lits de l’hospice d’Etampes ne suffit plus à les accueillir. On transforme en ambulance tous les bâtiments publics et ceux des institutions. Le collège, le théâtre, la sous-préfecture et les écoles reçoivent ainsi leur contingent de victimes. Les juges sont priés de déguerpir du tribunal et doivent se replier sur l’Hôtel de Ville. Quelque soit leur nationalité les blessés sont soignés avec un égal dévouement par les sœurs de l’hospice. Pour faire face aux besoins, l’économat doit puiser dans les réserves habituelles du bureau de bienfaisance. L’émotion est grande après Coulmiers et les combats de la Beauce, des collectes sont organisées au profit des blessés. Quarante-neuf soldats français décèdent à l’hôpital d’Etampes, la plupart originaires des départements du sud et de l’ouest de la France. Il y a aussi un soldat colonial. Une société patriotique se constitue et prend sur elle de rechercher les familles et de leur adresser des condoléances. L’argent récolté servira en 1872, à l’érection dans le monument aux morts dans le cimetière Notre-Dame, il y est toujours.

Fig 12 : Monument aux morts de la guerre de 1870-1871, Cimetière Notre-Dame ancien, Etampes.
Dans l’attente de la paix...
Le sentiment des Etampois pendant ces mois tragiques, où ils n’ont pas de prise sur les événements, est celui de provinciaux profondément pacifistes. Le début de la guerre qui interrompt les travaux agricoles surprend. On s’y résout avec devoir, mais sans « fièvre guerrière » ; ce qui ne veut pas dire pour autant que la population ait été indifférente au sort des armes, ou qu’elle manquât de patriotisme. Les lendemains de bataille, même victorieuse, déchantent. Le succès de Coulmiers n’inspire au chroniqueur de l’Abeille aucun enthousiasme : « vent de galerne, pluie et neige pendant deux jours, joli temps pour se battre dans la Beauce dans les terres détrempées [...]pauvres gens ils en ont assez, Français et Allemands [...] les Bavarois se battent pour le roi de Prusse » (18). Le moins que l’on puisse dire est que Henri de la Bigne n’est pas un fervent soutien du gouvernement de la défense nationale qui siège à Tours. A l’énergie républicaine de Gambetta, il préfère la prudence de M. Thiers. Il n’est pas le seul. Lorsque le petit marseillais était passé par Etampes, le 29 octobre 1870, une foule énorme, malgré la pluie, se presse à l’hôtel du grand courrier, où il s’arrête une demi-heure, le temps de changer les chevaux. Il est accueilli aux cris de : « Vive M. Thiers ! Vive la France ! ». On lui fait comprendre que « tout le monde désire une paix honorable » (19).
En attendant la paix, l’armistice qui est signé le 28 janvier 1871, soulage Etampes de l’occupant. On se réjouit de voir partir les Bavarois qui tenaient garnison dans le faubourg Saint-Pierre. Finis les défilés de tous les peuples germaniques et de leurs uniformes : Hessois, Hanovriens ou Mecklembourgeois, que l’on a appris à reconnaître. La présence ennemie ne disparaît pas pour autant des rues de la ville, même si elle devient plus pacifique et discrète. Les Allemands restent jusqu’au 21 mars. Aux garnisaires et étapiers succèdent de jeunes recrues de la Landwehr et des civils, médecins et infirmières chargés dur rapatriement des blessés allemands. Il faut bien sûr loger toutes ces « blondes fille de Germanie » qui tombent chez vous à neuf heures du soir comme une avalanche, escortées de femmes de chambre. En plus, elles ne sont pas commodes... Il leur faut des appartements gais et parquetés et une nourriture à leur gré. La fin du conflit que l’on sent proche rend leur présence encore plus insupportable. Le seul incident que l’on aura à déplorer entre des soldats allemands et des Etampois se produit le 2 mars 1871, lors du retour dans leur foyers des gardes mobiles de Seine-et-Oise et du Loiret. La proximité du sol natal et le vin du pays font éclater quelques bagarres avec les Prussiens à la sortie des auberges, mais le lendemain tout rentre dans l’ordre. La paix était signée.
Il y a toujours un risque à croire sur parole les récriminations locales contre la dureté de l’occupation prussienne. Les lettres et les mémoires que nos concitoyens envoient à l’administration on tendance à surestimer l’ampleur des pertes, dans le but d’obtenir une indemnisation conséquente. De même les récits très postérieurs aux événements, insistent surtout sur les brutalités de la soldatesque ennemie. On peut quand même essayer de tirer un bilan de ces cinq mois de guerre et d’occupation dans la région d’Etampes.
Bilan de l’occupation prussienne et bavaroise
Après la guerre, des commissions cantonales sont mises en place pour évaluer l’ampleur des dégâts provoqués par l’occupation allemande. Il en ressort que l’arrondissement d’Etampes et le moins touché des cinq de Seine-et-Oise, avec celui de Mantes. Le dommage total est estimé à 3,8 millions de francs, soit quatre fois moins que le préjudice subi par l’arrondissement de Corbeil. Là-bas, les combats d’encerclement de Paris, le passage d’un demi-million de soldats et de 45 000 prisonniers ont pesé lourd.
Alphonse Brunard et ses adjoints qui sont restés en poste pendant toute la durée du conflit, sont en mesure de fournir à la commission d’indemnisation de l’Assemblée nationale, des le mois d’avril 1871, une estimation précise et chiffrée de « la triste part réservée à notre commune dans les douleurs de la patrie » (19). Le pretium doloris se monte à environ 500 000 francs. Sur cette somme globale, les réquisitions en marchandises et en travail faites à la demande de l’occupant représentent un tiers du total. C’est la charge essentielle, alors que les réquisitions directes pratiquées par l’autorité militaire ne comptent que pour 1,8 %. Quand aux pertes subies par les habitants, dûment établies sur pièces justificatives, elles atteignent 29 % du montant global. Dans son rapport la municipalité ne peut s’empêcher d’observer que cette somme lui paraît élevée. Cet avis est suivi par la commission nationale qui révise le chiffre à la baisse : les déclarants ne toucheront que 40 % des sommes demandées, en 1875.
Les dernières sources de dépenses sont les amendes, impôt de guerre et contributions que les Allemands ont tenté de percevoir. En Seine-et-Oise, les Prussiens ont essayé de reprendre à leur compte le fonctionnement administratif du département en installant un préfet à Versailles et un sous-préfet à Corbeil, l’arrondissement d’Etampes étant réuni à celui de Corbeil. Pour communiquer avec leurs nouveaux administrés les Allemands publièrent un Moniteur officiel de Seine-et-Oise qui devait être impérativement affiché dans les lieux publics. Pour plus de sûreté on obligea même les aubergistes à s’y abonner. Poussant le mimétisme administratif jusqu’au bout, le « gouvernement de la France du Nord », c'est-à-dire les Prussiens, exigea le paiement, dès le mois d’octobre, d’un douzième de l’impôt direct pendant le temps de l’occupation. Comme on s’en doute le système a mal fonctionné. Pour une fois qu’il était patriotique de ne pas payer ses impôts, les propriétaires étampois n’ont pas manqué l’occasion. Les Allemands qui n’étaient pas dupes ont fixé le montant à 150 % de sa valeur habituelle. Devant le peu de succès de cette « fiscalité ordinaire », la commune et le canton furent frappés d’un impôt de guerre à titre de dédommagement. La somme fut fixée à 277 000 francs. On protesta, on fit trainer l’affaire, sachant que l’armistice et la paix étaient proches. Les Prussiens excédés kidnappèrent tous les maires du canton le 16 février 1871 et exigèrent le paiement sur le champ. Ils n’obtinrent que 20 % de la somme escomptée, levée par des emprunts forcés.
Ce bilan financier, parce qu’il est comptable et chiffré, en rend qu’imparfaitement compte des préjudices subis par la population. En temps de guerre, le malheur ne frappe pas également les individus et les groupes : les temps de crise exacerbent les égoïsmes autant qu’il vivifie les solidarités sociales.
Les agriculteurs ont été, sans conteste, les plus touché, parce que l’isolement des fermes les exposait plus que d’autres à la rapine et aux exigences de l’ennemi. Or, on sait qu’Etampes était devenue un centre de ravitaillement de première importance. Le marché franc ne suffisait plus à contenir les animaux que les maquignons et les bouviers en uniformes avaient raflé dans la région. A titre d’exemple, la guerre coûta aux douze fermiers dépendant de l’hospice d’Etampes la somme de 34 322 F. La présence de troupes étrangères a interrompu les circuits traditionnels d’échange et l’accès aux marchés. Les céréaliers beaucerons ne furent pas les seuls à en souffrir ; tous les petits maraîchers qui vivaient des pratiques parisiennes ont vu leur débouché habituel se fermer pour cause de siège et absence de circulation ferroviaire. On ne se risque pas sur les routes avec une cargaison en ces temps troublés, d’autant que les troupes en marche n’hésitent pas à piller et saisir les charrettes et tombereaux. Longtemps après les hostilités, les journaux locaux regorgent d’annonces de paysans à la recherche de leur véhicule volé ou abandonné devant l’ennemi. Les archives municipales ont conservé la lettre d’un malheureux marchand de Milly-la-Forêt qui s’était rendu à Etampes pour profiter de la foire de Saint-Michel, sa voiture et ses chevaux ont été saisis par l’occupant !
Dans la zone des combats, les fermes qui servent de point d’appui ou de refuge pour les francs-tireurs sont détruites ou incendiées. A Beaune-la-Rolande, c’est dans une ferme que Jean Frédéric Bazille a été tué, alors qu’il tentait de mettre les enfants du lieu à l’abri.
Les ouvriers, les artisans et les journaliers, après les agriculteurs, ont été durement touchés parce que le conflit les a privés d’ouvrage. L’hiver est habituellement une morte saison, le volume du travail se réduit et les plus démunis doivent demander des secours au bureau de bienfaisance de la ville. La guerre a aggravé la situation. Les ateliers fermèrent dès le mois d’octobre, les entrepreneurs débauchèrent et certains commerçants plièrent boutique. Pour venir en aide aux chômeurs, le maire lança un emprunt de 30 000 francs, remboursable en cinq ans portant des intérêts à 5 %. Il ne fut souscrit qu’aux deux-tiers. L’appel à la solidarité intéressée ayant échoué, Alphonse Brunard imposa, malgré les protestations, une réquisition en argent. Une somme de 12 000 francs fut consacrée à des travaux de charité, en l’occurrence à l’achèvement de la route n° 49, d’Etampes à Saclas qui avait été commencée en 1847-1848, de la même façon par des ateliers de charité ! Une autre partie (8 650 F) servit à payer des kilos de pain distribués aux plus nécessiteux. Les secours aux classes laborieuses suscitèrent la réticence du journal local qui ne fut pas loin de penser, comme beaucoup de rentiers de la ville, que c’était de l’argent mal employé : « On se souviendra de l’hiver des Prussiens [...] L’ouvrage est rare, plus rare que dans les hivers ordinaires ; la gelée a empêché la ville d’ouvrir les ateliers de travail qu’elle avait préparé pour venir au secours des ouvriers sans ouvrage [...] Disons cependant la vérité : quelques-uns se plaignent de ne pas avoir d’ouvrage en demandant [...] au Bon Dieu de n’en pas trouver. C’est un excellent prétexte pour aller flâner... quand on n’a pas de bois pour aller en chercher dans la propriété du voisin, plus de gendarmes et de gardes champêtres, on coupe même les arbres de chemins. » (20).
Les classes moyennes et les petits propriétaires rentiers qui sont légion à Etampes, purent tenir le coup grâce à l’habileté du sous-préfet Vivaux ; celui-ci continua à verser leur traitement aux fonctionnaires et s’arrangea pour payer aux rentiers les revenus des titres d’Etat et des obligations de chemin de fer ! Si bien que la principale charge supportée par la bourgeoisie locale fut le logement des troupes et les exigences de la municipalité.
La Commune de Paris et celle d’Etampes
Pour les Etampois, la guerre ne se termine vraiment qu’au début mars 1871, avec le retour au pays de leurs soldats, les moblots du bataillon d’Etampes, qui ont vécu la guerre dans et sous les murs de Paris puisqu’ils étaient arrivés dans la capitale, trois jours avant le bouclage. Comme le général Trochu jugeait que ces provinciaux n’étaient pas assez entrainés, ils avaient d’abord été casernés sur l’esplanade des Invalides où ils pouvaient faire de l’exercice. Puis, ils en furent chassés par les bataillons de la garde nationale parisienne et trouvent refuge dans les baraques des camelots des grands boulevards. L’hiver 1871 étant particulièrement rude, les Etampois n’ont pas le moral et gardent de la rancune contre les parisiens. Le commandement qui n’a pas confiance en eux les trouve tout juste bons à monter la garde aux fortifications. Ils s’installent dans l’inaction et tuent le temps. Les Parisiens regardent avec ironie ces « seine-et-oisillons » comme ils les surnomment et les considèrent comme des ruraux atteints d’un incurable mal du pays et d’une piètre valeur guerrière. De fait, ils ne participèrent peu aux combats. Ils restèrent à se geler dans les bastions ou dans la plaine de France. Un tiers d’entre eux tombèrent malades, victimes du froid, des privations et d’une épidémie de variole. Le mois de janvier 1871, celui des dernières offensives, fut particulièrement pénible. Un mobile raconte que : « la graisse à fusils était devenue [une denrée] précieuse et convoitée et servait peu à l’entretien des armes mais beaucoup à la cuisine. Elle était pour tout le monde la sauce béarnaise, unique assaisonnement des steaks de cheval. » (21). Le caporal Léonce, un Etampois qui avait passé le jour de l’an dans la plaine de Drancy par moins 16°, se souvient que pour améliorer l’ordinaire il avait envoyé deux hommes à Saint-Denis pour acheter deux bidons d’un vin qu’il connaissait, du pain blanc et du sucre pour faire un saladier de vin chaud. Il ajoute qu’à l’époque : « au lieu des pralines, il valait mieux offrir à une dame du monde une demi-douzaine de harengs-saurs. » (22).
Le seul combat auquel les moblots beaucerons fut celui de Buzenval, le 19 janvier 1871. Ultime tentative pour briser l’encerclement de Paris. A cette occasion on peu évoquer la figure méconnue de Jules Barbier. Ce fils d’un charretier de Saint-Cyr-la-Rivière est né à l’hospice d’Etampes, après une carrière militaire en Afrique du nord, il s’installe comme serrurier à Paris. Il a plus de quarante ans quand éclate la guerre avec la Prusse. Il est élu sous-lieutenant de la garde nationale, mais mécontent de l’inaction de cette troupe il démissionne et s’engage comme simple troupier dans une régiment de marche du département de la Seine. C’est à ce titre qu’il fait le coup de feu à Buzenval. Dire qu’il a combattu ce jour-là est un euphémisme. Il est blessé à trois reprises : une balle lui traverse la joue et lui arrache l’œil gauche, une autre lui fracasse le l’épaule et bras droit, une troisième lui arrache quelques orteils du pied gauche. Le 23 novembre 1871, Jules Barbier est fait chevalier de la légion d’honneur par le commandant la place militaire de Paris.
Quand les moblots rentrent dans la capitale, démoralisés et tête basse. Les officiers ont ordonné le silence dans les rangs. Quand ils traversent le quartier des Batignolles, quelques Parisiens les accueillent aux cris de : « Capitulards, mangeurs de pain des Parisiens ! » La mésentente avec les provinciaux est totale. Elle permet de comprendre l’indifférence, voire l’hostilité que la Commune rencontra dans les campagnes proches de Paris.
Après l’armistice, les officiers reçurent l’ordre de dissoudre les bataillons de mobiles de Seine-et-Oise. Ce qui est fait le 7 février, car il n’y avait plus aucune discipline et l’Etat-major avait très peur que les moblots cèdent leurs armes aux Parisiens. Le bataillon d’Etampes est officiellement dissous le 6 mars, mais les effectifs avaient déjà largement fondu. Si bien que peu de mobiles d’Etampes participèrent à la répression de la Commune parisienne.
Militaires ou civils, les Etampois n’ont jamais été partisans de la guerre à outrance comme les fédérés parisiens. La paix est accueillie avec soulagement, les élections et le gouvernement de Versailles sont gages d’un retour à la normale. Qu’importe que Monsieur Thiers soit qualifié de « président définitif d’une république provisoire », la République est bien, pour la province le régime qui divise le moins, personne n’ose parler de monarchie, quant au bonapartisme il a sombré dans la minute qui a suivi Sedan. L’Abeille d’Etampes, toujours laborieuse, dit qu’il faut voter pour avoir moins de révolution, qu’ici les citoyens ne s’intéressent qu’à leurs cultures, d’ailleurs proclamer la commune d’Etampes, cela ferait rire ! Quand l’insurrection éclate les Beaucerons maudissent les Parisiens : la guerre recommence et surtout le chemin de fer est à nouveau coupé. On entende le canon. Tout ça, à cause de : « quelques démagogues, des gens de désordre, qui d’ailleurs ont été lâches face aux Prussiens et qui refusent l’Assemblée issue des entrailles de la Nation [...] Savez-vous à quoi ils arriveront ? Ils arriveront à faire décapiter Paris ; la Province indignée sollicite en ce moment le gouvernement de se transporter dans une autre ville où il puisse en paix gouverner la France » (23). Les vœux de Henry de la Bigne seront exaucés, entre autres par son frère ! Léon de la Bigne, officier de carrière a été un des capitaines du bataillon d’Etampes de la garde mobile. Domicilié à Versailles, il semble qu’il ait repris du service pour participer à la répression de la Commune. Un an après, à Versailles il reçoit la croix des mains du grand-père de sa femme, le comte Duval de Grenonville. Un connaisseur en matière de maintien de l’ordre, puisque ce dernier était officier de la milice en Martinique, avant l’abolition de l’esclavage !
Parmi les Etampois qui ont participé à la répression contre les insurgés parisiens, il faut évoquer la figure de Henri Babin de Grandmaison. Il est le fils d’un ancien conseiller municipal, propriétaire du bois de Guinette qui s’est arrangé pour faire tomber une particule qui n’existait pas entre Babin et Grandmaison. Il s’attribuera plus tard une légion d’honneur imaginaire. Son fils Henri fait une carrière militaire qui le conduit à l’Etat-major. C’est un officier de bureau, en 1870, il se trouve enfermé à Metz au côté de Bazaine. Après la reddition, il est prisonnier en Allemagne. Rentré en France le 15 mars 1871, il fait parti de ces militaires que Thiers réclame à Bismarck pour mater la Commune. Comme toujours, Henri Babin est affecté à l’Etat-major. Il organise et participe à la reprise de la capitale. Le 31 mai 1871, alors que les barricades fument encore et que l’on fusille les derniers insurgés dans les casernes, ce soldat de bureau est fait chevalier de la légion d’honneur par le général comte Charles de Geslin.
Pendant les deux mois tragiques de la Commune, Etampes toujours loyaliste, détourne les yeux de Paris pour diriger son regard vers la préfecture de Sein-et-Oise soudain promue au rang de capitale. La ville se prend pour un petit Versailles. Les postiers du bureau de la gare d’Orléans (Austerlitz) sont repliés sur Etampes. Il faut les loger, comme s’ils étaient des militaires. Cela fait des mécontents mais ce n’est pas très grave car ils sont courtois, bien élevés et on ne les voit pas de la journée ! La bonne société étampoise apprécie surtout, parmi les réfugiés, les gens fort respectables qui ont bien des soucis. On leur souhaite, malgré les événements, un agréable séjour, comme à des touristes contraints par les intempéries de prolonger leur villégiature. Le journal local les flatte : « Notre ville est toujours pleine de fugitifs [...] nous n’avons pas ici ces solliciteurs faméliques qui, à Versailles, assiègent les antichambres des ministères ; A Etampes, nos hôtes se contentent de jouir des beautés de la campagne qu’ils animent de leur présence [...] Bientôt ils nous quitterons, eux aussi, mais comme les baigneurs dans les stations thermales, de notre vie, ils ne connaîtront que l’extérieur, des nos maisons, ils n’auront guère vu que les murailles. » (24). Comparer Etampes à une ville de cure, c’est pour le moins une anticipation anachronique de l’esprit vichyssois ! En même temps que la présence des « hôtes distingués » la plume fielleuse du journal signale la présence sur les promenades des « minois chiffonnés » de quelques prostituées parisiennes qui ont fuit avec leur clientèle. Décidemment Etampes veut ressembler à Versailles jusqu’à la caricature !
Le mouvement communard n’a pas rencontré dans la ville que de l’hostilité, mais dans ce climat, les sympathies ont eu du mal à s’exprimer et n’avait aucun moyen de le faire. Quelques indices nous le laissent supposer, malgré la partialité de nos sources. Le tribunal a prononcé quelques condamnations pour « cris séditieux et apologie du crime ». Nous savons aussi par des allusions dans presse locale que les ouvriers étampois ont manifesté leur sympathie aux victimes de la semaine sanglante. C’est peu de choses, mais les traces sont plus profondes que ces maigres témoignages.
Parmi les communards de quelque notoriété qui ont un lien avec notre région on peu citer Maxime Vuillaume qui a passé son enfance à Saclas et qui fut élève au collège d’Etampes. Brillant sujet il poursuivit des études et devint ingénieur des Ponts et Chaussées. En 1871, il est à Paris et (re)publie dès le début mars Le Père Duchêne, ou plutôt dès germinal an 79, puisqu’il s’agit de renouer avec la tradition Hébertiste et sans-culottiste, jusque dans le vocabulaire. Ci-dessous contre le général Trochu, que ses ennemis surnommaient : « le participe passé du verbe trop choir », rendu responsable par beaucoup, de l’échec des sorties parisiennes, désormais réfugié à Versailles :

Fig 13 et 14 : Le Journal de Vuillaume, du 2 germinal an 79 et le supplément illustré...
« Le père Duchêne est, ce matin, bougrement en colère après ce jean-foutre de Trochu, général pour rire, traitre pour de bon, calotin de malheur qui vient de baver à Versailles des insultes sur notre bonne ville de paris, qu’il a vendu. [...] Mais misérable lâche ! Enragé fuyard, assassin de nos frères que tu as fait massacrer par le Prussien [...] il ne te reste donc plus, vilain bougre, une goutte de sang humain dans les veines ! Plus rien que de l’eau bénite et du fiel, Sale bête va ! » (26). Vuillaume réussi à échapper à la répression et se réfugie en Suisse jusqu’à l’amnistie. Il publie plus tard « Mes cahiers rouges pendant la commune » (27).
Le souvenir de l’année terrible continuera à hanter les mémoires jusqu’à la première guerre mondiale, comme un horizon indépassable.
Le 11 août 1872, Alphonse Brunard inaugure dans le cimetière Notre-Dame, à flanc de coteau, le monument aux morts de la guerre de 1870-1871. Il a été financé par une société patriotique. C’est un obélisque surmonté d’une croix qui porte sur trois faces les noms des combattants morts dans les hôpitaux improvisés à Etampes. On peut y lire la diversité des origines de ceux qui qui y figurent. A côté de soldats des régiments de ligne, il y a des mobiles du Lot, du Cantal et un tirailleur algérien. Dans son discours, en présence des autorités préfectorales, le maire parle à peine du conflit encore présent dans toutes les mémoires, mais il profite des circonstances pour lancer un appel à la réconciliation : « Surtout restons unis. Ne séparons pas le peuple de la bourgeoisie. Nous sommes tous le peuple français, et nous aimons également la Liberté. Le bourgeois d’aujourd’hui, d’ailleurs est l’ouvrier d’hier. Vous en avez de nombreux exemples dans ce pays laborieux ».
Ce message, le docteur Amodru, maire de Chamarande et propriétaire du Château, l’avait bien compris, à sa manière. Bourgeois catholique et fortuné, il sut se faire élire député de la circonscription d’Etampes, de 1893 à 1910, comme républicain modéré, en cultivant la mémoire des anciens combattants de 1870-1871, en favorisant les progrès édilitaires, mais en refusant de voter la loi de 1905 sur la séparation de l’église et de l’Etat. Une forme de synthèse locale, un compromis à la beauceronne ou à la hurepoise !

Fig 15 : Carte postale ancienne : les anciens combattants de 1870-1871 à Etampes, coll privée.
Claude Robinot
Notes :
1 – L’Abeille d’Etampes, 9 juillet 1870
2 – idem, 16 juillet 1870
3 et 4 – idem, 23 juillet 1870
5 – idem, 30 juillet 1870
6 – Dans une lettre de Félix Michault de Lardy, in L’année terrible, dossier d’exposition des archives départementales de l’Essonne. ADE.
7 - ibidem
8 – Lettre du sous-préfet, le 6 septembre 1870, ibidem
9 – Rapport d’enquête, janvier 1872, ibidem
10 – Gustave Desjardins, Tableau de la guerre des Allemands en seine-et-Oise, 1873
11 – Gaston Couté, Complainte des ramasseux d’morts, in La chanson d’un gas qu’a mal tourné
12 – Mgr Baunard, Le général de Sonis, Paris, 1890.
13 – L’Abeille d’Etampes, 3 décembre 1870
14 – idem, 24 septembre 1870
16 – idem, 24 septembre 1870
17 – Gabriel Fautras, De la Loire à l’Oder, Bibliothèque des Ecoles et des familles, 1899
18 – L’Abeille, 12 novembre 1870
19 – L’Abeille, 5 novembre 1870
20 – Registre des délibérations municipales, correspondances et dossiers d’indemnisation pour tous les chiffres qui suivent (Archives Municipales d’Etampes)
21 - L’Abeille, 28 janvier 1871
22 – Gabriel Cottereau, souvenir d’un mobile de Seine et Oise, Paris, sd
23 – L’Abeille, 2 janvier 1904
24 – L’Abeille, 11 mars 1871
25 – L’Abeille, 22 avril 1871
26 – Maxime Vuillaume, Le Père Duchêne, n° 7
27 – Maxime Vuillaume, Mes cahiers rouges pendant la commune, 1908-1914, publiés dans les carnets de la quinzaine de Charles Péguy. De larges extraits sont disponibles en ligne.
Bailliage, seigneurie et justice de Blandy au XVIIIe siècle
par Claude Robinot
Le village beauceron de Blandy appartient à la généralité d’Orléans, mais relève du bailliage d’Etampes pour les appels en justice, les affaires mineures sont jugées sur place, car le seigneur possède un droit de justice. Ce seigneur est le très lointain et très absent doyen du chapitre de l’église métropolitaine Saint Gatien de Tours qui ne vient jamais à Blandy. La justice est rendue par un membre de la judicature étampoise, qui a le titre de bailli et juge ordinaire. Il vient quelques fois par an tenir des audiences à la demande du procureur fiscal. Ce dernier administre les terres et « veille aux grains » au propre comme au figuré pour le compte des seigneurs ecclésiastiques. Il est flanqué d’un receveur, chargé de percevoir un impôt particulièrement lourd dans cette paroisse. Autant dire que ces deux personnages sont souvent en conflit avec les habitants. La justice de Blandy a laissé quelques archives, six registres d’audiences et quelques pièces de procédure, qui courent de 1743 à 1788 (1). Leur lecture est une source précieuse qui laisse s’échapper quelques détails de la vie quotidienne de ce morceau du plateau beauceron.
Le village, la rue et l’habitat
Le plan cadastral de 1831, est le premier document qui donne une vue d’ensemble d’un village qui a moins de 200 habitants. Trente-neuf feux à la fin du XVIIIe siècle. La structure est assez simple. Une rue principale, bordée par des maisons et quelques grosses fermes. Des mares aux extrémités de la rue, un puits public au milieu. L’église, avec le cimetière et une place plantée d’ormes depuis le XVIIe siècle. L’église est desservie par un curé titulaire, en cas de vacance, c’est celui de la paroisse voisine de Brouy qui assure les offices.

L’église est le centre de la vie publique du village, c’est à sa porte qu’on affiche et publie tous les textes, règlements officiels et décisions de justice. C’est sur la place, ou sous les ormes du cimetière, que l’on se réuni pour discuter des affaires courantes. Le bâtiment n’est pas en bon état. En 1740, on fait appel à « Messieurs de Saint Gatien de Tours, gros décimateurs de Blandy » pour faire des réparations. Ils ouvrent leur bourse jusqu’à concurrence de 1200 livres, ce qui permet de « rétablir la partie du chœur de l’église qui comprend depuis les vitraux du sanctuaire et le pignon de derrière qui était autrefois en bois de charpente et tombait par vétusté » (2). Les travaux durent une année, de la fête des apôtres Pierre et Paul, jusqu’à la Saint-Maurice, patron de la paroisse. On répare aussi la sacristie aux frais de la fabrique pour 400 livres. Un sacrifice financier auquel les marguillers et les habitants ont consenti.

Carte postale de 1910, Coll ADE.
Les lieux ont probablement peu changé. Des travaux datant de 1806 ont consolidé le presbytère. L’église reste en mauvais état si on donne crédit au texte de la carte qui dit que la charpente du clocher est bonne à ranger au musée des antiquités !
La gestion de l’eau : un souci permanent
En septembre 1743, le procureur fiscal est inquiet, il écrit au bailli « qu’il n’y a dans la paroisse qu’un seul puits d’une profondeur de 36 toises (voir plan ci-dessus) et que les mares sont actuellement taries [...] cette considération jointe à la sècheresse extraordinaire que nous connaissons depuis plus de deux mois doit être porté à votre attention ». La grande crainte de l’administrateur, c’est l’incendie, à un moment où l’on vient de terminer la moisson. Alors, comme toujours, pour prévenir le risque, il demande au juge une ordonnance de police qui sera affichée sur la porte de l’église :
« Nous enjoignons à tous les habitants de la paroisse de Blandy d’avoir chez eux et dans leur cour, savoir les manouvriers un quart, les laboureurs d’une charrue, un poinçon et les autres propriétaires à raison d’un poinçon par charrue qu’ils tiendront exactement et régulièrement rempli d’eau ». On remarquera que la « corvée d’eau » est calquée sur celle de l’assiette fiscale.
Une vingtaine d’année plus tard, à la même saison (septembre 1765) le problème demeure :
« il n’y a qu’un puits dont on se sert journellement ce qui est fort à charge aux habitants [...] qui à peine suffit pour fournir l’eau nécessaire aux habitants et aux bestiaux, qu’il a été reconnu depuis quelques temps qu’il y avait un second puits [...] dans un carrefour au bout du village du côté d’Etampes qui est comblé, qu’il serait nécessaire de faire décombler pour être en état de tirer de l’eau ». Espoir vite déçu. Pour creuser un puit, il faut une autorisation et un financement. Le juge Barbier et le procureur fiscal Charpentier, d’un commun accord constatent : « comme il n’est point dans notre pouvoir d’ordonner la décomble [...] et la dépense nécessaire pour y puiser de l’eau et encore moins d’ordonner une imposition sur les habitants pour frayer un déboursé de l’ouvrage [Ils] se pourvoiront devant l’intendant de la généralité d’Orléans pour obtenir de lui la permission de décombler ledit puits [...] et pour obtenir l’imposition du coût de l’ouvrage sur les habitants... ». L’affaire en resta là. Sur le cadastre de 1831, il n’y a toujours qu’un puits public, même s’il est probable que quelques laboureurs ou propriétaires aient fait creuser des puits privés dans leurs fermes. Pendant longtemps encore, le procureur fiscal essaye de prévenir le manque d’eau par des règlement de police : « Enjoignons tous les laboureurs et habitants ayant des bestiaux de travailler à curer la mare et ceux ayant des voitures à fournir des tombereaux chevaux et domestiques, ceux qui n’ont pas de voiture, donner les journées nécessaires de leur temps pour faire le curage et charger les tombereaux ».

Carte postale, 1910, coll. ADE
Cette photo montre les opérations de forage et de pompage pour creuser un puits dans la commune voisine de Brouy. Des travaux identiques sont conduits à Blandy par la même entreprise. La recherche d’eau et l’absence de bois de chauffage sont les contraintes majeures de cette partie de la Beauce.
Que faire à Blandy, les dimanches et jour de fêtes ?
« Tous les ans le premier dimanche de carême, la majeure partie des habitants de cette paroisse et leurs enfants vont faire du feu et des brandons après le soleil coucher dans les champs, avec de la paille et du chaume qu’ils allument au bout d’une perche, ce qui est notamment arrivé le dimanche seize février dernier [...] à plus de huit heures du soir, les enfants s’étant assemblés au bout du village, du côté d’Etampes sur une place au carrefour où il y avait un gros orme creux dans le tronc, ces enfants ayant ramassé autour de cet orme de la paille et du chaume qu’ils ont allumé [...] et l’a brulé, ce qui aurait occasionné un incendie dans le village si tous les habitants de la paroisse n’y avaient apporté un prompt secours ». Le procureur Charpentier demande l’interdiction de cette fête traditionnelle et menace les contrevenants de 100 livres d’amende !
Et pour faire bonne mesure le juge rappelle qu’il est aussi interdit, les dimanches et jours de fête, de s’assembler sur les places publiques pour tenir des danses et y jouer « surtout pendant le service divin ».
Le procureur fiscal récrimine, à de nombreuses reprises, contre les « abus intolérables qui se glissent dans cette paroisse ». Il invoque les lois, arrêts et ordonnances qui interdisent aux cabaretiers de donner à boire et à manger pendant les heures du service divin aux gens du lieu, ni de les accueillir l’hiver après 8 heures du soir et l’été après 10 heures. Dans la coutume, les auberges ne sont là que pour offrir le gîte et le couvert aux voyageurs. Le rappel constant de ces ordonnances de 1560, 1673 et 1698, montre bien que cette règle n’est jamais respectée.
Qu’importe, le procureur fiscal, procède à des visites régulières du cabaret de Blandy pour sévir. En 1778, le procureur Boudon surprend plusieurs personnes dans le grenier du cabaret, à neuf heures du soir, qui jouaient aux cartes sur une table éclairée par un chandelle. Circonstance aggravante, il y a dans le grenier des grains en gerbes auxquelles la chandelle aurait pu « causer un embrasement général ». Le cabaretier qui était au moment de la visite descendu à la cave pour tirer du vin écope d’une amende de 20 livres.
Il faut croire que la condamnation n’a pas eu de vertu dissuasive, l’année suivante, le jour de la Notre-Dame, à l’heure des vêpres, Boudon surprend trois individus à boire au cabaret, deux sont des villageois, le troisième est un terrassier d’une paroisse voisine. Ce dernier se met en colère, insulte l’administrateur, le secoue et le prend à la gorge. Le cabaretier et les autres regardent sans intervenir. Furieux et vexé, Boudon porte plainte et obtient une amende de 100 livres contre le terrassier, mais comme il n’a pas été identifié, ça reste symbolique ! Les autres sont condamnés à 3 livres pour leur passivité.
Pour ne pas perdre la face Boudon fait afficher un nouveau règlement de police en deux articles :
Article 1
« Défense auxdits cabaretiers de donner à danser ou jouer ni souffrir que l’on danse ou joue chez eux aux dés aux cartes, jeux de clefs ou d’esses ni à autre jeux quelconques par qui que ce soit, quand même ils ne joueraient pas d’argent et que ce soit sous prétexte de payer la dépense faite en leurs maisons et cabarets »
Article 2
« Tenir un registre à faire parapher par le procureur fiscal ou sont inscrits, jour pour jour et de suite, sans aucun blanc, les noms, surnoms, pays qualité et profession de ceux auxquels ils donneront à loger dans leur maison plus d’une nuit, et dans le cas où ils tomberaient malades et que la maladie serait suivie de la mort, leur enjoignons de nous en avertir » Pour dresser un procès-verbal.
Ce délire réglementaire ou chaque article commence par « Faisons défense de... » nous permet d’entrevoir les loisirs et les usages locaux des villageois comme le jet de pétards et les tirs de mousquetons à la porte de l’église lors des mariages ou des baptêmes. Une interdiction bien précautionneuse dans une paroisse qui ne renferme que 34 feux et qui ne connait, si l’on en croit le registre paroissial, rarement plus de deux mariages par an et moins d’une demi-douzaine de baptêmes. La grande majorité des conjoints viennent des villages voisins, Brouy, Mainvilliers, Rouvres ou Mespuits. Aller chercher une alliance matrimoniale jusqu’à Angerville ou Méréville est beaucoup plus rare, Orléans ou Etampes relèvent de l’exception.
Sont aussi interdits tous les jeux d’adresse, tant dans les lieux privés que publics. Le jeu d’esses qui consiste à lancer une esse sur des piquets fichés sur une planche fait l’objet d’une répression générale dans toute la région, comme le jet de bâton sur des quilles. Les colporteurs qui parcourent les villages proposent parfois des jeux de hasard, comme la « blanque » : une loterie où l’on perd quand on tire un papier blanc. Ils risquent la saisie de leurs marchandises et équipage.
Contrôle du bâti et règles d’édilité
Interdiction de faire construire, murs, pans, jambages et saillies sans autorisation sur les rues et places publiques. Interdiction de faire passer des poutres ou des solives dans les cheminées et de faire bâtir des maisons avec saillies, interdiction d’embarrasser la voie publique.
Ordre de tenir en état leurs cheminées et de les faire nettoyer tous les ans ainsi que les fours à faire cuire le pain pour prévenir les incendies. Interdiction de mettre les chaumes dans la rue en tas ou en mulons le long des murs de leurs habitations, mais de les mettre dans leurs ouches. Défense de faire brûler dans les rues de paille des feuilles ou tout autres combustibles. Défense de battre leurs grains la nuit à la chandelle dans leurs granges où d’aller dans les greniers avec une chandelle allumée sans lanterne.
Contrôle des pratiques rurales
Ces interdictions sont révélatrices de la lutte incessante que se livrent le procureur fiscal chargé d’administrer et de protéger les droits seigneuriaux et les habitants de Blandy qui cherchent à grappiller quelques avantages ou revenus supplémentaires. Les enfants, les domestiques ou les bergers sont particulièrement surveillés car on les accuse de conduire les vaches et les troupeaux dans les champs ensemencés, d’endommager les cultures en allant de cueillir de l’herbe : « jusqu’au temps où les grains montent en tuyaux ».
Toute forme de chasse est réprimée sur le territoire de la paroisse. Le texte de l’interdit est à lui seul un véritable catalogue des techniques de braconnage qui mérite la lecture (nous avons mis entre crochets le sens de quelques termes anciens ou peu courants)
« Défense dans cette paroisse, d’élever et de prendre dans les champs, et en quelques endroit que ce soit [...] aucun œuf de perdrix cailles ou autre gibier ni d’ouvrir ou ruiner des [...] rabouillères [terrier des garennes] ».
« Faisons pareillement défense à tous bergers et artisans et autres personnes quelconques d’étendre [...] ni de garder tenir et avoir dans leurs maisons aucun lacs [nœud coulant] tirasses [filet à oiseaux], panneaux, filet, collets, bricoles de corde crin ou fil de latton et d’arechal [fils de laiton], halliers [buissons de ronces] de filons de soie, ni aucun autre instrument propre à prendre du gibier ni d’en fabriquer. Défense aux bergers de laisser leurs chiens courir après le gibier. »
« Défense de glaner pendant la moisson, de glaner avant le soleil levé et après le soleil couché »
« Défense de ramasser les chaumes avant le neuf septembre de chaque année, et avant soleil levé et après soleil couché. »
Le glanage pendant le temps de moisson est toléré pour les indigents et les invalides, mais ceux qui s’y livrent alors qu’ils sont en état de travailler sont pourchassés et enjoints à moissonner pour gagner leur vie. Les bras du village ne suffisent pas toujours aux grands travaux, le recours à des moissonneurs extérieurs travaillant en équipe est nécessaire. Une partie d’entre eux sont des limousins travailleurs temporaires ou installés dans la région.
Le temps de la moisson et des jours qui suivent relèvent d’une codification précise
Le dimanche qui précède la moisson tous les laboureurs et habitants de la paroisse doivent s’assembler à la porte de l’église pour convenir du jour où on commencera à entrer en moisson et à scier les blés, avec interdiction d’anticiper cette décision. Pour éviter les conflits qui pourraient naître entre fermiers et propriétaires de deux parcelles voisines on applique la coutume du partage de la raie contiguë : « Nous ordonnons qu’à l’avenir les laboureurs fermiers et habitants qui feront couper les premiers leurs grains, ne pourront faire couper que la moitié du grain qui se trouvera dans les rayes faisant séparation de leurs pièces de terre d’avec celles contiguës et joignantes, le grain contenu dans cette raye étant réputé appartenir par moitié à l’un et à l’autre des pièces de terre qui se joignent ».
Le temps des conflits vient surtout après la moisson, lorsque l’on parle de glanage et de droit de chaume. Blandy n’est qu’un exemple, parmi tous les autres, des tensions qui existent alors :
« Défense aux laboureurs et habitants d’envoyer leurs troupeaux et bestiaux dans les champs nouvellement récoltés, sinon vingt-quatre heures après l’enlèvement des grains. »
« Défense de glaner pendant la moisson, de glaner avant le soleil levé et après le soleil couché »
« Défense de ramasser les chaumes avant le neuf septembre de chaque année, et avant soleil levé et après soleil couché. »
Le glanage pendant le temps de moisson est toléré pour les indigents et les invalides, mais ceux qui s’y livrent alors qu’ils sont en état de travailler sont pourchassés et enjoints à moissonner pour gagner leur vie. Les bras du village ne suffisent pas toujours aux grands travaux, le recours à des moissonneurs extérieurs travaillant en équipe est nécessaire. Une partie d’entre eux sont des limousins travailleurs temporaires ou installés dans la région.
En septembre 1778, 15 personnes du village sont convoquées pour répondre d’infraction aux règles du glanage et du ramassage des chaumes. Seuls trois viennent à l’audience : une veuve, un berger et un manouvrier. Ils sont condamnés à 20 livres d’amende et confiscation du chaume qu’ils ont ramassé après 8 heures du soir. Les autres se moquent de la condamnation.
L’année suivante, mêmes infractions répétées, cette fois c’est Maître Adrien Langlet, le curé du village qui est condamné à 6 livres d’amende pour avoir envoyé un manouvrier chaumer sur ses terres une semsemaine avant la date fixée. Ce prêtre pourtant respecté et apprécié dans sa paroisse et dans les environs, n’échappe pas au courroux du procureur fiscal.
Quand il décède, le 31 décembre 1785, tous les curés des villages voisins viennent assister à ses obsèques et signent le registre paroissial: Mainvilliers, Audeville, Intiville la Guétard, Sermaise, Rouvres, Fontenay, Brouy, Césarville, Dossainville, Boisherpin, Roinvilliers, Orveau Belle-Sauve. Toute une portion de Beauce, aux caractéristique semblables participe au deuil.

A la suite de ce décès la cure reste vacante, un desservant assure les offices. En 1789, le curé Freminet, qui fait aussi fonction de maitre des petites écoles, prend le relais. A Blandy, la présence continue d’un maître d’école est attestée depuis le début du XVIIe siècle, qu’il soit laïc ou prêtre.
La question du chaume est vitale dans cette partie de la Beauce, sa collecte conditionne une partie le bien-être des habitants. Dans une région où le bois de chauffage est très rare, voire totalement absent, le chaume est le principal combustible, bottelé très serré et rangé le long des murs. Il sert aussi à la couverture des tois de la majeure partie du village et sert aussi au fourrage et au fumage des terres. En septembre et en octobre, avec le battage des grains c’est la principale activité et la source de bien des tensions lorsqu’un propriétaire ou un seigneur veut s’y opposer.
La désignation d’un garde-messier, chartgé de la police des grains de mai à la moisson est à Blandy l’occasion pour les villageois d’exprimer une sourde résistance aux prétentions du représentant du seigneur. Le receveur Largant qui porte plainte auprès du juge a un contentieux avec quelques habitants de Blandy qui l’on fait condamner pour avoir chevauché à « grande course » à travers des terres emblavées et des vignes.
Blandy, mai 1788, un garde-messier pour quoi faire ?
Le receveur de la terre de Blandy, Georges Largant, prélève l’impôt pour le chapitre de la Sainte église métropolitaine de Tours. Il reçoit ses ordres du procureur fiscal, administrateur de la seigneurie, qui le charge de la levée et la rentrée du champart, l’impôt en nature : « à raison de six gerbes une de toutes espèces de grains qui croissent sur le territoire ». Un prélèvement très mal accepté par les paysans qui les prive de 18 % de la récolte et qui est « sur le champ » conduit : « dans la grange champarteresse ». Avant d’en arriver là, il faut veiller aux grains, et procéder à la nomination d’un garde-messier, à partir du 15 mai, comme l’exige la tradition et le règlement. La rémunération de ce « messiage » étant à la charge de la communauté. Cette obligation est aussi un rare moment de démocratie villageoise. Tous les habitants sont assemblés, à l’issue de la messe paroissiale. Leur choix se porte sur Jean Hutteau, un manouvrier qui avait rempli cette fonction l’année précédente, à raison de 9 deniers l’arpent. Georges Largant est furieux et pense que les laboureurs et fermiers se moquent de lui. Il s’en plaint auprès du bailli, car ils se sont assemblés : « non pour nommer et choisir un messier mais pour crier au rabais le messiage du territoire. Qu’un particulier très âgé, ayant la vue basse et hors d’état de vaquer à la l’exercice de la commission de messier attendu son grand âge [...] et entre autres que ce particulier ayant été messier l’année dernière, l’on avait été à l’herbe dans tous les grains sans distinction, jusqu’à la moisson sans qu’il en eu fait rapport » (3). Le procureur fiscal demande donc au juge d’annuler cette élection et de procéder à nomination du candidat qui avait ses faveurs, un certain Picard, qui réclamait une rétribution d’un sol par arpent. Les villageois l’avaient rejeté disant : « qu’il était très inutile de donner tant d’argent pour être gênés, qu’ils se passeraient bien de messier » (4). Et joignant le geste à la parole ils ont déserté l’assemblée.
Cette fronde des villageois de Blandy n’est pas seulement un épisode de plus dans les mauvais rapports qu’ils entretiennent avec le procureur fiscal, elle pointe le rôle ambigu du garde messier dont on pourrait croire qu’il sert l’intérêt général. Tous veillent à la conservation des grains, mais une surveillance tatillonne, avec obligation de rapporter dans les vingt-quatre heures toutes les infractions, va à l’encontre des usages comme faire de l’herbe, mener les oies ou les bêtes dans les fossés quitte à s’approcher un peu trop près des grains. Une tolérance importante pour les manouvriers et ceux qui n’ont quelques quartiers de terre à faire valoir. Une tolérance exclusive et communautaire qui arrange les habitants de Blandy qui sont les premiers à protester auprès du bailli quand les gens du village voisin de Brouy s’autorisent à venir sur leur territoire ! Le messier c’est aussi le symbole de l’autorité seigneuriale, Georges Largant ne s’y trompe pas quand il écrit à Monsieur le bailli : « l’exploitation de la recette de Blandy ne consiste uniquement que dans la perception de la sixième gerbe de toutes espèces de grains que produit son territoire. Il y a donc un intérêt sensible à ce que tous les grains du territoire soient gardés et conservés et en outre l’intérêt public l’exige impérieusement et c’est le vœu de vos ordonnances et règlement » (5).
La requête du procureur fiscal est acceptée par Louis Barbier, doyen des procureurs du tribunal d’Etampes qui fait office de bailli de Blandy et juge ordinaire. Une affiche est apposée à la porte de l’église paroissiale donnant l’ordre aux laboureurs et principaux habitants du lieu de s’assembler à l’issue de la messe de la fête Dieu, pour désigner Jean Picard comme messier. Maigre victoire de l’autorité, on sait ce qu’il advint de la moisson de 1788, ravagée par l’orage de grêle du 13 juillet, sans parler de l’orage social et politique à venir qui emportera les privilèges du doyen du chapitre de la sainte église métropolitaine de Tours.
Notes
(1) ADE B/209 Bailliage de Blandy, registres d’audience 1743-1788.
(2) Le registre paroissial est paraphé par le lieutenant général du bailliage d’Orléans jusqu’à la fin du XVIIe siècle, puis par le présidial de Sens, à partir de 1703, en 1709-1710 c’est l’élection de Pithiviers, puis le lieutenant général d’Etampes qui prend le relais. Puis Etampes à partir de 1730 (Gomberville)
Ce registre des b.m.s ne contient jamais plus de trois feuillets par année, soit une dizaine d’actes par an. (9 en 1705, 13 en 1706, 13 en 1707, 8 en 1708)
(3) (4) (5) Bailliage de Blandy, pièces de procédure criminelles, plainte du 22 mai 1788, ADE B/209.
Le concours de chiens de berger d’Angerville (9 juillet 1907) : une manifestation d’un genre nouveau immortalisée par les cartes postales.
Jean-Pierre Durand - Patrice Laporte
Les cartes postales anciennes peuvent être un précieux outil pour l’historien, notamment lorsqu’elles mettent en scène des événements de la vie locale tombés depuis longtemps dans l’oubli. C’est le cas de celles qui ont été éditées à l’occasion du concours de chiens de berger organisé en 1907 à Angerville. Même s’ils sont principalement consacrés à la fête organisée à cette occasion, plusieurs clichés concernent le concours lui-même. Au-delà de l’aspect purement local , celui-ci présente un véritable intérêt historique. En effet, les deux premières compétitions de ce type organisées en France ont eu lieu à Chartres en 1796 et à Angerville l’année suivante.
L’utilisation de chiens de berger en Beauce existe depuis longtemps. L’anglais Arthur Young, de passage dans l’Orléanais en 1790, découvre avec admiration « des troupeaux de quarante à cent têtes; les chiens les conduisent avec tant de sagacité qu'elles broutent dans les plus petits sillons sans toucher au grain (…) quand vous voulez faire attraper un mouton afin de l'examiner, le berger dit à son chien d'amener le troupeau autour de lui, ce qu'il fait en tournant graduellement autour, jusqu'à ce que le berger ait pris celui qu'il voulait avoir. » Il va de soi que cela implique un véritable dressage. Daubenton est un des premiers à s’intéresser à la question. Il publie en 1786 une « Instruction pour les bergers et pour les propriétaires de troupeaux » dans laquelle il décrit la difficulté de la tâche. Il rappelle d’abord le mal que les chiens peuvent faire aux animaux, puis il explique « qu’ils sont nécessaires dans les cantons où l’on rencontre des terres emblavées (…). Quand les moutons s’écartent du troupeau, le berger ne peut retenir que ceux qui sont près de lui, et à la distance où il peut jeter avec la houlette de la terre contre eux. Les chiens aident le berger dans la conduite du troupeau et défendent les moutons contre les loups s’ils sont assez forts ».
Leur rôle, plutôt défensif à l’origine, a évolué au fil du temps. Ils sont devenus des chiens de parcours destinés à encadrer et guider les moutons. Les déplacements exigent en effet une conduite précise des mouvements des troupeaux afin de gérer au mieux la pâture et d’éviter qu’ils ne fassent des dégâts aux cultures.

Fig 1 - Dans son roman La Terre (1887), Emile Zola décrit le berger typique du pays de Beauce, avec plusieurs centaines des moutons et deux chiens, et pour seule résidence une roulotte en période de pacage, et la grange de son patron en hiver.
Le berger travaille généralement avec deux chiens, « le chien de rive, ou hors d’homme, chien d’expérience, qui travaille presque seul avec peu d’interventions de l’homme et garde un ou deux côtés de la parcelle à pâturer à l’opposé du berger, l’autre, plus jeune et moins expérimenté, le chien de pied, qui reste auprès du berger et intervient essentiellement sur sa commande pour garder les deux autres côtés. Les chiens utilisés, chiens de plaine, sont d’assez forte taille et sont des trotteurs infatigables dont la fonction est de maintenir le troupeau sur la parcelle assignée". 1
Les cultivateurs utilisent alors n’importe quels chiens. Il faut attendre la seconde moitié du dix-neuvième siècle pour que l’on s’intéresse à une sélection des races. On organise désormais des expositions canines. En 1889, le vétérinaire Pierre Mégnin se contente encore de distinguer quatre « races » de berger français, parmi lesquels le berger de Beauce, mais en 1896 une commission cherche à déterminer leurs caractéristiques physiques. On distingue alors les chiens à poil ras, désormais appelés « beaucerons » sans que cela n’ait aucun lien avec la Beauce et les chiens à poil long, qualifiés de « briards ».

Fig 2 - En 1896, une commission patronnée par le ministère de l’agriculture et présidée par le vétérinaire Pierre Mégnin (1828-1905) opère une distinction sommaire entre bergers briards et beaucerons
Un club français du chien de berger, patronné et subventionné par le ministère de l’agriculture est fondé peu après par Emmanuel Boulet, un éleveur installé dans un village de l’Eure. C’est lui qui organise les deux premiers concours français de chiens de berger à Chartres en 1896 et à Angerville l’année suivante. Les objectifs principaux de cette association sont « d’encourager par tous les moyens possibles l’amélioration, l’élevage et le dressage de nos races si utiles de chiens de berger français, collaborateurs indispensables de la ferme en même temps que fidèles gardiens, et récompenser les meilleurs bergers. »
Le but des concours est donc de récompenser les meilleurs chiens mais surtout les meilleurs éleveurs. C’est sans doute ce qui suscite des tensions entre Emmanuel Boulet et Pierre Mégnin. Dans la revue « l’Eleveur », fondée par ce dernier, son fils Paul signe en effet un article qui tourne en ridicule le concours de 1896 et dénonce à mots couverts les intentions commerciales de son organisateur 2 : « Le club du chien de berger a saisi au vol l’occasion qui lui était offerte par la ville de Chartres, et à la suite d’une ridicule exposition canine, un beau dimanche eut lieu un concours sur le terrain. J’ai déjà dit qu’il avait assez bien réussi – c’était une nouveauté - mais les prix ont été attribués de façon à dégoûter les vrais amateurs et les bergers français de ce nouveau sport si utile. » Car c’est bien de sport qu’il s’agit désormais. En témoigne la Une de la revue « Le Sport universel illustré » qui annonce le concours d’Angerville en 1907.
Fig. 3 - Le Sport Universel illustré, publié de 1895 à 1943, se consacrait principalement aux concours équestres. Le choix de mettre à la Une le concours de chiens de berger d’Angerville semble indiquer qu’il s’agissait là d’un événement d’importance nationale.
Rien d’étonnant à ce que les premières compétitions aient été organisés en Beauce. En 1862, on compte 830 000 ovins rien qu’en Eure-et-Loir. Le choix d’Angerville dès 1897 est évidement à mettre en relation avec l’abbé Tessier, un enfant du pays, auteur en 1811 d’une « Instruction sur les bêtes à laine et plus particulièrement la race des mérinos » et qui fut le premier directeur de la Bergerie royale de Rambouillet à la veille de la Révolution.

Fig 4 - Lors du concours de 1907, la maison natale de l’abbé Tessier a été décorée et photographiée. Le choix d’Angerville dix ans plus tôt est de toute évidence lié à son rôle dans l’amélioration de la race ovine.
Désormais, la mode des concours est lancée. En 1911, un « Club des amis du Beauceron » est fondé. L’impulsion étant donnée, de grands fermiers et des propriétaires terriens subventionnent les expositions canines et organisent désormais les concours.

Fig 5 - Les propriétaires de chiens, fiers de leurs animaux, posent volontiers devant le photographe. Les bourgeois portent un chapeau, les bergers une casquette. Au centre, les officiels qu’il faudrait pouvoir identifier.
Les épreuves n’ont plus grand-chose à voir avec la réalité agricole. Le berger, son chien et quelques moutons doivent effectuer un parcours sans faute et réussir « l’épreuve de la banquette » sans se disperser, ce qui n’a rien d’évident si l’on en croit les cartes postales. C’est ce que constate aussi « L’Union agricole » de Chartres »3 en juin 1896 : « Les chiens de nos bergers de Beauce, plus habitués à la garde paisible de nos récoltes qu’à ces courses affolées, n’étaient pas dans leur élément ; ils cherchaient bien au commandement à prendre leur rail, mais ne parvenaient pas à maintenir ce lopin de moutons dans la piste qu’ils ne devinaient pas ; qu’ils ne pouvaient pas prendre pour un de nos chemins étroits bordés de récoltes ».

Fig 6 - Le parcours à effectuer par le troupeau comporte une série d’obstacles. Le jury observe son déroulement et met des notes.

Fig 7 - Le berger et son chien conduisent quelques bêtes sur le parcours aménagé pour l’’occasion.

Fig 8 - L’épreuve de la banquette exige du berger, du chien et du troupeau une discipline parfaite…

Fig 9 -Mais ce n'est pas toujours chose facile !

Fig 10 - La manifestation a attiré une foule importante. Dans la tribune, les hommes sont en costume et les femmes sont en robe longue et portent chapeau. Le concours est avant tout un spectacle, le « clou » de la fête organisée à Angerville en 1907.
Loin d’être un événement local anecdotique, le concours de chiens de bergers d’Angerville est bien révélateur d’une époque où des pratiques agricoles séculaires sont mises en scène pour le plus grand plaisir du public. On organise d’ailleurs à la même époque des concours de chiens de chasse !

Fig 11 - A Authon-la-Plaine, devant le café Bordier, on se rassemble avant de partir pour un concours de chiens de chasse.
Notes
1 - Reveleau Louis, Utilisation du chien de berger : aperçu historique. – FAIR – Rambouillet.
2 -Paul Mégnin écrit en effet qu’Emmanuel Boulet est toujours « très habile à faire de la réclame ». Les Mégnin entendent pour leur part agir de manière scientifique et désintéressée. In L’Éleveur, journal hebdomadaire illustré de zoologie appliquée, de chasse, d’acclimatation et de la médecine comparée des animaux utiles n°601, 4 juillet 1896.
3 - Cet hebdomadaire, qualifié de « Revue de la Beauce et du Perche » est paru de 1858 à 1899.
La religion au village : Breuillet et la crise de l’automne 1793.
Depuis l’été 1793, la République proclamée l’année précédente est sérieusement menacée : révolte fédéraliste animée par les Girondins, insurrection vendéenne et surtout situation critique sur toutes ses frontières.[i] Les Montagnards prennent alors des mesures d’exception et dépêchent des représentants en mission dans tout le pays pour mobiliser les patriotes. En novembre 1793, Jean Pierre Couturier, « membre de la Commission des Dix spécialement délégué par (ses) collègues pour la « Régénération révolutionnaire des autorités constituées » en Seine-et-Oise se présente à Breuillet accompagné des citoyens Charpentier, administrateur du département et Raguideau administrateur du district de Dourdan.[ii] Il constate « avec peine » que les décisions de la Convention concernant la descente des cloches, la livraison au district de l’argenterie de l’église, le respect du décadi et la suppression du dimanche tardent à entrer en application dans la commune. Alors que les membres de la municipalité tentent de se justifier, Couturier menace de « taxer révolutionnairement » leurs administrés en imposant « un don forcé proportionnellement à leur fortune ». C’est à ce moment que Pierre Bertrand Simon, menuisier et cabaretier à Breuillet, prend la parole.[iii]
« Sur le point de vouloir clore le présent procès-verbal, est comparu le citoyen Pierre Bertrand Simon, menuisier en ce lieu, lequel a déclaré qu’ayant connu la loi qui ordonne la destruction des armoiries et autres signes de l’ancienne féodalité, du fanatisme et du règne despotique qui vient enfin de disparaître, il était monté sur les cloches de l’église à l’effet de faire disparaitre plusieurs pareils signes mais qu’une affluence de femmes étaient survenues, l’auraient assailli à coup de pierres sans doute conseillées de ce faire par leurs maris, que ce qui a confirmé cette opinion, c’est qu’étant descendu de l’église, le nommé Boudon, vigneron, et Jacques Rose, son gendre, ancien domestique du précédent curé aristocrate renforcé (sic), l’excédèrent, savoir ledit Rose en le prenant par les cheveux, le terrassant et ledit Boudon en lui déchargeant un coup de valet de feu sur les reins, et en le qualifiant de gredin, de coquin, et qu’ils étaient fâchés de ce qu’il n’a pas été tué sur l’église, sans que lui déclarant ait donné le moindre sujet ni dit autre chose sinon qu’en descendant de l’église, animé d’avoir été assailli de pierres et de ce qu’on lui avait ôté l’échelle, il leur dit qu’ils étaient des gredins, coquins, rebelles à la loi ; il ajoute que, s’étant pourvu devant le juge de paix contre des hommes qui l’ont ainsi maltraité, le nommé Charles Leroy, vigneron, maintenant membre du comité de surveillance, bien loin de soutenir le patriotisme, s’était employé près du juge de paix pour faire trouver sa cause mauvaise, lequel ici présent avait écrit au nom de Jean Boudon et de Jacques Rose que c’était Simon Bertrand qui avait frappé le premier, et par les dits Boudon et Rose a été dit que ledit Bertrand Simon étant descendu de l’église très animé rencontra ledit Boudon, le traita de gredin et lui présenta une croix de fer qu’il tenait en mains comme pour le pousser, qu’à ce moment lui Boudon empoigna la croix dont il fut blessé à la main par le mouvement que fit ledit Simon en la retirant, et par Jacques Rose a été dit que, voyant que son beau-père saignait à la main , il le terrassa effectivement et que le holà[iv] succéda aussitôt par la survenance de plusieurs personnes ; lesquelles déclarations n’ont pas été contestées par aucune des parties, ni par aucun membre présent à l’assemblée [v] elles ont au contraire été confirmées par Nicolas Brou l’aîné qui était témoin oculaire de la chose, d’où il résulte toujours constamment vrai que ledit Simon, voulant exécuter la loi par la destruction des signes du fanatisme et de la féodalité, il a été excédé par une affluence de femmes à coup de pierres, qu’on lui a ôté l’échelle pour qu’il ne puisse plus descendre et que Prosper Rozière lui a rapportée, et qu’il n’était pas étonnant que ledit Simon, brûlant de patriotisme n’ait été animé contre ses assaillants, de tout quoi j’ai jugé [vi]que, par le silence de la Commune et du comité de surveillance ont tenu sur cette affaire et tiennent encore en ma présence, leur patriotisme n’est pas à la hauteur, qu’il doit être maintenu dans les circonstances où la république est entourée de tyrans coalisés de toute l’Europe pour la déchirer, en conséquence j’ai destitué le conseil général de la Commune ainsi que le comité de surveillance et de suite je les ai réorganisé Révolutionnairement. »
Cet épisode en dit long sur les tensions qui s’expriment pendant la Révolution au sein des communautés villageoises. Les registres de délibération municipale sont souvent pudiques à ce sujet, mais ce n’est pas le cas à Breuillet. Dans ce village de vignerons, on a la tête près du bonnet et l’on s’échauffe vite ; les élus municipaux, qui appartiennent majoritairement à la paysannerie moyenne, ne cherchent guère à masquer les conflits qui éclatent dans le village. La question religieuse est l’un des sujets de dispute. Il n’est d’ailleurs pas surprenant d’observer des attitudes anticléricales dans une population majoritairement composée de vignerons, dont l’indépendance d’esprit est bien connue.
Ce n’est pas la première fois que Pierre Bertrand Simon fait parler de lui. En juin 1791, un procès-verbal avait été dressé contre lui à cause « des injures et invectives que ledit Bertrand Simon ne cesse de proférer journellement et en public tant contre Dieu que contre la municipalité ». Il faut dire que le curé Fontaine, membre de l’assemblée municipale dès 1789 et peu favorable à la Révolution[vii] , intervenait fréquemment, tout comme son vicaire, dans la vie des villageois, notamment pour faire respecter le jour du Seigneur.[viii] C’est ainsi que le 6 janvier 1792, dimanche de l’Epiphanie, Charles Le Roy avait dressé procès-verbal contre plusieurs personnes venues boire chez la cabaretière Duperray « ce qui est contre l’ordre de la bonne police ».. Celle-ci l’avait alors invective et menacé de lui mettre une bonne volée s’il osait venir chez elle pendant le service divin pour verbaliser les contrevenants.
Les conflits entre les villageois tournent souvent à la violence comme on peut le lire dans les délibérations municipales.[ix] A la Pentecôte 1791, Pierre Bertrand Simon avait proféré des menaces publiques à la sorte des vêpres et « jusqu’à environ dix heures du soir » affirmant « qu’il tuerait toute la municipalité, qu’il passerait une balle à travers le corps du curé, qu’il avait joui de presque toutes les femmes du pays, que Dieu n’est qu’un Jean Foutre… ». Non content de faire scandale, il était allé jusqu’à terrasser le maire et le menacer de mort.[x] Il n’était pas le seul à user de violence. Un dimanche d’octobre 1791, la femme Grignard l’avait frappé à coup de bâton alors qu’il rentrait du pressoir avec une hottée de vin et lui avait mis la tête en sang avant de se calfeutrer chez elle…
La question religieuse divise profondément les habitants. Jusqu’au printemps 1793, la municipalité achète des surplis et des aubes, verse l’habituelle gratification au clergé pour la procession des Rogations, et, au mois de mai, accorde 50 livres pour la procession de Sainte-Julienne « ce qui était d’un ancien usage »… L’arrivée de Jean-Pierre Couturier marque une rupture. Pierre Bertrand Simon est nommé maire de Breuillet. En frimaire an 2 (novembre-décembre 1793), le curé et son vicaire renoncent à la prêtrise. Le presbytère est vendu comme bien national. En pluviôse (janvier 1794) les effets de l’église sont mis aux enchères et le produit de la vente est réparti entre 374 citoyens nécessiteux. Mais six mois plus tard, en messidor (juin), plusieurs citoyens se présentent pour réclamer le rétablissement du culte catholique. Ils obtiendront satisfaction un an plus tard.[xi]
Jean-Pierre Durand
[i] La France est menacée d’invasion au nord (Anglais, Autrichiens, Prussiens), au sud (Espagnols) et même à l’est (Sardes).
[ii] A propos de Couturier et des représentants en mission, voir Serge Bianchi, La Révolution et la Première république au village. Pouvoirs, votes et politisation dans les campagnes d'Ile-de-France, 1787-1800 : Essonne et Val-de-Marne actuels, Éditions du CTHS, 2003, p. 639-659..
[iii] Les faits cités dans cet article ainsi que les citations proviennent du registre des délibérations municipales de la commune de Breuillet conservés aux archives départementales de l’Essonne consultables en ligne.
[iv] Mettre le holà, c’est-à-dire s’interposer pour mettre fin à la dispute.
[v] Le texte fait ici référence à l’assemblée municipale réunie par Couturier.
[vi] A l’issue de la confrontation des témoignages, Couturier tranche le différend et en profite pour de nouveau blâmer la municipalité et le comité de surveillance et mettre en place de nouvelles autorités locales. Il organise aussi la « fraternisation » entre les trois hommes sous les applaudissements du public.
[vii] C’est ce curé qui est qualifié d’ « aristocrate renforcé ». Il ne prête le serment à la Constitution Civile du Clergé qu’avec de nombreuses réserves. Décédé un peu plus tard, il est remplacé par François Baron, « prêtre franchement constitutionnel » qui reste en place jusqu’en frimaire An 2, date à laquelle il rend ses lettres de prêtrise et cesse ses fonctions.
[viii] Dans la nuit du 12 au 13 septembre 1790, suite à des amendes infligées pour avoir fréquenté le cabaret pendant la messe, le vigneron Jean-Baptiste Paillard et le charron Vincent Rozière manifestent leur mécontentement sous les fenêtres du vicaire. Jacques Rose (déjà lui) déclare les avoir entendus dire des sottises atroces contre le curé, le vicaire et le bedeau
[ix] Dans ce village de vignerons, la consommation de vin semble importante. Elle est sans doute pour quelque chose dans les coups de colère fréquents que l’on y constate.
[x] Déféré devant le district, il récidive mais n’est condamné qu’à faire des excuses !
[xi] Après le 9 thermidor, la politique de déchristianisation est progressivement abandonnée et les églises rendues au culte.
L’EPIDEMIE D’ANGERVILLE (1764)
La recherche médicale a fait au cours du dernier siècle de tels progrès que nous avons pu croire ou espérer que toute forme de maladie allait progressivement disparaître. L’éradication du paludisme, la disparition de pandémies comme le choléra, la variole ou la peste, mis à part quelques foyers endémiques, nous incitaient à voir l’avenir avec confiance. Puis, dans les années 1980, apparut le sida, dont on minimisa d’abord l’incidence et un peu plus tard le virus Ebola. On découvrit bientôt que les antibiotiques qui avaient tant contribué à barrer la route aux infections et aux épidémies n’étaient plus aussi performants que dans le passé… Les virus résistaient… L’arrivée de la Covid 19 au cours de l’hiver 2019-2020, vint alors ébranler nos certitudes. La pandémie frappait l’ensemble de la planète, révélait les faiblesses des services de santé que rien n’avait préparé à cette subversion massive… La mémoire longue du passé fit resurgir le souvenir de la grippe espagnole des années 1918-1925… Aujourd’hui, alors que nous devons faire face à une seconde vague de contamination, c’est tout un passé de contagion qui resurgit.
Le hasard veut qu’Etampes-Histoire publie actuellement un ouvrage consacré à un médecin ayant exercé à Etampes et dans la région entre 1755 et 1792 : « Soigner les corps, sauver des vies. Claude François Boncerf (1727-1792). Un médecin des Lumières à Etampes », présenté pas Jacques Gélis et Christian Carenton.
Ce médecin avait confronté en 1764 à Angerville à une épidémie particulièrement dangereuse qui avait frappé 500 personnes et fait 100 victimes. Ce fut en effet l’épiétédémie la plus grave que l’on ait enregistré dans la région entre 1752 et 1785, trois décennies pendant lesquelles on ne dénombra pas moins dans le pays d’Etampes de 37 foyers épidémiques, souvent limités heureusement à un seul village.
« Le bourg d’Angerville (…) est agréable, tant à cause du passage, qu’à cause de l’urbanité des habitants, qui sont pour la plupart marchands, laboureurs et aubergistes, marchands de bas et artisans et gens de métier, de manière que cette paroisse est de plus de douze cens habitants. Ce bourg a été affligé d’une épidémie meurtrière en 1764. Elle commença dans l’hiver ; je ne fus chargé que le 2 avril de suivre et traiter les malades. Je m’y transportai jusqu’au 18 juillet deux à trois fois par semaine. Cette maladie a duré jusqu’à l’équinoxe d’automne. Les bleds humides, dénaturés, les viandes des animaux attaqués d’épizootie, qui venant des provinces du midi ne pouvaient aller jusqu’à Paris, ou qui mouraient en route, faisaient leur nourriture.
La mauvaise position du cimetière, son peu de terrain qui entourait l’Eglise qui elle-même est plus basse que ce cimetière ; les maisons qui entouraient ce cimetière et l’église ; les fosses des morts presque superficielles n’auront pas peu contribué à l’opiniâtreté et aux récidives de cette épidémie. Ce cimetière a été placé hors des murs du bourg d’après mes observations qui ont réveillé les philosophes ; c’est le premier pour lequel l’autorité ait été sollicitée. La révolution en ce genre est devenue presque universelle[1]. On peut voir le précis de cette épidémie dans le second tome des observations de médecine des hôpitaux militaires par Mr Richard de Hautesierck[2].
Lorsque je vis vers le 15 du mois de mai qu’il n’y avait plus que quelques malades dans ce bourg et plus de mortalité, je crus que l’épidémie avait cessé ; je n’eus rien de plus pressé que d’en faire le récit historique et de l’envoyer avec joie et une espèce de triomphe à Mr Richard de Hautesierck. Ce précis fut trop prématuré car je fus bien stupéfait qu’après la nouvelle lune du 30 de mai, l’épidémie se renouvela et continua avec fureur par intervalle : phénomène qui arriva spécialement à la nouvelle lune du 29 juin ; en un mot ces variations de calme et de renouvellement suivirent la marche lunaire, cependant en diminuant jusqu’à l’équinoxe d’automne, terme que j’avais ensuite annoncé, fondé sur l’action de ces astres, conformément au traité De Imperio solis ac lunae[3]. Je n’osais, crainte du ridicule, publier cette remarque ; mais la même observation a été faite dans l’Inde et écrite et publiée dans les journaux l’année dernière. Il est probable que dans le temps du manque de reflet des rayons solaires, la nature a moins d’énergie, vu que l’électricité est moindre localement[4] ; d’où il arrive que l’humeur morbifique prend le dessus, par une espèce de fermentation et accable davantage les fonctions vitales, surtout quand ce délétère est, en quelque façon, identifié avec la masse des humeurs. Leur renouvellement est d’une nécessité absolue pour y couper court ; aussi cette maladie n’a-t-elle entièrement cessé qu’à l’équinoxe d’automne. La température, les fruits, les légumes, le pain fait avec d’autre bled, auront opéré cet heureux changement.
Cette épidémie était sans contredit des plus contagieuses ; M. Minot, Curé de cette paroisse, son vicaire, une garde charitable, MM. les chirurgiens Godefroy et Serveau subirent cette épidémie ; la garde y a succombé, ainsi que le vicaire ; ce dernier n’a voulu suivre autre chose que d’exciter la sueur. La charité du curé, digne pasteur, le zèle de ces deux chirurgiens, et qui ont été à toute extrémité, mérite les plus grands éloges. L’intelligence et l’activité du sieur Delanoue, sindic, qui m’a secondé de tout son pouvoir, en faisant nettoyer les rues, curer les puits et purifier l’air par des feux aromatiques, méritent aussi des louanges, car j’avoue que sans tous leurs secours, cette épidémie aurait fait plus de progrès, en trouvant plus de résistance et moins de docilité[5]. Mr de Cypierre, père, Intendant d’Orléans[6], impatient de voir cette épidémie régner si longtemps, envoya M. Deveillac, médecin, pour examiner mon traitement et pour m’aider de ses conseils ; il emporta avec lui cet air pestiféré dans sa maison, ses enfants moururent attaqués de la même maladie, et leur malheureux père, victime de son zèle, les suivit de près[7]. Son plan était d’insister davantage sur les saignées effectivement pendant les chaleurs les malades la supportaient mieux, souvent même elle leur devenait nécessaire ; mais lorsque l’humeur maligne se portait sur le poumon et que la maladie prenait un caractère de péripneumonie, les malades étaient perdus sans ressource, malgré les médicaments les mieux indiqués. Quant aux malades qui n’ont pas été attaqués de cette complication, j’ai remarqué qu’un large cautère[8], dès l’invasion de la maladie, fait avec une pâte caustique de savon noir et de chaux vive, avait mieux réussi que les vésicatoires[9] qui fréquemment augmentaient l’effervescence et portaient à la vessie. Les deux chirurgiens ont été conduits suivant ce traitement, ainsi que plusieurs autres malades, dont le nombre s’est monté à 500 en y comprenant ceux qui ont été attaqués depuis le mois de janvier jusqu’au mois d’octobre même pendant l’année entière. De ce nombre il est mort dans l’année 1764, 73 grandes personnes, tant jeunes gens que vieillards et 28 enfants. Parmi ces 73 grandes personnes sont comprises 35, mortes dans le fort de l’épidémie, depuis le commencement d’avril jusqu’au 17 juillet, pendant lequel tems j’ai suivi cette épidémie environ trois fois au moins chaque semaine. L’éloignement et mes affaires ne me permettaient pas de plus fréquents voyages[10].
Pour faire une comparaison et apprécier au (plus) juste le nombre des morts de l’année de l’épidémie, je prends l’année d’avant et l’année d’après. Je vois qu’en 1763 il était mort dans cette paroisse 34 grandes personnes et 40 enfants, ce qui fait une différence de 28 morts de plus dans l’année de l’épidémie ; et qu’en 1765 le nombre des morts n’a monté qu’à 57, différence qui est de 46 de moins qu’en 1764[11]. Ces détails qui m’ont paru importants, manquent à mon mémoire imprimé.
J’aurai probablement été critiqué par quelques praticiens, qui n’emploient pour faire la limonade minérale que l’acide sulfureux et l’acide vitriolique,[12] pour avoir employé ou administré l’esprit nitreux, ou l’acide nitreux dulcifié avec l’esprit de vin[13] ; mais voici sur quoi je me suis fondé dans cette préférence[14]. 1° J’ai retenu de M. Rouelle l’aîné[15] que les acides minéraux avaient foncièrement le même principe d’acidité, et que ce dernier a quelque chose de plus suave et moins d’astriction[16]. De plus je remarque que plusieurs auteurs lui attribuent la vertu d’être convenable dans les fièvres[17] tierces et double tierces. Du reste, je m’en rapporte aux Maîtres de l’Art ; mais je pense que si tous ces acides ne sont pas préparés par d’habiles chimistes, ils sont tous dangereux.
[1] C’est à juste titre que Boncerf rappelle qu’il a été le premier à faire déplacer un cimetière au nom de l’hygiène publique, imité immédiatement par l’autorité municipale parisienne, sans doute prévenue par les membres de la Société royale de médecine. Très vite, le mouvement va s’étendre et l’on peut donc dire que l’initiative prise par Boncerf à Angerville a été « une première ». En 1778, le chirurgien étampois, ami de Boncerf, Denis-Prosper Filleau adressera un texte à la Société pour demander que l’on suspende les sépultures dans les églises. Sa voix sera entendue, puisque les autorités ecclésiastiques interdiront immédiatement les ensevelissements dans les lieux de culte.
[2] « Mémoire sur la maladie qui a affligé le bourg d’Angerville près d’Etampes en 1764, par M. Boncerf, Docteur en médecine et médecin à l’hôtel-Dieu de la ville d’Etampes », Recueil d’observations de médecine des hôpitaux militaires, sous la direction de François-Richard de Hautesierck, t. II, 1772, pages 223-228. François-Richard de Hautesierck (1713-1789), est l’un des précurseurs des « topographies médicales », que la Société royale de médecine généralisera à partir de 1776.
[3] De imperio solis ac lunae in corpora humana et morbis inde oriundis, Londres, J. Brindley, 1746.
[4] En attribuant au moindre ensoleillement et aux phases de la lune la cause de l’épidémie, Boncerf démontre son incapacité à expliquer réellement les causes et la véritable nature de la contagion. Il en est bien conscient puisqu’il révèle qu’il a hésité à donner cette explication par « crainte du ridicule ».
[5] Devant une situation particulièrement délicate, le dévouement de tous, chirurgiens, édiles et membres du clergé révèle une belle solidarité louée par Boncerf.
[6] La généralité d’Orléans commençant aux portes de la paroisse Saint-Martin, l’organisation de la lutte contre l’épidémie est logiquement prise en charge par l’intendant Cypierre qui réside à près de cinquante kilomètres d’Angerville ! C’est là un exemple des complexités administratives de la France d’ancien régime et de leurs conséquences.
[7] L’épidémie a frappé durement la population locale mais aussi, on le voit, une partie de ceux qui se sont mobilisés pour la combattre.
[8] Plaie artificielle provoquée à l’aide d’un instrument ou d’un agent chimique pour brûler un tissu organique ou entretenir la suppuration d’une plaie ; on utilise pour cela des pierres à cautère.
[9] Emplâtre ou cataplasme aux propriétés révulsives.
[10] On comprend que Boncerf ait été impressionné par cette épidémie qui l’a mobilisé pendant de longues semaines. Il a dû alors se partager entre Angerville et ses patients de l’hôpital et de la ville d’Étampes. Une tension permanente qui l’a visiblement marqué.
[11] Ce souci de comparer les statistiques de 1764 avec celles de l’année qui précède et celles de l’année suivante est naturellement de bonne méthode pour relativiser l’impact de l’épidémie.
[12] Il s’agit de l’acide sulfurique.
[13] Ethanol, obtenu par distillation du vin
[14] Ce développement à propos de la limonade minérale témoigne des connaissances acquises par Boncerf en pharmacologie grâce à la lecture des ouvrages spécialisés, mais aussi de sa grande prudence lorsqu’il s’agit d’utiliser un remède dont il n’est pas sûr.
[15] Il s’agit sans doute de Guillaume François Rouelle, dit Rouelle l’Aîné, chimiste et apothicaire, auteur de cinq communications sur les sels à l’Académie des sciences. Grand pédagogue, il était également démonstrateur au Jardin du roi.
[16] Astriction
Défaut d’élasticité, de flexibilité des fibres, cause de pathologies.
[17] Le système des fièvres ne fournit pas moins de 128 variétés... C’est le symbole du système médical ancien.
Si cet extrait vous a intéressé, vous pouvez vous procurer l’ouvrage consacré aux écrits de Claude François Boncerf en adressant un mail à Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.
Deux pandémies à Étampes
Confrontés aujourd'hui à une crise sanitaire sans précédent depuis un siècle, nous avons tous oublié celles du passé et sans doute cru un peu vite que tout cela appartenait à une époque révolue. Hier encore, nous étions quasiment persuadés que les pays développés, grâce à leur haut niveau scientifique et médical étaient à l'abri de ce genre de catastrophe, d'où la sidération actuelle... Rumeurs, fausses nouvelles, imprévoyance mais aussi courage, dévouement tout cela n'a rien de neuf. Nous vous proposons un petit retour en arrière avec un court article sur la grippe espagnole à Étampes en 1918, élaboré au moment de notre exposition sur le centenaire de la Première guerre mondiale et surtout la reprise de l'étude effectuée il y a plusieurs dizaines d'années par Marie Thérèze Larroque et publiée dans l'ouvrage épuise "Étampes au XIXe siècle" sur la terrible épidémie de choléra qui s'est abattue sur la ville en 1832. Par ces temps de confinement, nous vous souhaitons un bonne lecture.
La grippe espagnole de 1918.
Les premiers cas de grippe espagnole à Etampes sont signalés entre le 29 août et le 3 septembre 1918 où l’on compte neuf décès en quelques jours. Les premières victimes sont des prisonniers allemands. Quelques jours plus tard, c’est le tour de deux soldats chargés de les garder. Entre le 4 et le 20 septembre, six nouveaux décès sont constatés parmi les prisonniers. Bien qu’il y ait encore douze victimes entre le 7 et le 14 octobre, peu de mesures sont prises pour stopper la contagion. Il faut attendre le 12 octobre pour que la municipalité publie une note sur les épidémies de dysenterie et de grippe. La distribution des prix aux élèves a lieu au Casino comme si de rien n’était et des manifestations continuent d’être organisées au théâtre alors que l’épidémie prend de l’ampleur. Le 27 octobre, une conférence organisée par les syndicats en vue de créer une coopérative de consommation pour faire face aux difficultés d’approvisionnement attire pourtant peu de monde. L’Abeille d’Etampes en donne les raisons dans son édition du 2 novembre : « De nombreux malades, l’obligation pour les membres de la famille de rester à leur chevet, la crainte pour d’autres de contracter la maladie actuelle, enfin un beau soleil engageant à la promenade (…) motivèrent l’abstention de beaucoup de personnes. » On annonce bientôt le décès de personnalités connues comme le directeur de l’usine électrique, « enlevé en quelques jours par la grippe ». Trente-quatre décès sont enregistrés entre le 23 et le 28 octobre dont trois autres prisonniers allemands et deux tunisiens. La panique commence à gagner du terrain : une infirmière de la Croix-Rouge en proie à un violent accès de fièvre se jette d’une fenêtre du premier étage dans la cour du Collège. Le 14 novembre, Jacques Lair, procureur de la République, meurt à son tour de l’épidémie. Marguerite Van Loo, infirmière-major au Collège, chargée de soigner les malades, est contaminée et décède également. L’épidémie se prolonge jusqu’à la fin du mois de décembre.

En tout, 256 décès sont enregistrés à Etampes en cinq mois contre 89 pendant la même période en 1913. Il est difficile de déterminer précisément la part de la grippe espagnole dans cette hécatombe, les causes de la mort n’étant évidemment pas précisées. Cependant l’analyse de la répartition par âges des décès est éclairante : plus du quart des victimes ont entre vingt et trente ans contre un peu plus de 15% en 1913. Les prisonniers allemands détenus à Étampes sont particulièrement touchés : 44 d’entre eux décèdent en 1918, presque tous pendant les trois mois d’automne. Ce sont des hommes jeunes, la plupart du temps de moins de trente ans. Sans doute leurs conditions d’hébergement et leur promiscuité expliquent-elles le phénomène. Les soldats qui les gardent sont d’ailleurs également frappés par l’épidémie. Parmi les victimes, on compte aussi des travailleurs tunisiens ou indochinois. Enfin, le quartier Saint-Martin et les populations les plus modestes semblent avoir été particulièrement touchées, même si la presse locale évoque surtout le cas de quelques notables.

L’épidémie est survenue à la fin d’un interminable conflit. Elle frappe une population très affaiblie par les restrictions alimentaires comme en témoignent les nombreux vols de légumes dans les champs au cours des derniers mois de guerre. L’annonce de l’armistice du 11 novembre a donc lieu dans un contexte qui n’est guère favorable à des réjouissances. Le soulagement l’emporte sur l’euphorie de la victoire. Fait significatif, le 15, le cimetière Notre-Dame ne désemplit pas de la journée : les prisonniers allemands sont présents eux-aussi sur les tombes de leurs camarades. Le temps de l’armistice est aussi celui du deuil.
Jean-Pierre Durand
Une saignée démographique à Etampes, le choléra de 1832
Si, depuis des siècles, Etampes subit de multiples épreuves, épidémies, guerres et famines, au XIXème siècle, une nouvelle calamité décime la population et sème la terreur à l’intérieur de ses remparts, le choléra. Et pourtant cette maladie semble fort ancienne puisqu’à partir du XVIème siècle, les voyageurs occidentaux relatent ses terribles ravages en Asie. Pour la première fois, ce fléau originaire du delta du Gange, atteint les portes de l’Europe en 1829. Des bords de la mer Caspienne, en suivant le cours de la Volga et de l’Oural, il se répand dans l’Empire russe. De Moscou, le miasme se diffuse en Europe centrale et dans les ports de la mer de la Baltique ; il lui faut encore un an pour s’abattre sur Londres et Paris. Les déplacements humains ont favorisé la diffusion du choléra morbus. Ne dit-on pas : « L’épidémie débute à Paris...importée par des médecins de retour de Pologne où ils avaient été étudier cette maladie inconnue[i]». Le rôle des militaires, des marchands et même des pèlerins n’est plus à démontrer ; les troupes anglaises en tentant d’imposer leur hégémonie en Inde ont contribué à l’épidémisation de la péninsule ; quant aux marchands, leurs navires transportent le vibrion dans les ports, et leurs marchandises l’introduisent dans l’arrière-pays[ii].
Cette pandémie est connue des autorités françaises qui craignent son introduction dans le pays. Dès juin 1831, elles rappellent les mesures sanitaires définies dans la loi du 3 mars 1822 : ne peut pénétrer sur le territoire qu’un voyageur en bonne santé ; un bulletin doit attester qu’il n’arrive pas d’une région contaminée. Le corps médical, quant à lui, peut lire les témoignages des confrères envoyés en Europe orientale en observateurs. Les symptômes de la maladie sont décrits dans la gazette médicale de Paris, dès la fin de l’année 1830. Malgré tout, bien des médecins se sentent complètement démunis quand le fléau s’abat sur leur commune. Pour eux, « le choléra-morbus épidémique est une maladie dont nous ne connaissons pas la nature, ni les causes, ni le traitement[iii] ».
Ces énigmes obligent les pouvoirs publics à prendre des mesures exceptionnelles pour organiser la prévention et le lutte contre cette nouvelle calamité. Le gouvernement veut percer son mystère grâce à l’accumulation de renseignements. Tous les échelons de l’administration centrale et locale sont mobilisés. Il faut tout entendre, tout savoir, tout observer, tout noter et adresser un rapport le plus rapidement possible à l’instance supérieure.
Le maire d’Etampes, Boivin-Chevallier, écrit à un médecin :
« Je dois adresser chaque jour pour (le sous-préfet), l’état sanitaire de la ville : y ajouter le nombre de malades, la cause et les progrès de la maladie... Je vous invite donc, M., à vouloir bien m’adresser chaque jour, la liste par nom, prénom, âge, sexe, lieu du domicile des personnes auxquelles vous administrez des soins, le genre ou la cause de la maladie, sa marche progressive ; celles en convalescence et celles qui en succombent ; en annonçant les personnes qui seraient atteintes du choléra-morbus, maladie qui présentement, fixe au plus haut point l’attention de l’administration. »
Au plus fort de l’épidémie, grâce aux courriers du sous-préfet, le préfet de Seine-et-Oise a pu envoyer dans les trois jours, au ministre de l’intérieur, un rapport circonstancié de la situation sanitaire du département. Un tableau statistique le complète en précisant, pour chaque commune, le nombre de malades et de morts depuis le début de l’invasion épidémique, et les nouveaux cas depuis le dernier rapport ; Non seulement les services du ministère de l’intérieur ont une correspondance suivie avec ceux de la préfecture, mais ils reçoivent aussi quotidiennement des tableaux dressés par la gendarmerie départementale présentant l’évolution de l’épidémie dans chaque arrondissement. Ainsi, le gouvernement a espéré quantifier les ravages du fléau dès son irruption dans une commune, percevoir les réactions des habitants à travers les récits détaillés émanant des fonctionnaires, et répartir une aide médicale et pécuniaire.

On comprend que cette correspondance abondante et précise entre les différents échelons de l’administration procure une masse d’informations à l’historien qui tente de faire revivre une des crises démographiques du XIXème siècle. A Etampes, il dispose également des listes nominatives des malades et des morts, listes élaborées par plusieurs organismes, à la fin de l’acmé[iv]. Les brouillons des lettres et des convocations adressées par le maire au sous-préfet et à tous les concitoyens qui ont participé à la lutte contre le choléra ont été conservés, ainsi que les réponses des intéressés. IL ne s’agit pas seulement de courriers envoyés par les médecins ; les mémoires des pharmaciens, des boulangers, des bouchers qui ont fourni gratuitement des secours aux indigents sur la présentation de bons, sont déposés aux archives de la commune, tout comme d’ailleurs la facture des réparations des cabriolets qui ont servi aux transports de praticiens...
Ces sources manuscrites peuvent être complétées par le témoignage de protagonistes. Le docteur Bourgeois exerce à Etampes depuis un an lorsque survient cette épidémie ; vingt ans après, il décide de publier sa description. Camille Martin, fils du directeur de la poste aux lettres, élève en médecine, soigne « avec un dévouement sans borne[v] » les cholériques, et fait du fléau asiatique le sujet de sa thèse qu’il soutient brillamment le 5 mars 1833[vi]. Ce foisonnement de la documentation permet d’autopsier une ville en crise, d’analyser une saignée démographique, une surmortalité due à un agent pathogène alors inconnu, le vibrio-cholerae. Certaines interrogations vont ainsi être résolues. Quand et comment, Etampes, petite ville de 8109 habitants, située à 50 kilomètres au sud de Paris a-t-elle été attaquée par le bacille ? Quelles ont été les premières personnes atteintes ? Combien de temps l’épidémie a-t-elle duré et quelles en ont été ses phases ? Combien d’Etampois a-t-elle mené vers la tombe ?
Le choléra choisit-il ses victimes : hommes ou femmes, jeunes ou vieux ? Quelles catégories sociales lui ont payé le plus lourd tribut ? Face à ce péril, comment ont réagi la municipalité, les notables et la masse des ouvriers ? Ces circonstances exceptionnelles sont révélatrices de leurs comportements et de leurs mentalités : fuite ou dévouement des uns, incrédulités et repli dans la misère des autres ?
La marche du choléra à Etampes
La liste manuscrite reliée en tête du registre des décès de 1832 et les imprimés complétés par le service médical du canton d’Etampes permettent d’établir quelle a été la marche du choléra dans la ville. Les courriers entre les différents services de l’administration départementale et nationale en précisent les caractères.
Aumerle et les huit premiers décès
Le 9 mars, Auguste Aumerle, imprimeur à Paris, âgé de 53 ans, en arrivant à Etampes à 4 heures du soir, est pris « de nausées, vomissements et de déjections alvines de matières liquides acqueuses ; à 10 heures du soir, redoublement des nausées, sans vomissement, soif ardente, refroidissement de tout le corps et sueur froide sur toute la peau ; crampes et mouvements convulsifs des membres, agitation extrême et continuelle... ». Sa compagne, Marie Redouly le quitte vers six heures du matin et confie sa garde à la patronne de La Sablonnière, auberge de la rue du faubourg Saint-Jacques. Cette dernière s’absente et à son retour le trouve mort « étendu sur le carreau près du lit à 11 heures ». Le cadavre est déposé à l’hôpital et autopsié deux heures après la mort, par les médecins des épidémies, Pinaire et Vinache, M. Sédillot, membre honoraire de l’Académie de médecine de Paris, mais également en présence de M. Driart exerçant à Dourdan et M. Delisle et Pelletier, pharmacien à Etampes. Un procès-verbal de trois pages est dressé.
Le jour même, le 30 mars donc, le sous-préfet convoque à 8 heures du soir, le corps médical, le maire et son adjoint, à la sous-préfecture, pour prendre connaissance du rapport établi dans l’après-midi et « entendre leur opinion sur le genre de maladie qui a été la cause de la mort d’Aumerle ». Ce dernier est bien victime du choléra. Les discussions sont longues, car la réunion dure jusqu’à minuit.
Le lendemain, le 31 mars, le sous-préfet fait le récit des évènements à son supérieur et note que la nouvelle de cette première mort par le choléra, « a fait sensation dans la ville ». Il lui adresse la déclaration de la femme Redouly et le rapport d’autopsie.[i]
Immédiatement, le préfet Aubernon signale au ministre du commerce et des Travaux publics ce décès cholérique dans le sud de la Seine-et-Oise. Par retour de courrier, ce dernier lui demande ce que sont devenues « les personnes avec lesquelles cet homme peut avoir communiqué, soit à Bourg-la-Reine, soit à Etampes. Vous comprendrez que si ces personnes se trouvaient les premières attaquées de la maladie, quand elle se montrera dans les communes, il y aurait là un avertissement pour l’administration et qu’il convient dès lors qu’elle n’ignore rien de ce qui pourra arriver... »
Par sa lettre du 5 avril, le sous-préfet, Foye répond à la lettre du 3 en donnant le renseignement : « La femme Redouly est retournée à Paris le lendemain du décès et ni elle ni la femme Burel qui ont soigné le malade n’ont été atteintes d’aucun symptôme cholérique ». Il précise : « On parle beaucoup ici de l’épidémie qui ravage la capitale dans ce moment, mais cette ville (Etampes) est fort tranquille et aucun cas ne s’est encore présenté ».
Le deuxième mort du choléra, Jean-Baptiste Leconte, demeurant faubourg Evezard tombe malade au retour d’un voyage à Paris, « d’où, écrit Aubernon, il aura probablement apporté le germe ». Cet herboriste âgé de 73 ans est emporté par la maladie le 13 avril.
La troisième victime du fléau asiatique, par contre, n’a jamais quitté la ville ; la femme Poulain, âgée de 60 ans, réside rue de l’Hospice. Dès les premiers symptômes, elle est transportée à l’hôpital où elle succombe après douze heures de souffrances, le 15 avril. Trois médecins, Pinaire, Vinache et Bourgeois, précisent dans leur lettre au maire que « le quartier qu’habite cette femme est traversé par un ruisseau habituellement infect. Le sol de la maison est de 3 pieds au-dessus de la rue, la chambre est au rez-de-chaussée humide, non carrelée, contigüe à une étable et à une cour étroite où se trouvent une fosse d’aisance à découvert et deux tas de fumier ».
Le maire proteste, « le ruisseau est en parfait état », et mentionne dans une lettre au préfet que « des bureaux de secours publics vont être établis dès aujourd’hui », le 16 avril. Cette femme n’a pu contracter la maladie qu’à Etampes. Cela inquiète les responsables de la municipalité et les oblige à mettre des mesures prophylactiques très rapidement à exécution. Quant au corps médical, il attire l’attention sur l’insalubrité du quartier Notre-Dame. Le manque d’hygiène est-il une cause prédisposant à l’attaque du miasme indien ?
L’officier d’état civil n’enregistre que six autres décès cholériques jusqu’à la fin du mois d’avril, dont ceux de trois étrangères. Deux indigentes qui ont ressenti des douleurs sur les chemins de Beauce et ont achevé leur agonie à l’hospice : Anne Davis demeurait à Dourdan, Adélaïde Rémy à Saint-Arnoult. Le médecin d’Oysonville a examiné cette dernière et lui a prescrit « un cataplasme de mie de pain sur l’estomac et pour boisson de l’eau de tilleul ». Marie-Jeanne Baudet arrivant de Montrouge, village proche de la capitale, est venue mourir le 30 avril chez le sieur Pachot, ouvrier tanneur rue Basse-des-Groisonneies.
Quatre jours après la femme Poulain, le 19 avril, un autre Etampois journalier, Jean Retourné, décède à l’hospice, mais, dit-on, « il se livrait à l’intempérance et était dans le plus grand dénuement ». Quant à Jean-Pierre Hervé, journalier âgé de 32 ans, il est atteint par le vibrion le 27 avril. Il est soigné chez lui, 6, rue Haute-des-Groisonneries, par Camille Martin qui reconnaît immédiatement chez son patient les symptômes du choléra, souligne « la teinte générale du corps violacée » ou le cadavre présentait ... une surface extérieure et générale du corps entièrement bleuâtre... » Hervé décède le 28 et son médecin écrit au maire, le lendemain, qu’ « il est urgent d’inhumer le corps ». Le premier décès de choléra dans le quartier Saint-Martin est celui d’Adélaïde Renard, rue des Belles-Croix.
A la fin du mois d’avril, neuf personnes sont donc mortes de l’épidémie à Etampes : cinq sont arrivées malades et ont terminé leur vie à l’hospice. Deux hommes venaient de Paris, une femme d’un village proche de la capitale et les deux autres de l’ouest du département. Les premières lettres des médecins et des magistrats – du maire au ministre - soulèvent le problème du domicile et des déplacements des victimes. D’où viennent-ils ? Qui ont-ils rencontré ? La question primordiale à laquelle doivent répondre les responsables politiques et le corps médical reste : le choléra est-il contagieux ? A Paris, les avis sont partagés : Alexandre Moreau de Jonnès l’a observé en Inde et au Moyen Orient dans les années 1820 et a démontré dans ses nombreux rapports à la Commission sanitaire centrale et au Conseil supérieur de la santé que le mal asiatique est contagieux. Par contre, pour le docteur Jachnichen qui exerce à Moscou « la maladie ne peut être importée, ni communiquée... Il s’agit d’une sorte de pénétration et non de contagion ». Des médecins français ont été envoyés à Saint-Pétersbourg pour observer les malades, ils confirment les thèses du praticien russe. L’Académie de médecine à Paris ne tranche pas et se montre très circonspecte[ii] [iii]. Le débat reste ouvert. Etant donné que l’agent pathogène et le mode de transmission demeurent inconnus, l’accumulation de renseignements sur les différents cas permet de conforter certaines hypothèses et de prendre des mesures de prévention efficaces. Les migrations peuvent constituer un terrain favorable à la propagation de l’épidémie.
A Etampes, le choléra a été importé vraisemblablement de Paris où le paroxysme de la maladie se manifeste en mars et en avril (12 824 décès). Le premier cas dans la capitale remonte au début de janvier[iv]. Dans notre ville, le fléau asiatique exerce ses ravages en mai. Quel malade l’a ensemencé? S’agit-il d’Aumerle, de Leconte ou d’un autre fuyard qui s’est arrêté dans une auberge étampoise une nuit et est allé mourir dans un village plus au sud ? Nul ne peut prétendre identifier le « coupable », celui qui a introduit le vibrio-cholerae hypertrophique. Un fait reste incontestable : tous les quartiers étampois ont pu être infectés dès le mois d’avril (excepté Saint-Pierre) et cela malgré la diligence des médecins des épidémies de l’arrondissement. Pinaire a fait transporter à l’hôpital les malades ou les cadavres qui lui ont été signalés et qui présentent des symptômes irréfutables et violents. Le praticien isole ces cholériques qui succombent après une journée de souffrance, malgré les traitements. Le faubourg Evezard est touché en premier, puis la rue qui longe l’hospice, la rue Sainte-Croix, ensuite la rue Haute-des-Groisonneries[v], c’est-à-dire la ville à l’intérieur de ses remparts. Saint-Martin est atteint à la fin du mois.
Suette miliaire, cholérine ou choléra ?
Il est aisé de décrire avec précision les décès cholériques du mois d’avril 1832 grâce aux différents rapports des médecins et au courrier de l’administration, par contre, il s’avère plus difficile de comptabiliser les Etampois qui ont été atteints durant ce mois par le miasme indien et qui en ont réchappé, et cela d’autant plus que le registre des malades civils de l’hôpital du 1ier janvier 1826 au 30 août 1835 n’a pas été conservé.[i]
Les bulletins colériques envoyés à partir du 17 avril par le maire au sous-préfet totalisent les malades depuis le début de l’invasion. Le bulletin du 1ier mai dénombre dix malades, sept décès et trois convalescents. Effectivement, les archives permettent de retrouver la trace de ces trois survivants ; le 16 avril, le jardinier Naudet du faubourg Evezard présente les symptômes du choléra. Le médecin appelé à temps le soigne et le 24 avril prévient le ministre du Commerce et des Travaux publics que le malade deux jours après est guéri : le 23 avril, Vinache se rend auprès de la veuve Rousseau, rue Sainte-Croix qui souffre aussi du fléau asiatique et la traite. Il la considère sauvée le 1ier mai ; le 28 avril, le garde-moulin Desmolière est atteint à son tour. Martin et Bourgeois se chargent de lui et, le 1ier mai, ils le déclarent « entrer en convalescence ». En réalité, Desmolière meurt deux jours après.
Plusieurs lettres et les ouvrages de Bourgeois laissent soupçonner que les cholériques étaient beaucoup plus nombreux à Etampes dès la deuxième quinzaine d’avril. Les médecins n’osaient pas prononcer le mot fatal : « si le médecin émettait de suite son opinion... il s’exposait à être considéré comme un ignorant ou comme cherchant pour un motif quelconque à jeter trouble et la consternation dans le pays...[ii] »
Dans sa lettre du 24 avril, Foye souligne à l’intention d’Aubernon que « ... le démon de la controverse et de l’intérêt a jetté des semences de division, aussi nos meilleurs médecins ont-ils pris pour base de leurs communications officielles les seuls individus éminemment frappés de l’épidémie ; et se sont abstenus de mentionner nombre de personnes qui n’en ont éprouvé que quelques atteintes ;ils n’ont pas voulu acquérir une réputation non méritée, augmenter les craintes pour les uns, et annoncer pour d’autres des guérisons qui eussent pu être niées par les convalescents même, tant il est enraciné dans certains esprits l’incrédulité du mal même[iii] ».
Ces oublis, volontaires ou non peuvent s’expliquer car les premiers symptômes du choléra peuvent se confondre avec ceux de la cholérine[iv] et de la suette miliaire. Lors de la première, la personne ressent un malaise général avec des diarrhées plus ou moins aqueuses et de légers vomissements[v]. La cholérine est-elle annonciatrice de la calamité indienne ? Bourgeois mentionne cinq cas de « cholérines intenses » dans son état du 5 mai ; de même il affirme qu’ « on pourrait avec quelque raison, donner à la suette miliaire le nom de pseudocholéra, par sa similation, aux yeux des malades et de leurs proches, avec le mal indien. Le malade accuse une barre dans l’estomac avec des borborygmes, plus ou moins bruyants, refroidissements, crampes, parfois nausées... dans quelques cas, 3 ou 4, selles à peu près naturelles se succèdent rapidement : elles mettent le comble à l’effroi du malade qui ne doute plus qu’il soit frappé du choléra ...une sueur plus ou moins abondante, ne tarde pas à venir ; quelques jours après, des boutons[vi]... ».
Cette épidémie de suette miliaire accompagne le choléra et atteint surtout les adultes. Il est préférable de parler de diarrhée ou de suette que du fléau asiatique ! Malgré tout, les notables qui ont recensé par quartiers et par rues « les personnes attaquées de la maladie épidémique » ont retenu quatre degrés dans la maladie, le premier étant le plus grave. Ces différentes catégories ne semblent pas tenir compte de la longueur de la convalescence. Que recouvrent-elles ? Il est difficile de l’entrevoir. Il fallait surtout au mois d’avril 1832, éviter d’effrayer une population non immunisée et fragilisée par la présence d’une autre agression biologique qui sévissait depuis l’été 1831dans une population, déjà fort inquiète.

La courbe du mouvement mensuel des décès à Etampes entre janvier 1829 et décembre 1832 révèle qu’à partir de l’été 1831, le nombre de morts dépasse ou avoisine trente alors que les années précédentes, durant le deuxième semestre, ce chiffre demeure le plus souvent proche de quinze, excepté en décembre 1830 où il atteint vingt-trois, et en septembre 1831, vingt-deux. La hausse des décès pendant les premiers mois de 1832 est générale en Seine-et-Oise[i]. Mais quelle endémie a mené vers la tombe des dizaines d’Etampois à partir de juillet 1831 ? S’agit-il d’une fièvre gastro-entérite, d’une grippe ou d’une rougeole ? Nul ne peut le dire car nous n’avons pas de rapport de Pinaire signalant une maladie contagieuse dans la région. Cette surmortalité ne peut être due à la suette miliaire. Le docteur Bourgeois indique qu’il n’a jamais vu cette maladie entraîner la mort[ii]. Le docteur Dussaux, médecin des épidémies de l’arrondissement de Mantes souligne que « l’on en triomphe facilement par le repos, la diette, les lavements et des boissons émolientes quelques fois aromatisées ». On peut admettre que la suette miliaire affaiblit la population et a ainsi préparé le terrain physiologique sur lequel le fléau s’est épanoui.

Développement et durée de l’épidémie
Le graphique tracé à partir des registres des décès, atteste que l’épidémie de choléra a foudroyé la ville au mois de mai 1732. Deux cent soixante-cinq morts ont été enregistrés par l’officier d’état civil alors que durant ce mois, depuis 1825, vingt-cinq cas lui sont déclarés en moyenne. En juin, la surmortalité est moins aigüe : quatre-vingt décès, alors que les années antérieures, ce nombre avoisine vingt-trois. Dès l’été, la courbe reprend son rythme habituel.
En réalité, si l’on en croit le rapport du sous-préfet daté du 24 novembre,[i]le fléau asiatique a sévi à Etampes entre le 30 mars et le 29 septembre, donc durant six mois ; il a frappé 786 personnes et a tué 296 malades au total. Le docteur Bourgeois déclare que le dernier cas a pu être observé le 11 septembre, il ne précise pas si son patient trépasse[ii]. Le taux de mortalité cholérique d’Etampes s’élève à 36,5 pour 1000, ce qui fait de notre ville l’une des plus durement frappées[iii].
Les bulletins cholériques
La richesse des archives municipales permet de décrire le développement du fléau pendant six mois. Elles conservent le double des cent treize bulletins cholériques envoyés à la sous-préfecture, tous les jours à partir du 17 avril jusqu’à la fin juillet, tous les quatre jours en Août et enfin toutes les semaines en septembre. Boivin signe son dernier bulletin le 1ier novembre. Le préfet de Seine-et-Oise en aura fourni le modèle dans sa circulaire du 11 avril. Ce tableau comptabilise les nouveaux malades et les morts depuis la veille ; quelques observations sur la marche de l’épidémie peuvent y être notées. La rédaction de ces feuilles demande une connaissance parfaite de l’état de la maladie dans la commune, qu’il n’y ait aucune confusion dans la nature de la mort ! C’est pourquoi dès le 4 mai, le maire prie le député-médecin, qui est allé étudier le choléra à Paris, de constater le genre de décès et de contresigner les notices des commissaires aux convois. La tâche risquant d’être lourde, et la ville fort étendue, Boivin demande à Martin d’aider Dulary dans ses vérifications[iv].
Comment ces bulletins sont-ils dressés ? D’où viennent leurs chiffres ? Quels documents ou quels témoignages le maire a-t-il utilisés ? Nous n’avons trouvé aucun courrier émanant du corps médical entre le 6 et le 16 mai. Le bulletin signé le 6 indique « beaucoup de malades, pas de rapport de médecins ». Cette expression sera employée pendant une semaine. Le 13, il écrit : « On peut les évaluer à 300 ». Cette absence de sources écrites est confirmée par une lettre du sous-préfet datée du 24 novembre 1832 : « L’intensité était tellement forte à Etampes qu’elle n’a pas permis à MM. les médecins de rédiger un journal pour y consigner les circonstances remarquables de la maladie...[v] ».
Le nombre de décès cholérique ne peut être totalement erroné. Il suffisait simplement de totaliser les morts de la journée dont le certificat médical mentionnait CHOLERA. Boivin a signé tous les actes de décès. Cet officier public devait être vigilant, il avait à l’esprit les informations qu’il devait faire parvenir à l’instance supérieure. Il est certain que toutes les personnes décédées en mai 1832 n’ont pas été emportées par le miasme indien. Les différentes sources utilisées dans cette étude montrent qu’entre le 1er et le 21 mai, trente-deux Etampois ou Etampoises ont succombé à une autre maladie[vi].
Evolution de la calamité durant le printemps et l’été

Le graphique n°3 présente les nouveaux malades et morts pendant l’épidémie de choléra, d’avril à Septembre 1832, totalisés par semaine. La deuxième quinzaine d’avril, patients et trépassés sont peu nombreux d’après les sources manuscrites. La calamité explose à Etampes en mai. Les bulletins cholériques font état de 219 morts pendant ce mois. L’indice de surmortalité à Etampes s’élève à 8,75 alors que pour la Seine, il est de 6,75 en avril, au moment où la capitale est la plus touchée[i]. Jusqu’au 5 mai, le corps médical de la ville semble maîtriser la situation et soigner toutes les personnes atteintes. Entre le 7 et le 14 mai, 120 étampois succombent au vibrio cholerae, chiffre considérable ! La semaine suivante, les victimes ne sont plus que 47, et jusqu’à la fin du mois, leur nombre diminue de moitié. Au mois de juin, la ville est en convalescence : des centaines de malades « se rétablissent bien ». La létalité devient faible : en moyenne, deux cadavres cholériques par jour, sauf le 19 et le 20 juin où l’on en compte cinq ou six.
Durant l’été de 1832, la maladie n’a plus la même acuité. La ville renaît. Cette mort « foudroyante » disparaît peu à peu. Elle tente deux percées entre le 18 et le 20 juillet et entre le 23 et le 2è août. Selon Bourgeois, « cette recrudescence ne peut être attribuée à aucune cause bien appréciable : puis enfin, la maladie, sans disparaître n’offrit plus guère qu’un seul exemple tous les deux ou trois jours ». En septembre, on dénombre deux victimes, une entre le 16 et le 20, et l’ultime le 29.
Tous les cholériques de notre ville n’ont pas été emportés par la maladie. Combien d’Etampois ont été pris « de vomissements de matière analogue à la décoction de riz, de déjections alvines de même nature...de refroidissements[ii]... ». Les autorités municipales en ont compté 786 en six mois d’épidémie. Ce nombre est-il fiable ? Le bulletin du 6 mai mentionne 173 malades, celui du lendemain : 535. L’écart semble anormal. Entre le 21 et le 22 mai, la différence est moins importante : une centaine malades supplémentaires. A partir de la troisième semaine de mai, les nouveaux malades, quotidiennement, dépassent rarement cinq, et ils sont exceptionnels dès août. Ici un bulletin cholérique
Comment le maire a-t-il évalué la masse de ses concitoyens malades alors qu’aucun rapport médical ne lui parvient ? Il a nommé dix-huit commissaires qui ont recensé, par rue, tous les malades depuis le début de l’épidémie jusqu’au 21 mai. Le pointage des trente-huit feuilles imprimées remplies par ces notables confirme le total inscrit dans la colonne : 650 malades. On peut se demander si ces personnalités étaient capables de faire la distinction entre suette, cholérine et choléra en écoutant « les déclarations des parents des malades »et avec la « connaissance particulière de leur situation[iii] ». En tout état de cause, les sources manuscrites autorisent cette affirmation : au plus fort de l’épidémie, un Etampois sur douze a été ou est atteint du choléra et un malade sur trois succombe au vibrio-cholerae. L’intensité du fléau est telle que le 20 mai, le préfet demande au ministre de l’intérieur d’insérer dans les journaux des articles qui « détruisent l’opinion que tous les malades atteints de l’épidémie à Etampes ont succombé[iv]. Aubernon a pris connaissance du rapport du sous-préfet qui mentionne « 174 morts et 535 malades ». Ces chiffres proviennent du bulletin cholérique daté du 17 mai ; mais déjà, le maire observe que « la maladie perd de son intensité ». Comment expliquer que la situation sanitaire de cette commune terrorise les hommes ?
L’acmé entre le 6 et le 16 mai
La population est atteinte par le choléra de façon soudaine et avec violence, pendant une courte durée. Les listes nominatives des morts du choléra, c’est-à-dire celles établies par le service médical, et celles dressées par les commissaires de quartiers, confrontées au registre des décès permettent de présenter la chronologie journalière des morts au plus fort de l’épidémie.
Le 7 et 8 mai, dix personnes en succombent ; le 9, il s’agit de quatorze. La journée la plus dramatique paraît être celle du 10 mai, vingt-trois décès cholériques, c’est-à-dire l’équivalent d’un mois habituel ! Les trois jours suivants, la mortalité est encore élevée : dix-huit décès quotidiens. Ses affreux ravages s’atténuent dès le 14, mais le 19, on compte encore quatorze victimes. A partir du 18, leur nombre dépasse rarement quatre par jour.

Ces courbes montrent que la surmortalité cholérique sévit essentiellement pendant une douzaine de jours. Les femmes sont les plus touchées pendant l’acmé.
On ne pourra sans doute jamais connaître la progression du fléau, c’est-à-dire combien de familles ont fait appel à un médecin parce qu’un de ses membre vient d’être pris de diarrhées, de vomissements et de crampes. Dans les bulletins cholériques, jusqu’au 16 mai, le nombre des nouveaux contaminés depuis la veille correspond à celui des morts. Ces chiffres ont peu de valeur. La seule certitude est que, depuis la première semaine de mai, leur effectif devait être considérable. Le maire a été obligé de solliciter, auprès de l’administration, le concours de praticiens « étrangers » pour lutter contre l’épidémie. Dans son rapport du 24 novembre 1832, le préfet indique que le doyen de la faculté de médecine de Paris lui a adressé des médecins dès qu’il en faisait la demande. La requête de Boivin a dû partir au plus tard le 6 mai. Nous ne l’avons pas retrouvée dans les archives du ministère de l’Intérieur, ni dans celles de la faculté de médecine, pas plus qu’aux archives départementales de Versailles. Cette fois, le maire n’a pas conservé le brouillon de sa lettre. Les factures de la messagerie et celles de l’hôtel du Grand Courrier prouvent que deux médecins de Paris, Ribes et Souchières, sont arrivés à Etampes le 10 mai, suivis le lendemain par quatre élèves en dernière année de médecine, Ribis, Terrada, Soubrier et Maréchal. Ils quitteront la ville le 28 mai. Le corps médical double pendant l’acmé : 8 médecins et 5 élèves en médecine doivent soigner 650 malades [v] !
On peut se demander si leurs activités ont entraîné la dégénérescence du fléau, et cela, dès la troisième semaine de mai. Pour la première fois, le 15 mai, « les nouveaux cas paraissent moins fréquents ». Les observations des protagonistes laissent planer un doute. Il semble que les différents traitements aient eu des résultats limités. Dans sa thèse, Camille Martin souligne : « Tous les moyens thérapeutiques ont été mis en usage pour guérir le choléra morbus ; on a tour à tour purgé, fait vomir, saigné, donné des tonique, des antiphlogistiques : eh bien, je dis que toutes ces méthodes n’ont pas eu plus de succès les unes que les autres ! ». Il raconte qu’il a été appelé près d’une journalière de 32 ans. Abandonnée de tous, elle ne peut suivre ses prescriptions et ne prend que de l’eau froide. A sa grande surprise, la femme est encore en vie le lendemain matin. Les jours suivants, elle boit, « toujours de l’eau, rien que de l’eau ». Le troisième jour, la réaction fébrile commence, il se décide alors à lui appliquer deux sinapismes aux mollets. C. Martin termine le récit de cette guérison par cette phrase : « Et souvent je revois cette pauvre femme qui me témoigne sa reconnaissance comme si je l’avais sauvée[vi] ».
Le témoignage du docteur Bourgeois abonde dans son sens puisqu’il écrit : « Les moyens curatifs n’ayant malheureusement aucune efficacité au début de la maladie, surtout la partie de la population la moins instruite leur attribuant les effets fâcheux de l’épidémie... ». Il rapporte aussi : « L’obstination d’un grand nombre d’individus qui, par horreur des médecins et de la médecine, n’avaient voulu recevoir aucun soin et s’étaient contentés sans que mort s’en suivît, d’étancher la soif qui les dévorait avec de l’eau fraîche, ne tardèrent pas à nous faire revenir généralement vers une thérapie plus simple... ». Les médecins se contentent de prescrire une diète sévère, des boissons chaudes aromatiques (tilleul, camomille, thé), des breuvages froids acidulés (eau de groseilles, limonade), de l’eau de Seltz, des lavements opiacés, des frictions pour réchauffer les malades et des rubéfiants aux extrémités inférieures. Ils abandonnent sans doute les sangsues sur l’épigastre « qui n’apporte aucun soulagement », selon Bourgeois.
Il ne faut pas perdre de vue qu’en 1832, l’agent pathogène du choléra reste inconnu, et donc que les docteurs se sentent impuissants dans ce combat. Le vibrio cholerae ne sera découvert qu’en 1884 par l’allemand Koch. On sait maintenant que ce bacille se multiplie dans le duodénum et tapisse la muqueuse intestinale. Les réactions immunitaires de l’organisme libèrent les toxines qui multiplient par dix ou vingt la sécrétion d’eau dans l’intestin[vii]. Le vibrion provoque une déshydratation de la victime. Il est certain que les malades qui boivent beaucoup d’eau non contaminée ont des chances de se rétablir. Si l’épidémie perd de son intensité à partir du 17 mai, cela est-il dû au zèle du corps médical ou à l’immunité que confèrent certains symptômes. Dès les premières douleurs, la peur envahit la personne indisposée ; elle est donc prête à suivre un régime sévère et à se calfeutrer chez elle dans un repos forcé au chaud. Etampes est une ville morte au début mai. Son économie s’arrête, et même les marchés des samedis 12 et 19 mai ont une activité « presque nulle en raison de l’épidémie régnante » lit-on dans les mercuriales[viii]. On n’entend que le bruit des cabriolets qui transportent les médecins, le tintement de la porte des pharmacies lorsqu’on vient acheter un médicament. Les rues de la cité ne sont parcourues que par les docteurs, les commissaires chargés de secourir les plus pauvres et les convois mortuaires.
Pour enrayer le développement du choléra, le maire fait aussi appel au dévouement du conseil municipal. Sept élus délivrent des bons de viande et de pain aux indigents de leur quartier ; les autres sont chargés de collecter l’argent qui servira à payer ces secours. Entre le 8 et le 25 mai, près de 4 300 Kg de pain blanc ou commun, 1 425 Kg de bœuf sont distribués aux plus déshérités des Etampois. L’administration municipale leur fournit des fagots et des cercueils. Leurs parents ou voisins vont chercher gratuitement les médicaments dans les pharmacies ou au poste médical installé à l’Hôtel de Ville. Les malades de Saint-Martin trouvent assistance et peuvent se réfugier à l’ambulance créée chez M. Reboursin-Poisson, marchand épicier et conseiller municipal, au 6 rue Saint-Martin.
La municipalité étampoise a joué un rôle considérable dans la lutte contre le choléra pendant l’acmé. Boivin a été un maire énergique et efficace. Il connaît bien la ville, il a habité ses différents quartiers : il est né en 1765, à Saint-Martin où son père est épicier ; Jeune marié, il s’installe en 1786, commerçant en farine, dans le quartier Saint-Gilles. En 1832, il demeure 21 rue Evezard, près de Notre Dame. Son voisin d’en face peut l’entretenir de la marche du fléau asiatique puisqu’il s’agit de Pinaire, médecin chef de l’hospice et médecin des épidémies de l’arrondissement[ix]. Depuis cinq ans, cet ancien marchand devenu « propriétaire » administre la ville et est confronté à la misère de certains de ses habitants. Dans son discours d’installation de la municipalité le 24 octobre 1831, le sous-préfet décrit Jean-Gilles Boivin comme « laborieux, désintéressé, conciliant, libre de son temps, aimant sa ville natale et voué à ses intérêts : le maintenir à son poste était une justice réclamée universellement[x] ». Ses bonnes relations avec l’administration départementale vont lui permettre d’obtenir très rapidement une aide médicale et pécuniaire de Paris[xi].
Les mesures prises par le maire au début mai, montrent qu’assistance et entraide ne sont pas de vains mots à Etames, en 1832. Les élèves en médecine près des grabats, les commissaires apportant des bons de nourriture ont peut-être jugulé l’épidémie en une quinzaine de jours et sauvé des dizaines de vies. La famine menace les plus misérables qui, sans travail, sont incapables d’acheter le pain quotidien. Les Etampois n’ont pas été abandonnés à leur triste sort et à leur peur. Mais quels sont ceux qui ont payé le plus lourd tribut à cette calamité venue de l’Inde, hommes ou femmes, jeunes ou vieux, pauvres ou riches ? Quelles catégories socio-professionnelles, quels quartiers, et même Quelles rues ont été frappées le plus durement par le choléra ? Comment expliquer ces prédispositions à la « maladie bleue » ?
Le choléra choisit ses victimes
Dès le 14 juillet, le préfet Aubernon envoie une lettre à tous les maires de Seine-et-Oise, leur demandant de compléter, « quand la maladie aura fini », un tableau imprimé portant sur la marche et les effets du choléra dans leur commune. Les officiers publics doivent fournir des renseignements très précis : les dates du début et de la fin de l’épidémie, ainsi que la période de sa plus grande intensité. Il leur faut indiquer comment le fléau asiatique a commencé : tout d’un coup, ou bien, s’il a été apporté et d’où. Les malades et les morts sont comptabilisés selon leur sexe ; l’âge et la profession des décédés sont précisés. Les enfants des indigents restés orphelins sont recensés. Au dos de la circulaire, le maire peut noter « les circonstances remarquables de la maladie et de ses effets qui auront le plus frappé et ajouter les observations et les faits qui peuvent être d’un intérêt général »

Étant donné le caractère récurrent du choléra durant l’été 1832, le maire n’a pu répondre au questionnaire avant la fin septembre. Le 19 novembre, le sous-préfet réclame le tableau rempli, il faut l’adresser à ses services dans les plus brefs délais. Selon le registre de la ville, Boivin leur fait par parvenir le dossier deux jours après. Les données chiffrées de ce tableau récapitulatif sont représentées par les histogrammes ci-dessus.
Les listes nominatives des morts cholériques, conservées aux archives municipales permettent de dresser un portrait beaucoup plus précis des victimes, tant du point de vue de leur âge que de leur profession. Nous connaissons l’état civil de 205 personnes sur les 296 emportées par le vibrion. Il n’a pas été possible de déterminer celui des 86 morts entre le 22 mai et le 19 septembre. Nous avions espéré que les prêtres noteraient en marge des actes d’inhumations, la nature du décès comme l’avaient fait les curés de Courances et de Dannemois[i]. Il n’en a rien été.
Et pourtant, tout au long de l’épidémie, Boivin est en relation avec le clergé étampois. Dès le 7 mai, il lui demande de ne plus sonner les cloches pendant dix minutes la veille de l’inhumation, lors de l’entrée et de la sortie du corps de l’église « pour ménager les nerfs... l’inquiétude et la peur peuvent disposer à la maladie épidémique... éviter les impressions fâcheuses aux personnes mal portantes[ii] ». Le 10 mai, le maire prie le curé de mettre en terre gratuitement les indigents : « l’indigence vous sera attestée par un certificat de deux Messieurs du Conseil municipal en plus du voisin du décédé et visé par moi ou par un de mes adjoints ». Le curé de Saint-Basile, Buffet, ne fait aucune mention de la cause de la mort de ses paroissiens. Entre le 10 et le 14 mai, les actes de sépultures sont rédigés par le vicaire, Joffard, qui ne cite même pas les deux témoins[iii] ! Le prêtre de Saint-Gilles, Beaufils, a simplement noté, avant d’enregistrer l’inhumation de Pierre Hervé, le 29 avril, comme le souhaitait Camille Martin, « commencement du choléra à Saint-Gilles ». Par contre, il inscrit la classe du service funèbre, de la première à la cinquième classe. Ce premier trépassé cholérique a été enterré grâce à la «charité », comme seize autres habitants du quartier sur les cinquante-neuf qui l’ont suivi dans leur tombe au cimetière Saint-Gilles, entre le 4 et le 21 mai. Pas plus que le curé de Saint-Basile ou de Notre-Dame, il ne mentionne les témoins des funérailles, le 11 mai.
L’analyse des sources manuscrites révèle une mortalité différentielle selon le sexe, l’âge, la profession des Etampois
Hommes ou femmes ?
Les femmes, (379 cas) ont été plus nombreuses (315 cas) à être atteintes par le choléra. Elles représentent 54,6 % des malades, sans compter les enfants[iv]. Cette proportion légèrement supérieure a intrigué les autorités : Pourquoi le fléau asiatique touche-t-il plus les femmes que leurs congénères ? Dès le 20 avril le préfet de Seine-et-Oise suggère au ministre de l’intérieur plusieurs hypothèses « cela tient à la nature du travail des femmes de la campagne et surtout au travail de lavage et de blanchissage qui les expose à avoir les bras et les pieds dans l’eau et à respirer l’atmosphère de la surface des eaux[v] ». Dans son rapport final du 15 décembre, il reprend ces idées et achève son explication sur « l’insuffisance de vêtement » portés par ses administrées.
Il est vrai que les femmes sont davantage exposées au contact du vibrion que les hommes. Nous savons maintenant que ce bacille se propage dans l’eau et qu’il survit des mois dans les tissus infectés et humides. Les dernières découvertes montrent que cet agent pathogène persiste au-delà de sept semaines dans la sueur. Or ce sont les femmes qui soignent les membres de leur famille frappés par la maladie et vont assister les moribonds solitaires dans leur agonie.[vi]Elles nettoient au lavoir leurs linges souillés ; elles sont chargées d’approvisionner la maisonnée en eau qu’elles vont chercher au puits le plus proche. Cette eau sert autant pour la boisson, la cuisine qu’au nettoyage. Le seul moyen de contracter le vibrio cholerae est de l’intégrer par voie orale. Si les règles d’hygiène, élémentaires de nos jours, lavage des mains et eau bouillie, ne sont pas respectées, la contamination demeure aisée. Il suffit de toucher la main du malade, ou un objet qu’il a tenu... L’ensemencement des cours d’eau, et même des puits, se produit lors du lessivage des tissus et des vêtements imprégnés des vomissements et des fèces d’un cholérique.
Si les activités domestiques quotidiennes prédisposent les étampoises à être attaquées par le miasme asiatique, leur nombre sensiblement supérieur à celui des hommes ne permet pas d’affirmer que l’épidémiologie a un caractère sexuel préférentiel. Il est indispensable de mettre ces chiffres en relation avec une analyse des structures de la population de cette ville, telles qu’elles apparaissent dans le recensement de 1831[vii]. Tout de même, la mort emporte plus facilement les femmes (169 sur 376 malades, soit 44 ,6 % que les hommes (127 sur 314, soit 40,3 %).
Jeunes, adultes ou personnes âgées ?
Les calculs établis par Boivin montrent que l’épidémie qui a sévi à Etampes pendant six mois a frappé les jeunes : 7 % des décédés cholériques ont moins de quinze ans, 53 % des morts concernent les adultes entre 26 et 60 ans, 33 %des personnes âgées de plus de 61 ans. Il semble nécessaire de confronter ces pourcentages à ceux d’une année de référence, 1830, en reprenant les tranches d’âge fixées par l’administration préfectorale de 1832. En 1830, 35,5 % des trépassés ont moins de 15 ans, 24,3 % entre 26 et 60 ans (plus du double pendant le choléra !) et 34,7 % de plus de 61 ans. Les jeunes entre 16 et 25 ans représentent dans les deux cas, environ 6 °/. Cette comparaison confirme les premières constatations : les ravages du choléra s’exercent particulièrement chez les adultes et peu chez les enfants.


On peut se demander si la répartition saisonnière des décès laisse apparaître des mois plus meurtriers que d’autres, et des classes d’âge plus particulièrement atteintes à ce moment-là. Bien qu’elle soit très fluctuante d’une année à l’autre, on observe à Etampes, un long maximum en hiver et une pointe secondaire en septembre-octobre, comme dans de nombreuses villes françaises[viii]. En automne, les personnes âgées présentent une plus forte morbidité.
La pyramide des âges des 196 disparus entre le 1ier et le 21 mai témoigne d’une manière plus explicite des âges au décès les plus fréquents, et cela, par tranches d’âges de 5 ans. Ce diagramme présente des distributions différentes de la pyramide des âges au décès de 1830. Une première remarque s’impose : il n’y a pas d’hécatombe d’enfants de moins de 5 ans pendant l’acmé de l’épidémie. Seuls, deux garçons et sept filles n’ont pas été épargnés. Par contre les morts-nés sont nombreux, cinq entre le 4 mai et le 18 mai, alors que les années précédentes, durant ce mois, ils restent rares (deux en 1825 et 1828, un en 1827 et 1831, aucun en 1836-1829 et 1830). Le fléau s’attaque aux femmes biologiquement plus fragiles, aux futures mères. Une seule journalière de Dourdan, soignée à l’hospice a suivi son enfant mort-né dans la tombe.
La surmortalité masculine n’apparaît qu’entre 25-30 ans, 35-40 ans. La tranche d’âge la plus touchée est celle des 55-60 ans : seize de ses Etampois n’ont pas survécu à la maladie. Ce chiffre est encore plus impressionnant quand on le compare à celui des mois de mai antérieurs, cinq au total depuis 1825 ! C’est à dire que dans les vingt et un jours de mai 1832, il est mort trois fois plus d’hommes de 55-60 ans que pendant les sept années précédentes. La confrontation de ces mêmes données corrobore les observations du docteur Bourgeois : « un grand nombre de vieillards en furent victimes[ix] ». Pendant la période analysée, dix-neuf hommes de plus de 70 ans périssent alors que depuis 1825, on n’en compte que dix-sept.
Le choléra attaque les femmes à l’âge adulte, comme les hommes, c’est-à-dire entre 25 et 60 ans, mais pour elles, les maxima se situent entre 30-35 ans, 40-45 ans et 50-55ans. De même que les Etampois, elles sont particulièrement frappées entre 55 et 60 ans. Pourtant, rarissimes sont celles qui sont frappées en mai, depuis 1825, six en sept ans. Les habitantes de la commune, âgées de plus de 70 ans, ont comme leurs congénères, payé un lourd tribut à l’épidémie (20 cas).
Comment expliquer que proportionnellement, les adultes de sexe masculin ou féminin aient été les proies favorites du choléra ? Quelques hypothèses peuvent être formulées. Les personnes les plus exposées aux ravages du fléau sont celles qui entrent aisément en contact avec le vibrion, et surtout qui ne présentent pas suffisamment de résistance physique, vivant dans des rues insalubres et pratiquant peu d’hygiène. La surmortalité cholérique serait donc fonction des conditions sociales et économiques.
Artisans et ouvriers, ou rentiers et bourgeois ?
Le rapport du maire met en évidence que le choléra a sévi dans les classes défavorisées, 85 %° des morts étant des artisans et des ouvriers. Les rentiers et les bourgeois sont peu atteints, 10,5 %, et les cultivateurs quasiment épargnés, 4,5%. Ces catégories fixées par l’administration manquent de précision, mais dressent une classification socio-professionnelle d’une société à partir des déclarations de membres de la famille, des voisins, ou des renseignements obtenus par des commissaires publics ce qui entraîne une part d’incertitude et d’arbitraire. Dans cette étude, trois types de sources manuscrites, datant du même mois ont été confrontées. La profession peut varier d’un acte, d’une liste à l’autre : par exemple, Pierre Dabouard, tombé malade le 7 et décédé dans la journée, habitant rue Basse-de-la Foulerie, est déclaré « mégissier » à l’état civil, « journalier dans le besoin » par le commissaire du quartier ; l’année précédente, il est noté simple « ouvrier mégissier ». Que dire du cas de Catherine Céleste Joannest, « rentière » dans la liste établie par le service médical, et, « ancienne domestique » par Marcou Banouard, enquêteur envoyé par Boivin. Quel crédit accorder à ces écrits ? Un autre écueil surgit : l’officier d’état civil ne mentionne pas la profession des décédés dans 63% des actes. Comme pour les enfants, on est obligé de se reporter au métier du père ou du mari. Malgré tout, on peut essayer d’appréhender quelles catégories socio-professionnelles ont eu la prédilection du vibrion, et celle qu’il a dédaignées.
Les notables bénéficient d’une quasi immunité. Aucun magistrat, ni Etampois exerçant une profession libérale, ni négociant ne meurent. On peut se demander si les habitants aisés ont fui la ville, car, eux, n’ont jamais douté de l’existence de la maladie. Un document existe attestant de la présence de certains pendant l’acmé, mais peut-être ont-ils envoyé leurs femmes et leurs enfants à la campagne pour éviter toute contamination. Dès le 2 avril, M. Poilloüe de Saint-Périer propose l’ouverture d’une souscription destinée à secourir la classe indigente. Les archives municipales conservent l’original avec la signature des donateurs précédée de la date à laquelle ils ont donné de l’argent. On constate que la plupart des versements ont été effectués durant la deuxième semaine de mai. Cinquante-cinq noms y figurent, évidemment le sous-préfet, le procureur du roi, le président du tribunal, le maire, les notaires... également vingt-sept propriétaires. Pas un docteur, ni un élève en médecine n’ont été touchés par la maladie. Ils semblent convaincus que le choléra n’est pas contagieux. Camille Martin termine sa thèse en relatant une expérience faite par l’un d’eux pour étayer leur opinion : « M. Terrada... s’est introduit dans le rectum, le colon, etc. avec une seringue, la matière des déjections alvines d’un cholérique qui est mort, et M. Terrada n’a pas été atteint du choléra.[x] En tout cas, il n’en a pas succombé après avoir quitté notre ville, puisqu’il a soutenu une thèse de médecine le 24 janvier 1833, et une thèse de chirurgie le 20 juin de la même année[xi]. Par contre, des sœurs de la Congrégation de Notre-Dame ont contracté le vibrion et une en est morte en une journée, la sœur Gertrude, à l’âge de 29 ans. Dans une lettre du 21 mai, le maire remercie la mère supérieure du dévouement des « Dames de sa maison » qui ont assuré, en plus des soins à l’hospice, une permanence à l’ambulance Saint-Martin. Dorénavant, un médecin de Paris assure seul le service de nuit car les nouveaux cholériques deviennent plus rares. Le vicaire de l’église de Saint-Martin, Sudre Emmanuel, a été malade entre le 9 avril et le 15 mai. Aucun autre membre du clergé Etampois n’a présenté de symptômes du choléra et pourtant, eux aussi ont été en contact avec les agonisants quand ils leur donnaient l’extrême –onction.
Entre le 1eret le 21 mai, quatre hommes, que l’on déclare « propriétaire » succombent du fléau asiatique. Parmi eux, on trouve un membre du Conseil municipal, Pierre Gérosme, âgé de 75 ans. Quant aux femmes, seule, la veuve du notaire Goupy emportée par le bacille le 14 mai peut prétendre faire partie des familles fortunées. Six autres sont dites « propriétaire » ou « rentière » dans les manuscrits ; leur mari travaille: ouvrier-tanneur, horloger, cultivateur d'abeilles...
D’autres Etampois ont été préservés de l’épidémie, cette fois en raison de leur éloignement des lieux contaminés. Ils demeurent dans des quartiers périphériques ou dans des hameaux. Au Petit-Saint-Mars, sur 181 habitants, douze ont été malades, un seul décède ; dans le quartier Saint-Pierre, sur 606 personnes, vingt-cinq sont atteintes par le choléra et quatre en succombent ; quant à la rue du Perray, elle ne perd que six de ses 481 occupants. Le fléau asiatique n’a pas attaqué les écarts, tels que Le Chesnay, L’Humery, Charpeaux, Pierrefitte... Vraisemblablement leurs paysans ont évité de se rendre dans la ville moribonde pour rendre visite à un parent malade ou assister aux convois funèbres. Ainsi, ces travailleurs de la terre ont été sauvés. L’isolement de la campagne se révèle une protection efficace. Les trois jardiniers morts du vibrion vivent intramuros. Le seul cultivateur, Harmant Etienne dit La fouine qui en trépasse, réside au Pont Martine. Sa situation matérielle ne doit pas être bien brillante, car sa femme demande un secours en argent pour faire vivre leurs deux enfants. Il faut tout de même noter que cinq épouses de cultivateurs et deux de jardiniers expirent à cause du miasme indien.
Le gros des contingents a été fourni à Etampes par la classe laborieuse, l’indigence aggravant la réceptivité au bacille. Qu’ils soient ouvriers, artisans ou commerçants, leurs revenus sont modestes, si ce n’est incertains. La maladie et la mort du chef de famille, ou la maîtresse de maison mettent en péril l’économie du ménage. Le Chevalier de la Bigne, en recensant les patients du Petit-Saint-Mars, compte les jours durant lesquels les journaliers ont été privés de leur travail et donc, « d’entrée d’argent » en raison de la maladie. Par exemple, le dénommé Théodore Duperche, âgé de 34 ans, n’a comme moyen d’existence que son labeur. Avait-il quelques économies pour subvenir à la nourriture de sa femme et de leurs huit enfants pendant les quinze jours où il est resté cloué sur son grabat ? On peut en douter, le châtelain de ce hameau observe « une très grande misère » chez tous ces salariés. Et pourtant, une seule Etampoise est nommée « indigente » dans son acte de décès du 10 mai, Marie-Antoinette Petit, logeant Place Notre-Dame.
Il est intéressant d’établir la proportion de travailleurs morts selon leur métier. La catégorie la plus meurtrie s’avère être celle des ouvriers, 36% de morts : pour les hommes, vingt-cinq journaliers, cinq porte-faix, un ouvrier tanneur, un autre horloger et le dernier marbrier ; pour les femmes, seize journalières, quatre domestiques et une ouvrière ; les maris des dix-sept autres déclarent avoir cette sorte de gagne-pain. D’autres Etampois ont été aisément contaminés, leurs métiers les disposaient à entrer en contact avec l’un des vecteurs de l’épidémie, c’est-à-dire l’eau, il s’agit des gardes-moulins, des tanneurs, des mégissiers et des blanchisseuses. Ils représentent 8% des décès. Les différents artisans et commerçants travaillant dans l’habillement ont enterré au moins un des leurs : tisserands, couturières et fileuses, tailleurs d’habits, merciers, cordonniers, dont un sabotier, des perruquiers, des chapeliers. Les commerçants de l’alimentation ont aussi payé un tribut au fléau asiatique : 10°/° des trépassés : cinq boulangers, trois charcutiers, trois marchands de légumes, deux épiciers, deux pêcheurs, un « poulailler » et quatre aubergistes. Si beaucoup de cultivateurs ont été épargnés, les artisans liés à l’agriculture ont contracté le vibrion, leur atelier étant situé dans la ville : ce sont des charretiers, des charrons, des maréchaux-ferrants et un taillandier, sans oublier des mesureurs de grains ni des grainetiers ; l’ensemble représente 6,5% des disparus.

Le choléra s’avère bien être, d’une part une maladie qui s’attaque aux personnes particulièrement exposées aux agents propagateurs en raison de leur profession, et d’autre part, un fléau qui s’abat surtout sur les milieux misérables, un contaminé permettant la diffusion dans son entourage. La promiscuité, l’insalubrité de certains logements favorisent le développement du germe. La liste de malades établie par maison et par rue montre que bien souvent plusieurs individus d’un même ménage ont contracté le vibrion, le mari, la femme, la mère ou le père et un de leurs enfants...L’atmosphère malsaine qui règne auprès du moribond fait peser une lourde menace sur ses parents, alliés et même voisins. Certaines maisons ont été des foyers de l’épidémie : 3, rue Saint-Martin, Alfred Godin recense onze malades, répartis dans trois familles ; au 1, rue Basse-des-Groisonneries, Hamouy fils en compte huit. Ces exemples pourraient être multipliés dans certaines rues. Ces immeubles rassemblent-ils des Etampois fort démunis ou ont-ils dans leur cour un puits infecté ? Les deux hypothèses peuvent se conjuguer. On sait, grâce à l’état nominatif des personnes secourues dressé le 25 mai par Voizot pour le quartier Saint-Gilles, au nord de la rue de l’Etape-au-vin que trente-deux familles ont survécu grâce aux bons de pain et de viande. Dis demeurent rue Basse-de-la-Foulerie, six dans chacune des ruelles Basses-et-Hautes-des-Groissonneries. Tout indique que ces trois rues ont été proportionnellement à leur population, les plus touchées, un tiers de leurs habitants ont été malades. Seize convois mortuaires ont quitté la rue Basse, douze chacune des rues qui lui sont parallèles. Il ne faut pas oublier que ces rues longent la Chalouette, rivière où les femmes lavent, les hommes viennent chercher de l’eau pour nettoyer les peaux. De toute façon, l’indigence des habitants de Saint-Gilles est bien connue par les autorités, puisqu’ils nomment deux commissaires pour aider les plus pauvres.

Dans les autres quartiers, le nombre de morts par rue dépasse rarement l’unité, excepté à Saint-Basile où on en compte cinq, rue de la Cordonnerie, trois rue de la Plâtrerie, rue Saint Antoine et du Pont Queneau ; dans le quartier Notre-Dame, la rue Darnatal perd cinq de ses habitants, la rue du Puits-de-la-Chaîne quatre, la rue de la Tannerie, de l’Hospice et Mauconseil, trois. L’Hôpital n’a pas été un mouroir : huit « étrangers » y ont fini leurs jours, ainsi que quinze Etampois isolés, célibataires ou veufs des deux sexes. Dans le faubourg Saint-Martin, la rue la plus funeste reste celle de la Pirouette : sept des douze cholériques décèdent, ce qui représente un habitant sur sept.
Les deux grandes voies qui traversent la ville ont été épargnées proportionnellement à leur population : quinze victimes rue Saint-Jacques où demeurent 956 personnes, dix-huit rue Saint-Martin, où vivent 740 Etampois.
Un dernier point de la thanatologie reste à éclairer : combien de familles ont perdu un ou plusieurs membres ? Lesquels n’ont pas survécu à la disparition d’un être cher ? Treize ménages ont enterré deux proches parents. Deux cas se présentent : l’homme ou ma femme contamine son conjoint, une mère transmet le vibrion à sa fille qui la soigne, ou vice-versa. Six couples disparaissent. Ils ont un point commun, ce sont des personnes âgées. Prenons un exemple : au 10, rue de la Plâtrerie, Marie-Jeanne Coquentin, 71 ans, tombe malade le 30 avril. Camille Martin diagnostique le choléra mais ne peut la sauver. Elle décède le 3 mai. Ce jour-là, son mari, Jean-François Chicot, du même âge, présente les symptômes de la maladie et en est foudroyé en quelques heures. Affaiblis par une vie de labeur et leur grand âge, ils sont une proie facile pour le bacille, d’autant plus qu’ils cohabitent bien souvent avec la misère ! Les dépenses pour l’enterrement et la maladie des Chicot, au total 31 F, ont été pris en charge par la ville[i]. Deux couples sont un peu plus jeunes ; malgré tout, l’épouse qui a assisté son mari agonisant ne lui a survécu qu’une journée.
La mort est aussi expéditive entre les parents et les enfants. Au 4, rue Mauconseil, Catherine Céleste Joannest trépasse le 15 mai à 11 heures du matin et sa mère, Marie-Catherine Besthau à 10 heures du soir. La maladie se déclare très rapidement, l’incubation est d’environ 10 heures. Le chagrin, la fatigue et la peur prédisposent-ils à l’agression du vibrion ? Les cas mortels familiaux sont si peu nombreux dans notre ville, qu’il est difficile de discerner « une sensibilité génétique à la maladie[ii] ». Il faudrait retracer la généalogie des 786 malades étampois, sans oublier celle de leur parentèle...pour corroborer une telle hypothèse.
Les conséquences démographiques de l’épidémie
Cette épidémie de choléra qui a brisé notre ville pendant trois semaines, a-t-elle eu des conséquences sur les comportements conjugaux, bouleversé le temps des conceptions et des unions ? Pendant combien de mois en perçoit-on les séquelles ?
Le graphique ci-après permet de mesurer les conséquences démographiques du fléau indien. On se rend compte que le mouvement mensuel des conceptions, présente de fortes irrégularités. Malgré tout, comme dans les autres villes, on note un maximum en février et un creux en automne[i]. En 1832, le choléra ne fait qu’amplifier une baisse amorcée en mars. Le creux du printemps est, évidemment, concomitant à l’épidémie. Treize enfants ont été conçus en mai .Les mois suivants, leur nombre double. La reprise en fin d’année correspond à la récupération des conceptions retardées par l’épidémie et aux nombreux mariages célébrés en automne.
L’examen de la courbe du mouvement mensuel des mariages entre 1830 et 1833 permet de constater que le choléra de 1832 modifie le rythme habituel des unions. Avant d’étudier cette perturbation, une remarque s’impose : à Etampes, les interdits religieux sont bravés. On se marie pendant les « temps clos », Carême et Avent, donc en mars et décembre. Il ne faut pas oublier que la politique de déchristianisation mise en place en octobre 1793 par le représentant en mission, Jean-Pierre Couturier, a trouvé dans le district un terrain favorable. Depuis le milieu du XVIIIème siècle, les fidèles semblent refuser l’image du catholicisme donnée par un clergé proche du Jansénisme[ii]. Dans cette petite ville, le calendrier des travaux agricoles ne bouleverse pas plus la date des unions que celui de la religion. Les Etampois ne reculent pas la date de la noce de leurs enfants pour aider un parent cultivateur des environs, ou de la cité elle-même ! Depuis le début du dix-neuvième siècle, les écarts entre les mois semblent peu significatifs dans ces perspectives.
A partir d’avril 1832, la courbe décolle. Comment expliquer cette hausse ? Premier étonnement : au mois de mai, sept mariages sont célébrés ! Trois le 7, et deux le lendemain. Traditionnellement, Louis Narcisse Venard , premier adjoint au maire ne procède qu’à une cérémonie par jour. Il faut se rappeler que les publications doivent être affichées deux dimanches consécutifs, à la mairie[iii]. En l’occurrence cela signifie que les démarches en vue de ces alliances ont été entreprises avant l’attaque foudroyante du vibrio-cholerae sur Etampes. L’officier public a convoqué les futurs conjoints et leur famille, le 7 et 8 mai. Venard « se transporte » à 10 heures du matin, avec quatre témoins, au 2 rue du Pont Quesneau au domicile d’Augustin Davoust. Ce charron veut épouser Louise Marquand avec qui il habite depuis des années et reconnaître la petite fille « née de leurs œuvres » le 27 octobre 1829. La première publication a eu lieu le 13 mai, mais vu leur état de santé, le Procureur du roi, Gabaille, accorde la dispense de la deuxième. Le 17 mai, « ils sont dans l’impossibilité absolue de quitter leur lit où ils sont retenus par la maladie du choléra morbus dont l’intensité met leurs jours dans le plus grand danger ». Trop faible, Augustin Davoust ne peut signer l’acte. Après le mariage civil, le curé de Saint-Basile, Buffet, vient officier. Les témoins ne sont pas les mêmes ; on comprend comment le miasme a pu se diffuser dans la population. Le 21 mai, Sédillon les trouve encore en vie ; il note cependant, dans le recensement, la gravité de leur état. Voilà dix jours que le docteur Bourgeois tente de les guérir. Davoust finit par succomber le 1er juin, à 5 heures du matin.
L’augmentation du nombre des mariages après l’épidémie peut avoir deux fondements, d’une part la simple récupération des unions retardées par la surmortalité, et d’autre part, le remariage des veufs et des veuves. A Etampes, le deuxième l’emporte et reste incontestable lorsqu’on analyse les actes de mariage jusqu’en décembre 1833. Dès août, deux veufs se remarient ; en septembre, on en compte onze sur dix-sept hymens ; les mois suivants, les secondes noces deviennent plus rares : une en octobre, quatre en novembre, deux en décembre et janvier 1833. A partir de mars, trois veuves, journalières d’une trentaine d’années, convolent en justes noces[iv]. Il apparaît comme dans toutes les études démographiques que le remariage des veufs est plus fréquent que celui des veuves. Journaliers, artisans et commerçants ont très vite trouvé l’élue de leur cœur pour s’occuper des enfants nés du premier lit, ou tenir boutique. Pour les veuves, l’âge, la progéniture et la fortune restent des facteurs discriminatoires. A partir de l’été 1833, les séquelles du choléra n’interviennent plus dans les mouvements saisonniers des mariages de la ville.
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Cette crise démographique due à l’irruption d’un nouveau bacille, a été, en réalité de courte durée à Etampes ; le vibrio cholerae a terrassé la ville pendant les trois premières semaines de mai. Cette surmortalité s’avère être pour l’historien, un terrain de recherche privilégiée en raison de l’abondance et de la diversité des sources qu’il peut inventorier. Il lui suffit de traquer les liasses poussiéreuses dans les archives, les greniers...de rassembler et d’analyser les nombreux courriers qui émanent de l’administration nationale, départementale et municipale, sans oublier les témoignages du corps médical[v]. Il peut ainsi appréhender la vie d’une cité pendant l’épidémie et les réactions de sa population.
L’épidémie de choléra a été un traumatisme pour les Etampois. Avant son irruption dans la ville, ses ravages dans la capitale y sont connus. Les fuyards colportent les nouvelles et la peur s’installe, avant que la terreur ne cloître ses habitants dans leur logement. Dans son ouvrage, le docteur Bourgeois souligne l’incrédulité du peuple ; pour ce dernier, la maladie n’existe pas : « C’était une invention du gouvernement qui employait des moyens criminels pour se débarrasser des pauvres gens ... c’est drôle, ça ne prend pas que les ouvriers[vi]». Dès le 7 avril, alors qu’aucun Etampois n’a encore succombé au fléau, une lettre de Boivin dénonce l’état d’esprit qui règne dans la ville : « des bruits aussi absurdes que peu fondés sur l’empoisonnement de puits à l’extérieur avaient jettés l’alarme auprès de ses habitants, mais ces craintes n’ont eu aucune suite ; et vous-même, M. le Sous-préfet par votre présence dans certains quartiers de la ville, entre autre chez quelques boulangers, vous n’avez pas peu contribué à calmer les esprits ».
Au milieu du mois d’avril, la ville est, de nouveau, tranquille, la peur s’estompe. Pas pour longtemps car début mai, pour prévenir la diffusion du miasme dans l’air, d’immenses feux de bois de genièvre sont entretenus jour et nuit, obstruant les rues, de vingt pas en vingt pas. Les hommes ressortent leur prophylaxie ancestrale, l’amulette ! « On voyait encore un grand nombre d’individus se suspendre au cou, en guise d’amulette, un tube de plume rempli de mercure et cousu dans un petit morceau de drap écarlate [vii] ». L’ail disputait au camphre la propriété de conjurer le mal. Le docteur Bourgeois ne voyait aucun inconvénient dans ces pratiques, elles peuvent rassurer le public. Il souhaite aussi que les activités continuent pour éviter que l’unique sujet de conversation soit la mort foudroyante causée par cette nouvelle calamité.
Peut-on imaginer une ville morte dans laquelle les habitants se terrent derrière leurs volets clos ? Les seuls bruits qui leur parviennent restent le crépitement des feux purificateurs, et de temps en temps les roues d’une voiture sur le pavé. Le son familier des cloches a été interdit. Qui voient-ils circuler ? Les journaliers qui entretiennent les feux, le curé qui vient administrer l’extrême onction et réapparaît avec les porteurs de cercueil, les médecins en qui ils n’ont pas confiance. Les seules personnes qu’ils accueillent avec joie doivent être les commissaires chargés de distribuer les secours. Munis de bons, les rescapés courent chercher leurs livres de viande, de pain ainsi que les médicaments. Tant que les établissements « industriels » ne réouvrent pas, ils n’ont aucune entrée d’argent, seule l’action de la municipalité leur apporte un réel réconfort.
Cette surmortalité cholérique révèle également le comportement et la mentalité des notables. Le docteur Bourgeois reconnaît que peu ont abandonné la ville, ce qu’a confirmé l’étude de la souscription ouverte le 2 avril. Sous la férule du maire, ils ont participé au côté du corps médical et du conseil municipal à la lutte contre l’épidémie[viii]. Ils ont tenté d’atténuer les inégalités sociales face à la mort, de « rendre moins cruel le sort des indigents encore plus douloureux qu’en tout autre circonstance[ix]...Il faut admettre que Jean-Gilles Boivin a un remarquable sens de l’organisation. Il sait prendre des décisions pertinentes et les mettre en exécution très rapidement : lorsque le fléau asiatique explose la première semaine de mai, immédiatement, il demande les secours de médecins parisiens ; dès que la mortalité décroît, il envisage, en accord avec les praticiens, leurs départs. Ribes et Souchières quittent Etampes le 26 mai, chacun avec une médaille en or « qui assurera à la postérité la preuve des services » qu’ils ont rendus à la ville[x].

L’action du maire n’a pu être efficace que par le soutien actif qu’il a reçu du sous-préfet et de tous les concitoyens qu’il a convoqués à l’Hôtel de Ville. Son entente semble totale avec le sous-préfet. Lors que Foye doit partir à Paris le 15 mai, il vient d’apprendre que son épouse est atteinte du choléra. C’est Boivin qui rédige et envoie au préfet les rapports sur la marche de l’épidémie dans l’arrondissement[xi]. Leurs actions se complètent pour obtenir de prompts secours de Versailles et de Paris. Les informations circulent très vite rue des Marionnettes... Foye a dû se réjouir lorsqu’il a appris que son ancien collègue a été nommé par le roi Louis-Philippe, chevalier de la Légion d’honneur[xii]. Quant aux conseillers municipaux, ils ont participé activement au sauvetage de la ville, nous l’avons vu. Les réunions à la mairie semblent fréquentes. Seul leur état de santé ou la maladie d’un parent les empêchent d’assister à une commission : le 11 mai, Maugars écrit « la position inquiétante dans laquelle se trouve mon épouse me force à rester près d’elle », quant à Dramart, il doit soutenir moralement les parents de sa cousine, Mlle Bruère qui agonise (en effet, elle meurt à 8 heures du soir).
Dans son rapport, le préfet résume leur action : « Mais ce qui a été plus efficace encore que l’argent, c’est le dévouement des hommes pour leurs semblables et l’empressement généreux que toutes les classes qui jouissent des commodités de la vie ont montré pour soigner les malades des classes qui n’ont d’autres soutien que leur travail journalier ». « L’admirable dévouement », « le zèle infatigable » de la classe aisée ne sont-ils pas leur seul espoir de survivre après la disparition du fléau ?
La France subit jusqu’à la fin du XIXème siècle d’autres épidémies de choléra très meurtrières. Etampes est touchée de plein fouet par celle de 1849, 158 individus en succombent. En 1854, la ville est pour ainsi dire épargnée ; l’officier d’état civil n’enregistre que 12 décès cholériques[xiii]. La population connaît le fléau, la peur est là mais peut-être pas la terreur. Ces surmortalités troublent moins la vie économique et sociale de la cité. Il est difficile de suivre l’éclosion et le développement du bacille, l’administration municipale n’a pas conservé ses lettres avec le département : ses relations avec le corps médical semblent moins étroites. Le choléra de 1832 reste bien la dernière épidémie traumatisante d’Etampes.
Marie-Thérèze Larroque
Sources manuscrites
I Archives Nationales
.F7/ 9731 (1.2.3.), F7/9732 (1-2), F7/ 9733, F7/9734 (1.2.), F7/9735 (1.2.), F7/9736 (1.) : Police générale, correspondance relative au choléra de 1832.
.AJ/16- 6770 Faculté de Médecine de Paris, dossiers des étudiants classés par année de soutenance de , 1833
II Archives de la Faculté de médecine de Paris
. Fichier des docteurs ayant soutenu leurs thèses en médecine et en chirurgie à la faculté de Paris
III Archives de la Grande Chancellerie de l’ordre de la Légion d’honneur
. Ordonnance de Louis-Philippe en date du 21 juillet 1832
IV Archives départementales des Yvelines
. 1 M 4, Personnel administratif, préfets et sous-préfets.
. 3 M 2/4 Distinctions honorifiques, dossier Justin Bourgeois.
. 7 M, Hygiène et salubrité publique
-7 M 1, Commission de salubrité, conseils d’hygiène départementale et d’arrondissement, commissions sanitaires des arrondissements.
-7 M 22, Personnel médical ; listes numériques : application de la loi de ventôse an IX sur l’exercice de la médecine (liste par canton)
-7 M 48, Choléra de 1832 Tableaux hebdomadaires des victimes du département ; arrondissement d’Etampes entre le 17 avril et le 15 octobre. Rapports aux ministères de l’Intérieur et du Commerce
-7 M 49, Rapport général du préfet avec statistiques. Renseignements généraux sur la marche et les effets du choléra-morbus, tableaux par arrondissement et commune.
-7 M 50, Rapport de médecins.
-7 M 51, Dépenses engagées : subventions aux commune et paiements des médecins.
- 7 M 56, Epidémies et mortalité ; les médecins de épidémies.
V Archives départementales de l’Essonne
. 3 P 708 Cadastre d’Etampes, Etat des sections.
.Inventaire général des archives de l’Hospice d’Etampes en date de 1865
VI Archives municipales d’Etampes
. 1 D 20, Registre des délibérations du Conseil municipal entre le 26 juin 1827 et le 20 décembre 1834.
. 2 D 3, Registre des arrêtés du maire entre le 1ier juin 1822 et le 11 octobre 1834.
. 3 D 5, Registre des correspondances entre le 15 juillet 1830 et le 24 octobre 1833.
. 1 E, Registre d’état civil : naissances, mariages, décès entre 1835 et 1835.
. 1 F, Dénombrement de la population d’Etampes 1831.
. 5 J, Hygiène et salubrité publique.
. 4 M, Mercuriales
. Fi Plan des rues d’Etampes 1815 (lacunes).
VII Archives paroissiales (Presbytère Notre-Dame)
. Registre des actes de baptêmes, mariages et sépultures pour les paroisses de Saint-Basile et Saint-Quentin-de-Brières-les-Scellés 1831-1832
. Registre des actes de baptêmes, mariages, sépultures de la paroisse Saint-Gilles 1831-1832.
. Registre des actes de baptêmes, mariages, sépultures de la paroisse Notre-Dame, 1829-1832.
Sources imprimées
Bourgeois J., « D’une épidémie particulière de suette concurremment avec celle du choléra, en 1849 in Archives générales de médecine de Paris, Mélanges épidémies, 3ème série, Paris 1849
Bourgeois J., « Coup d’œil sur les deux épidémies de choléra asiatique qui ont sévi à Etampes et dans son arrondissement pendant les années 1832 et 1849, Le Puy, 1851.
Martin C., Considérations sur le choléra morbus épidémique, observé à Etampes (Seine-et-Oise) pendant le printemps et l’été de l’année 1832, thèse, Paris, 1833
Almanach royal et national, Paris 1832
Annuaire statistique et administratif du département de Seine-et-Oise, Versailles, 1832
Notes
[i] - Dodin A., « Une épidémie de choléra dans la vallée de l’Ecole : Courances et Dannemois » in Bulletin de la Société historique et archéologique de Corbeil, Etampes et du Hurepoix, 92ème année 1986, p 40
[ii] Bourdelais P., Raulot J.Y., Une peur bleue, histoire du choléra en France 1832-1854, Paris 1987, p 45 à 51.
[iii] Martin C., 1833 p 5
[iv] Toutes les lettres du maire d’Etampes, Boivin-Chevallier, ont été dépouillées aux archives de la commune. L’orthographe, la syntaxe et la ponctuation ont été conservées. Série 5 J
[v] 3 types de listes nominatives ont été déposés à la mairie en 1832
-
Liste manuscrite en tête du registre des décès de 1832. Nom des morts cholériques jusqu’au 8 mai
-
21 feuilles énumèrent ls morts cholériques à Etampes entre le 30 mars et le 21 mai. Liste non signée à l’en-tête du service médical du canton d’Etampes. Y sont précisés : nom, prénom, âge, profession, nature de la maladie, jour ou date de la mort.
-
38 feuilles imprimées recensent « les personnes attaquées de la maladie cholérique depuis l’invasion».y figurent le nom de la rue, le numéro de la maison, nom, prénom, surnoms, sexe âge, profession, nature et degré de la maladie, dates (du début, du décès, de la convalescence), moyens d’existence ( du malade, de la famille du défunt), enfants ou familles.
-
18 Etampois ont quadrillé la ville pour compléter ces imprimés avant le 22 mai 1832
[vi] Boivin a rédigé un projet de lettre attestant le zèle de C. Martin pendant l’épidémie. Ce bout de papier, un brouillon est conservé dans la série 5J. Le certificat a dû être joint au dossier de thèse du futur médecin.
[i] Archives nationales, AJ 16 6770 et fichier de la faculté de médecine de Paris
VIII Archives départementales des Yvelines dossier dans la liasse 7 M 48
[iii] Bourdelais P., Roulot J.Y., 1987, p 66 à 75
[iv] Leca A.P., Et le choléra s’abattit sur Paris, 1832, p 81
[v] La rue Haute-des-Groissonneries correspond à la rue Auguste Petit ; la rue Basse-des-Groissonneries à la rue Brunard ; la rue Basse-de-la-Foulerie est devenue la rue Paul Doumer
[i] Archives départementales de l’Essonne, inventaire général des archives de l’hospice d’Etampes, série F p 229
[ii] Bourgeois J., 1851 p 29
A.D.Y., 7 M 48
[iv]A.N., F 7 9732 (2), Lettre du préfet au ministre de l’intérieur en date du 19 juin 1832
[v]Bourgeois J., p 28
[vi] Bourgeois J., 1849, p 3 à 6
[i] Rollet C. et Souriac A., «Le choléra de 1832 en Seine-et-Oise « in Annale E.S.C, 29ème année N° 4 1974, p 945
[ii] Bourgeois J., 1851, p 20
[i]A.D.Y., 7M 49
[ii] Bourgeois J.1851, p 20
[iii] Bourdelais P. et Roulot J.Y., La marche du choléra n France, 1832 et 1854 « in Annales E.S.C. , 33ème année n°1, 1978, p127
[iv] - Lors de la séance du 15 juin, le conseil municipal déclare que deux officiers publics préposés aux inhumations, Billard et Vincent n’ont pas les connaissances nécessaires pour constater le « genre de mort ». Les élus étampois décident de nommer un officier de santé dans ce but ; il recevra un traitement annuel de 300 F, le salaire des fossoyeurs passe de 300 à 200 F. Archives municipales 1 D 20, f° 116
[v] A.D.Y., 7M 49
[vi] Il s’agit de 5 mort-nés, de 22 enfants de moins de 2 ans et de 5 adultes. La veuve Guérin succombe trois jours après son mari. Ce dernier est bien mort du choléra ; Le commissaire de quartier indique qu’ils n’ont point vu de médecin.
[i] Bourdelais P. Roulot J.Y. in Annales E.S.C., 1978, p 126
[ii] A.M.E., 5 J, Lettre de Camille Martin en date du 28 avril, décrivant les symptômes de Hervé.
[iii] Mention faite par le chevalier de la Bigne, commissaire recenseur du Petit-Saint-Mars .
[iv] A.N., F7, 9731 (1)
[v] A.D.Y. 7M22 et AME 5J
[vi] Martin C., 1833, p 10
[vii] Sous la direction de Dupâquier J., Histoire de la population française, t. 3 de 1789 à 1914
[ix] A.D.E., 3P, 708
[x] A.M.E., 1 D 20, ,f° 93 et suivantes
[xi]A.D.Y., 7 M 49, La ville reçoit 4000 F du roi et du gouvernement pour secourir les indigents .La souscription ouverte le 2 avril à la mairie et les collectes faites par les membres du conseil municipal rapportent 5 824 F
[i] Dodin A., in BSHACEH, 1986, p 39
[ii] A.M.E., 2D3, f°165
[iii] Archives paroissiales
[iv] Les jeunes de moins de quinze ans n’ont pas été répartis selon leur sexe dans les statistiques demandées par l’administration préfectorale.
[v] A.N., F7 9731 (3)
[vi] Des Etampoises vont garder les malades chez eux ; d’autres sont de »permanence » dans une des ambulances. La femme Riquette reçoit 1,50 F pour une nuit passée dans celle de Saint-Martin. Le bon à présenter au receveur municipal, Lenoir, est signé par Mainfroy le 20 juin.
[vii] A.M.E., 1F 1831 Au recensement de 1831, Etampes compte 1876 garçons et 2137 filles, 1715 hommes mariés, 1720 femmes mariées, 162 veufs, et 49 veuves, au total, 8109 habitants
[viii] Dupâquier J., 1988, T 3, p 283-284
[ix] Bourgeois j. 1851, P 23
[x] Martin C., 1833, P11
[xi] Archives de la Faculté de Médecine de Paris, fichier des docteurs.
(XII) A.M.E., 5 J, La ville a payé 10 F pour les gardes de nuit et de jour pendant cinq jours, 14 F pour deux cercueils, 4 F pour les porteurs, et 3 F pour le fossoyeur. Martin a fait dix visites, mais il n’a pas fixé ses honoraires.
[i] Dupâquier J., 1988, t 3, p 366 à 368
[ii] Etampes-Histoire, Etampes en Révolution, Le Mée-sur-Seine 1989, p 154 à 165
[iii] Code civil, titre V, Du Mariage, chapitre II, Des formalités relatives à la célébration du mariage, article 63
[iv]Code civil, titre V, Du Mariage, chapitre VII, Des seconds mariages, article 228. Une veuve ne peut se marier qu’après dix mois révolus depuis la dissolution du mariage précédent.
[v] Nous aurions pu étudier aussi la presse locale, et, notamment, l’Abeille d’Etampes. Malheureusement, les premiers numéros ont été perdus. Or, ce journal paraît depuis 1811. A la Bibliothèque nationale, la collection commence en 1843. Aux archives départementales des Yvelines et de l’Essonne, les numéros conservés datent de la deuxième moitié du XIXème siècle
[vi] Bourgeois J., 1851 p 51-52
[vii] Bourgeois J., 1851, p 49
[viii]Sur les conseils du préfet et de la Commission de salubrité et de santé publique de l’arrondissement, le maire a pris des mesures préventives dès le mois de février 1832. Elles seront analysées dans un autre article, ainsi que les différents secours mis en place le 8 mai
[ix] A.M.E., 5J, lettre de Boivin au curé en date du 10 mai.
[x] Ces médailles en or ont été achetées par Baudet-Dulary, A la Crosse d’or, au 4, quai des Orfèvres .à Paris pour la somme de 291, 70 F. Les quatre élèves de médecine, quant à eux, ont reçu chacun la somme de 150 F.
[xi] A.D.Y., 7 M 48
[xii]Archives de la Grande Chancellerie de l’Ordre de la Légion d’honneur, ordonnance du 21 juillet 1832.
[xiii] L’épidémie de 1854 est pourtant la plus meurtrière en France, près de 150 000 décès lui sont imputés ; le choléra de 1832 a entraîné vers la tombe 94 666 personnes. Dupâquier J., 1988, t3, p.305. En 1854, Etampes est peu touchée par le fléau asiatique. Peut-être qu’un puits artésien a été enfin creusé. Dès le 13 août 1832, le conseil municipal « considère que pour la salubrité publique et l’irrigation des différents quartiers de la ville, la création d’un puits artésien présente des avantages in contestables... « . A.M.E., 1 D 20 f° 125 et 126.
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