« Sur le point de vouloir clore le présent procès-verbal, est comparu le citoyen Pierre Bertrand Simon, menuisier en ce lieu, lequel a déclaré qu’ayant connu la loi qui ordonne la destruction des armoiries et autres signes de l’ancienne féodalité, du fanatisme et du règne despotique qui vient enfin de disparaître, il était monté sur les cloches de l’église à l’effet de faire disparaitre plusieurs pareils signes mais qu’une affluence de femmes étaient survenues, l’auraient assailli à coup de pierres sans doute conseillées de ce faire par leurs maris, que ce qui a confirmé cette opinion, c’est qu’étant descendu de l’église, le nommé Boudon, vigneron, et Jacques Rose, son gendre, ancien domestique du précédent curé aristocrate renforcé (sic), l’excédèrent, savoir ledit Rose en le prenant par les cheveux, le terrassant et ledit Boudon en lui déchargeant un coup de valet de feu sur les reins, et en le qualifiant de gredin, de coquin, et qu’ils étaient fâchés de ce qu’il n’a pas été tué sur l’église, sans que lui déclarant ait donné le moindre sujet ni dit autre chose sinon qu’en descendant de l’église, animé d’avoir été assailli de pierres et de ce qu’on lui avait ôté l’échelle, il leur dit qu’ils étaient des gredins, coquins, rebelles à la loi ; il ajoute que, s’étant pourvu devant le juge de paix contre des hommes qui l’ont ainsi maltraité, le nommé Charles Leroy, vigneron, maintenant membre du comité de surveillance, bien loin de soutenir le patriotisme, s’était employé près du juge de paix pour faire trouver sa cause mauvaise, lequel ici présent avait écrit au nom de Jean Boudon et de Jacques Rose que c’était Simon Bertrand qui avait frappé le premier, et par les dits Boudon et Rose a été dit que ledit Bertrand Simon étant descendu de l’église très animé rencontra ledit Boudon, le traita de gredin et lui présenta une croix de fer qu’il tenait en mains comme pour le pousser, qu’à ce moment lui Boudon empoigna la croix dont il fut blessé à la main par le mouvement que fit ledit Simon en la retirant, et par Jacques Rose a été dit que, voyant que son beau-père saignait à la main , il le terrassa effectivement et que le holà[iv] succéda aussitôt par la survenance de plusieurs personnes ; lesquelles déclarations n’ont pas été contestées par aucune des parties, ni par aucun membre présent à l’assemblée [v] elles ont au contraire été confirmées par Nicolas Brou l’aîné qui était témoin oculaire de la chose, d’où il résulte toujours constamment vrai que ledit Simon, voulant exécuter la loi par la destruction des signes du fanatisme et de la féodalité, il a été excédé par une affluence de femmes à coup de pierres, qu’on lui a ôté l’échelle pour qu’il ne puisse plus descendre et que Prosper Rozière lui a rapportée, et qu’il n’était pas étonnant que ledit Simon, brûlant de patriotisme n’ait été animé contre ses assaillants, de tout quoi j’ai jugé [vi]que, par le silence de la Commune et du comité de surveillance ont tenu sur cette affaire et tiennent encore en ma présence, leur patriotisme n’est pas à la hauteur, qu’il doit être maintenu dans les circonstances où la république est entourée de tyrans coalisés de toute l’Europe pour la déchirer, en conséquence j’ai destitué le conseil général de la Commune ainsi que le comité de surveillance et de suite je les ai réorganisé Révolutionnairement. »
Cet épisode en dit long sur les tensions qui s’expriment pendant la Révolution au sein des communautés villageoises. Les registres de délibération municipale sont souvent pudiques à ce sujet, mais ce n’est pas le cas à Breuillet. Dans ce village de vignerons, on a la tête près du bonnet et l’on s’échauffe vite ; les élus municipaux, qui appartiennent majoritairement à la paysannerie moyenne, ne cherchent guère à masquer les conflits qui éclatent dans le village. La question religieuse est l’un des sujets de dispute. Il n’est d’ailleurs pas surprenant d’observer des attitudes anticléricales dans une population majoritairement composée de vignerons, dont l’indépendance d’esprit est bien connue.
Ce n’est pas la première fois que Pierre Bertrand Simon fait parler de lui. En juin 1791, un procès-verbal avait été dressé contre lui à cause « des injures et invectives que ledit Bertrand Simon ne cesse de proférer journellement et en public tant contre Dieu que contre la municipalité ». Il faut dire que le curé Fontaine, membre de l’assemblée municipale dès 1789 et peu favorable à la Révolution[vii] , intervenait fréquemment, tout comme son vicaire, dans la vie des villageois, notamment pour faire respecter le jour du Seigneur.[viii] C’est ainsi que le 6 janvier 1792, dimanche de l’Epiphanie, Charles Le Roy avait dressé procès-verbal contre plusieurs personnes venues boire chez la cabaretière Duperray « ce qui est contre l’ordre de la bonne police ».. Celle-ci l’avait alors invective et menacé de lui mettre une bonne volée s’il osait venir chez elle pendant le service divin pour verbaliser les contrevenants.
Les conflits entre les villageois tournent souvent à la violence comme on peut le lire dans les délibérations municipales.[ix] A la Pentecôte 1791, Pierre Bertrand Simon avait proféré des menaces publiques à la sorte des vêpres et « jusqu’à environ dix heures du soir » affirmant « qu’il tuerait toute la municipalité, qu’il passerait une balle à travers le corps du curé, qu’il avait joui de presque toutes les femmes du pays, que Dieu n’est qu’un Jean Foutre… ». Non content de faire scandale, il était allé jusqu’à terrasser le maire et le menacer de mort.[x] Il n’était pas le seul à user de violence. Un dimanche d’octobre 1791, la femme Grignard l’avait frappé à coup de bâton alors qu’il rentrait du pressoir avec une hottée de vin et lui avait mis la tête en sang avant de se calfeutrer chez elle…
La question religieuse divise profondément les habitants. Jusqu’au printemps 1793, la municipalité achète des surplis et des aubes, verse l’habituelle gratification au clergé pour la procession des Rogations, et, au mois de mai, accorde 50 livres pour la procession de Sainte-Julienne « ce qui était d’un ancien usage »… L’arrivée de Jean-Pierre Couturier marque une rupture. Pierre Bertrand Simon est nommé maire de Breuillet. En frimaire an 2 (novembre-décembre 1793), le curé et son vicaire renoncent à la prêtrise. Le presbytère est vendu comme bien national. En pluviôse (janvier 1794) les effets de l’église sont mis aux enchères et le produit de la vente est réparti entre 374 citoyens nécessiteux. Mais six mois plus tard, en messidor (juin), plusieurs citoyens se présentent pour réclamer le rétablissement du culte catholique. Ils obtiendront satisfaction un an plus tard.[xi]
Jean-Pierre Durand