Cet ouvrage publié en 1989 à l'occasion du bicentenaire de la Révolution Française est épuisé depuis longtemps. Il a sûrement vieilli car depuis les connaissances sur cette période ont progressé. Il représente pourtant la première tentative de synthèse sur cette période de l'histoire locale, et à ce titre peut être le point de départ de nouvelles recherches. C'est pourquoi nous avons décidé de le mettre à la disposition du public avec l'aimable autorisation de Lys Éditions Amatteis www.77livres.fr
Étampes en révolution (1789-1799)
Ce livre est le fruit d'un travail collectif, de la recherche à la rédaction et au choix des illustrations auquel ont participé:
Beaudouin Frédéric, Carenton Christian, Douchin Jocelyne, Durand Jean-Pierre, Feret Romuald,Gaillard Georges, Gelis Jacques, Goux Laurent, Hébert-Roux Françoise, Larroque Marie Thérèze, Magot Marie-Jo, Martin Michel, Robinot Claude, Slomovici Laurent, Vilfrite Bernard.
Avant-propos
Ce livre est né d'abord des circonstances
Les anniversaires sont souvent l'occasion d'une mise à jour, voire d'une réécriture de l'Histoire. L'approche du bicentenaire de la Révolution française n'était-il pas le moment idéal pour faire le point sur le déroulement de cet évènement majeur à Étampes et dans la région ? La Grande Révolution a beaucoup attisé les passions; et les Français se sont longtemps définis par rapport à elle: pour ou contre les idées qu'elle avait fait germer. Deux siècles après, quel est notre regard sur ce qu'ont vécu ces milliers d'hommes et de femmes dont les noms même sont aujourd'hui effacés de notre mémoire ? Peut-on vraiment se satisfaire de ces compilations hâtives qui empruntent aux érudits du siècle dernier les préjugés autant que la matière ?
Ce livre est donc né aussi d'un constat
L'histoire locale de la Révolution était à faire. Plus nous avancions dans notre travail, plus nous constations combien les études antérieures avaient vieilli. La seule publication sérieuse - sur les Cahiers de Doléances - avait plus d'un siècle. Un évènement majeur comme la mort de Simonneau avait bien donné lieu à quelques mises au point; mais les auteurs avaient parfois négligé de consulter les sources essentielles, quand ils ne s'étaient pas tout bonnement contentés de recopier les vues schématiques et les anecdotes de ceux qui les avaient précédés ! Combien y en a-t-il de ces "emprunts" inavoués ! Certains d'entre nous s'étaient rendu compte de cette indigence, lorsque, dans le cadre d'un mémoire universitaire, ils avaient été amenés à étudier la période. On pouvait y voir comme un défi Nous avons essayé de le relever, en allant aux sources de cette histoire; en consultant principalement les registres de délibérations du Conseil général de la commune, c'est à dire de la municipalité conservés aux Archives municipales d'Étampes: six gros volumes in-folio, bourrés d'informations, la plupart inédites. Nous avons complété cette documentation par la consultation de dossiers conservés aux Archives départementales de l'Essonne et des Yvelines; sans oublier mémoires de maîtrise et articles divers.
Ce livre est né enfin d'une volonté commune
Rendre à l'histoire locale la place qu'elle mérite. Cette histoire-là n'est pas un genre mineur, à condition qu'on la traite bien. Elle demande beaucoup de travail, de patience, d'humilité, et le titre honorable d'historien local ne se mérite qu'après une fréquentation assidue des archivs et des documents. Elle ne doit pas céder à l'anecdote gratuite, mais montrer comment les grands évènements nationaux viennent retentir dans la vie quotidienne de ceux qui en sont les témoins et parfois les acteurs anonymes. Ainsi échappera-t-on au cercle étroit des grands noms "qui font l'Histoire" pour mieux appréhender ceux qui la vivent. Ajoutons qu'aujourd'hui, parce qu'elle se veut globale et qu'elle implique des démarches diverses mais complémentaires, l'histoire locale ne peut qu'être collective.
L'Histoire n'est pas "un produit" comme les autres
Elle est pleine d'incertitudes et d'inconnues dues à la disparition des archives, à notre propre ignorance.
L'Histoire est création
Elle ne consiste pas à faire illusion en présentant sous des habits neufs des textes abusivement sollicités.
L'Histoire est vivante
Elle doit tenir compte des méthodes nouvelles, intégrer les acquits contemporains de la connaissance.
Cette recherche et cette écriture en commun de l'histoire d'Étampes pendant la Révolution ont été pour nous un enrichissement et un plaisir. Notre voeu est qu'à la lecture de ces pages vous partagiez l'entrain qui fut le nôtre, et que vous retrouviez deux siècles après, les espérances et les peines des hommes et des femmes de la région qui ont fait ou subi la Révolution.
Chapitre 1 - Étampes et sa région à la fin du XVIIIe siècle
A la veille de la Révolution, Étampes est une ville importante à la fois par sa population et par les fonctions qu'elle assume. Avec ses 7500 habitants, elle n'a guère de rivale: il faut aller jusqu'à Chartres, Orléans ou Melun pour rencontrer une cité concurrente. La ville est à la tête d'une élection dépendant de la généralité* de Paris et un subdélégué * y demeure en permanence. Chef-lieu d'un bailliage* étendu, auquel celui de La Ferté-Alais est rattaché en 1769, c'est en ses murs que se tiennent au printemps 1789 les assemblées qui élisent les représentants de la région aux États Généraux. Elle possède encore un grenier à sel* qui lève la gabelle*. Du point de vue religieux enfin; elle est le siège d'un doyenné relevant du diocèse de Sens, abrite dans ses murs plusieurs couvents et s'enorgueillit des deux chapitres* des collégiales Notre-Dame et Sainte-Croix.
Étampes fait bien figure au XVIIIe siècle de petite capitale régionale: elle entretient des liens étroits et multiples avec les campagnes environnantes dont la diversité est bien mise en lumière par les témoignages contemporains. Celui de Claude-François Boncerf, docteur en médecine à l'Hôtel-Dieu d'Étampes, est particulièrement précieux; son mémoire s'intitule "Observations et réflexions sur la topographie médicale d'une partie du Hurepoix, du Gâtinais, d'une partie de l'Orléanais et du pays Chartrain"; il est adressé, le 1er juin 1788, à l'Académie royale de Médecine, dont Boncerf est correspondant. Sa description des campagnes est riche de détails significatifs. L'examen des plans d'intendance dressés sur ordre de Bertier de Sauvigny entre 1778 et 1789 vient corroborer ses remarques.
Au sud et à l'ouest, "la belle et féconde Beauce"
Au sud et à l'ouest d'Étampes, écrit Boncerf, "il n'y a ni forêt, ni montagne (entendons colline); il y a seulement quelques bosquets de bois; il n'y a de vallée que celle du Grand Saint-Mars (de Chalo Saint-Mars, par opposition au Petit Saint-Mars à Étampes)... Toute cette étendue de terrain (...) est la belle et féconde Beauce." Dans ces plaines monotones où le peuplement est clairsemé, les blés règnent en maîtres: les terres labourées y occupent plus de 80%, parfois même plus de 90% des finages *, ne laissant place ni aux prés, ni aux bois. Les cultures sont peu diversifiées car la proximité de la capitale les a réduites au rôle de greniers: c'est déjà une agriculture marchande et spécialisée: "les arbres fruitiers ne réussisent pas dans ce canton, ni les plantes potagères, mais avec leur blé et par le moyen de leur commerce, (les habitants) se procurent toutes les douceurs de la vie et ne manquent de rien". On élève aussi des moutons, ce qui explique la présence, principalement entre Angerville et Pussay, d'un important artisanat rural. Le docteur Boncerf évoque "ces fabricants de bas, c'est à dire des personnes qui font filer la laine, tricoter les bas et les apprêter". Les conditions de travail sont très insalubres, mais c'est là un appoint indispensable de ressources pour un prolétariat rural qui semble misérable. L'hiver, les femmes "se rassemblent dans des caves ou dans des écuries pour se faire compagnie et pour épargner du bois en tricotant." Ici, le bois est rare et cher et l'on est parfois réduit à utiliser le chaume comme combustible.
La Beauce est aussi le pays des grandes fermes dont les propriétaires sont nobles, ecclésiatiques ou bourgeois, souvent Parisiens. A proximité immédiate d'Étampes, les Célestins de Marcoussis, titulaires d'un des plus importants bénéfices ecclésiastiques* de la région, possèdent les fermes de Bois-Renault, d'Ardennes, du Pavillon de l'Humery, de Villesauvage et de Saclas, en tout près de 750 hectares ! Ils sont aussi seigneurs d'Ardennes, de Saint-Hilaire et Pierrefitte. Ces exploitations sont tenues à bail par de gros fermiers, véritables entrepreneurs de cultures, qui s'efforcent de concentrer entre leurs mains plusieurs esploitations, pratique dénoncée par Boncerf et plus tard par le cahier de doléances du Tiers-État d'Étampes, et l'abbé Dolivier de Mauchamps. Certains de ces fermiers seigneuriaux finissent dans la peau de bons bourgeois d'Étampes ! Quel contraste avec la condition des ouvriers agricoles et des petits paysans, décrits par Brayard; un inspecteur des manufactures, en 1787.: "Ce sont les fermiers et les seigneurs qui sont riches, le paysan n'a rien, pas même un enclos autour de son habitation pour y mettre paître une vache; aussi vit-il misérablement au milieu d'un pays fertile."
A l'est et au nord, la diversité des paysages et des activités
Si Étampes est un centre privilégié de collectage des produits de la riche terre beauceronne, un grand marché aux grains qui approvisionne régulièrement la capitale, elle se trouve aussi au contact de "pays" très différents: Hurepoix et Gâtinais. "Ces endroits sont remplis d'arbres fruitiers, de vignes; ils produisent d'excellents légumes de toute espèce" écrit Boncerf à propos des campagnes situées entre Étampes et la vallée de l'École. "C'est un pays extraordinairement varié par les montagnes, bois, coteaux, vignes, terres labourables et de mauvais prés le long de la rivière de Malesherbes ou d'Essonne, qui traverse ce canton." Les terres y sont moins riches mais mieux réparties, plus morcelées aussi, les contrastes sociaux sont moins violents; la population y est plus dense. La vigne, culture peuplante, est presque toujours présente, ocuppant parfois plus de 10% du terroir, comme à Boissy-le-Cutté. Les procès-verbaux d'arpentage révèlent aussi l'importance des terrains boisés. Friches, bois, marais et communaux couvrent partout plus de 20% du finage*. Le bûcheronnage fournit de l'ouvrage aux paysans, tout comme les carrières de grès ou l'extraction de la tourbe. Le Hurepoix, au nord d'Étampes, est lui-aussi boisé; la vigne y est également présente; à Saint-Sulpice de Favières, 9% des terres sont plantées en vigne. Cependant, les labours dominent sur les plateaux voisins, comme à Torfou ou Mauchamps: c'est un pays de transition entre Beauce et Gâtinais, animé par le trafic de la grand-route de Paris à Orléans.
A Étampes, le commerce et le pouvoir
C'est sur ce grand chemin de Paris, à mi-distance d'Orléans et de la capitale, qu'Étampes prospère. C'est l'axe vital de la région car les autres routes sont médiocres voire impraticables. Les paysans de Fontaine-le-Rivière, dans leur cahier de doléances, se plaignent de ne pouvoir conduire leurs grains au marché d'Étampes, tant les chemins sont mauvais. Les villages du Hurepoix et du Gâtinais situés sur la route de Ris à Fontainebleau sont unanimes à dénoncer son état lamentable. Quant aux liaisons transversales, comme celle de Milly à Dourdan, elles sont tout aussi médiocres et beaucoup moins empruntées. Sur la grand-route au contraire, les villages et les bourgs disposant d'un relais de poste, Étrechy, Mondésir, Monnerville ou Angerville, sont vivifiés par le passage: les foires et les marchés aux blés et aux laines de ce dernier sont très actifs; partout, les auberges abondent. Étampes bénéficie au premier chef de ce trafic intense: elle lui doit une partie de ses activités.
Lieu de convergence des produits de la terre, de transit sur "le plus grand passage du Royaume", Étampes est aussi lieu de pouvoir. L'absence d'harmonisation des circonscriptions sous l'Ancien Régime est trop connue pour qu'il soit nécessaire d'y insister longuement. La réforme de Calonne, en 1787, ajoute un échelon administratif supplémentaire: le "département d'Étampes et de Melun". En un sens, cette miltiplication des instances présente l'avantage, pour une bourgeoisie ambitieuse, d'augmenter le nombre des "places" et des "offices". Elle est aussi l'un des instruments de la domination exercée par Étampes sur "ses" campagnes: pouvoir économique certes, mais aussi fiscal, judiciaire, réglementaire et de police. Ce n'est d'ailleurs pas le seul: les titulaires des prévôtés * et autres châtellenies *, des justices seigneuriales de la région, font le plus souvent partie de ce petit monde des "officiers" *, fort influents en ville et à la municipalité, mais aussi dans tout le "plat pays d'Étampes". En revanche, il faut bien reconnaître que l'enchevêtrement des ressorts administratifs constitue aussi un obstacle: le terroir d'Étampes est véritablement haché par des limites artificielles. La généralité d'Orléans commence à la sortie de Méréville, et Chalo Saint-Mars appartient déjà au diocèse de Chartres. Les Étampois ont le sentiment d'être dans une sorte de cul-de-sac administratif: ils aspirent à constituer un ensemble homogène, où leur cité maîtriserait son espace et donnerait sa mesure...
Une ville qui s'ouvre
Depuis le Moyen-Âge, ce sont les murailles qui font la ville. A Étampes, trois paroisses se partagent l'espace clos à l'intérieur des remparts: Sain-Gilles, Saint-Basile et Notre-Dame; il y a là un territoire assez vaste et aéré, car les maisons groupées le long des rues possèdent presque toutes jardin et verger. A la veille de la Révolution, la guerre de siège est un vieux souvenir. L'entretien des murs a été délaissé depuis près d'un siècle: l'herbe pousse maintenant sur le chemin de ronde et les taillis ont pris progressivement possession des fossés. Les fortifications ont toujours fière allure, mais il ne reste plus que 5 des 8 portes qui gardaient autrefois les entrées de la cité. La porte Saint-Martin, qui donnait sur l'actuelle place de la Bastille, a disparu la première en 1771; la porte Saint-Jacques qui commandait au nord la route de Paris, a été rasée à son tour en 1775; la porte Saint-Fiacre qui débouchait sur le Marais, à l'est, vient juste d'être mise à bas. Mais si le contrôle des hommes qui entrent dans la ville a été progressivement abandonné au cours du siècle - il réapparaîtra avec la Révolution - le contrôle des marchandises, lui, demeure; les barrières d'octroi installées aux portes principales, ou à leur emplacement, permettent en effet de substantielles rentrées d'argent. La position de la ville "sur une des plus grandes routes de France rend ces barrières très intéressantes pour le gouvernement auquel elles produisent un million et demi de recettes par an", écrit l'auteur d'un "Précis en faveur de la Ville d'Étampes."
Étampes présente encore parfois l'image d'une ville médiévale. On y circule mal. Les rues sont étroites, souvent tortueuses, et elles se rattachent avec plus ou moins de bonheur aux deux grands axes sud-ouest/nord-est constitués par la grande rue et la rue basse. La grande rue est constamment animée par le passage des charrois et des hommes. Mais un goulot d'étranglement se produit régulièrement à la porte Saint-Martin, en arrivant à l'actuelle place de la Bastille; c'est la rue d'Enfer! Fort heureusement, en 1769, on perce la rue Neuve Saint-Gilles, ce qui améliore sensiblement la circulation. La chaussée est fréquemment défoncée et les embouteilages d'autant plus fréquents que le parcours est loin d'être rectiligne et les maisons nullement alignées ! Ce n'est qu'à partir de 1795 que les propriétaires de constructions nouvelles seront tenus de satisfaire à l'alignement. La nuit, les rouliers laissent leurs charrettes sur la chaussée sans éclairage, occasionnant des accidents. On se préoccupe bien d'éclairer les rues, mais avant la Révolution la pose de réverbères sans cesse évoquée par la municipalité est toujours différée.
Étampes est une ville propre, où le balayage et le nettoiement de la chaussée, au moins dans le centre, sont effectués deux fois par semaine; ce souci d'hygiène publique se perpétuera sous la Révolution. Mais la présence dans la ville, et surtout dans les faubourgs, d'animaux indispensables aux activités agricoles et aux charrois, favorise la présence dans les cours de fumiers nauséabonds; les miasmes y prolifèrent, surtout en été; et alors, gare à l'épidémie ! En 1761, une "fièvre putride et venimeuse" se déclara au faubourg Saint-Pierre, où la malpropreté des rues et la fermentation des fumiers avait "infecté l'air" et "vicié les digestions". Certains malades rendirent jusqu'à trente vers... L'épidémie fut jugulée, après l'enlèvement des fumiers et l'administration de remèdes. Le "médecin des Lumières" fit ses preuves, puisque finalement peu de malades trépassèrent.
Les temps changent, et les hommes aussi. A la ville héritée de l'époque médiévale, on préfère maintenant une cité plus ouverte sur la campagne. A partir des années 1770, les Étampois prennent goût à la promenade. Pour les satisfaire, on commence à aménager à la porte Saint-Jacques, en direction du Port, la promenade du Jeu de Paume: on trace des allées et une rotonde; on plante des tilleuls, sous lesquels s'installent chaque année les baraques de la foire Saint-Michel. Dix ans plus tard, c'est à l'est, entre la rivière et le marais, que l'on se plaît. A la belle saison, les gens aisés et oisifs font de "la Prairie" - l'actuelle promenade des Prés - un lieu de sociabilité à la mode. La Révolution poursuit cet aménagement des abords des anciennes fortifications, n'hésitant pas à détruire alors ce qui gêne la circulation: en 1793, en livrant l'ancienne porte Evezard à la pioche des démolisseurs, elle facilite l'accès à la place du Port, qui est nivelée et plantée.
Une ville de l'eau
Un chevelu de ruisseaux et de rivières, dont le cours a été pogressivement aménagé au cours des siècles, irrigue toute la ville. Régulièrement curées par les riverains, comme les règlements municipaux les y obligent, bordées d'aulnes, d'ormes, de peupliers et de saules, ces rivères conditionnent la vie des habitants de la cité. Étampes est une ville de l'eau. Une eau utile.
En un temps où "l'eau qui court" est chargée de toutes les vertus, la rivière fournit d'abord la boisson commune. Oh ! bien sûr, il ne faut pas y regarder de trop près ! "Quoique cette eau soit bonne, elle a cependant dans l'été un petit goût de vase ou d'herbes croupies. Il est hors de doute qu'elle s'altère dans sa course le long de la ville, attendu qu'il y a des latrines qui donnent dessus (...) Les personnes qui sont près de la rivière boivent de cette eau: ils font attention de la puiser de grand matin ou dans le temps des repas des ouvriers." Chaque jour, lavandières et ménagères font également usage de cette eau qui dissout paraît-il fort bien le savon et passe pour assurer une bonne cuisson des légumes. Un trop grand éloignement de la rivière fait préférer l'eau des puits domestiques, qui sont fort répandus; mais, comme partout, on se méfie beaucoup de cette "eau morte" des profondeurs, que l'on soupçonne toujours d'être contaminée.
Un certain nombre d'activités artisanales sont directement tributaires de l'eau de la rivière dont le débit reste constant toute l'année. Des moulins sont égrenés en chapelets sur le cours de la Louette, de la Chalouette et de la Juine. Les meuniers ne sont pas les seuls bénéficiaires de la rivière. Étampes en effet ne se contente pas de moudre les grains: elle travaille aussi la pâte à papier, les peaux et les toisons des moutons de Beauce. Mais si les roues des moulins à blé ou à papier contribuent à oxygéner l'eau par le brassage permanent auquel ils la soumettent, les mégissiers et les tanneurs la corrompent en y laissant tremper cuirs et peaux, en y jetant des restes de chaux et différents résidus de leurs métiers; et les amidonniers ne sont pas les derniers à la souiller, au point d'en rendre les abords nauséabonds au temps des chaleurs. Un contemporain "trouve fâcheux que les gens qui font ces métiers ne soient pas relégués au-dessous (en aval). La police qui se fait avec exactitude dans ce pays, ajoute-t-il, n'a aucune inspection sur ces métiers pour les empêcher de salir la rivière." La rivière-égoût ne date pas d'aujourd'hui...
Étampes et ses quartiers
Étampes est encore au XVIIIe siècle un agglomérat de quartiers parfaitement individuaiisés. Les paroisses Saint-Basile et Notre-Dame en constituent le coeur politique, alors que Saint-Gilles en est le centre économique; quant à Saint-Martin et Saint-Pierre ce sont essentiellement deux faubourgs ruraux, à l'écart de la ville proprement dite.
Saint-Basile et Notre-Dame sont les paroisses les plus huppées d'Étampes. C'est dans cette partie "haute" de la ville d'alors, à distance du monde du travail bruyant et diversifié, que résident la plupart des nobles, des grands bourgeois et des membres du haut-clergé d'Étampes: si nous y ajoutons les marchands et les artisans aisés, les rentiers du sol et les membres de l'administration royale, nous avons une image assez juste de la "bonne société" étampoise de l'époque, de tous ces gens de condition et autres privilégiés, "qui ne sont pas excédés de fatigue" , selon l'expression d'un contemporain.
Si le territoire de Saint-Basile qui englobe un bon tronçon de la grande rue est assez homogène, il n'en va pas de même pour celui de Notre-Dame, qui comprend, outre le quartier proche de l'église, deux vastes excroissances hors les murs: le faubourg Evézard ou faubourg des Capucins, et le Perray. Le premier s'étend au nord, entre la rivière et la colline du Mâchefer. En bordure de rivière, où le port est depuis longremps délaissé, s'étendent des marais potagers et des vergers. Le passage des charrois anime le faubourg depuis la porte Saint-Jacques, près de laquelle se trouvait encore il y a peu le cimetière Notre-Dame jusqu'aux Capucins; la "Maison neuve" marque ici la limite septentrionale d'une urbanisation un peu lâche. A l'est, au-delà de la Porte Saint-Pierre située au débouché de notre actuelle rue au Comte, une chaussée surhaussée et empierrée - d'où son nom de Perray - assure le franchissement des divers bras de la Juine et la traversée de la Prairie. De part et d'autre de la chaussée, on a construit depuis le siècle précédent des maisons dépourvues de caves, par crainte des montées d'eau.
Dans le quartier Saint-Gilles, sur la place de l'église, s'activent en permanence des hommes de force et de peine, qui montent et descendent des sacs, en un perpétuel va-et-vient des charrettes aux greniers. Ici vit une communauté solidaire de mesureurs * et de remueurs de grains, de portefaix et de tâcherons, travaillant dur dans la poussière des entrepôts. Un peuple fort en gueule, buvant sec, volontiers revendicatif, et qui, la Révolution venue, participe activement au débat politique au sein de la section du Midi.
Le mercredi se tient "le petit marché", où l'on vend légumes verts et secs, beurre, oeufs, fromages. Le samedi, "le grand marché" aux grains anime ce coeur économique d'Étampes et de sa région, qu'est alors la place Saint-Gilles. "On y amène du blé de toutes les parties de la Beauce, du Gâtinais, et même des environs de Chateaudun, de manière, , rapporte un contemporain, que cette ville peut être regardée comme un des principaux magasins ou greniers de la capitalle". Tout autour de la place et dans les rues avoisinantes, demeurent les marchands de blé ou blatiers, les meuniers fariniers et tous ceux qui, de près ou de loin, vivent du transport et du commerce: des céréales: regrattiers, bourreliers-selliers, voituriers et marchands de chevaux.
Les denrées vendues sont d'aillieurs extrèmement variées. A tout seigneur tout honneur: le froment est toujours la céréale la plus recherchée et bien sûr la plus chère. Mais il y a froment et froment. A Étampes, il en est de trois qualités: la première est le "bon blé", la seconde le "blé moyen", la troisième le "petit blé". Ensuite viennent le seigle, le méteil * dont il existe également trois qualités. L'orge est destinée aux boulangers et aux brasseurs, et l'avoine pour le picotin des chevaux. A côté des céréales, on vend ausi des pommes de terre rouges et blanches, des lentilles et des haricots, des vesces et des graines de chanvre, toutes ces "grenailles" vendues au boisseau de seize livres, enfin des foins et sainfouins, de la paille et de la filasse. Dans les périodes difficiles, où la disette menace de tourner à la famine, comme plus tard au printemps de l'an III, les céréales panifiables disparaissent du marché et sont remplacées par la fève des marais, la châtaigne et même le gland...
Le commerce des "bleds", entendons des céréales, est officiellement un marché libre où joue la loi de l'offre et de la demande: mais le grain est une denrée trop essentielle à la vie, il a été à l'origine de trop d'"émotions" dans le passé, pour qu'on puisse accepter de voir jouer pleinement la liberté de transaction. Aussi le commerce du blé est-il un commerce sous surveillance. Deux facteurs qui jouent dans le même sens viennent en effet perturber fréquemment un équilibre tojours fragile: la mauvaise récolte et la spéculation sciemment organisée. Malgré les premiers battages, les prix restent alors anormalement élevés, et les producteurs font l'année durant d'excellentes affaires... Les plus malins attendent patiemment la période de la "soudure" qui peut débuter dès le mois de mai, parfois avant. Les gros fermiers courent les marchés où les prix sont les plus avantageux. Pour eux, l'année de mauvaise récolte est une année de profits: ils ont moins à vendre, mais gagnent tellement sur chaque sac qu'au total ils s'y retrouvent largement ! Mais qui dit envolée du prix du grain, dit pain cher à l'étal du boulanger. En juin et juillet, il n'est pas rare que l'achat de la précieuse denrée, base de la nourriture pour le plus grand nombre, absorbe la totalité des revenus. Vient alors le temps des restrictions qui suscitent le mécontentement et la colère: et puis la rumeur court que certains font des "amas" pour affamer le peuple, que les "accapareurs" veulent exporter les grains à l'étranger... Lorsque la faim taraude les ventres, le moindre incident, la moindre altercation peut dégénérer. Les autorités locales essaient d'éviter qu'on en arrive à des extrémités: ils assurent la régularité des transactions et maintiennent l'ordre.
Les villes ayant marché, comme Étampes, Dourdan, Montlhéry, Angerville, sont tenues de faire respecter une réglementation qui impose de strictes conditions de vente. Si la doctrine libérale veut que chaque producteur-vendeur puisse écouler ses grains où bon lui semble, la police des grains exige que l'on effectue les transactions au marché et nulle part ailleurs. Il est formellement interdit sous des peines sévères de vendre et acheter à la ferme ou encore "sur montre" - c'est à dire sur échantillon - dans les auberges et autres lieux de rencontre. A plusieurs reprises, sous la Révolution, il faudra rappeler avec fermeté à ceux qui vont sur la route au-devant des producteurs pour leur acheter une partie de leur chargement qu'ils se mettent dans l'illégalité.
Chaque jour de marché, la municipalité dépêche place Saint-Gilles deux "appréciateurs de grains" qui, nommés chaque année, sont chargés de relever le prix des denrées vendues et d'en tenir registre: c'est en effet le prix moyen consigné chaque samedi sur le marché qui détermine pour la semaine le prix du pain chez le boulanger. Ces mercuriales sont régulièrement transmises à l'intendant et par son intermédiaire au gouvernement, toujours attentif aux fluctuations des denrées de première nécessité En période de crise, pour assurer l'ordre et parer à toute éventualité, la municipalité délègue sur le marché la force armée: gendarmes ou miliciens, puis à partir de 1789 gardes nationales et même troupes réglées.
Le marché d'Étampes draine la plus grande partie de la production du nord de la Beauce. Les cultivateurs viennent parfois de 20 à 25 kilomètres y apporter leurs cargaisons. En fin de matinée, ils déchargent leurs sacs qu'ils disposent "en piles" sur la place; le bord des sacs est roulé, de manière à faire apparaître le grain; l'acheteur doit pouvoir juger de la qualité, de la propreté de la marchandise. A la différence d'Arpajon ou Dourdan, Étampes ne possède pas de halles couvertes; mais il est probable qu'on protège les grains des intempéries grâce à des abris mobiles installés sur la place" déjà pavée, mais dépourvue d'arbres à l'époque. Dès que le marché est officiellement ouvert, en général à 13 heures, mais l'heure d'ouverture varie fréquemment pendant la Révolution, les transactions commencent; elles se déroulent selon un rite immuable, qui a pour but de ménager les intérêts de chacun; tout le monde en effet n'achète pas en même temps. Les particuliers - ceux qui peuvent cuire eux-mêmes - et la ville, lorsqu'elle veut faire des stocks, sont les premiers servis; puis vient l'heure des boulangers, enfin celle des marchands de blé. Ces derniers jouent un rôle important , car ils sont souvent les plus gros acheteurs; munis d'autorisations - les acquits à caution - visées par les autorités, ils revendent les grains aux régions déficitaires, à Paris surtout. De plus en plus, en effet, tout ce qui n'est pas consommé à Étampes et dans ses environs est dirigé vers la capitale; l'administration parisienne prend d'ailleurs l'habitude d'entretenir maintenant sur place des commissaires qui défendent ses intérêts. En année difficile, lorsqu'arrive la période de soudure, la ville d'Étampes confie elle-aussi à des commissaires dûment mandatés le soin de faire des achats auprès des vendeurs.
Au cours du siècle, on a pris progressivement l'habitude de faire voyager les farines plutôt que les grains. Étampes y trouve son compte puisqu'après blutage* elle conserve les sons servant à la nourriture des chevaux et des porcs. Mais la méthode profite surtout aux propriétaires de moulins, qui passent du travail des peaux et du papier à la meunerie. La profession de meunier est une profession "qui monte" au cours de la seconde moitié du XVIIIe siècle; Étampes avait dix meuniers en 1756; elle en a sans doute moitié plus à la veille de la Révolution.
Le travail des peaux et des toisons reste cependant une activité essentielle du quartier Saint-Gilles, la seconde après le commerce des grains. Tanneurs et mégissiers y ont leurs ateliers et leurs hangars. Le travail du cuir y a fixé aussi bon nombre de cordonniers, et celui de la laine y a attiré divers artisans du vêtement: tisserands, tailleurs et fripiers, en particulier la famille de Sulpice Constance Boyard, une "figure " de la Révolution à Étampes.
Le commerce des blés de Beauce et le transport vers Paris des vins de l'Orléanais font vivre un grand nombre d'hôteliers et d'aubergistes de la paroisse Saint-Gilles; aussi la plupart sont-ils installés sur l'axe autour duquel tourne l'essentiel de la vie économique d'Étampes, la rue Saint-Jacques. Marchands, voituriers et rouliers font étape dans ces auberges qui disposent de vastes écuries et de remises à charettes. Ils ont le choix entre les "Trois Rois", "l'Écu de France", "Le Duc de Bourgogne" ou encore le "Lion d'or" et les "Trois Marchands". Les dizaines de chevaux qui y trouvent asile chaque nuit y laissent une véritable mine d'or: le fumier qui va féconder les jardins et les champs des alentours!
Avec seulement 8,5% de la population, le faubourg Saint-Pierre constitue la plus petite paroisse d'Étampes; c'est en fait un faubourg très rural, né du passage, étiré le long de deux rues. Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, il vit du vin et du lait. La bonne exposition de son coteau, son sol bien égoutté font vivre une importante communauté vigneronne: d'après le tarif de 1756, 74 chefs de famille y travaillent la vigne, c'est à dire que près de trois vignerons étampois sur quatre (71%) habitent ce quartier. Mais les vignes, de petite taille, sont defaible rapport; bon an mal an, elles permettent tout juste de se procurer le nécessaire; et la crise générale de la viticulture à la fin de l'Ancien Régime n'arrange rien. Heureusement, il y a le lait, celui des femmes; les nourrices de Saint-Pierre accueillent chez elles de très jeunes enfants qu'elles élèvent en même temps que leur progéniture, enfants de familles étampoises, enfants parisiens surtout. Ce "nourrissage mercenaire", même s'il est peu payé, permet à bon nombre de ménages de surmonter les difficultés du temps. Mais les mauvaises conditions d'hygiène et les maladies font que bon nombre de nourrisons passent rapidement de vie à trépas. Aussi le bilan démographique de la paroisse est-il fréquemment négatif.
Mais Saint-Pierre, c'est aussi le Bourgneuf, ce grand domaine à la campagne, appartenant à Charles Jean-Marie de Valory, colonel d'infanterie, gouverneur et grand bailli d'Étampes en 1789. Un homme important donc; un gentilhomme ouvert aux idées nouvelles, possédant sans aucun doute à l'époque l'une des plus belles bibliothèques d'Étampes, et recevant volontiers chez lui les plus grands écrivains du temps, tel Voltaire.
A distance de la ville, et fière de s'en distinguer, gros bourg rural serré autour de son église, Saint-Martin est la plus grosse paroisse d'Étampes, avant Saint-Basile: un Étampois sur quatre y demeure. Mais c'est aussi celle où l'on trouve, à cause des maladies endémiques, le plus faible pourcentage de personnes âgées d'Étampes (4% de personnes de plus de 70 ans contre 7% ailleurs). Saint-Martin vit de la terre de Beauce,qui commence ici sur le plateau où ses nombreux laboureurs détiennent de riches parcelles. En 1756, ces cultivateurs qui possèdent au moins une charrue et un train d'attelage, représentent les trois-quarts de cette catégorie de propriétaires-exploitants à Étampes. La paroisse vit aussi de ses ouches, ces jardins gras et humides, qui fournissent en abondance des légumes que ses horticulteurs portent au marché de bon matin; elle vit également de ses vignes accrochées aux pentes les mieux exposées.
Aux activités agricoles dominantes qui donnent à Saint-Martin sa coloration de gros bourg rural, il faut ajouter le commerce des produits de l'élevage - c'est ici que l'on trouve le plus grand nombre de marchands-poulaillers d'Étampes - mais aussi les représentants de tous les commerces de bouche, sans oublier les nombreux artisans de toutes spécialités, qui permettent à Saint-Martin de vivre de manière tout à fait autonome par rapport à Étampes.
Saint-Martin, c'est aussi la route, celle d'Orléans. Les auberges et les cabarets, moins nombreux pourtant qu'à saint-Gilles, témoignent de l'importance du trafic. Le point faible se situe au passage de la rivière, au niveau de la rue Reverseleux. Le pont, étroit et surtout mal entretenu, est une gêne constante pour les lourds charrois qui l'empruntent; il faut constamment réparer les dégâts occasionnés aux parapets et refaire la chaussée dont le mauvais état compromet la bonne marche des convois.
Point de rencontre de régions différentes, Étampes en porte la marque dans le caractère même de ses quartiers. Saint-Martin et ses laboureurs, c'est déjà la Beauce et ses riches moissons; Saint-Basile, Notre-Dame et le faubourg des Capucins, avec leurs jardins, leurs vergers, les bosquets de la colline du Mâchefer évoquent le Hurepoix proche; quant à Saint-Pierre, avec son vignoble de côteaux, il "tire" sur le Gâtinais Mais n'était-ce pas déjà ce que soulignait Dom Fleureau, un siècle plus tôt, lorsqu'il parlait des portes d'Étampes et de leur correspondance avec les "pays" environnants ?
Une société contrastée
Au début des années 1780, Étampes est une ville aisée que l'expansion économique du pays a enrichi. C'est l'ensemble de la population qui a profité de la hausse à peu près continue tout au long du siècle du prix des céréales. Inégalement bien sûr ! Disons qu'avant la crise des dernières années de l'Ancien Régime, le pauvre y est un peu moins pauvre et le riche infiniment plus riche.
Deux documents permettent une approche de cette réalité sociale étampoise. Une enquête fiscale tout d'abord, le "Tarif" de 1756 qui recense tous les propriétaires, privilégiés ou non, avec indication de leur domicile, de leur profession et du "pied" d'imposition de leurs biens immobiliers. La nature même du document en montre les limites; tous ceux qui ne sont que locataires, tous ceux qui, domestiques, compagnons, manouvriers ou "brassiers", ne possèdent pas un pouce de terrain, n'y figurent pas. Tel qu'il est, le "Tarif" qui remplace avantageusement la taille*- à laquelle la ville royale a le privilège de n'être pas soumise - donne un bon instantané de la société étampoise de la seconde moitié du XVIIIe siècle. Une deuxième source viet compléter les données statistiques du "Tarif"; il s'agit d'un autre mémoire rédigé en 1785 par Claude-François Boncerf. Cette topographie médicale constitue une mine de renseignements sur la ville, les occupations des habitants, leurs manières de vivre, leurs mentalités à la veille de la Révolution.
La société étampoise apparaît alors fort contrastée. Un groupe restreint de "personnes de qualité", de gentilshommes, de titulaires d'offices civils et militaires, de chanoines titrés et de magistrats tiennent le haut du pavé. Tous ces Étampois qui "vivent noblement" ont un hôtel particulier dans la ville, et bien souvent "maisons des champs" dans les vallées des alentours; l'été venu, ils se retirent dans "leur campagne", pour profiter d'une nature dont il est alors de bon ton de vanter les charmes... Tous sont privilégiés de la fortune et du rang et bien décidés à le rester. Certains adhèrent aux idées nouvelles, sont ouverts à la connaissance scientifique et littéraire. Gageons que nombre d'entre eux ont souscrit à l'Encyclopédie, cette Bible des "Lumières". Ces gens "éclairés" ne dédaignent pas de fréquenter les bourgeois aisés de la ville dont la manière de vivre tend à se rapprocher de la leur et qui se piquent eux aussi, depuis le début du siècle, de belles lettres et de culture, tout en veillant avec efficacité à la direction de leurs affaires.
Ceux-là sont gens actifs; ils contrôlent la vie économique de la ville et sont de plus en plus désireux d'accéder aux affaires publiques. Certains, d'ailleurs, participent déjà comme notables à la gestion municipale. Partisans de la réforme fiscale et politique, ils ne peuvent que se réjouir de la décision royale de l'automne 1788: la convocation des États Généraux va enfin permettre de trouver une solution à la crise financière et de restaurer l'autorité de l'État. Sans doute y-a-t-il une marge entre l'artisan de quartier secondé par deux ou trois compagnons, et le chef d'entreprise qui donne du travail à 20, 30 ou 40 salariés.
La base de la pyramide est constituée par une multitude de compagnons et d'hommes de journée rémunérés à la tâche dans l'agriculture, l'artisanat et le commerce. Tous ont souvent bien du mal en ces temps de crise à joindre les deux bouts. Tous ont les yeux fixés sur ce baromètre qu'est le prix moyen du blé sur le marché. Ils sont les principales victimes de la crise qui frappe l'économie au cours de la décennie 1780. La hausse constante des prix, alors que les salaires ne suivent pas, la précarité de l'emploi leur font mettre toutes leurs espérances dans la réforme de l'impôt et le contrôle plus étroit du commerce des grains.
Les moeurs et les goûts évoluent de manière sensible durant le quart de siècle qui précède la Révolution. Traditionnellement sobres et économes, les Étampois n'échappent pas à cette transformation générale de la société française. Paris donne le ton, et on en adopte les modes. On raffole du café au lait; et les ouvrières elles-mêmes en prennent à leur déjeuner. D'une manière générale pourtant, la manière de se nourrir reflète bien les clivages sociaux. Les riches mangent bien; leur table est variée et ils ne regardent guère à la dépense. Les bourgeois, les marchands et les artisans aisés "mangent de bon pain, de la viande de boucherie, souvent de la volaille, des fruits et des légumes." Les salariés et gens de peine accompagnent leur pain bis de fromages, de légumes et de fruits, et quand cela leur est possible de viande de porc. La boisson constitue également un bon test de la disparité sociale; alors que les bourgeois boivent au repas des vins d'Orléans et même de Bourgogne, plus titrés, plus chers aussi, "ceux de la classe du peuple" consomment celui du pays, plus léger et se conservant mal: le vin des coteaux d'Étampes est un vin populaire.
En ce XVIIIe siècle finissant, les habitants d'Étampes, si l'on en croit Boncerf, sont "gais, polis, d'un bon caractère, serviables, jaloux les uns des autres, satiriques mais nullement vindicatifs; ils sont susceptibles de sciences, prompts à la répartie avec sagacité, mais ils sont enclins à l'indolence; ils aiment les armes, la musique, la danse; de manière que la gaieté paraît leur élément." Même si on soupçonne quelque complaisance dans cette peinture de la mentalité étampoise, nous sommes tout de même bien loin du cliché habituel sur la lourdeur de l'esprit beauceron.
De plus en plus, on se persuade de l'utilité de l'instruction: à Saint-Gilles, les soeurs de la Congrégation accueillent jusqu'à 150 enfants de la bourgeoisie étampoise. Malgré leur déclin, les Barnabites contribuent encore à former aux humanités et aux sciences. Mais, pour achever leurs études, les jeunes gens sont contraints de quitter Étampes, suivant en cela l'exemple de Guettard ou Geoffroy-Saint-Hilaire: "une grande partie des jeunes gens aisés, ainsi que ceux de la seconde classe" - les fils de bourgeois - se fixe à Paris dans différents états" souligne encore Boncerf. L'hémorragie des élites aspirées par la capitale, une constante depuis le Moyen-Âge, s'accélère.
Les attitudes devant la vie
Si les conditions professionnelles et sociales des Étampois sont d'une grande diversité, leurs attitudes devant la vie sont davantage à l'unisson; avec des nuances bien sûr. Comme dans toute la région parisienne, les comportements sont alors en train d'évoluer, et la Révolution accélère cette mutation.
Contrairement à ce que l'on imagine parfois, on se marie tard à cette époque. Les garçons convolent généralement à plus de 27 ans et les filles à plus de 26; et c'est là sans doute le résultat des difficultés d' "établissement" que rencontrent les jeunes gens. Un mariage à un âge aussi avancé diminue naturellement la période féconde de la femme, qui cesse d'avoir des enfants autour de 45 ans. Le plus souvent, on se marie "entre soi"; mais trois hommes ou femmes sur dix qui se marient à Étampes dans le dernier quart du XVIIIe siècle ne sont pas natifs de la ville.
A la veille de la Révolution, on enregistre environ 260 naissances par an. Dans le même temps, il meurt 280 personnes. Ce solde négatif a plusieurs causes. Et tout d'abord la baisse sensible du taux de fécondité, qui a d'ailleurs débuté bien avant 1789: une femme mariée entre 20-24 ans qui mettait 6 enfants au monde dans les vingt dernières années de l'Ancien Régime n'en a plus que 4 au début du XIXe siècle. La Révolution marque donc à Étampes, comme dans toute la région parisienne, une accélération de l'évolution vers les comportements contemporains. Le nombre de mariages ici n'est pas en cause - une soixantaine par an - mais bien la limitation volontaire des naissances. Car les "funestes secrets" sont connus des Étampois. Boncerf s'en fait l'écho, lorsqu'il souligne que la population de Saint-Basile, "habitée par des bourgeois et des gens aisés a diminué plutôt que d'augmenter, parce que les riches ne veulent qu'un certain nombre d'enfants". Et si la situation de la paroisse Saint-Pierre n'est pas brillante, "c'est (aussi) parce que les nourrices évitent de faire des enfants afin de garder leur nourrisson." Chacun a donc ses raisons; mais tous ont leur part de responsabilité dans la stagnation voire le déclin de la population. Le déficit démographique s'explique aussi par le rôle de mouroir que joue la ville. Des villageois, des étrangers à la région trouvent refuge à l'hôpital et y meurent (45 morts par an en moyenne). Le phénomène s'accentue certaines années (1770, 1772,1781,1783), lorsqu'apparaît quelque fièvre épidémique, dont pâtissent surtout les enfants: 175 enfants de moins de 4 ans disparaissent dans la seule année 1770, et 203 en 1781 !
Une telle évolution qui porte en germe le vieillissement et le déclin, est heureusement enrayée par l'arrivée de personnes nouvelles qui s'intègrent assez aisément. Ces immigrés appartiennent à toutes les conditions et viennent le plus souvent d'un village ou d'un bourg de la région. Mais certains sont de vrais déracinés. Le médecin Boncerf est d'origine franc-comtoise, Sibillon, maire d'Étampes en 1793, est lorrain, et Clartan, qui sera maire à deux reprises lui-aussi pendant la Révolution, est né en Suisse près de Genève. C'est en épousant une Étampoise que ces hommes font souche. Avant de se fixer à Étampes, ils ont parfois fait étape à Paris; Boncerf y a étudié la médecine et Clartan, ancien officier de Monsieur frère du roi, y a séjourné plusieurs années. Ces exemples ont le mérite d'attirer l'attention sur un fait essentiel: Étampes est une ville qui se renouvelle par apport extérieur.
Mais ce n'est pas seulement par le contrôle des naissances que se manifeste la mutation des comportements. Les conceptions prénuptiales par exemple augmentent notablement dans la période qui précède la Révolution; même tendance pour les naissances illégitimes qui constituent près de 4 naissances sur 100 entre 1780 et 1789. Notons pourtant que ce taux assez élevé pour l'Ancien Régime se trouve gonflé par l'accouchement clandestin de filles-mères de la campagne à l'hôpital d'Étampes; la seule manière pour elles d'échapper au déshonneur.
Certains se scandalisent de cette dégradation des moeurs. Regardant vers un passé qui fait figure d'âge d'or, ils vont répétant que la morale se perd, que la population se tarit, que la race dégénère... En 1789, Étampes se prépare à élire ses députés aux États-Généraux et... sa Rosière. Comme pour signifier que la restauration de l'État ne se conçoit pas sans exaltation de la Vertu.
Sources
Archives nationales
Brayard, inspecteur des Manufactures, Rapport; 1785; F12 562
Archives départementales des Yvelines
Plans d'Intendance, C1-C3 Élection de Paris; C35, Election d'Etampes; C94 Election de Melun; C103 Election de Nemours
Procès-Verbaux d'arpentage, C4-C6 Election de Paris; C36 Election d'Etampes; C95 Election de Melun; C104 Election de Nemours.
Archives municipales d'Étampes
Registre du Tarif (1756-1790). non coté.
Archives de la Société royale de médecine
Claude-François Boncerf, Topographie médicale de la ville d'Étampes, 1785, carton 177, dossier 1, pièce 3
Claude-François Boncerf, Observations et réflexions sur la topographie médicale d'une partie du Hurepoix, du Gâtinais, d'une partie de l'Orléanais et du pays chartrain, 1788, carton 175, dossier 1, pièce 2.
Claude-François Boncerf, Topographie de l'hôpital d'Étampes, 1782, publiée par Paul PINSON, dans le Bull. de la Soc. Hist. et Arch. de Corbeil, de l'Essonne et du Hurepoix, 1900, p. 30-37.
Bibliographie
Mémoires des Intendants sur l'état des Généralités pour l'instruction du duc de Bourgogne, publié par BOISLISLE, Paris 1881.
CROCY Jean-Philippe, l'Hôtel-Dieu d'Étampes de 1695 à 1789; Essonne et Hurepoix; Mémoires et Documents de la Société Hist. et Arch. de Corbeil, de l'Essonne et du Hurepoix, t. XIV, 1988, p.89-143.
FLEUREAU dom Basile, Les Antiquitez de la ville et du duché d'Étampes, avec l'histoire de l'abbaye de Morigny, Paris, 1683.
GENY Claude, Étampes de 1770 à 1836; aspects démographiques; Thèse de l'École des Chartes, 1975.
MARQUIS Léon , Les rues d'Étampes, Étampes, 1881.
89 EN ESSONNE, n°1, "Le pays, les hommes, l'orage", 1989.
Chapître 2 - Les derniers beaux jours de l'Ancien Régime (Janvier 1787 - Mars 1789)
La Révolution n'éclate pas dans un ciel sans nuages. Bien avant 1789, l'effervescence est grande dans le royaume. Un vent de réformes souffle sur la société, mais les tenants de l'ordre établi résistent pied à pied. Louis XVI bataille avec les Parlements, faisant alterner réformes et reculades. Et puis le mauvais temps s'en mêle... Une série de mauvaises récoltes compromet l'équilibre toujours fragile des subsistances. La crise financière est tellement grave qu'il faut se résoudre à réunir en mai 1789 les États Généraux... ce qui ne s'était pas fait depuis 1614.
A Étampes, on n'est pas insensible à l'air du temps. Peu à peu, la vie municipale s'anime; on s'efforce de mettre en place de nouvelles structures; on ébauche un partage du pouvoir local. L'annonce de la tenue des États Généraux délie les langues et révèle des tensions latentes au sein du corps social. La grêle de l'été 1788 et le froid glacial de l'hiver suivant ne font qu'aviver les souffrances des plus démunis. Alors s'achèvent, sans qu'on en ait vraiment conscience, les derniers beaux jours de l'Ancien Régime...
Avant la Révolution,
la réorganisation du pouvoir municipal
C'est en janvier 1787 qu'entre en scène la municipalité conduite par Picart de Noir-Épinay, celle-là même qui devait affronter un peu plus tard les premières turbulences révolutionnaires. Ce renouvellement des édiles n'est pas seulement un changement d'hommes; il fait suite à un conflit aigu au sein du bureau municipal sortant, élu le 2 février 1786, opposant notamment le maire Hochereau des Grèves au premier échevin*, Thomas Petit-Ducoudray. Au coeur de cet affrontement, on trouve une question éminemment d'actualité en ces dernières années de l'Ancien Régime: la question fiscale. Petit-Ducoudray, désireux de lutter contre certains abus, mène alors un combat contre les exemptions indues, et met en cause le système de perception des impôts. La contestation prend de telles proportions que l'intendant* Bertier de Sauvigny en personne intervient. Un arrêt du Conseil d'État de décembre 1786 casse l'élection du début de l'année et réorganise entièrement le fonctionnement de la vie municipale étampoise.
Cet épisode laisse des traces: ce sont ces mêmes règles que la crise de 1789 viendra battre en brèche. Dès décembre 1788, la Communauté des marchands des Six Corps* profite de la préparation des Etats Genéraux pour rappeler au Garde des Sceaux "la plus grande surprise et la consternation presque générale" qui avaient suivi l'invalidation d'une municipalité "dont tout le crime était d'avoir voulu réformer, aidée du gouvernement, des abus qui s'étaient introduits et qui préjudiciaient aux habitants". Elle n'a pas non plus accepté la forme nouvelle donnée à l'administration municipale, "excluant presque tous ceux du Tiers Etat" et privant les Six Corps de la représentation qu'ils y avaient auparavant.
L'arrêt du Conseil d'Etat fixe dans les moindres détails la manière dont désormais la municipalité sera désignée et assurera ses fonctions. Sa composition ne change guère: un maire, deux échevins, deux conseillers-assesseurs, le Procureur du Roi*. Cette équipe restreinte est complétée par un receveur et un secrétaire-greffier qui sont appointés. C'est à une "assemblée générale", dont la composition est strictement réglée d'élire les officiers municipaux. C'est à elle également qu'ils devront rendre des comptes au début de chaque nouvelle année. En revanche, celle-ci ne pourra tenir aucune séance "sans l'autorisation expresse du Seigneur Intendant". Si tel est bien le cas en 1787, elles finissent par devenir hebdomadaires et bientôt journalières en 1789 ! Ecclesiastiques, gentilshommes, officiers de judicature* et anciens officiers municipaux y sont représentés chacun par six députés, les cinq paroisses par dix députés seulement. Le bureau municipal en exercice, le lieutenant général* et le procureur au bailliage* en sont membres de droit. En fait d'élection, il s'agit plutôt d'une cooptation opérée au sein du petit monde des notables: encore doit-elle se plier aux contraintes énoncées par les trente articles du nouveau réglement.
C'est le 28 janvier 1787 que se tient la première assemblée de ce type. Elle procède d'abord à l'élection du maire. En vertu du règlement, celui-ci est obligatoirement gentilhomme ou officier de judicature, à moins qu'il n'ait déjà exercé ces fonctions ou celles d'échevin. Jacques Julien François Picart, "seigneur de Noir-Epinay, La Marche et autres lieux", est élu. Ancien lieutenant général*, ce gentilhomme semble être un réformateur éclairé mais prudent, soucieux avant tout de concorde et d'ordre social. Dans le discours qu'il prononce devant l'assemblée générale du 1er janvier 1788, un an après son élection, il fait l'éloge de la nouvelle organisation du pouvoir municipal, allant jusqu'à la qualifier de "régénération". Au contraire, il dresse un tableau très sombre de ce qu'il appelle "l'anarchie" du régime pécédent. Selon lui, le clergé répugnait alors à participer aux assemblées municipales, la noblesse refusait catégoriquement de "mêler ses voix à celles du peuple", la magistrature opposait "vainement son autorité au torrent de la multitude"; quant aux simples citoyens, "ils s'excluaient eux-mêmes, par la crainte de voir leurs bonnes intentions contrariées". Tout le monde était pourtant bien loin de partager cette vision presqu'apocalyptique des choses...
Cependant Picart semble attentif au sort des plus démunis. II se félicite d’avoir obtenu que l’assiette de la capitation ait permis de décharger les journaliers et les petits artisans. Le même souci transparaît quand la municipalité décide en octobre 1787, à la suite d’une vive pression de l’intendant, de supprimer l’exemption d’impôts dont jouissaient jusqu’alors les lauréats du concours de tir à l’oiseau, organisée chaque année par la Compagnie de l’Arquebuse. Désormais, le « Roi » et « l’Empereur de l’Oiseau » ne recevront plus qu’une médaille d’or. Picart justifie cette décision en soulignant que cette exemption « pesait infiniment sur la classe des pauvres, depuis que les citoyens les plus hauts cotisés s’étaient fait une étude particulière pour l’obtenir. » C’est donc un noble libéral qui devient maire, conscient que des changements importants vont survenir dans le mode d’imposition : les difficultés financières de la monarchie poussaient à ce moment le ministre de Louis XVI, et tout particulièrement Calonne, à envisager de profondes réformes. A ce propos, Picart a même un mot étonnant et quelque peu prémonitoire dans son discours de janvier 1788 : « Il n’est pas temps encore, déclare-t-il, de vous proposer nos idées sur ce changement qui deviendra peut-être bientôt nécessaire, si la Révolution prête à s’opérer dans le régime général du gouvernement a lieu. » L’Histoire va lui donner raison, dans des délais beaucoup plus brefs qu’il ne l’imagine alors…
Les deux échevins qu’on élit ensuite sont des marchands : Charles Nicolas Baron, négociant en bois, déjà échevin dans la municipalité précédente, et Jean Hème de Maison-Rouge, marchand-orfèvre à Notre-Dame, mais d’origine parisienne. Le premier exerce également les fonctions decorrespondant auprès du bureau intermédiaire du département de Melun, ce qui fait de lui l’interlocuteur privilégié entre l’assemblée provinciale et la municipalité. Le second et échevin, pour sa part, se dépense sans compter pour organiser et vérifier les travaux d’édilité publique entrepris dans la ville. L’un des conseillers assesseurs est un ecclésiastique : l’abbé Jean chevalier, « prêtre chanoine en l’église collégiale et royale de Sainte-Croix ». Très effacé, il cède sa place en janvier 1789 à Jean Gabriel Baudry de Lapotrie, président au grenier à sel* et officier de l’hôtel Royal des Invalides. Cette promotion porte à trois le nombre des officiers municipaux appartenant à la magistrature, déjà fort influente dans les affaires de la cité. En effet, dès 1787, Jean Gérard Geoffroy, avocat au parlement et père du savant naturaliste Étienne Geoffroy Saint-Hilaire, remplit les fonctions de premier conseiller, tandis que Jean Champigny, « Conseiller du roi et son procureur au grenier à sel » exerce pour sa part celle de procureur du roi au sein du bureau municipal, poste dans lequel il joue un rôle essentiel au moment des troubles de marché, en avril 1789. Ces deux hommes auront d’ailleurs une grande influence sur la rédaction des cahiers de doléances du bailliage d’Étampes aux États Généraux.
Jean François baron, laboureur à La Herse, paroisse saint Pierre, est élu receveur, mais on ne le voit guère participer aux séances du bureau municipal. Enfin, François Périer-Desboquaires, « procureur ès-sièges royaux », est élu secrétaire greffier, fonction qu’il exerçait déjà dans la municipalité précédente ; c’est lui qui nous apprend tout, ou presque, des derniers moments de l’Ancien Régime et des débuts de la révolution…
Le temps des projets (janvier 1787 - juillet 1788)
Voici donc en place notre bureau municipal ; il fait preuve d’une grande unité de vues ; ses délibérations ne laissent apparaître ni conflits, ni divergences. L’année 1787 est calme ; le bureau ne siège que vingt-huit fois ; il se consacre essentiellement à des chicanes avec l’équipe précédente - c’est la tradition - et à l’expédition des affaires courantes. Pourtant, les nouveaux élus ont des projets. Dès le 9 mai ils s’emploient à obtenir la création d’un évêché à Étampes, sans succès malgré la députation de Geoffroy auprès du duc d’Orléans, seigneur apanagiste d’Étampes. En mars de l’année suivante, ils reviennent à la charge, convoquant une assemblée générale extraordinaire qui approuve à l’unanimité un « Mémoire pour l’érection de la ville d’Étampes en siège épiscopal ». Pour emporter la décision, ils soulignent notamment que l’esprit d’irréligion et de licence fait des progrès sensibles jusque dans les provinces, et que les secours contre l’indifférence et la dépravation sont plus nécessaires que jamais. Mais ils en attendent aussi des avantages matériels. Hélas, le projet sombre corps et biens, contrairement aux prévisions optimistes du maire. La rumeur court même, dès le 22 avril suivant, que le duc d’Orléans veut supprimer le chapitre de Notre-Dame et démolir l’église ( !) ce qui suscite l’émotion que l’on imagine…
Le maire et ses adjoints se préoccupent aussi d’urbanisme et d’embellissement de la ville, ce qui est bien dans l’esprit du temps. On fait planter 169 ormes sur les « promenades, fossés et autres terrains appartenant à la ville », et surtout on propose à l’assemblée du 1er janvier 1788 d’acquérir des pompes à incendie et d’installer des réverbères. Afin de financer une telle dépense, à laquelle la municipalité est bien incapable de subvenir, son autonomie financière étant extrêmement faible, Picart propose même « une imposition générale dont personne ne serait exempt » et qui pèserait sur les maisons « à raison de 10 sols par toise de façade sur rue ». La Révolution devait différer de plusieurs années la réalisation de ces projets. En revanche, la décision de numéroter les maisons et d’indiquer le nom des rues, afin surtout de faciliter le logement des gens de guerre*, se concrétise le 3 août 1788, date à laquelle les travaux sont adjugés au rabais à Denis Boucher, vitrier et peintre, à charge pour lui de les terminer avant la Saint-Michel.
Un évènement lourd de conséquences:
La grêle du 13 juillet 1788
Cependant, tous ces soucis de gestionnaires sont bientôt balayés par des questions autrement urgentes. Avant même que l'effervescence politique n'ait gagné la ville, c'est des caprices du temps que surgit le premier d'une série d'évènements qui vont "révolutionner" la vie à Etampes. Le dimanche 13 juillet 1788, vers huit heures du matin, un violent orage de grêle s'abat sur Etampes et les campagnes environnantes. Cet accident météorologique, qui ne dure selon les témoins que sept à huit minutes, devait être lourd de conséquences. Pourtant, les registres municipaux n'en font aucune mention avant le 7 septembre. Nous avons heureusement d'autres témoignages, en particulier celui de l'abbé Tessier, d'Andonville près d'Angerville, correspondant de la Société royale de médecine devant laquelle il lit son rapport dès le 28 juillet: " La nuée était dans une région basse de l'atmosphère et d'un noir sombre... Elle s'avançait avec une grande rapidité, précédée d'un coup de vent en tourbillon et faisant un bruit considérable que je ne puis mieux comparer qu'à celui de plusieurs carosses roulant sur le pavé... Il était huit heures ou huit heures et quart du matin: un éclair et un coup de tonnerre furent pour ainsi dire le signal. La grêle tomba presque aussitôt... En cinq à six minutes, la terre fut recouverte de glaçons: dans quelques endroits, il y en avait plus de quatre pouces (10 cm) d'épaisseur."
Phénomène exceptionnel, la grêle du 13 juillet 1788 n'est pas un accident local. Elle suscite à l'époque de nombreuses études scientifiques, les membres de l'Académie royale de physique et de mathématiques établissent même, sur la carte de Cassini, le trajet précis de la nuée. Venue d'Orléans, elle atteint le faubourg Saint-Antoine à Paris dès huit heures et demie, et gagne ensuite le Valois et les Flandres; on suit sa trace jusqu'en Hollande. Le témoignage de Tessier permet de saisir les ravages de l'orage dans les campagnes: "Seigle, pois, froments, orges, lentilles, lin, etc... tout était brisé, couché, égrainé en proportion de leur maturité... Les fruits étaient abattus ou tellement meurtris qu'ils tomberont avant l'époque de leur maturité... Indépendamment des champs dévastés, des toits ont été emportés, des tuiles moulues comme dans un mortier, des murs décrépis ou jetés à terre..." A Etampes, les registres municipaux nous apprennent incidemment que la route "de la montagne des Belles-Croix", à Saint-Martin, est devenue impraticable à cause des ravines, et qu'un grand nombre de vitres ont été brisées tant à l'hôtel de ville qu'aux bâtiments de l'Auditoire et de la prison. Même si cet orage fait suite à plusieurs années de mauvaises récoltes, on a peine à croire des commissaires , venus de Chartres pour enquêter quand ils affirment "être environnés de malheureux qui demandent du pain".
En vérité si la grêle survenue peu avant la moisson va déboucher sur des difficultés immédiates, elle apparaît surtout comme une bombe à retardement, responsable des graves troubles du mois d'avril suivant. Les autorités en sont conscientes, depuis le roi Louis XVI, témoin de l'orage à Rambouillet, jusqu'aux officiers municipaux d'Etampes. Dès le 7 septembre, le duc d'Orléans accorde une gratification de 1 200 livres afin de "secourir les malheureux habitants de la ville qui ont été grêlés"; le 5 octobre, le roi alloue à l'Election d'Etampes une somme de 35 000 livres, dont les deux tiers seront consacrés à l'achat immédiat de blé et de seigle pour les semailles d'automne, et le reste pour celles du printemps. Dès le 29 du même mois, après que le tambour de ville en a fait l'annonce aux habitants, les officiers municipaux procèdent "en la maison du sieur Conty, meunier et farinier au moulin de la Pirouette à Saint-Martin, à la distribution des grains aux particuliers sans ressources pour en acheter pour ensemencer leurs terres." Un peu plus tard, en janvier 1789, l'archevêque de Sens, "sensible aux pertes qu'ont éprouvées les malheureux" fait à son tour un don de 6 000 livres. Afin de ne pas augmenter la pression fiscale, l'assemblée générale du 1er janvier 1789 décide de remettre les projets d'utilité publique déjà évoqués et de réserver 3 000 livres qui s'ajouteront aux 18 000 accordées par l'assemblée provinciale, "pour être employés au paiement des ateliers de charité * qui seront établis aux extrémités des faubourgs de la ville et aux environs." On ne saurait s'exagérer la situation critique dans laquelle se trouve à ce moment une partie de la population étampoise: l'hiver est rigoureux et la Juine gelée empêche le fonctionnement des moulins.
Une telle situation, malgré les aides diverses mais sans nul doute insuffisantes accordées par les uns et les autres, ne pouvait manquer d'avoir de graves répercussions sur la paix sociale. La coïncidence avec la préparation des Etats Généraux allait encore les amplifier. C'est que la seule charité publique est bien incapable de résoudre le problème tant que la sacro-sainte liberté du commerce des grains laissera libre cours à la spéculation et à la flambée des prix. Il faudra les violences d'avril 1789 pour que ce point de vue, hérité de Turgot et des physiocrates, soit remis en question...
Des élites philanthropes ?
Les délibérations de l'assemblée générale extraordinaire du 19 septembre 1788 sont à cet égard formidablement révélatrices des conceptions "sociales" de nos notables "éclairés": le maire y expose en effet un projet d'établissement à Etampes d'une Société philanthropique, proposée par plusieurs habitants de la ville et dont la fondation est rendue plus urgente par une donation de 16 000 livres. Cette somme, généreusement accordée par Mme la Comtesse de Barres, M. de Viart, son neveu ainsi que ses nièces, doit être consacrée au soulagement des pauvres et à la récompense de la Vertu. L'assemblée adopte sur le champ le réglement de la société et décide d'affecter les intérêts de la donation à pensionner les "deux plus vertueux pauvres, dont un de chaque sexe", et à établir une Rosière.
Les critères retenus pour l'attribution de ces récompenses sont instructifs. Pour bénéficier de la pension annuelle et viagère de 250 livres, chacun des deux pauvres désignés devra obligatoirement être domicilié à Etampes depuis vingt ans au moins, avoir au moins soixante-dix ans, à moins qu'il n'ait fait "quelque action éclatante comme d'avoir exposé sa vie pour conserver celle de personnes en danger de la perdre dans les eaux ou dans les flammes". Préférence sera donnée à ceux "ayant élevé une nombreuse famille et de vertueux enfants". Bien entendu, les repris de justice, ivrognes, querelleurs, les "femmes de conduite équivoque", ceux qui auraient fait "scandale soit sur la religion, soit sur les moeurs" en seront à tout jamais exclus. Les heureux bénéficiaires de ce pécule recevront en outre un brevet et "une pièce d'argent sur laquelle seront gravés ces mots: Prix du Bon Citoyen, (...) dans laquelle sera passé un anneau pour la pouvoir porter au côté", puis devront assister à une messe d'actions de grâces en l'église Saint-Basile, assortie d'un sermon "sur les avantages qu'il y a à pratiquer la Vertu". Les deux pensionnaires, qui ne seront renouvelés qu'en cas de décès, seront aussi "engagés à se ressouvenir dans leurs prières des fondateurs, de leurs pères et mères, et en général de tous leurs parents tant morts que vivants." La Rosière, elle, est désignée tous les trois ans: on la prend de préférence parmi les filles les plus pauvres et les plus âgées; on lui accorde 500 livres et un bouquet de roses offert par le maire le jour de son mariage; on espère ainsi avoir "de bonnes mères qui par leur exemple porteraient leurs enfants à la Vertu." Cette charité ostentatoire et moralisatrice était-elle de nature à désamorcer d'éventuels mouvements de révolte dus à la misère ? Il est sérieusement permis d'en douter...
La préparation des Etats Généraux mobilise les énergies
(décembre 1788 - mars 1789)
En attendant, le roi ayant finalement décidé en août 1788 de réunir les Etats Généraux, c'est la politique qui occupe le devant de la scène. Signe des temps, lorsque le 6 septembre, en pleine révolte des Parlements de province contre la réforme de Lamoignon, les parlementaires de Pau en route pour Versailles font halte à Etampes, c'est la municipalité au grand complet, dans deux carrosses précédés du bedeau de la ville et des hallebardiers en costume, qui vient leur faire part de sa "respectueuse vénération". Puis, le 13 septembre, Jean Champigny propose à ses collègues d'adresser une supplique au roi afin de réclamer "le doublement du Tiers et le vote par tête." Etampes s'associerait ainsi à un mouvement général, comme en témoignent plusieurs lettres et imprimés reçus de Nantes, Rouen et Chartres. Dès le lendemain, le secrétaire-greffier enregistre l'adhésion de neuf communautés de métiers de la ville et du sieur Dupré, chapelier, puis le surlendemain des notaires, qui déclarent la considérer "comme le voeu de tous les bons citoyens". Les autres corps de métier se succèdent les jours suivants pour y souscrire à leur tour, parmi eux, la Compagnie des avocats et procureurs au bailliage et autres juridictions royales d'Etampes. Le 21 décembre enfin, les anciens officiers municipaux se joignent au mouvement...
Le coup d'envoi étant ainsi donné, le 20 février 1789, le bureau municipal fait lecture des lettres du roi pour la convocation et la tenue des Etats Généraux ainsu que du règlement électoral et de l'ordonnance du grand bailli d'Etampes, le marquis de Valory, le tout devant être porté à la connaissance du public. Habitants et communautés seront invités au son de cloche à s'assembler pour "dresser leur cahier de dolénces, plaintes et remontrances, et nommer leurs députés..." Léon Marquis et Maxime Legrand ont, à l'occasion du premier centenaire de la Révolution, publié et analysé les cahiers de doléances du bailliage: à chacun de s'y reporter. Quelques faits essentiels méritent pourtant d'être soulignés, tout d'abord la rapidité avec laquelle les opérations sont conduites; du dimanche 22 février au lundi 9 mars, 92 assemblées d'habitants se tiennent dans le bailliage et autant de cahiers sont rédigés, compte non tenudes assemblées de métier, soit plus de cinq par jour en moyenne. Dès lors, il est évident que les cahiers ont difficilement pu être rédigés par les habitants eux-mêmes. Il suffit de lire l'ensemble des cahiers du bailliage pour perdre ses éventuelles illusions:ils sont extraordinairement stéréotypés et parfois même en tous points identiques !
La raison en est simple: quatre magistrats étampois, dont deux membres de l'administration municipale, sont à l'origine des modèles que les villageois ont adoptés tels quels ou presque, osant parfois y ajouter quelques doléances de leur cru. Geoffroy, Champigny, mais aussi Claude-Louis Gillot, conseiller du roi et receveur des consignations au bailliage, et Pineau de Villeneuve, doyen de la Compagnie des procureurs et avocats, sont les véritables rédacteurs et inspirateurs de six cahiers sur dix! Ayant eux-mêmes souvent présidé, en qualité de bailli, prévôt ou procureur fiscal les assemblées d'habitants, ou y ayant envoyé leurs mandants, ils ont usé de leur autorité et de leur savoir pour parler au nom des paysans et se faire élire comme député dans la paroisse où ils exerçaient des fonctions judiciaires: Geoffroy à Autruy, Gillot à Vayres, Champigny à Boissy-le-sec et Pineau de Villeneuve à Pussay. L'emprise d'Etampes sur les campagnes voisines est ainsi abondammant démontrée.
Les paysans du plat-pays d'Etampes n'ont-ils rien à dire ?
Prendre la parole, refuser le modèle de cahier soigneusement préparé par un magistrat (ils n'ont parfois plus qu'à y apposer leurs signatures !), et qui plus est en sa présence, demande un certain courage. S'exprimer collectivement n'est guère facile non plus. C'est ce qu'avouent les habitants de Rouvres: "la position des cultivateurs, l'abandon dans lequel ils ont été jusqu'à présent, dénués d'éducation et de secours (...) ne leur permet pas de s'étendre sur tout ce qu'ils désirent, et de présenter toutes les réformes à faire, ce travail est au-dessus de leurs forces". ils concluent en déclarant faire confiance aux "lumières de leurs représentants".
D'autres pourtant se rebiffent, comme les habitants de Baudreville qui déclarent que "rien ne serait plus contraire à la liberté que l'obligation de suivre tel ou tel modèle de pouvoir, d'instruction, de mémoire ou de procès-verbal." A La Forêt-le-Roi, on se plaint de maître Ganizière, bailli du lieu, qui les a empêché de "rédiger en entier le cahier de leurs plaintes et doléances et procéder librement à la nomination de leurs députés", et on tient sans lui une seconde séance. C'est aussi le cas, plus près d'Etampes, à Champigny où les habitants, à huit jours de distance, signent le modèle établi par le juge Geoffroy, puis le complètent de nouvelles doléances dont l'orthographe quasi phonétique garantit l'authenticité: "Il ni a du bled dans le marchés que pour les moulins pour moudre à blan, atendu que le pauvre abitens de campagne ne peu avoir que les grene qui en tombent et sy encore i leur coût trante livres le saque et quy nent mange que la mautier de leur vie." Le cahier de Chalo-Saint-Mars est lui aussi un ces cahiers "de campagne" où les paysans expriment avec leurs propres mots leurs revendications.
S'il y a loin entre la langue parfaite et froide des officiers de judicature* et la parole malhabile et émouvante des paysans, les revendications qui sont exprimées et dont il est impossible de dresser ici la liste, ne sont pas fondamentalement différentes. Il y est certes beaucoup moins question de réforme de l'Etat que de misère et d'injustice, notamment en matière fiscale: "Il serait très juste que personne ne fût exempt d'impôt, qu'il ne fût plus question à l'avenir de fermiers généraux ni de personne qui suce le sang et la subsistance du pauvre peuple qu'ils sont rendus jusqu'ici malheureux comme des pierres... Que les grands et les riches n'exercent plus leur tyrannie et leur cruauté sur les petits qui n'ont eu jusqu'alors pour toutes défenses que les gémissements et les larmes" s'écrie-t-on à Puiselet-le-Marais. La perception des impôts est particulièrement mise en accusation et Rouvres observe avec sagacité: "Il est impossible que l'argent qui passe en tant de mains arrive intact dans la dernière comme il a été reçu dans la première." Audeville va plus loin, affirmant que la perception ne sert "qu'à enrichir les receveurs aux dépens des plus misérables". On dénonce de même l'arbitraire de la justice, on se plaint de la dîme* et des droits seigneuriaux, et Rouvres (encore!) soupire: "Combien les campagnes seraient heureuses si on détruisait la féodalité!"
Plus spécifique encore, le problème du prix du blé revient comme un leitmotiv obsédant, tout comme l'hostilité à la "liberté trop indéfinie du commerce des blés" (Estouches) et à leur exportation hors du royaume (Etréchy). On n'est guère favorable non plus aux nouveautés techniques, notamment à l'usage de la faux, dénoncé par Angerville comme une "odieuse manoeuvre" qui prive les pauvres de "l'unique ressource que leur offre la Providence (...) pour se chauffer pendant l'hiver (...) et couvrir leurs tristes habitations". Enfin, on se plaint amèrement de la brièveté des baux de fermage et de la "trop grande réunion des terres entre les mains des mêmes cultivateurs ce qui cause visiblement la dépopulation, la mauvaise culture et un déficit dans les récoltes..." (Souzy-la-Briche)
Le Tiers Etat d'Etampes exprime son désir de réformes
Pendant ce temps, à Etampes, on s'affaire: les Communautés de métiers s'assemblent, rédigent leurs doléances, élisent leurs députés. Le 27 février, les "bourgeois et autres habitants ne formant ni corporation ni corps autorisé" se réunissent: on y trouve pêle-mêle des rentiers ou des marchands, le docteur Boncerf, des membres des administrations, des meuniers, quelques cabaretiers, bon nombre de laboureurs et de jardiniers et une foule de vignerons. En revanche, on n'y voit que deux garçons cordonniers et un garçon chaudronnier, un seul mesureur de grains, aucun jardinier. Ils ne sont d'ailleurs que soixante-quatre dans cette assemblée: le menu peuple ne s'est pas dérangé. La personnalité des députés qu'ils désignent pour assister à l'assemblée du Tiers Etat de la ville est d'ailleurs caractéristique: Thomas Petit-Ducoudray, bourgeois et ancien échevin, et Jean-François Baron, laboureur et receveur !
Le 3 mars, ils retrouvent à l'hôtel de ville les députés des corps de métiers. Ensemble, ils chargent quinze commissaires pris dans leur sein de mettre en forme le cahier de doléances à partir des différents mémoires préparés par les uns et les autres. Le 8, ce travail est achevé et l'on s'assemble à nouveau pour son adoption définitive et l'élection de six députés d'Etampes à l'assemblée de bailliage. Ce seront Thomas Petit-Ducoudray, Jean-François Baron, déjà nommés, Charles-Nicolas Baron, premier échevin, Louis André Charlemagne Gudin, procureur, Pierre-Nicolas Sureau, mercier-drapier et Jacques-André Desforges, aubergiste, lequel ne viendra finalement pas siéger le 9 mars.
Léon Marquis et Maxime Legrand ont naguère montré ce que le cahier adopté devait à l'influence de Jean Champigny, procureur du roi au bureau municipal. Il nous donne une idée de l'état d'esprit de nos députés du Tiers, même si ceux-ci, on l'a vu, ne sont guère représentatifs de l'ensemble de la population de la ville.
On note tout d'abord la brièveté des doléances concernant les agriculteurs, nombreux pourtant dans les faubourgs. Elles sont d'ailleurs rejetées à la fin du cahier, qui se borne à déplorer les trop nombreuses fêtes religieuses nuisant "considérablement aux artisans et aux cultivateurs, deux classes si dignes de l'attention du Gouvernement", allant jusqu'à suggérer de les "supprimer toutes"! Il réclame pour les paysans le droit de "se livrer à leurs travaux dans le temps précieux de la moisson, même les dimanches après la messe dite". On demande aussi, u nom de la "liberté ds personnes et des biens" que les banalités*, "restes odieux de la tyrannie des Grands", soient abolies, les droits seigneuriaux déclarés rachetables (et non abolis) et les champarts* , "on ne peut plus pénibles aux cultivateurs", commués en une redevance en grains. La révision des terriers*, entreprise par les seigneurs pour faire revaloriser leurs droits, est également dénoncée, de même que les privilèges de chasse et de colombier*, un leitmotiv des cahiers de paroisses paysannes.
Les revendications des artisans et fabricants ne sont guère développées elles non plus, si l'on excepte les critiques contre le traité de commerce avec l'Angleterre (1786), "nos fabriques ne pouvant soutenir la concurrence". On pense davantage au commerce en se plaignant du colportage, en réclamant le "recul des barrières" aux frontières du royaume, pour assurer la libre circulation des marchandises. C'est dans le même esprit qu'on critique les taxes qui pèsent sur les cuirs, les droits perçus sur "la marque des ouvrages d'or et d'argent", les péages* qui entravent le commerce. De même, "il serait nécessaire qu'il n'y ait en France qu'un seul poids, mesure et aulnage*".
Le cahier du Tiers Etat d'Etampes consacre également une partie à chacun des ordres. Côté noblesse, on est optimiste, puisqu'on affirme qu' "elle abjurera d'elle-même des privilèges abusifs" en matière fiscale. On dénonce le droit de franc-fief, exigé des roturiers acquéreurs de seigneuries. On se montre aussi hostile à l'achat des titres de noblesse, mais très favorable à un anoblissement viager en raison de services rendus à l'Etat. Côté clergé, rien de très original: on souhaite une fois de plus que les évêques soient astreints à la résidence dans leur diocèse et, par souci d'améliorer le sort des curés, on propose la suppression de bénéfices ecclésiastiques* lorsque les couvents sont désertés - cas fréquent dans nore région - la réunion de chapitres peu nombreux et celle des cures très voisines. Ainsi pourrait-on supprimer les dîmes "qui excitent souvent des contestations entre les curés et les paroissiens" et les droits casuels* que les prêtres exigent en maintes circonstances. Dans une région où les fermes dépendant des bénéfices ecclésiastiques sont nombreuses, on se préoccupe aussi des baux de fermage, systématiquement résiliés à chaque changement de titulaire, à moins que le fermier "ne paye un pot-de-vin ou une augmentation considérable". En ce qui le concerne, le Tiers Etat souhaite avant tout qu'on reconnaisse ses mérites et qu'il puisse librement accéder à toutes les fonctions: "on n'admet aucun citoyen du Tiers dans les cours supérieures ni dans les places d'officiers des armées de terre et de la marine, ni dans les dignités ecclésiastiques, des lois nouvelles les en excluent". D'autres abus sont dénoncés: un article réclame la suppression des gabelles, "très désastreuses pour la classe la plus indigente"; un autre proteste contre les exemptions abusives du logement des gens de guerre* qui en font supporter le poids "aux plus malheureux des villes et des villages"; on se préoccupe aussi des subsistances en suggérant l'interdiction des exportations de grains et la création de magasins d'abondance. Cependant, si l'on excepte ces doléances, les difficultés des plus pauvres ne sont que faiblement prises en compte. Lorsqu'elle demande que l'on ouvre des ateliers de charité*, le bourgeoisie étampoise, principale inspiratrice du cahier, exprime plus son souci d'ordre que ses intentions sociales. Il s'agit avant tout pour elle de "détruire la mendicité" et d'infliger à "ceux qui, étant valides, seront trouvés à mendier quand les travaux sont ouverts" une punition exemplaire...
En revanche, le cahier d'Etampes, dans la confection duquel les magistrats ont joué un grand rôle, s'intéresse beaucoup à la réforme de la justice. Celle-ci devra être simplifiée, plus rapide dans les procès civils et rapprochée des justiciables. Les justices seigneuriales devront disparaître; les frais de justice, souvent arbitraires, seront à l'avenir soigneusement tarifés; la procédure civile et criminelle sera réformée; une "Coutume générale pour tout le Royaume", seul moyen de mettre un terme à l'inextricable imbroglio juridique de l'époque, devra être établie. En matière judiciaire comme en politique, les auteurs du cahier tiennent à garantir les libertés individuelles; la loi ne devra plus être "un mystère pour ceux qu'elle intéressera "; tout emprisonnement arbitraire sera proscrit; chaque accusé devra pouvoir prendre un avocat pour se défendre; une indemnité sera versée aux innocents injustement accusés. On se montre aussi très circonspect quant à l'application de la peine de mort, et plus généralement on estime que les peines doivent être mieux proportionnées au délit. L'hostilité à la confiscation des biens des condamnés est quant à elle sans équivoque. Sur la plupart de ces points, le Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen leur donnera satisfaction quelques mois plus tard, au moins sur le plan des principes...
En matière politique, pudiquement installée "Administration" mais placée en tête du cahier, le Tiers Etat d'Etampes est également bien dans l'esprit du temps. La liberté d'expression est présentée comme un droit, tout comme la liberté personnelle. On veut aussu que les Etats Généraux aient désormais une périodicité régulière, qu'ils aient "seuls le droit de créer, réformer, modifier les lois et d'accorder des subsides" et qu'une "commission intermédiaire" composée de huit députés des trois ordres siège dans l'intervalle des sessions. On réclame aussi des Etats Provinciaux*: Etampes est en pays d'élection et l'autorité de l'intendant s'y exerce sans partage.
Le Tiers a également ses idées quant aux désordres des finances de l'Etat: la responsablité en incombe aux "déprédations des ministres". Pour y remédier, il faut "que la Nation soit chargée de la recette et de la dépense", que l'Etat paie ses dettes, ce qui est indispensable à son crédit, quand bien même il faudrait aliéner des domaines de la Couronne. Par dessus tout, il faut mieux tenir les cordons de la bourse: plafonner les dépenses du roi et de la cour grâce à une liste civile, vérifier le bien-fondé de toutes les pensions et supprimer "celles surprises à Sa Majesté par ses ministres". En tout état de cause, on ne saurait y consacrer plus de 10 millions de livres par an. Il faut aussi faire des économies sur les dépenses de fonctionnement: supprimer les places inutiles, réduire les appointements excessifs, utiliser les soldats à des travaux publics et les vaisseaux de guerre au commerce lorsqu'on est en temps de paix. En un mot, nos Etampois préconisent de substituer à une gestion aristocratique et gaspilleuse la sage économie bourgeoise!
Mais cela ne saurait dispenser d'une autre réforme, beaucoup plus essentielle: il faut évidemment "que tous les impôts soient supportés par toutes les classes de la société sans distinction" que les abonnements d'impôts soient proscrits. On suggère aussi la simplification de la fiscalité: un impôt sur les biens et un sur les personnes devraient suffire à alimenter les caisses de l'Etat. On verrait ainsi disparaître du royaume "la troupe innombrable des commis qui l'affament". C'est un vaste programme que celui que proposent nos Etampois, un programme raisonnable et réaliste, capable sans doute de régénérer l'Etat en profondeur. Il s'agit bien de réformes, non de révolution, car le Tiers Etat est attaché à "l'union qui doit régner entre les trois ordres": c'est en tous cas ce qu'affirment les "Règles à observer par les députés" qui font suite au cahier. On recommande enfin "qu'il soit érigé deux monuments publics, l'un à la bienfausance de Sa Majesté, (...) l'autre à la reconnaissance qu'on doit à un ministre né étranger, et qui a sacrifié sa fortune et le repos dont il jouissait, pour sauver la nation des malheurs dont elle était menacée"; Necker évidemment!
Les ordres privilégiés en proie à des sentiments contradictoires
Face à la cohérence des revendications du Tiers, quelle est donc l'attitude des privilégiés du bailliage, et d'abord de la noblesse ? Soixante-douze nobles seulement sont présents ou se font représenter lors de l'assemblée de leur ordre, le 10 mars 1789. Le nombre réel de nobles possesseurs de biens ou de fiefs dans le bailliage est pourtant d'environ une centaine, mais nombre d'entre eux, non résidents, font défaut. Deux autres, M. de Laborde, seigneur de Méréville, et Choiseau de Gravelles, d'Auvers Saint-Georges, ont préféré se faire élire comme députés de leur paroisse de résidence, ce qui peut laisser supposer qu'ils se sentent plus proches des positions du Tiers Etat, ce que confirme l'élection de Laborde comme l'un de ses députés, le 15 mars.
Cependant, il faut bien avouer que l'on ne sait pas grand chose des sentiments de la noblesse du bailliage d'Etampes à ce moment, puisque son cahier de doléances a disparu. Les quelques bribes d'information dont nous disposons sont ambiguës. Le 20 mars, les nobles adoptent "à la pluralité des voix" - et non à l'unanimité - un arrêté par lequel ils consentent "à supporter avec les deux autres ordres de l'Etat les impositions et les charges pécuniaires, et ce au prorata des facultés de chaque propriétaire indistinctement". Cependant cette concession majeure est précédée d'un préambule restrictif: "Toute levée d'imposition, subventions et autres charges publiques (...) ne sera accordée et consentie que par les Etats Généraux". Les réticences de la noblesse face à tout bouleversement des hiérarchies sociales, son opposition à toute atteinte à ses privilèges distinctifs, sa crainte devant l'effervescence qui s'est emparée du royaume, transpirent entre les lignes. Le discours du marquis de Valory, le 10 mars, l'exprime de façon mesurée: " Il y a peu d'époques dans notre histoire plus importante que celle qui nous rassemble en ce moment. Peut-être sommes-nous réservés à voir au sein du désordre même, sortir l'ordre et la prospérité; peut-être allons-nous acquérir des droits à la reconnaissance des générations futures. Une destinée aussi glorieuse peut nous échapper, c'est à nous de l'enchaîner, si possible". On note les répétitions des "peut-être" qui allie l'espérance à une certaine inquiétude, et surtout la phrase qui suit: "l'ordre de la noblesse est dans une position délicate."
Le même jour, quatre nobles délégués par leur ordre rendent visite au clergé, assemblé au collège des Barnabites, rue Saint-Antoine, pour le complimenter et l'assurer de leur solidarité. Leur doyen est très clair: "le voeu de mon ordre, Messieurs, sera toujours de faire respecter la religion, l'autorité royale et vos possessions." Cette ambiguïté des déclarations de la noblesse peut aussi bien s'interpréter comme une hésitation que comme le reflet des désaccords internes à l'ordre. La "désertion" de M. de Laborde n'y est guère appréciée. Le long conflit qui oppose du 17 février au 1er avril le grand bailli, M. de Valory, et le lieutenant général Louis Picart de Noir-Epinay, est peut-être aussi le signe de dissensions internes. S'il s'agit en apparence d'une rivalité de personnes et d'un conflit de compétences, l'un et l'autre prétendant présider l'assemblée des trois ordres, les termes employés par de Valory à l'égard de Picart, qualifié de "jeune homme, entêté, suffisant" et de son conseiller ordinaire "le sieur Geoffroy, homme brouillon" en disent long sur la dégradation de leurs relations. Le fait qu'ils aient l'un comme l'autre fait appel aux plus hautes autorités de l'Etat pour arbitrer leur différend laisse aussi supposer quelque chose de plus que de simples animosités personnelles...
Côté clergé, les choses sont un peu plus claires: l'hostilité d'une partie de ses membres face aux prétentions du Tiers Etat est manifeste. Ainsi le curé d'Andonville, Jean-Baptiste Marlin, ne mâche pas ses mots dans la procuration qu'il rédige pour son mandant, le curé Pierre Boutet. Il lui donne pouvoir "à charge que les anciens usages (...) seront fidèlement suivis et qu'il concourra avec les ecclésiastiques seulement, et non avec les nobles et gens du Tiers Etat, à la rédaction des cahiers de l'ordre ecclésiastique seulement". Il y affirme aussi sa volonté de ne consentir à "aucune innovation dans les différentes coutumes du Royaume, aucune atteinte dans les droits de chaque pays du bailliage." La même opposition au vote par tête, réclamé par le Tiers, se retrouve dans la procuration rédigée par l'archevêque de Paris, Mgr Leclerc de Juigné, administrateur des biens des Célestins de Marcoussis. Il y ajoute que "les propriétés tant de Corps que de particuliers soient inviolablement et intégralement respectées,maintenues et conservées".
Certains pourtant sont d'avis contraire au sein même du clergé, au premier rang desquels le curé de Mauchamps, élu secrétaire de l'ordre, Pierre Dolivier. Celui-ci mène un combat décidé en faveur du vote par tête. Dès le 6 mars, il publie "Lettre d'un curé du Bailliage d'Etampes à ses confrères", un peu plus tard un imprimé intitulé "Exposé des sentiments que j'ai manifestés au Bailliage d'Etampes". A l' "ancienne Constitution" qu'on invoque, il oppose les "Droits de l'Homme": "c'est d'eux seuls, affirme-t-il, que doivent dériver les institutions sociales". S'efforcant d'entraîner derrière lui le bas-clergé du bailliage, ce curé se plaint du manque de courage de beaucoup de ses confrères, qui n'osent s'engager. Certains d'entre eux sont même franchement hostiles à ce contestataire. Dolivier met aussi en cause les pressions exercées par le président de l'assemblée, de Tressan, abbé commendataire* et non-résident de Morigny qui, "outré de voir que son sentiment ne prévalait pas, mit tout en usage pour intimider les esprits". Quoiqu'il en soit, ils ne sont que quatorze à signer quelques jours plus tard le "Manifeste" de protestation rédigé par Dolivier, décidément très prolixe. Après un débat sans doute houleux, les "conservateurs" l'emportent, comme en témoigne le préambule du cahier de doléances finalement adopté par le clergé, qui qualifie le vote par tête d'"illusion trompeuse" et d' "amorce dangereuse", dénonce "la fermentation et la discorde que ce système a excité dans tout le Royaume", allant jusqu'à parler un peu plus loin de "système de confusion et d'anarchie" dont l'invention est attribuée... au despotisme ministériel ! Ici, on le voit bien, M. Necker n'est pas en odeur de sainteté !
Chapitre 3 - Etampes entre en révolution (avril 1789 – juillet 1790)
Au sortir d’un hiver particulièrement rigoureux, et alors que les députés aux Etats Généraux s’apprêtent à gagner Versailles, l’agitation grandit à Etampes. Ce ne sont pourtant pas les problèmes politiques qui sont à l’origine de ces semaines troubles ; c’est le pain cher et rare pour les plus démunis. Pendant des semaines, on vit dans la crainte du marché suivant. Des bandes d’errants parcourent en effet la Beauce, exigeant, menace à l’appui, la vente du blé à un prix acceptable : une première tentative de taxation populaire. La municipalité et l’opinion étampoises sont comme abasourdies par les événements. Puis on se ressaisit, et l’on réussit tant bien que mal à maintenir l’ordre et même à faire baisser les cours du grain. Mais début juin, le débat politique à Versailles relance l’agitation. En juillet, les événements parisiens ont immédiatement leur répercussion à Etampes. Pour nourrir le peuple soulevé et maintenir un ordre toujours précaire, la capitale a besoin de blé, de toujours plus de blé… En ces temps d’incertitude où tombent les bastilles, Etampes est emportée par le mouvement.
Les troubles au marché Saint-Gilles
Le 5 avril, la municipalité est encore sous le choc ; la veille, jour de marché, la cherté des grains a entraîné de sérieux remous : la multitude s’est enhardie jusqu’à « exiger du blé au prix par elle fixé » ; la maréchaussée s’est vue débordée par la foule des ventres creux. Le lieutenant général* au bailliage, témoin de ces « faits séditieux », exprime son inquiétude devant les officiers municipaux : la soudure sera longue et difficile et il est à craindre que « l’exemple de ceux qui se sont fait livrer (…) du blé à un prix au-dessous du cours du marché n’enhardisse beaucoup de particuliers à la révolte », autrement dit que la violence fasse tache d’huile. La « guerre des Farines » du printemps 1775, déclenchée par la disette et l’Edit de Turgot sur la libre circulation des blés n’est pas un souvenir si lointain. En prévision du marché suivant, on demande des renforts à la gendarmerie et on mobilise la milice bourgeoise*. Celle-ci n’est cependant guère opérationnelle, et c’est tout juste si le major Creuzet peut réunir une douzaine de bourgeois par compagnie. Certains prétextent d’ailleurs de leur âge pour échapper à leurs obligations. Par bonheur, le marché est calme ; la milice respire : il ne sera donc pas nécessaire de mobiliser tout ce monde la semaine suivante…
Ce n’est pourtant qu’un sursis : le jeudi 16, on doit réunir une assemblée extraordinaire du bureau municipal et des officiers de la milice. Jean Champigny y fait part des troubles violents qui ont éclaté le lundi précédent sur le marché de Montlhéry : la gendarmerie complètement débordée n’a pu s’opposer à la taxation et même au pillage. Pis encore, elle a dû décamper sous les pierres ! Il faut donc qu’Etampes adopte des mesures d’urgence : veiller au bon approvisionnement du marché, proposer une farine mêlée d’orge plus à la portée des pauvres, mais aussi dissuader les fauteurs de troubles en postant sur le marché 90 hommes de la milice. A l’aube du samedi 18, on découvre affiché à la porte de l’hôtel de ville et d’autres édifices publics, un « placard tendant à exécuter une révolte pour forcer les laboureurs à donner leurs grains pour 24 livres le sac de froment » et invitant « les soldats de la milice bourgeoise (…) à tourner leurs armes contre leurs commandants et même contre les officiers de police » !
Les officiers municipaux se rendent pourtant en cortège avec la milice, tambours et drapeaux en tête, sur la place Saint-Gilles. Si les sentinelles postées aux divers accès du marché doivent intervenir pour « ôter les bâtons à ceux qui se présentent pour entrer », globalement la démonstration de force est payante : il n’y a pas d’incidents. On se demande pourtant si l’on pourra tenir ainsi longtemps. Ces bourgeois tout juste bons pour la parade, qui ne disposent que d’un armement de pacotille, sentent bien qu’ils sont incapables de faire face au nombre croissant d’affamés déferlant sur les marchés de la région. Ils craignent aussi le développement de la contestation sociale au sein de la ville. aussi se décide-t-on à demander à l’autorité supérieure « un détachement suffisant de troupes réglées ».
Le maintien de l’ordre : prévention et répression
Cinquante hommes de cavalerie du Royal-Piémont arrivent quelques jours plus tard à Etampes. On a pris soin de leur préparer un logement dans la maison des Cordeliers, évitant ainsi les récriminations de la population, toujours très réticente à l’idée d’héberger des soldats. Du coup, « toute la ville regrette que le nombre n’en soit pas plus considérable », même si la charge financière du logement – comme le rappelle l’intendant – incombe aux habitants. On n’évite d’ailleurs pas entièrement les frictions entre civils et militaires : le 22 mai, à la veille de leur départ, plusieurs cavaliers s’en prennent à l’hôtelier Darblay, du « Lion d’Argent », qui a dû mettre ses écuries à leur disposition ; ils veulent lui faire payer le fumier de leurs chevaux ! Devant son refus obstiné, les cavaliers viennent le tirer du lit. « A peine avait-il mis sa culotte, vient-il se plaindre à l’hôtel de ville, que plusieurs (…) se sont jetés sur lui, l’ont traîné hors de sa chambre, dans la cour de sa maison où ils l’ont frappé (…) de plusieurs coups de pied et de poings sur toutes les parties du corps… ». L’anecdote prête à sourire, mais elle est révélatrice : Etampes appartient au réseau des « Etapes »appelées à héberger des troupes de passage, et les heurts sont fréquents. Appeler des troupes pour maintenir l’ordre sur le marché est donc à certains égards une arme à double tranchant.
C’est pourquoi il faut aussi compter sur ses propres forces et mettre la milice en état de fournir un service efficace. Le 29 avril, lors d’une nouvelle réunion extraordinaire – elles se multiplient en ces temps difficiles – Jean Champigny dresse un tableau inquiétant des troubles qui secouent la région : la veille à Paris, la manufacture de papiers-peints Réveillon, au faubourg Saint-Antoine, a été prise d’assaut et pillée. Réveillon avait osé affirmer qu’un salaire de 15 sous était bien suffisant. A Orléans, l’émeute dure depuis plusieurs jours et gagne les campagnes voisines : on pille les marchés, on s’introduit dans les fermes par effraction, et l’une d’entre elles, près d’Angerville, a même été incendiée. Puisque « l’étendard de la révolte paraît être levé dans tous les endroits qui nous environnent », déclare Champigny, la milice doit redoubler d’activité, envoyer 95 hommes au lieu de 60 sur le marché tandis que cent autres se tiendront prêts à intervenir à la moindre alerte. Jean-Baptiste Poilloue de Saint-Périer lui-même accepte d’en prendre la tête.
Mais la force ne pourrait suffire : il faut aussi prévenir les désordres en luttant contre la cherté du blé, dans laquelle réside, on veut le croire, toute la cause du mal. « C’est la concurrence d’un grand nombre de marchands de blé et de farines qui (…) fait hausser cette denrée de première nécessité » affirme Jean Champigny devant les marchands étampois convoqués à l’hôtel de ville. Comment ne pas s’indigner « d’une levée de grains aussi considérable et faite en aussi peu de temps », lors du marché précédent ? Ces commerçants doivent prendre leurs responsabilités : s’ils ne mettent pas un terme à leurs achats massifs par souci de leurs semblables, qu’ils le fassent au moins dans celui de leur propre sécurité ; car « c’est la dureté, c’est l’avidité de quelques particuliers qui ont excité ces émeutes : ils en ont été les premières victimes ». Les marchands ne sont pas insensibles à ces arguments ; ils veulent écarter d’eux tout soupçon d’accaparement ; ce sont de bons citoyens qui promettent aussitôt de cesser leurs achats jusqu’à la moisson et font même une proposition généreuse.
Celle-ci est soumise à l’assemblée générale réunie en hâte le lendemain : 600 sacs de farine commune seront vendus à la ville, au prix avantageux de 54 livres le sac, la dépense étant supportée indistinctement par tous les ordres et les pauvres étant seuls exemptés. De cette farine les boulangers acceptent de faire du pain à 24 sols les neuf livres au lieu de 29. Reste le problème de la distribution de ce pain. Comment empêcher que les plus aisés en profitent ? N’est-il pas dangereux « de rassembler à des heures fixes tant de personnes » ? Qui se chargera d’une tâche aussi délicate ? Guillaume Remond, un bourgeois de Saint-Basile, donne l’exemple et se propose pour sa paroisse. D’autres notables se portent volontaires. Mieux encore, le lendemain, dans un bel élan de solidarité, les exempts de milice, désireux de démontrer « leur zèle pour la sûreté de leurs concitoyens » se présentent à l’hôtel de ville pour participer à la garde du marché, non sans préciser toutefois qu’ils le font « sans préjudice de leurs privilèges dans lesquels ils désirent être confirmés ». Derrière cet apparent enthousiasme se cache en réalité l’inquiétude des possédants, comme en témoigne la démarche faite par Germain Petit auprès des officiers municipaux, pour démentir la rumeur selon laquelle il y aurait dans sa maison de Jeurre « un dépôt considérable de grains ». Craignant que certains en tirent prétexte pour venir piller son domicile, il demande qu’un procès-verbal soit dressé et largement diffusé pour mettre un terme à des bruits sans fondements…
Cependant, les mesures prises semblent efficaces et la tension se relâche quelque peu dans les semaines suivantes. On se plaint même, le 12 mai, que le prix des grains ait chuté trop rapidement, ce qui risque de dégoûter les laboureurs d’approvisionner le marché. Les marchands, qui de nouveau ont été convoqués, proposent à la municipalité d’acheter un millier de sacs pour constituer des stocks jusqu’à la moisson. Cette fois, c’est le refus, et une certaine tension semble s’installer : l’assemblée générale réclame avec insistance que des patrouilles nocturnes veillent au respect des règlements sur les subsistances et empêchent les fraudes ; le temps n’est pas loin où des transports nocturnes et clandestins de grains seront interceptés. Les mesures adoptées ont d’ailleurs des effets pervers : les habitants des paroisses voisines se présentent en masse pour acheter du pain à prix réduit, et des étrangers venus de plus loin encore en achètent des « quantités considérables », sans doute pour les revendre ailleurs avec un gros profit. C’est au tour des boulangers d’être sur la sellette. Le maire Picart met en cause publiquement « la dureté dont ils usent pour refuser souvent (de vendre) aux pauvres de la ville et faubourgs » et « l’avidité du gain qui (les) porte à fournir aux étrangers tout le pain qu’ils demandent » parce qu’ils le payent au-dessus du prix taxé. Le pot-aux-roses étant ainsi découvert, un système de cartes de pain est mis en place pour réserver aux « gens mal aisés de cette ville » les mesures de bienfaisance municipale. Ces louables efforts semblent d’ailleurs porter leurs fruits : le mois de juin est calme ; on se réunit peu et aucune assemblée générale n’est tenue. Pourtant, à Versailles, la situation politique est devenue explosive…
Quand Paris entre en scène…
Aux Etats Généraux en effet, la question du vote par tête a rebondi. Les députés du Tiers refusant de siéger à part ont décidé, selon le mot de Mirabeau, « de rester immobiles pour se rendre formidables à leurs ennemis ». Rien n’y fait ; quand le roi fait fermer la porte de la salle des Menus Plaisirs, ils s’assemblent au Jeu de Paume pour y prêter le serment de ne jamais se séparer. Si l’on en croit le tableau de David, Laborde est du nombre. Puis, Louis XVI, optant pour l’épreuve de force, fait masser 20 000 hommes de troupe autour de Paris et Versailles ; le 11 juillet, il renvoie Necker et charge le baron de Breteuil de ramener ses sujets à la raison. Alors, Paris explose…
Pourtant, ni le renvoi de Necker, ni la nouvelle de la prise de la Bastille n’apparaissent sous la plume du secrétaire-greffier d’Etampes, fût-ce par allusion. Aucune réunion du bureau municipal ne se tient d’ailleurs en juillet avant celle du 17. Il suffit pourtant de lire derrière les lignes pour être convaincu que ce jour-là, tout le monde sait la nouvelle… et ne pense qu’à cela ! Des lettres anonymes ont circulé ; des menaces de mort ont été proférées contre les officiers municipaux ; « plusieurs maisons sont déjà désignées pour être cette nuit la proie des flammes », si le prix du sac de blé ne retombe pas immédiatement à 30 livres. On décide d’organiser une patrouille de nuit, ce qui n’est guère du goût de Charles-Edme Blanchet : « Son âge de soixante ans et plus et ses infirmités ne lui permettent plus de continuer le service ». On nomme donc un nouveau lieutenant de milice à Saint-Gilles.
Le 22, la tension monte d’un cran et le souffle de la « Grande Peur » touche Etampes : une troupe d’environ 300 hommes se dirige vers la ville ; on donne l’alarme ; la milice prend les armes. Il ne s’agit en fait que de 100 hommes des Gardes françaises* et de la milice parisienne, mais ils sont escortés d’une foule de villageois, notamment d’Etréchy. On les arrête à la porte Saint-Jacques et on croit en être quitte pour la peur ; mais le sieur Cathol, « sergent de la Compagnie de Dancourt », est muni d’un ordre officiel de l’hôtel de ville de Paris : il vient « demander des subsistances pour la ville de Paris, sans nuire à celle d’Etampes ». Voire ! Les officiers municipaux sont perplexes ; ils procèdent à l’inventaire des grains et farines disponibles : il s’en faut de beaucoup que la ville soit suffisamment approvisionnée. Néanmoins, « pour donner à la ville de Paris une preuve de son zèle », Etampes autorise tout de même les Parisiens à acheter 200 sacs de farine. Immédiatement, le bureau municipal se retourne vers les campagnes : une perquisition est ordonnée dès le lendemain matin chez tous les laboureurs du bailliage. C’est au marché d’Etampes, et non ailleurs, qu’ils doivent conduire les grains qu’ils ont déjà récoltés.
Le lendemain, 24 juillet, le maire fait part de sa détermination à l’assemblée générale ; « plusieurs milliers de gens sans aveu se sont échappés de la capitale pour se répandre dans les provinces, nous ne (devons) pas négliger tous les moyens qui sont en nos mains pour nous défendre ». Une commission est constituée, présidée par le marquis de Valory, pour réfléchir aux mesures à prendre et élaborer un nouveau règlement de la milice bourgeoise. Si les événements parisiens sont perçus comme une menace, c’est aussi parce qu’on est encore sous le choc des exigences de la capitale. Le problème des subsistances ne se pose plus dans les mêmes termes depuis que Paris est entré en scène. Il suffit d’écouter Picart pour s’en convaincre : « le bureau municipal profite de l’occasion de votre assemblée, Messieurs, pour vous faire part de l’obligation où il a cru se trouver de consentir à l’enlèvement de 200 sacs de farine pour la consommation de la capitale… Ce qui a achevé de nous déterminer, c’est que nous étions persuadés que cet enlèvement se serait opéré malgré nous, quelque résistance que la milice bourgeoise ait pu faire… ». Picart a beau se faire rassurant, indiquer que l’on est en train d’opérer le recensement de tous les blés de la région, l’assemblée s’inquiète et l’un de ses membres intervient : « Cet enlèvement de farine a causé de l’inquiétude aux citoyens, quoiqu’il reste suffisamment de blés et de farines pour la subsistance de la ville… Cependant, plusieurs habitants craignent qu’il ne revienne une troupe plus nombreuse demander le reste de (leurs) provisions… ». Afin d’éviter pareille perspective, on décide aussitôt d’envoyer une adresse à l’Assemblée nationale et une députation à l’hôtel de ville de Paris.
Mais certains ne sont pas encore satisfaits : un autre membre de l’assistance met en cause les agissements de la boulangère de Boissy-sous-Saint-Yon qui, depuis plusieurs mois, fait des achats considérables sur le marché d’Etampes. Suspectée d’accaparement, elle s’est fait prendre en flagrant délit le samedi précédent : ses voitures transportaient près de cinquante sacs au lieu de la vingtaine déclarée. Mais la boulangère a le bras long : elle fait appel à l’Assemblée nationale qui lui donne raison, et le marquis de Laborde en personne intervient pour qu’on lui restitue les sacs confisqués. On doit se contenter de lui interdire l’accès du prochain marché. Maigre consolation : face aux pressions venues d’en haut, Etampes est impuissante.
Les premiers symptômes d’une crise politique à Etampes
Si l’assemblée du 24 juillet mérite de faire date, c’est aussi parce qu’au travers de la question des subsistances, apparaissent les premiers signes d’une contestation politique. Sans doute aussi la mise en place des nouvelles autorités parisiennes au lendemain du 14 juillet, et l’irruption à Etampes d’habitants de la capitale contribuent-elles à cette agitation. C’est à Saint-Basile, paroisse bourgeoise, que les remous commencent : dans l’après-midi, Crosnier et Rémond ont réuni l’assemblée de paroisse ; six députés se présentent peu après à l’hôtel de ville pour annoncer qu’ils ont procédé à l’élection de nouveaux officiers de milice pour leur compagnie. Ils ne veulent plus être commandés par « l’officier faisant le commerce des grains ». Le bureau entérine aussitôt ce coup de force. La paroisse Notre-Dame emboîte le pas à Saint-Basile. Le lendemain, c’est le tour de Saint-Gilles : le temps est bien fini où les officiers municipaux choisissaient à leur gré les cadres de la milice bourgeoise*. Peu après, les quatre députés élus pour se rendre à Paris prétendent soudain que leurs occupations ne leur permettent pas de se rendre dans la capitale : en fait, ils sont contestés. Mais ces désaccords ne sont bientôt plus de mise car on apprend qu’une nouvelle troupe parisienne est sur le point de venir réitérer ses demandes de farine. Une députation est envoyée immédiatement à Versailles, et ce qui reste de farine à Etampes est entreposé sous bonne garde à l’hôtel de ville. Contrairement aux allégations précédentes, on affirme maintenant qu’il ne reste pas assez de provisions pour attendre la moisson : il n’est donc pas question d’en donner aux Parisiens…
Le 30, on réunit de nouveau l’assemblée « pour la tranquilliser » : on a dénombré 492 sacs entreposés à l’hôtel de ville et les députés rendent compte de leurs démarches. Promenés de Versailles à Paris et de bureau en bureau, ils ont fini par obtenir, grâce à la recommandation des députés Périer, Gidoin et Laborde, quelques paroles rassurantes. L’assemblée se félicite de ces bonnes nouvelles, mais ne s’estime pas satisfaite. L’un de ses membres – le secrétaire-greffier ne nomme jamais les intervenants contestataires ! – observe qu’il serait bon « de rendre plus notoire ce qui se passe au bureau de la ville, soit en formant un comité provisoire, ou en tenant une assemblée générale par semaine ». Cette dernière proposition est adoptée, faisant voler en éclats une des dispositions essentielles du règlement municipal de 1786*. Désormais, l’assemblée générale siège tous les jeudis et le compte-rendu de ses délibérations est affiché « à la porte de l’hôtel de ville et des églises paroissiales ». Certes, la composition de l’assemblée n’est pas modifiée et on ne fait, en réalité, qu’entériner un fait acquis, puisqu’elle s’est réunie six fois depuis le 30 avril, mais toujours sur décision du bureau. Désormais, celui-ci n’est plus maître des séances et les citoyens ne tolèrent plus d’être tenus à l’écart. Pas de doute, Etampes entre bien en Révolution !
Pourtant, dès la fin du mois, la contestation politique marque une pause et la peur des désordres reprend le dessus. Dans le contexte de la « Grande Peur », on expulse de la ville « différents particuliers inconnus ou munis de passeports souvent équivoques, (…) sans état, ni moyen de gagner leur vie », en clair des chômeurs. Cabaretiers et aubergistes sont tenus de déclarer à la police ceux qu’ils hébergent plus d’un jour ; de nouveau, il est question de « gens sans aveu » expulsés de Paris et qui risquent de passer par Etampes. Plus grave encore, on apprend bientôt que des hommes en armes perturbent la moisson dans les campagnes environnantes. Aussi redouble-t-on d’amabilité à l’égard des dragons stationnés en ville : leur solde est majorée de deux sous, leur commandant est invité aux assemblées générales ; on les prie de bien vouloir « rester en ville (…) pour protéger les habitants et les défendre des incursions des brigands ». Le 22 août, officiers et dragons prêtent serment de fidélité à la Nation, au Roi et à la Loi devant l’hôtel de ville. Enfin, les décrets de l’Assemblée nationale ou de la municipalité parisienne concernant le maintien de l’ordre sont accueillis avec empressement : pas un mot en revanche des décrets du 4 août !
On s’affaire aussi à réorganiser la milice : le nouveau règlement est adopté. Ses membres doivent se faire inscrire au greffe mais les journaliers et petits artisans, « qui ne pourraient perdre une journée ou une nuit sans faire tort à leur subsistance » en sont exclus, de même que ceux « qu’une inconduite invétérée rendraient moins utiles que dangereux à la Société ». Interdiction est aussi faite à tout individu de porter les armes « s’il n’est commandé et agréé », et de fréquenter les cabarets pendant le service. On le voit, le bureau municipal et les notables ont presqu’aussi peur de dangers du dedans que de ceux du dehors ! Il est en effet essentiel de garder la milice bien en mains : quand plusieurs jeunes bourgeois viennent proposer de se réunir quotidiennement sur le Port pour y apprendre l’exercice, on exige de connaître l’identité de chacun des participants et l’autorisation n’est donnée que du bout des lèvres…
Les subsistances restent aussi au premier plan des préoccupations : au fil des assemblées générales, on suit l’évolution des stocks de farine entreposés à l’hôtel de ville. Mais on constate aussi que les courants d’échange habituels sont facilement perturbés. Le 28 juillet, on interpelle un cultivateur de Brières-les-Scellés venu acheter du pain. On lui explique que « s’il était juste que la ville d’Etampes alimente de pain sa banlieue, il était également juste que les cultivateurs de sa banlieue approvisionnent le marché des grains récoltés sur leur territoire ». Or depuis le début de la moisson, ils mènent leurs blés à celui de Dourdan ! La raison de cette anomalie est pourtant simple : une hausse brutale du droit de minage* perçu par les fermiers du Domaine en est responsable. Aussi revient-on au plus vite à l’ancien tarif.
Etampes est sur la défensive : lorsque le 6 août, une délégation de Boiscommun vient réclamer 50 sacs de blé, on l’éconduit sèchement ; le superflu, s’il y en a, est pour Paris ! Pourtant, les trafics plus ou moins licites continuent. A deux reprises, on intercepte en pleine nuit des voitures chargées de farine ; à chaque fois, c’est le meunier du moulin de la Trinité qui est en cause, mais il a une bonne excuse : il s’agit d’une livraison urgente pour la capitale ! La municipalité n’est pas tout à fait dupe et Jean Champigny doit rappeler le 28 août que les règlements obligent les laboureurs et les marchands à effectuer leurs transactions sur le marché* et non ailleurs. A la fin du mois, les stocks de l’hôtel de ville sont épuisés, mais la moisson est faite et, en principe, tout devrait maintenant rentrer dans l’ordre. En fait, Etampes est alors à la veille d’une nouvelle période de vive tension…
Malgré la moisson, la crise s’aggrave
Au mois de septembre, Etampes connaît une nouvelle poussée de fièvre, encore et toujours provoquée par la question du pain. Comment admettre qu’au lendemain de la moisson la pénurie de grains se poursuive ? C’est la preuve évidente que spéculateurs et accapareurs sévissent de plus belle : tandis que les laboureurs boudent le marché, diffèrent le battage du blé nouveau, des transactions se font en marge de la légalité. Les boulangers eux-mêmes se mettent à faire illégalement le commerce des grains. Les troubles de marché reprennent : le samedi 5, des rassemblements suspects se forment dès le matin et Jean Champigny requiert la milice afin de faire respecter l’interdiction de se réunir à plus de cinq : mais, sous divers prétextes, les officiers de la milice fuient leurs responsabilités et les officiers municipaux sont contraints de se rendre eux-mêmes sur le marché « pour y maintenir le bon ordre »… tant bien que mal ! La hantise d’une émeute est évidente ; le 10, on la croit imminente ; on rétablit la garde de nuit un moment interrompue ; le major de la milice ayant tenté sans succès de se procurer de la poudre à Paris, on réquisitionne celle qui est dans la ville ; mais les fusils sont hors d’usage… Le greffier enregistre des démissions en cascade parmi les officiers de la milice, notamment celle de M. de Bonnevaux qui en avait pris la tête en avril précédent. S’agit-il d’un désaccord politique ? Parmi les démissionnaires, beaucoup avaient été élu par les habitants en juillet. Saint-Basile, toujours prompt à contester, n’envoie qu’un officier et un fusilier sur le marché du 12 septembre. Voudrait-on faire pression sur les autorités en place ? C’est possible.
Dans cette conjoncture difficile, les paroisses Saint-Basile et Notre-Dame reviennent à la charge avec deux exigences très claires : l’élargissement de la milice bourgeoise et la réorganisation du pouvoir municipal. Dès le début du mois, une délégation de « plusieurs jeunes gens et habitants de la ville », conduite par Lavallery et Sibillon, réclame la formation d’une compagnie de volontaires élisant ses officiers et élaborant elle-même son règlement ; celle-ci serait incorporée dans ce que l’on appelle pour la première fois la « milice nationale ». Aussitôt, les députés des deux paroisses contestataires, Thomas Petit-Ducoudray en tête, déposent une pétition : tous les citoyens doivent être astreints en personne à la milice, privilégiés compris ! Le 6 septembre, deux arrêtés des mêmes paroisses réitèrent leurs exigences ; leurs députés se retirent même sans signer. La municipalité choisit pourtant le parti de la résistance. Elle refuse toute remise en question de l’organisation municipale, sous prétexte que deux paroisses seulement l’ont demandé et « qu’il n’est pas au pouvoir de l’assemblée d’en changer les dispositions sans porter atteinte à sa propre existence ». Quant à l’élargissement de la milice, après consultation de l’Assemblée nationale, on se contente d’adopter un nouveau règlement provisoire… qui ne donne guère satisfaction aux opposants. Finalement, le 10, le conseiller Geoffroy, « pour faire cesser les troubles qui agitent la ville et qui sont l’objet d’assemblées de paroisses incessantes », brandit la menace d’une démission collective des officiers municipaux et de ceux de la milice. L’assemblée générale leur renouvelle alors sa confiance et choisit la fermeté : les assemblées de paroisses sont désormais interdites.
Mais le désordre persiste. On annonce l’arrivée en ville de sel de contrebande. Le receveur des gabelles, fort inquiet, se précipite à l’hôtel de ville : trois inconnus, arrivés à l’auberge du « Chariot d’Or », ont répandu le bruit qu’ils allaient distribuer le sel à un prix en dessous de celui du grenier. Le sel étant lourdement taxé à Etampes, une foule munie de sacs se précipite déjà pour en acheter ; comme l’explique en toute simplicité le receveur, « il y aurait probablement du danger à résister à une multitude aussi nombreuse ». Les habitants des campagnes eux-mêmes affluent. Aussi décide-t-on d’opérer la saisie du sel de contrebande et de le vendre « au profit du Roi, au même prix s’il est possible que les contrebandiers (…) et même au-dessus si les circonstances l’exigent pour calmer le peuple ». L’indiscipline gagne aussi les rangs de la milice : trois fusiliers de Saint-Basile sont condamnés pour « désobéissance avec retraite » et « désobéissance avec insolence ». un maître cordier de Notre-Dame, Louis Lamain, est cassé de ses fonctions de sergent et condamné à 48 heures de prison ; comme un défi, il adresse à la municipalité sa démission enregistrée par huissier, ainsi que celle d’un de ses collègues ; peu après, c’est au tour du concierge de la prison d’être condamné… à 48 heures de cachot, pour avoir libéré le citoyen Lamain sans ordre ! Les autorités semblent avoir de plus en plus de mal à se faire obéir : le maréchal des logis de la maréchaussée, un certain Tessier, refuse de faire respecter à Châlo-Saint-Mars l’interdiction de chaumer avant le 15 septembre. Incontestablement, une certaine anarchie s’installe.
Pour comble de malheur, la pression parisienne recommence à s’exercer sur la ville. Tandis que les boulangers se plaignent du manque de farine et de l’impossibilité dans laquelle ils se trouvent d’assurer la subsistance des étrangers attirés par la Saint-Michel, Paris a de nouveau des exigences. On réclame un état des grains récoltés en 1789 et une liste des moulins pouvant travailler pour la capitale. Le 18 septembre, on annonce « la plus grande disette de pain à Paris ». C’est que les campagnes ne mettent guère d’empressement à approvisionner les marchés ; la municipalité doit de nouveau envoyer des commissaires dans les villages, puis hausser le ton en ordonnant aux cultivateurs « de faire battre le grain sans délai au tarif de trente sols par sac jusqu’à la Toussaint ». Il est interdit à tout homme valide de chaumer tant que le battage ne sera pas effectué. Le comité des subsistances de Paris pour sa part, s’adresse directement aux meuniers et marchands de blé d’Etampes pour faire moudre du grain venu de Beauce, que la municipalité doit s’engager à protéger. Mais le 7 octobre, Régnier, capitaine de la compagnie de la Garde nationale* de Saint-Eustache à Paris, se présente à Etampes pour réquisitionner des grains et enlever des farines. Dès lors, les choses se précipitent…
La « révolution municipale » à Etampes ?
Au début d’octobre, la capitale est de nouveau prête à s’insurger. Pour avoir du pain, il faut ramener à Paris « le boulanger, la boulangère et le petit mitron ». A Etampes, la situation est très tendue : le 3 octobre, le lieutenant particulier au bailliage*, Pierre-Etienne Simonneau, refuse de fixer lui-même la taxe du pain et c’est une assemblée générale extraordinaire qui doit y procéder le lendemain ; mais le sieur Martin-Darblay, un des appréciateurs*, n’a pas remis son rapport ; convoqué, il explique « qu’il ne peut aller sur le marché dans la crainte d’être victime des fureurs du peuple ». L’assemblée le rappelle pourtant à ses devoirs, tout en promettant d’assurer sa sécurité ; mais en est-elle vraiment capable ? C’est dans ces circonstances qu’arrive à Etampes le capitaine Régnier. La crise politique amorcée dès juillet s’accélère brusquement. La révolution municipale, particulièrement tardive à Etampes, est sur le point d’éclater. Une fois de plus, tout part des subsistances. Régnier informe l’assemblée qu’il vient chercher 200 sacs de farine chez le meunier Doucet, au prix – jugé exorbitant par les Etampois – de 67 livres le sac. Il prétend aussi se rendre dans les villages et fermes alentour pour y procéder à des réquisitions. L’assemblée lui rappelle que c’est au marché que doivent avoir lieu toutes les transactions et qu’il ne saurait se rendre dans les campagnes sans la compagnie de citoyens d’Etampes. Malgré cet accueil plutôt frais, la municipalité affirme prendre le détachement parisien « sous sa protection » ( !) C’est alors que survient un incident sur lequel le secrétaire-greffier reste muet, mais dont les conséquences éclatent au grand jour le lendemain, 8 octobre, journée décisive…
En effet, le maire Picart vient remettre sa démission au greffe, dans un geste solennel et quelque peu théâtral. Il affirme « qu’après toutes les peines que son zèle lui a fait prendre (…) depuis la grêle de l’année dernière pour procurer à la classe la moins aisée des habitants des secours de toute espèce, il ne devait pas s’attendre à essuyer d’injustes reproches ». Il précise « qu’il a été affecté de l’insulte qui lui a été faite le jour d’hier dans l’assemblée générale par un des députés de la paroisse de Notre-Dame ». En conséquence, il estime « qu’il doit abdiquer une place dans laquelle la patrie pourra être plus utilement servie par un autre, trop heureux (…) s’il emporte avec lui l’amitié de ses collègues et l’estime des honnêtes gens… ». Cette nouvelle fait sensation ; une assemblée s’improvise : beaucoup de ceux qui y assistent sont des nouveaux venus et sa composition n’a plus grand chose à voir avec ce qu’avait édicté le règlement de 1786. Il y a là des hommes destinés à jouer par la suite un rôle de premier plan : Sédillon, Héret, Baron-Delisle, Constance-Boyard… Thomas Petit-Ducoudray, l’échevin évincé en 1786, figure lui aussi en bonne place. Tous prennent connaissance de la lettre de démission du maire ; Lavallery, qui n’a pas été le dernier à contester, fait cependant part de son émotion et suggère d’envoyer une délégation solennelle auprès de Picart pour le prier de revenir sur sa décision. Aussitôt dit, aussitôt fait : sept députés et douze fusiliers se rendent rue Tripot, à deux pas de l’hôtel de ville, où demeure le maire. Chose étonnante, mais significative, Régnier fait partie de la délégation et la moitié des fusiliers sont des Parisiens. Picart, magnanime, revient sur sa décision, mais il fait des concessions majeures : les paroisses auront désormais six députés chacune à l’assemblée générale, au lieu de deux, et celle-ci partagera avec les officiers municipaux la gestion financière de la ville ! Picart est passé sous les fourches caudines…
Les conséquences de ce changement politique sont immédiatement perceptibles. Le jour même, on rend obligatoire le port de la cocarde tricolore ; la taxe du pain est baissée de deux sols pour le pain blanc ; les boulangers pris en infraction paieront une amende au profit des pauvres. Le langage change : on ne parle plus d’assemblée « des trois ordres réunis », mais de représentants de la « commune d’Etampes ». Surtout, dès le 11, on affirme « la nécessité d’établir une Garde nationale* qui puisse maintenir l’ordre public, considérant que la milice bourgeoise* (…) ne peut pas remplir cet objet ». Dix députés par paroisse travaillent dès le lendemain avec les officiers municipaux et l’inévitable Régnier, à la rédaction d’un nouveau règlement. Celui-ci sera soumis pour approbation aux assemblées de paroisses – elles ne sont donc plus interdites ! – qui éliront en même temps les officiers de chaque compagnie. On semble persuadé qu’une Garde nationale, plus représentative, aura plus d’autorité auprès des citoyens que l’ancienne milice, tout comme une municipalité élargie. Les revendications de Saint-Basile et de Notre-Dame ont donc finalement triomphé : tout semble désormais consommé…
La réconciliation de Picart et des partisans de l’ouverture de la milice et de la municipalité à de plus larges couches de la population n’est cependant qu’apparente ; le rapport des forces est inversé. Les nouveaux venus au sein de l’assemblée prennent toutes les initiatives, réduisant le plus souvent les officiers municipaux à un rôle passif. Leur activité est intense : les assemblées sont quasi journalières au cours des semaines suivantes, le bureau ne se réunissant seul qu’à deux ou trois reprises. La Garde nationale adopte son règlement et élit ses officiers dès le 19 octobre. Louis Creuzet, l’ancien commandant de la milice, reste à sa tête : ni Remond-Delisle, ni le marquis de Valory ne sont élus contre lui. Il y a maintenant neuf compagnies, deux par paroisse, sauf à Saint-Pierre. Chacune comprend deux capitaines, deux lieutenants, un sous-lieutenant et un porte-drapeau : ils en constituent, avec un représentant des fusiliers, l’état-major. Chaque compagnie a aussi quatre sergents et huit caporaux, ce qui porte à 180 personnes les « cadres » de la Garde nationale*. Le renouvellement des hommes est loin d’être total ; la moitié des membres de l’état-major exerçait déjà des responsabilités dans la milice bourgeoise, et c’est aussi le cas de plusieurs capitaines de compagnie : Labiche à Saint-Pierre, Guettard-Rabier à Notre-Dame, Simonneau à Saint-Basile, Boivin et Charpentier à Saint-Gilles, Conty à Saint-Martin. Pourtant, il est clair qu’il y a beaucoup d’hommes nouveaux : Marceau-Faucheux et Clartan à Notre-Dame, Sibillon, Héret et Sédillon à Saint-Basile, Sureau et Fricaud à Saint-Martin, Brou à Saint-Gilles, par exemple.
Le dimanche 25 octobre, sur la place de l’hôtel de ville, a lieu la prestation de serment. Les officiers municipaux sur le perron, ceux de la Garde nationale dans la cour, « tous les citoyens de la ville » sur la place, prêtent serment « d’être fidèles à la Nation, au Roi et à la Loi », mais aussi de « maintenir la paix pour la défense des citoyens et contre les perturbateurs du repos public ». Les représentants de la « commune d’Etampes » sont au moins aussi soucieux du maintien de l’ordre et de la discipline dans la garde que leurs prédécesseurs. Ils organisent une garde de nuit de 54 fusiliers et 19 heures à 7 heures du matin et une garde de jour de 9 fusiliers pour prêter main-forte au receveur de la barrière Saint-Martin ; sur une motion de Lavallery, un conseil de guerre est même créé pour juger les cas d’indiscipline : il entre en action dès le 30 octobre.
Etampois et Parisiens : des rapports toujours difficiles
Entre Régnier, si actif dans la vie étampoise en ce mois d’octobre, et les autorités locales, les rapports sont ambigus. Ces dernières adressent des remerciements à la commune de Paris, se félicitent de la présence de la Garde nationale parisienne à Etampes, mais quand Régnier parle de partir pour la capitale en laissant sur place une partie de ses hommes, on refuse poliment. Finalement, le capitaine ne quitte pas la ville ; lui et ses hommes interviennent même à tout propos : ils interceptent des gardes du corps du Roi, accompagnés de deux voitures pleines de fusils et de pistolets, et les entreposent à l’hôtel de « la Rose » où ils logent. Aussitôt, une foule de citoyens menaçants investit l’hôtel de ville pour réclamer les armes « pour le service de la ville qui n’en a point, et qui n’a pu s’en procurer depuis quatre mois, quelques démarches qu’elle ait faites ». On envoie Lavallery à Paris pour en obtenir la cession, mais la réponse est négative : il faut les rendre. Deux jours plus tard, Jean-Pierre Angot, chaudronnier de son état et député de Saint-Basile, déclare que le peuple se prépare à s’opposer par la force à la restitution des armes ; on les entrepose alors à l’arsenal de l’hôtel de ville, après inventaire et procès-verbal, en présence de Régnier. Le conseil de guerre condamne un fusilier de Saint-Basile pour avoir réclamé avec un peu trop d’insistance un de ces fameux fusils. Deux jours plus tard, ce sont trois voitures de poudre qui sont interceptées par Régnier, qui est toujours là : une fois de plus, Etampes les réclame, mais là encore, il faudra y renoncer et les rendre.
Décidément, le capitaine de la Garde nationale se comporte à Etampes comme en pays conquis : le 13 octobre, le bruit court en ville qu’il a fait battre la générale et ordonné d’éclairer les maisons de nuit, ce qui provoque un incident le soir même. Charles-Antoine Choiseau, de Saint-Basile, accompagné de 8 ou 9 personnes, dont deux Parisiens, interpelle le sieur Gandon qui n’a pas mis de chandelles à ses fenêtres, rue Darnatal ; ce dernier s’échauffe vite, les traite de « tas de canailles, de f. gueux », il va leur faire voir qu’il est maître absolu chez lui. Armé d’un fusil, suivi de sa mère, le jeune Gandon descend dans la rue où un drame est évité de justesse. Le lendemain, Régnier nie tout rôle dans cette affaire, et l’assemblée, une fois de plus, affirme qu’elle n’a eu qu’à « se louer de sa prudence et de son honnêteté ». Cependant, deux jours plus tard, Picart s’étonne de trouver en prison trois particuliers arrêtés sur ordre de Régnier, sans même que la municipalité ait été informée !
A la fin du mois d’octobre, les rapports entre les Etampois et la Garde nationale* parisienne sont de plus en plus tendus. Le 29, la Garde nationale* d’Etampes met en cause les interventions du capitaine parisien. Le 30, celui-ci, sur la rumeur qu’une trentaine de citoyens en veut à sa personne, quitte la ville et se réfugie au moulin de Vaux. Dans la lettre qu’il adresse à Hème de Maison-Rouge, il se plaint de cet « outrage sanglant fait à la capitale » et menace à mots couverts d’en référer à Paris. C’est le sieur Choiseau (encore !) qui l’a informé du complot qui se tramait contre lui ; il réclame protection pour rentrer en ville. L’échevin fait part de sa surprise, réitère sa confiance à Régnier et lui envoie aussitôt l’escorte demandée. L’enquête mené les jours suivants ne donne pas grand-chose ; on conclut finalement que toute l’affaire est le fruit d’« une calomnie atroce » destinée à « rompre l’harmonie qui règne entre la municipalité de Paris et celle d’Etampes », ce dont La Fayette et Bailly, maire de la capitale, seront immédiatement informés. Toujours est-il que, dès le 5 novembre, Régnier disparaît définitivement d’Etampes…
Ce n’est pourtant pas le retour au calme : le pain, le maintien de l’ordre, les rivalités politiques restent au cœur des préoccupations quotidiennes et des tensions sociales. Les premières grandes mesures de réforme décidées par l’Assemblée constituante commencent à se mettre en place et alimentent les querelles locales : contribution patriotique*, imposition des privilégiés, recensement des biens d’Eglise, dont la mise à disposition de la Nation est décidée le 2 novembre, proclamation royale du 15 du même mois autorisant les municipalités à recevoir les bijoux et vaisselle d’or et d’argent, pour être fondus et convertis en espèces sonnantes et trébuchantes… Autant de questions difficiles et qui ne font pas l’unanimité sur place quant aux modalités de leur application, et alimentent un débat politique intense dans la cité.
Le marché* Saint-Gilles reste le principal point chaud : on a bien du mal à faire respecter horaires et règlements et les incidents sont fréquents. Georges Boivin, mesureur de grains et grand buveur devant l’Eternel, s’y distingue particulièrement, mais il n’est pas le seul ; des bagarres éclatent opposant les meuniers et leurs commis à des particuliers qui veulent les contraindre à respecter les horaires prévus pour leurs achats. Meuniers et boulangers sont aussi en conflit d’intérêts. Ces derniers acceptent mal la taxation qui leur est imposée ; ils cherchent à la tourner en demandant – en vain – l’autorisation de faire du « pain fantaisie à la demande », à en obtenir le relèvement des autorités municipales ; tricher sur le poids peut être aussi un moyen de maintenir les profits… ou de les majorer ! La veille de Noël, Constance-Boyard et Leprince, toujours vigilants, saisissent un poids de deux livres utilisé par un boucher de Morigny : il pèse dix gros* de moins. Le contrevenant est acquitté « pour cette fois » par l’assemblée municipale, tandis que les deux commissaires se voient rappelés à l’ordre : leurs fonctions de commissaires se bornent aux paroisses Notre-Dame et Saint-Pierre…
La récolte ayant finalement été assez bonne, le prix du pain évolue à la baisse à la fin de l’année : le pain commun de neuf livres, qui coûtait 24 sols en avril, vaut entre 18 et 20 sols pendant l’hiver 1789-90. Cela ne fait pas l’affaire des boulangers, qui viennent se plaindre à l’hôtel de ville : « depuis quelque temps, la taxe du pain est au-dessous de la valeur du blé… ils sont exposés à une ruine certaine et inévitable ». Ils veulent que l’on fasse un essai permettant de démontrer qu’ils ne peuvent, avec une quantité donnée de farine, fabriquer suffisamment de pain pour rentrer dans leurs frais. Six commissaires sont désignés pour y assister le 14 janvier, mais le résultat est contesté ; il faut recommencer le 17, mais les boulangers « s’y refusent, préférant attendre la mise en place de la nouvelle municipalité qui fixerait la taxe du pain avec plus d’équité » ! La municipalité riposte aussitôt en invitant les boulangers des campagnes à venir vendre leur pain sur le marché d’Etampes ! Cependant, l’annonce, en décembre, de la création d’un marché à Etréchy, soulève un tollé général : on n’hésite pas à invoquer des textes du début du XVIIe siècle pour s’y opposer formellement…
Quant au maintien de l’ordre dans la ville, c’est aussi un sujet de préoccupation et de discorde. La Garde nationale* se heurte toujours à des problèmes d’indiscipline, d’ivrognerie et d’absentéisme ; ses officiers réclament, en vain, un peu d’autonomie et de responsabilité et sont vertement rabroués par les autorités municipales. Le 11 novembre, quand l’assemblée des représentants de la commune décide d’envoyer immédiatement soixante hommes sur le marché, le commandant Creuzet répond qu’il est trop tard et que cela lui est impossible : on lui envoie deux commissaires avec sommation d’obéir sur le champ. Le 7 janvier 1790, c’est la contre-attaque ; les officiers de la Garde nationale* remettent un volumineux mémoire réclamant entre autres l’autorisation de commander une garde suffisante lorsqu’un conseil de guerre a lieu pour juger un de leurs hommes. On les renvoie au règlement qui stipule que « défense leur est faite de commander aucun citoyen pour aucun service sans en avoir reçu l’ordre des Représentants de la commune ». Comme ils ont eu l’audace de demander que l’assemblée décide si les officiers municipaux doivent ou non monter la garde, Jean Champigny et ses collègues fulminent… et en appellent à l’Assemblée nationale ! Le ton monte, car trois semaines plus tard « l’assemblée enjoint au corps des officiers de la Garde nationale d’être plus circonspects dans ses délibérations, de se servir de termes plus décents et de se conformer au Règlement ».
On est aussi divisé sur les moyens du maintien de l’ordre. Le 11 novembre, un attroupement se forme devant l’hôtel de ville pour protester contre l’arrivée à Etampes d’un détachement du Régiment suisse de Vigier ; les manifestants arrachent à l’assemblée le vote d’une motion suppliant le ministre de la Guerre de retirer ces troupes, demande renouvelée le 26, sans plus de succès. Les autorités n’y ont d’ailleurs guère contribué, utilisant sans attendre les Suisses pour rétablir un peu d’ordre au marché. Lorsque Geoffroy demande que « la loi martiale, votée le 21 octobre, soit publiée avec les solennités qui ont été observées dans les autres villes du Royaume », l’assemblée refuse par dix-sept voix contre six et se contente de faire confectionner « deux drapeaux rouges pour servir si des circonstances malheureuses l’exigeaient ». Cependant, le calme ne semble guère régner en ville : même les enfants s’agitent ! Le 31 décembre, le maire informe l’assemblée que « des enfants des paroisses de Notre-Dame et Saint-Pierre doivent s’assembler demain pour se battre, par suite de différentes querelles qu’ils ont entre eux » ; les chefs de bande ont des caisses pour battre le rappel de leurs troupes : singeraient-ils les adultes ? L’assemblée prend en tout cas très au sérieux ces bagarres de quartiers ; elle interdit aussitôt aux enfants « de s’assembler, (…) de porter des épieux, fusils et bâtons », tout en rendant leurs parents responsables des violences qui pourraient survenir.
Sur le terrain politique, les luttes n’en sont pas moins âpres. La « révolution municipale » du 8 octobre n’a pas mis fin à la tension. Dès le 29 octobre, l’assemblée déclare que les privilégiés doivent désormais les droits de tarif* sur les vins et autres boissons. Le 5 novembre, cela tourne de nouveau à l’épreuve de force entre représentants de la commune et officiers municipaux. Ces derniers ne sont que deux ce jour-là, et l’assemblée en profite pour prendre des mesures étonnantes car en contradiction avec plusieurs délibérations des jours précédents relatives au maintien de l’ordre. Bien plus, Lavallery, toujours à la pointe du mouvement, dépose une motion visant à la confection rapide d’un rôle de supplément d’imposition des ci-devant privilégiés pour le second semestre 1789. Selon lui, ce rôle devra être dressé par la commune et ses députés, de même que pour la contribution patriotique et toutes opérations de règlement et d’ordre public. Hème de Maison-Rouge et Champigny, un moment débordés, protestent contre les prétentions des représentants des paroisses à exercer des pouvoirs réservés, selon eux, aux officiers municipaux. La discussion tourne à l’aigre ; Champigny se retire en signe de protestation, mais la motion Lavallery est votée à l’unanimité. Le lendemain, on se bouscule au greffe : à 9 heures, le bureau municipal proteste en chœur contre le vote de la veille, invoquant le règlement de 1786, toujours en vigueur et un arrêt du conseil de 1755. Un peu plus tard, les députés des paroisses se présentent et réfutent l’argumentation précédente : selon eux, il y a belle lurette que le règlement de 1786 n’est plus appliqué et seule l’assemblée est représentative, le bureau ayant pour rôle uniquement des opérations trop longues et trop minutieuses pour être confiées à la totalité de l’assemblée.
C’est à l’Assemblée nationale que chacun s’adresse pour dire le droit ; Necker lui-même est saisi. Le 27 novembre, contre toute attente, les officiers municipaux triomphent ; ils convoquent l’assemblée pour lire à leurs adversaires une réponse sans équivoque : « L’Assemblée nationale (…) ne reconnaît de corps municipal que les officiers municipaux. A eux seuls appartient la formation des rôles d’imposition ». Champigny, savourant sa revanche, fait mettre aux voix : officiers municipaux, « députés des corps respectifs » – au sens du règlement de 1786 – et députés de paroisses signent séparément, les uns après les autres. Ces derniers se résignent « provisoirement », « par amour de la tranquillité »… et parce qu’ils ne veulent pas retarder la confection des rôles. En ce domaine comme dans d’autres, une ingérence extérieure suffit à resserrer les rangs : en décembre, lorsque le département de Melun prétend envoyer un commissaire à Etampes pour recueillir les déclarations des contribuables, c’est l’union sacrée. Etampes parle d’une seule voix pour affirmer : « tandis que dans les autres lieux taillables, le recouvrement des impôts est en stagnation, tandis que l’on délibère ailleurs comment on formera les rôles de 1790, la ville d’Etampes a bientôt perçu un quart des impositions… ». Le patriotisme de clocher n’est pas un vain mot !
Des élections municipales laborieuses
(26 janvier – 1er février 1790)
Il y a bien encore quelques escarmouches, mais désormais les opposants attendent leur heure : l’Assemblée nationale adopte en effet le 14 décembre la loi instituant les nouvelles municipalités* ; on attend donc les élections. Les lettres patentes arrivent à Etampes un mois plus tard : deux assemblées électorales, réservées aux citoyens actifs*, se tiendront dès le 26 janvier, l’une à Sainte-Croix pour les quartiers nord, l’autre en l’église des Cordeliers pour Saint-Gilles et Saint-Martin. Crosnier et Desforges sont désignés pour en assurer l’ouverture. Pour la forme, l’assemblée générale du 21 proteste : on ne l’a consultée ni sur le jour, ni sur les présidences. Voilà qui augure bien du déroulement des opérations !
Le mardi 26, les officiers s’installent à l’hôtel de ville dès huit heures du matin et siègent sans discontinuer dans l’attente des procès-verbaux d’élection. Mais les choses ne sont pas si simples : à quatre heures de l’après-midi, Crosnier dépose bien celui de Sainte-Croix, mais à dix heures, Sureau, qui a supplanté Desforges à la tête de celle des Cordeliers annonce que la séance est remise au lendemain « sans leur en indiquer la cause ». Pour couronner le tout, à une heure du matin, une députation de Sainte-Croix remet en cause le procès-verbal remis pas Crosnier et annonce à son tour l’ajournement de l’assemblée. C’est le début d’un marathon électoral qui va durer une semaine. Le 27, les querelles vont bon train à Sainte-Croix ; Lavallery, porté à la présidence à la place de Crosnier récusé, requiert les officiers municipaux de prêter le serment exigé des électeurs et de se rendre aux urnes, mais ces derniers refusent obstinément de quitter leur poste. A trois heures et demie, les commissaires des Cordeliers apportent enfin leur procès-verbal : Thomas Petit-Ducoudray est élu triomphalement par 254 voix sur 299 votants. A six heures du soir, les résultats de Sainte-Croix arrivent enfin : Petit-Ducoudray obtient 192 voix sur 268, son seul rival sérieux Pineau de Villeneuve n’en ayant que 55. On note au passage le faible nombre de votants : 567 pour une ville de 7 500 habitants ; le suffrage censitaire* adopté par l’Assemblée nationale a fait son œuvre. L’élection du maire est donc proclamée… mais ce n’est pas terminé ; chacun doit maintenant retourner dans sa section pour procéder à l’élection des autres officiers municipaux. A deux heures du matin, le bureau met la clef sous la porte. Il faut encore deux jours et trois tours de scrutin pour compléter la nouvelle équipe, et ce n’est que le 30 janvier à sept heures du soir que Pierre Héret est élu procureur de la commune*. Deux bonnes journées sont encore nécessaires pour élire les dix-huit notables.
Le 1er février 1790, les élections sont achevées. Dès cet instant, les anciens officiers municipaux se retirent et laissent la place aux nouveaux élus. L’heure des règlements de compte est proche, comme le suggère cette aigre réflexion des sortants, datée du 27 : « plusieurs personnes ayant répandu dans le public que les officiers municipaux actuels avaient des comptes très considérables à rendre à la nouvelle municipalité », ils jugent plus délicat de ne pas participer au vote « afin qu’on ne puisse pas leur reprocher d’avoir choisi des citoyens qu’ils pouvaient présumer leur être favorables… ». La nouvelle équipe municipale entre immédiatement en fonctions. A sa tête, Petit-Ducoudray prend sa revanche : chassé de ses fonctions d’échevin en décembre 1786, il fait un retour en force. Il a manœuvré habilement, laissant le plus souvent à d’autres, comme Lavallery, le soin de donner l’assaut au pouvoir en place.
La composition sociale de la nouvelle municipalité est bien différente de la précédente : il n’y a plus aucun noble, mais quatre officiers municipaux sur dix sont maintenant des marchands : deux membres des Six-Corps*, Sureau et Meunier-Pineau ; Pierre Davoust, marchand-hôtelier à l’enseigne de « l’Etoile » et Baron-Delisle, marchand de bois et le propre fils de l’ancien échevin*. Les gens de justice ne sont plus que trois et d’un rang plus modeste qu’auparavant : le procureur Gudin, le notaire Sagot et le greffier Héret ; le laboureur Pierre Paris et le chanoine Boullemier de Notre-Dame, complètent l’équipe. Quant au maire, qualifié de bourgeois, il vit de ses rentes.
Les professions des dix-huit notables qui désormais assistent au conseil général de la commune sont aussi très révélatrices : on y trouve encore des marchands, de nombreux artisans parfois modestes, comme le cordonnier Portehault, ainsi qu’un laboureur. Lavallery, qu’on s’étonne de ne pas trouver au nombre des officiers municipaux, est seulement notable et c’est, avec l’huissier Lalande, le seul représentant des gens de justice. Le nom d’un second ecclésiastique apparaît également, celui de Voizot, chantre à Notre-Dame. Ce sont donc bien des couches sociales nouvelles qui accèdent au pouvoir municipal après sept mois de lutte intense. De nombreux nouveaux élus y ont d’ailleurs joué un rôle actif. La loi votée par la Constituante leur attribue un large champ de compétences. Que vont-ils faire de ces nouveaux pouvoirs ?
Le contentieux entre l’ancienne et la nouvelle municipalité
Le 2 février 1790, l’équipe municipale conduite par Thomas Petit se rend avec solennité à l’hôtel de ville après avoir prêté serment et assisté au Te Deum en l’église Notre-Dame. La salle commune est vide. Les anciens officiers municipaux ont préféré se tenir à l’écart des cérémonies. C’est donc le secrétaire-greffier, Périer-Desboquaires, qui accueille les élus et assure l’intérim en attendant d’être confirmé dans ses fonctions.
Comme toujours l’entrée en charge des nouveaux magistrats est marquée par de petits incidents, souvent mesquins, qui traduisent le dépit des perdants. Picart et Baron, receveurs des octrois, se font prier pour remettre les clés des archives et de l’hôtel-Dieu. L’inventaire et l’arrêt des comptes en sont retardés d’une quinzaine de jours. Les chanoines de Notre-Dame, hostiles à la nouvelle équipe, se vengent en privant l’abbé Boullemier de ses honoraires lorsque ses fonctions municipales l’empêchent d’assister aux réunions du chapitre. En réalité, ces gestes de mauvaise humeur cachent d’autres oppositions.
Une nouvelle équipe municipale est en place, mais quels sont ses pouvoirs ? La loi sur les municipalités votée à la hâte le 14 décembre 89 par la Constituante n’apporte qu’une réponse imparfaite. Ce vide juridique est propice à un affrontement entre les anciens et les nouveaux échevins, à propos de l’administration de l’hôtel-Dieu et de la crise frumentaire.
Picart et quatre de ses mais déchus restent administrateurs de l’hôtel-Dieu, fonction qu’ils doivent partager avec trois des nouveaux échevins qui revendiquent pour la ville le pouvoir d’inspection et de vérification des comptes. La cohabitation est difficile. Les deux parties en appellent à l’Assemblée nationale qui, prudemment, fait répondre que « la nouvelle municipalité n’a que provisoirement les droits de l’ancienne ». Les anciens doivent continuer d’administrer sous la surveillance des officiers municipaux. Ces derniers y voient un encouragement, et dans leur rapport d’inspection de l’hospice, se complaisent à en décrire l’état lamentable, laissant entendre qu’il y a négligence : « les latrines qui sont au bout de la petite salle des hommes… répandent une odeur infecte ». Les religieuses ne sont pas mieux loties car à cause d’un tuyau crevé, « l’urine de celles qui sont au-dessus filtre à travers le plancher ». Les fenêtres ne ferment plus, la cave est humide et insalubre et les sœurs ont dû en ôter le vin qui se gâtait. Six mois plus tard, Petit-Ducoudray et ses amis obtiennent l’administration complète de l’hôtel-Dieu. Picart, convoqué pour présider le bureau d’administration qui consomme sa défaite, refuse, en faisant dire, par un ami, qu’il est parti à la campagne et qu’il ne rentrera pas avant le soir.
Si la nouvelle municipalité veille jalousement sur ses prérogatives, elle devient plus circonspecte quand il s’agit d’intervenir dans la crise des subsistances provoquée depuis un an par les achats massifs de grains pour nourrir Paris. Les Etampois, méfiants, s’inquiètent de ces particuliers « connus et inconnus » qui enlèvent les grains sur le marché et les font « soi-disant » transporter à Corbeil. Ils se plaignent aussi des boulangers qui trichent sur le poids ou la qualité du pain et ne respectent pas la taxation en vigueur. La tension monte quand des lettres anonymes menacent les boulangers fraudeurs et les officiers municipaux s’ils ne font pas la police. Etampes murmure, la nouvelle municipalité essaie de détourner la colère contre le lieutenant général qui, selon elle, se doit de faire appliquer la taxation, inspecter les boulangers et veiller à l’approvisionnement de la ville. L’intéressé fait la sourde oreille. L’Assemblée nationale à nouveau sollicitée donne raison aux édiles qui s’empressent de faire imprimer et placarder sur les murs de la ville la décision des députés. La crise de l’été 89 rebondit un an plus tard lorsque deux marchands fariniers, Gérome et Darblay, viennent réclamer une somme de 5 575 livres pour 57 sacs de farine prélevés en juillet dans les magasins municipaux et les moulins, sous la pression des gardes nationaux parisiens. Thomas Petit refuse d’endosser la dette contractée par l’ancien pouvoir municipal et renvoie les meuniers aux poursuites judiciaires engagées contre Picart. L’affaire, renvoyée du District au Département se noie dans la procédure, et fin 1791, Gérome et Darblay n’ont toujours pas obtenu réparation.
Etampes dans la bataille administrative
Une des tâches essentielles de l’Assemblée constituante a été de démêler l’écheveau des institutions et circonscriptions administratives que l’Ancien Régime avait accumulées, sans jamais les détruire. Seuls des administrateurs et des juristes pouvaient s’y retrouver dans ce maquis. L’expérience du département de Melun, créé en 1787, n’avait pas été négative pour la ville qui avait su en tirer quelque profit, sous la forme de secours et de remises d’impôts, lors de la grêle de juillet 1788. Des liens s’étaient noués, Charles-Alexis Baron, notable étampois, assurait une liaison régulière avec le bureau de Melun, faisant bénéficier la ville de son expérience. Les cahiers de doléances avaient repris l’idée en demandant qu’Etampes devienne le siège d’une de ces nouvelles circonscriptions. Quand, à la fin de l’année 89, le projet de découpage de la France en 83 départements est débattu à la Constituante, il excite l’appétit des villes, gourmandes de pouvoir, et attise les rivalités. Etampes se lance dans la bataille en espérant tirer quelque avantage d’un dépeçage de l’Ile-de-France, qui s’annonce difficile, tant les villes qui peuvent prétendre à jouer un rôle majeur sont nombreuses. Deux rivales sont à craindre : Versailles à l’ouest et Melun à l’est. Les députés du bailliage sont chargés de défendre, auprès de leurs collègues, la candidature d’Etampes et son projet de création d’un département au sud de Versailles. Laborde de Méréville a habilement négocié avec Chartres et Orléans pour fixer les limites sud et ouest du département et assurer ses arrières. Pour écarter le danger oriental il fait valoir qu’il n’y a aucune route proprement dite entre Etampes et Melun, mais plutôt de mauvais chemins, qui rendent les communications malaisées. Contre Versailles la partie est plus rude. La ville royale, peuplée de 60 000 habitants, vient de perdre avec le départ de Louis XVI à Paris la source de sa fortune. Elle réclame en compensation un département dont elle serait le chef-lieu. Ces prétentions se heurtent à l’opposition de Pontoise, de Saint-Germain et… d’Etampes qui revendiquent le même honneur. Une brochure de quatre pages intitulée : « Précis en faveur de la ville d’Etampes » est dédiée et envoyée aux membres influents de l’assemblée, dont l’avocat breton Lanjuinais et le pasteur Rabaut Saint-Etienne. Pour appuyer sa cause l’auteur fait remarquer que Versailles est trop proche de Paris et « qu’il seroit absurde de fixer le chef-lieu d’un département dans une ville qui ne seroit qu’à deux lieues au plus d’un détachement voisin », alors qu’Etampes : « située à douze lieues de Paris, douze de Versailles, dix-huit d’Orléans, douze de Chartres, dix de Melun… ne peut être unie à aucune (des villes) qui l’environnent… Elle doit donc être chef-lieu de département, puisqu’elle se trouve comme un point-milieu entre ces différentes villes ». Gillot, qui est peut-être l’auteur de ce texte, soumet à Lanjuinais un croquis schématique du département d’Etampes qu’il appelle de ses vœux. La position topographique n’est pas le seul argument présenté par la ville, pour obtenir l’acquiescement des députés. On met dans la balance pour faire son poids : ses 9 000 âmes – en fait elle n’en a que 7 500 – ses 80 000 livres d’impôts directs, sa situation sur l’une des plus importantes routes du royaume et les 3 000 sacs de farine qu’elle livre toutes les semaines à la capitale. En plus de son importance économique la ville a toutes les qualités requises pour administrer correctement, car « dans les différents édifices qu’elle renferme, il en est plusieurs propres à recevoir dans un même endroit un établissement d’administration, tant pour l’assemblée générale que pour le travail particulier des bureaux. Eglises vastes, couvents spacieux, hôtels bien fournis, maisons agréables, air pur, situation riante ; Etampes réunit tous les avantages que l’on peut désirer ».
Les Constituants n’ont pas été sensibles à cette prose de « syndicat d’initiative ». Le verdict tombe en février 90 : Versailles l’emporte et sera chef-lieu du département de la Seine et de l’Oise. Le combat était par trop inégal mais la stratégie s’avère doublement payante pour Etampes qui échappe à une catastrophique tutelle de Melun et devient le siège d’un des neuf districts du département, subdivision qui survivra jusqu’en 1795. Ce vaste territoire de 859 km2 comprend 22 municipalités regroupées en 7 cantons (voir carte). Par rapport à l’ancien bailliage, Etampes perd, au sud et à l’ouest, des paroisses beauceronnes, au profit du Loiret et de l’Eure-et-Loir. Au nord, elle s’étend en Hurepoix jusqu’à Breuillet et gagne vers l’est Milly en bordure de la forêt de Fontainebleau.
L’inclusion d’Etampes dans la Seine-et-Oise a une conséquence inattendue : la perte de 9 000 livres de secours accordés par le ci-devant bureau intermédiaire de Melun pour soulager la misère des journaliers et ouvriers, très éprouvés en 88 et 89. Cette somme servait à payer les salaires des nécessiteux, employés par des ateliers de charité, à construire des routes. Les travaux entrepris entre Etampes et Bois-Herpin sont interrompus, ainsi que les liaisons vers Valnay et Ormoy. Les plus pauvres perdent une source de revenus, la ville manque l’occasion de renforcer son influence. Les chemins restent en l’état.
Au bout du compte, cette refonte de la géographie administrative est bien accueillie, car elle introduit plus de rationalité et sert de cadre à la décentralisation des pouvoirs, ce qui est alors le souhait de la majorité des Français.
Le district et la commune
Tracer sur le papier un nouveau cadre administratif ne suffit pas. Pour que celui-ci prenne vie, il faut élire et installer les institutions, ce qui s’accomplit avec la lenteur habituelle. Le décret sur la formation des départements et des districts ne parvient officiellement à Etampes que deux mois après son adoption. Il faut aussi informer les cantons et les paroisses, dresser les listes de citoyens actifs, seuls autorisés à prendre part au vote. Est électeur celui qui possède ou loue un bien et paie un impôt excédant la valeur locale de trois journées de travail. C’est ce qu’on appelle le cens. Il se monte à Etampes à 45 sols, niveau assez bas pour permettre l’inscription de 1 575 citoyens actifs. Si l’on songe que dans cette ville de 7 500 habitants, seuls les hommes majeurs peuvent prétendre à ce droit, les deux tiers des Etampois s’honorent du titre de citoyen actif. Le nombre s’élève à plus de 2 300 pour l’ensemble du canton. Les élections ont lieu au suffrage indirect. Les citoyens actifs répartis dans trois assemblées primaires, deux pour la ville, une pour les communes du canton, choisissent 24 électeurs qui, à leur tour, réunis en assemblée électorale, désignent les membres de l’administration du district. Ce premier exercice de la souveraineté populaire s’est déroulé à Etampes entre mai et juin 1790. Après avoir assisté à la messe du Saint-Esprit, en compagnie de la municipalité, l’assemblée électorale tient séance dans l’auditoire du palais royal (le tribunal actuel), pour désigner les administrateurs du district : douze conseillers généraux et un directoire de quatre membres. Les suffrages se portent sur Alexis-Théodore Charpentier, riche marchand de blé de la place Saint-Gilles, qui devient président du district. Il s’y trouve en compagnie d’autres notables étampois : le marchand Dufresne, le notaire Sagot et le procureur Héret. Ces deux derniers quittent la municipalité d’Etampes pour leur nouvelle fonction, le cumul des mandats n’étant pas autorisé. Pour sanctifier cet acte de civisme un « Te deum » est chanté, à l’issue duquel le maire, les officiers municipaux et les administrateurs s’échangent l’assurance de leur fraternité. La lune de miel entre la ville et le district est de courte durée, car ce nouveau rouage administratif contribue à réduire le champ d’action du corps municipal, qui n’est plus le seul maître dans sa ville. Confortablement installé dans le couvent des ci-devant Barnabites (aujourd’hui le collège Guettard), le district transmet les lois et veille à leur application. Il supervise la confection du rôle des impôts, dont la charge matérielle incombe à la municipalité. Bientôt, le district aura la haute main sur la vente des biens nationaux. Les échevins n’acceptent qu’à contrecœur de jouer les seconds rôles. Hommes de l’Ancien Régime, attachés aux marques extérieures du pouvoir, leur dignité est blessée quand ils doivent, dans leur ville, aux cérémonies officielles, céder le pas aux administrateurs du district. Ils protestent auprès des députés et du département mais finissent par se soumettre.
La fête de la Fédération à Etampes
En avril, le commandant Creuzet reçoit une lettre des officiers de la Garde nationale d’Orléans lui proposant une confédération. Ne sachant que faire, il sollicite l’avis des échevins. Ceux-ci sont partagés entre le désir de « donner à messieurs de la Garde nationale d’Orléans des preuves de fraternité » et la crainte de prendre une initiative qui risquerait de froisser les autorités du département à Versailles. La lettre est transmise aux neuf compagnies qui doivent se prononcer sur une éventuelle députation. On ne peut pas dire que la première manifestation du mouvement fédératif qui traversait la France ait soulevé l’enthousiasme des gardes étampois et fait taire leurs querelles. Deux compagnies de la paroisse Notre-Dame refusent de répondre sous prétexte que la lettre est adressée au commandant Creuzet et ne leur a pas été notifiée. Les habitants des quartiers Saint-Pierre et Saint-Martin ne se réunissent même pas. Après plus d’une semaine d’élection et de contestation, la délégation étampoise est enfin composée. Un officier de chaque grade et 18 fusiliers se rendront à Orléans.
Fin mai, début juin, la vague fédérative déferle : Chartres, Rennes, Rouen, Dourdan, Blois et Versailles invitent les Etampois. Impossible de donner satisfaction à tous. Un détachement se rendra à Chartres, un autre au chef-lieu du département. On commence à réaliser que le mouvement fédératif couvre toute l’étendue du royaume. La lettre des Rennais est la première à évoquer une confédération générale à Paris le 14 juillet « par devant nos seigneuries de l’Assemblée nationale ». Le corps municipal, toujours aussi peu audacieux, a répondu qu’il s’en rapportait à la prudence des administrateurs du département.
Enfin, le 15 juin, parviennent les décrets annonçant la fédération de toutes les Gardes nationales du Royaume à Paris. Le district d’Etampes est prié d’y envoyer ses représentants. Puisque c’est officiel, il faut célébrer. L’Assemblée des notables « autorise le bureau municipal à se pourvoir de la manière la plus économique aux préparatifs nécessaires pour la décence de la cérémonie en se servant des ouvriers et fournisseurs ordinaires de la ville ». Economie et décence, deux mots qui résument bien la philosophie de nos sages administrateurs. Côté décence les auberges et les cabarets seront fermés et la vente d’alcool interdite. Côté économie on demande aux églises les dais et ornements nécessaires. Saint-Basile accepte à condition que les échevins se portent garants de dégâts éventuels. La proposition jugée injurieuse est repoussée. Qu’à cela ne tienne, Notre-Dame offre gracieusement sa participation.
Nous sommes loin des débordements d’enthousiasme populaire qu’il est d’usage d’évoquer dans la préparation de la fête fédérative parisienne. Les détails de la cérémonie, où se mêlent les éléments religieux et civiques ont été minutieusement réglés. La veille au soir les citoyens illumineront les façades. Le matin, ils célèbreront cette fête solennelle en assistant aux messes qui seront dites. Le cortège qui traverse la ville pour se rendre sur la promenade du Port, où un autel a été dressé, respecte un strict ordre protocolaire. Le conseil municipal encadré par les gardes nationaux précède les ecclésiastiques eux-mêmes rangés selon leur dignité. A midi, la messe a été interrompue pour prêter le serment fédératif : « Nous jurons comme nos frères réunis à Paris le jurent présentement, d’être unis par les liens indissolubles d’une sainte fraternité, de défendre jusqu’au dernier soupir la Constitution de l’Etat, les décrets de l’Assemblée nationale et l’autorité légitime de nos rois ».
En l’absence d’autre témoignage il est difficile de dire dans quelle mesure les Etampois ont été touchés par la grâce de cet instant d’unanimité nationale. Sur le chemin du retour la foule a crié « Vive la Nation, Vive le Roi » mais nous n’en savons pas plus.
Dans les villages du canton la fédération a aussi été célébrée mais plus simplement. A Villeconin, la cérémonie se déroule dans l’église paroissiale où le curé Pradier, promu aumônier de la Garde nationale, bénit « l’étendard de la liberté française » qu’il « voit flotter sous les voûtes sacrées de ce temple ». Il s’adresse à ses « très chers frères et braves et généreux citoyens » pour leur montrer le caractère profondément religieux du serment civique : « faisons donc, mes chers frères… sans crainte de compromettre notre religion, ce serment qui nous est commandé ; jurons tous d’être fidèles à la nation… Jurons d’être fidèles à la loi, (…) engageons-nous à en être les exacts et religieux observateurs (…) Jurons tous enfin d’être fidèles au roi, (…) promettons de le regarder toujours comme le chef suprême de l’Empire français, de respecter sa personne sacrée et inviolable… ».
Sources
Archives municipales d’Etampes
Procès-verbaux des assemblées électorales
Précis en faveur de la ville d’Etampes, anonyme, Paris
Discours lors de la remise des drapeaux de la Garde nationale de Villeconin, 1790, anonyme, Paris
Registre des délibérations municipales d’Etampes : ID 9, (1er janvier 1787-2 février 1790), ID 10 (février 1790-février 1791)
Bibliographie
COUARD E. Le département d’Etampes, Versailles 1910
Chapitre 4 - Lassitude des élites et craintes populaires (août 1790 - novembre 1791)
Dans la période qui court d’août 1790 à la fin de l’année 1791, les étampois ne sont plus portés par le tourbillon révolutionnaire. L’intérêt provoqué par les transformations politiques est retombé. C’est le temps des interrogations et des inquiétudes pour le clergé. Une certaine lassitude s’empare des élites locales, ce qui se traduit par une désaffection de plus en plus marquée pour les charges électives. La municipalité a peu de prises sur les événements et se débat au milieu de difficultés financières. La gestion du quotidien suscite peu de vocations. Les citoyens actifs, par prudence ou par désintérêt, délaissent les assemblées électorales et rechignent à accomplir leur service de garde national. La ville se replie dans la morosité mais va bientôt sortir de sa torpeur. La fuite du roi à Varennes et les menaces d’accaparement qui pèsent sur la récolte de 1791, font resurgir au premier plan les craintes populaires : La réaction politique et la cherté des grains.
L’édifice religieux se fissure
Dès l’automne 1789, l’Assemblée nationale vote les décrets qui vont bouleverser l’organisation séculaire de l’Eglise catholique et définir la place d’un clergé jusqu’alors privilégié, dans une nation de libres citoyens. Inspirés par l’esprit des « lumières » et répondant au souhait majoritaire des Français, les législateurs interdisent les vœux monastiques et offrent une pension aux religieux qui quittent leur ordre, moyen efficace de vider les couvents et de tarir le recrutement. A Etampes, ces dispositions ne font que porter le coup de grâce aux communautés régulières, rendues moribondes au XVIIIe siècle, par la crise des vocations. Au début de la Révolution, les Mathurins comme les Barnabites ne sont plus représentés que par trois moines, les Capucins, par deux, les Cordeliers par douze religieux. Au cours de l’année 1790, presque tous se retirent des couvents, n’emportant, comme l’autorise la loi, que leurs vêtements personnels. Seul un vieillard, le frère capucin Auguste Moulin, déclare vouloir rester dans la maison de son ordre. Certains moines qui veulent demeurer à Etampes rejoignent les rangs du clergé séculier où ils occupent des fonctions de vicaires, comme Mathurin François Le Simple à Notre Dame et le capucin Laurent de Houve. Le prieur des Mathurins, François Antoine Biou, ne part pas les mains vides : il fait enlever les croisées, les portes vitrées et les lits qu’il vend à une veuve du Haut-Pavé. Des voisins charitables et anonymes le dénonceront aux autorités. Plus émouvant est le départ des trois derniers Barnabites, Delage, Camuzat et Pechard, car il marque la fin de ce qui fut le collège d’Etampes. Ils s’inclinent en informant la municipalité par une lettre le 24 décembre1790 : « L’assurance où nous sommes, vu les circonstances actuelles, réunies à notre âge, de ne pouvoir plus opérer aucun bien dans le collège de cette ville, confié à votre sage vigilance : ce motif, Messieurs, après en avoir conféré entre nous, nous détermine à vous prier de nous permettre de vous en remettre avec les biens, la totale administration. Espérant que vous voudrez nous accorder la permission de nous retirer... ». Les ordres féminins sont moins touchés : Les religieuses de la Congrégation de Notre Dame, elles aussi enseignantes, resteront une trentaine avant d’être dispersées en 1792 parce qu’elles refusent, sauf une, de prêter serment.
Les chanoines, en tant que représentants du haut clergé séculier sont contraints de renoncer à leurs privilèges par la Constituante. La ville d’Etampes qui abritait deux chapitres, Notre Dame et Sainte-Croix, les voit disparaître à regret. Quelques habitants adressent aux députés une pétition pour en demander le maintien. Non par souci de défendre des privilèges féodaux et les prébendes des chanoines, mais parce qu’ils étaient attachés à une institution religieuse dont le prestige rejaillissait sur la ville. Ce bouleversement du cadre religieux fait apparaitre des sensibilités différentes. Le chanoine Boullemier, représentant typique du clergé cultivé et acquis aux idées nouvelles a pris une part active aux bouleversements de 1789 ; membre du bureau municipal, il accepte de bonne grâce, la perte de ses prérogatives. Ce n’est pas du goût de tous ses collègues. Le24 décembre, Boullemier assiste à la messe de minuit en soutane et ceinture comme un simple prêtre-citoyen qui a renoncé « aux ornements et décorations distinctives des ci-devant chanoines ». Il s’assoit dans une salle du chœur. Lorsque la procession arrive à sa hauteur, le chanoine Veraquin, la main levée et d’un ton impérieux, l’apostrophe : « Que faites-vous ici Monsieur, ce n’est pas là votre place. Vous n’avez que faire ici, sortez ! Vous n’êtes qu’un mauvais prêtre et un mauvais citoyen ». Sous l’injure, Boullemier garde le silence, pour éviter un plus grand scandale. Le lendemain, alors qu’il s’apprête à officier, son irascible confrère l’injurie de nouveau et le saisit par le bras pour le chasser de la sacristie. Il est vrai que l’abbé Véraquin a quelques motifs d’être exaspéré : non seulement il perd sa dignité de chanoine mais la belle maison qu’il occupait à ce titre, 16 rue Evezard, estimée à 3000 livres, vient d’être mise en vente. Pour résoudre la crise financière, la Constituante a décidé en novembre 1789 de mettre les biens du clergé à la disposition de la Nation ; en contrepartie, l’Etat doit entretenir les desservants et pourvoir aux frais du culte. Le décret du 12 juillet 1790 connu sous le nom de « Constitution civile du clergé » jette les bases d’une église nationale et transforme les prêtres en fonctionnaires religieux. On trouve donc normal de les soumettre à la prestation d’un serment civique (loi du 27 novembre 1790). Dès qu’elle est connue, cette obligation divise le clergé français en deux groupes d’égale importance : les jureurs et les réfractaires. Charles César Périer curé de Saint Pierre et député du bailliage, a, le premier donné l’exemple en jurant au sein même de l’Assemblée constituante. Quelques jours après, Claude Julien Boullemier l’imite et déclare avec solennité : « Désirant comme je le dis en ma qualité de membre de la municipalité donner à mes concitoyens le témoignage le plus authentique de mon obéissance respectueuse et de mon irrévocable adhésion aux décrets..., désirant également comme prêtre et ci-devant chanoine, satisfaire au mouvement intérieur de ma conscience et manifester hautement à tous mes frères ecclésiastiques que je ne trouve rien de contraire aux lois canoniques, à la sainte morale et aux dogmes de l’Evangile dans la Constitution civile du clergé et dans la prestation du serment civique prescrits aux fonctionnaires publics. Je jure d’accomplir avec exactitude les fonctions qui pourraient m’être confiées, d’être fidèle à la Nation, à la loi et au roi, et de maintenir de tout mon pouvoir la Constitution ». L’adhésion de ces deux ecclésiastiques, engagés dans la vie publique, n’est pas surprenante, mais qu’en est-il pour les autres ? Les curés et les vicaires des cinq paroisses de la ville, une dizaine de personnes, viennent aussi avec plus ou moins de célérité, porter témoignage de leur acceptation de la loi. On sent pourtant à la lecture de leurs déclarations quelques réticences. Louis Devaux qui a quitté la paroisse Saint Gilles pour la cure de Fontaine-la-Rivière, se donne le temps de la réflexion et repousse son serment au dimanche suivant. Maître Maurice Humbert Empereur n’étant plus chapelain de la congrégation ne s’estime pas tenu de jurer. Certains préfèrent se faire oublier comme le barnabite Camuzat âgé et malade. IL mourra insermenté en 1796 après avoir traversé l’orage sans encombre. Les réfractaires affichés sont peu nombreux. En avril 1791, le registre de délibérations nous apprend que l’abbé Malleville s’est quand même présenté à la procession des Corps saints et s’est placé au niveau des prêtres fonctionnaires publics. Malgré des protestations renouvelées, comme quoi, n’ayant pas prêté serment, il ne pouvait faire semblable acte public de son ministère, il a refusé de se retirer et a suivi la procession jusqu’à le fin. Le corps municipal décide donc qu’il sera donné connaissance des faits à l’accusateur public du tribunal du district.
Etampes et sa région ne constituent pas un foyer de réfractaires ; le diocèse de Seine-et-Oise non plus, puisqu’il a à sa tête, en la personne de Jean Avoine, un des sept prélats, sur les 130 que compte le royaume, qui aient prêté le serment constitutionnel. La venue de l’évêque à Etampes le 1ier août 1791, est l’occasion de réjouissances et d’un accueil en grande pompe. Les autorités locales le reçoivent avec la plus grande bienveillance, des consignes particulières ayant été données en ce sens par Paris. Au nom du corps municipal : « Messieurs Boullemier et Simonneau se sont transportés avec un détachement de la Garde nationale sur la route de Dourdan au lieu-dit la Croix du Chesnay pour y recevoir Monsieur l’Evêque et le prièrent d’entrer dans la ville par le faubourg Saint-Martin... A son entrée ont été tirés les canons et crié et répété avec toute l’expression du sentiment et d’allégresse : « Vive la Nation ! Vive la loi ! Vive notre évêque ! »Monsieur Lavallery, au nom du corps municipal a, dans un discours vivement applaudi, développé les motifs d’allégresse et les sujets d’espérance de la commune, de posséder au milieu d’elle un évêque constitutionnel aussi recommandable, par son attachement à la religion et à la constitution ». Cette visite s’achève, le 3, par une messe solennelle célébrée par Jean Avoine en présence des corps constitués et de la population. A son départ, les autorités le remercient de : « la tendresse pastorale qu’il a témoignée aux citoyens d’Etampes et l’assure que rien n’altérera jamais...le respect et la confiance dont le germe qu’il a jeté dans leurs cœurs a pris les plus profondes racines. »
Parmi les jureurs et les réfractaires, pour la religion et la Nation, c’est encore le temps de la coexistence, mais des lézardes fissurent l’édifice religieux.
Grandeur et servitudes de la Garde nationale
La Garde nationale d’Etampes, rappelons-le, a son origine dans la milice bourgeoise qui, traditionnellement, assure dans les villes la sécurité des personnes et des biens en même temps que la tranquillité et le repos public. Le règlement de la milice adopté en octobre 1789 par l’ancienne municipalité fut tout de suite contesté. Le recrutement qui devait se limiter aux citoyens aisés s’étendit au gré des circonstances jusqu’aux boutiquiers et aux artisans, voire à quelques portefaix du marché. Cet élargissement social transforme l’ancienne milice bourgeoise en une garde nationale d’environ un millier de membres dont 18 officiers. Ce nombre peut paraître élevé mais il est théorique, car les effectifs réels sont fluctuants. En tout cas, il n’atteint pas la moitié du potentiel de citoyens actifs, même élargi aux jeunes gens de dix-huit ans qui sont admis à s’enrôler. Les fusiliers sont organisés sur une base locale, répartis en neuf compagnies de quartier. L’autonomie des compagnies est réelle puisqu’elles élisent leurs officiers, des caporaux aux capitaines. C’est aussi dans le cadre de la compagnie que les gardes sont consultés par l’Etat-major, qui assure le commandement pour l’ensemble de la ville. Les questions importantes et les problèmes de discipline sont abordés à l’hôtel de ville, en présence des officiers municipaux dans une réunion pompeusement baptisée : conseil de guerre.
La milice bourgeoise s’est fondue dans le cadre plus large de la Garde nationale mais son influence demeure, surtout au niveau de l’Etat-major et des compagnies. L’élection des gradés d’octobre 1790, fait apparaître le changement, sans bouleversement, des cadres de la Garde nationale. Quelques notables en vue sont éliminés comme les capitaines Guettard-Rabier et Rémond. Wacerbach et Lavallery prennent des distances, n’étant plus que simples fusiliers. A l’inverse, des hommes nouveaux, de condition plus modeste accèdent aux responsabilités comme en témoigne le tableau ci-dessous dans lequel figurent les professions ou le statut.
Tableau : Statut social et professions de la Garde nationale
Officiers Paroisse Notre-Dame |
Sous-officiers Paroisse Notre-Dame |
Lanon, bourgeois |
Poussin l'aîné, plâtrier |
Marceau Faucheux |
Surgis, jardinier |
Clartan, bourgeois |
Poussin le jeune, cordier |
Narcisse Sureau, bourgeois |
Berchère, boursier |
Claude Dupré, huissier |
Jean Neveu, chaufournier |
Gaudron, maréchal |
|
Officiers Paroisse Saint-Basile |
Sous-officiers Paroisse Saint-Basile |
Simonneau, négociant |
Vallot, maître de pension |
Piégu, épicier |
Cannes, chirurgien |
Gudin fils, avocat |
Baudet, maître d'école |
Lemaire, chirurgien |
Dupuis, mégissier |
Baron l'ainé, bourgeois |
Fontaine fils, bourgeois |
0fficiers Paroisse Saint-Gilles |
Sous-officiers Paroisse Saint-Gilles |
Duverger, maître de poste |
Carnevilliers, bourgeois |
Le Prince, marchand de plâtre |
Carré, menuisier |
Hippolyte Duverger, bourgeois |
Nicolas Boyard fils, vannier |
Hamouy meunier |
Marneau, bourrelier |
Constance Boyard, fripier |
|
Gagnebien, tailleur |
|
Officiers Paroisse Saint-Martin |
Sous-officiers paroisse Saint Martin |
Angevin père, bourrelier |
Claude Patin, boulanger |
Fricault, marchand tapissier |
Raveton, tailleur |
Angevin père, bourrelier |
Wacerbach, receveur des octrois |
Officiers Paroisse Saint Pierre |
Sous-officier Paroisse saint Pierre |
Labiche Pierre, marchand de bois |
Pierre Boucher père, vigneron |
Gérôme Vallot, laboureur |
Claude Robert, tailleur |
Le commandant Creuzet et son état-major ne disposant pas de locaux propres sont hébergés place du Port, à l’hôtel de l’Arquebuse, (il n’en reste aujourd’hui que le corps de garde). L’antique confrérie, appelée à disparaître, ne peut refuser d’autant que certains de ses membres sont gardes-nationaux. Pour la dernière fois, en 1790, ils font admirer leur adresse en abattant l’oiseau. A l’heure où le droit de colombier et de chasse est aboli, tirer le papagaï devient un privilège dérisoire. Avant de rentrer dans le rang, les chevaliers apparaissent encore deux fois en public : pour escorter la jeune fille élue « Rosière d’Etampes » et le 15 août à la messe de l’Assomption, solennellement célébrée, depuis qu’en 1638, Louis XIII avait consacré la France à la vierge. Les drapeaux de l’Arquebuse sont remis au maire qui en fait don à la Garde. En remerciement, Laborde de Méréville reçoit le titre honorifique de colonel de la Garde nationale par 219 voix contre 11 au marquis de Valory.
La fête de la Fédération contribue à élargir l’horizon politique des Etampois parce que de nombreux contingents en route pour le Champ de Mars, font étape dans la ville. Revenues d’Orléans, de Chartres ou de Paris, les délégations locales colportent à Etampes, l’écho des cérémonies et le souvenir d’un voyage qui a rompu la monotonie quotidienne. La grandeur de l’événement rejaillit sur la garde nationale qui est alors à son apogée. Dans la foulée, quelques citoyens enthousiastes de Saint-Basile proposent la formation d’une compagnie de jeunes gens de dix à dix-huit ans, baptisée « Le Dauphin », les autres quartiers acceptent en demandant que les enfants soient recrutés dès l’âge de six ans et que la compagnie porte le titre plus révolutionnaire d’ « Espérance de la Patrie ». On précise même qu’ils marcheront au centre lors des cérémonies, en uniforme mais sans baïonnettes ! Il semble que le projet soit resté lettre morte.
La discussion est plus âpre quand il s’agit de choisir des volontaires à incorporer dans une compagnie de chasseurs et une autre de grenadiers destinées à accroître le prestige de la Garde. On vote sans relâche pendant six bons mois : pour la taille requise (5 pieds pour les chasseurs, 5 pieds 4 pouces pour les grenadiers), pour le nombre, pour la procédure de désignation. Finalement, en janvier 1791, l’organisation définitive est adoptée par 117 voix contre 112. Les citoyens du quartier Saint-Gilles, soucieux de leur autonomie, s’opposent unanimement au projet et le font savoir. Ayant un peu bu, le caporal Georges Boivin, au nom prédestiné, insulte un officier qu’il traite de « grenadier à coup de pioche », s’empare de son fusil et le blesse. Cet incident peut nous paraître ridicule, mais il prouve l’importance que les gardes attachent aux signes extérieurs de leur dignité. L’appartenance à la milice pour les boutiquiers, les artisans et les vignerons est une forme de reconnaissance sociale. Pas une cérémonie, pas une procession ne se déroule sans qu’une cinquantaine d’hommes soient convoqués, précédés de leurs drapeaux et de leurs tambours, rangé dans un strict ordre protocolaire. Ils encadrent la municipalité lors de ses sorties officielles : celle-ci s’estimant alors satisfaite du service rendu, licencie les quatre hallebardiers qui l’accompagnaient naguère. La présence d’un détachement n’est accordée qu’avec parcimonie, dans les grandes occasions. Douze hommes surveillent en permanence l’assemblée électorale du district, une trentaine sont chargés de « l’ordre et de la décence pour la procession des reliques des saints protecteurs de la ville ». En revanche, le maire refuse que des gardes de Saint-Gilles prennent les armes pour la fête de la Saint-Jean, celle-ci ayant un caractère privé.
Le pain quotidien des gardes nationaux n’est pas fait uniquement de parades. La tâche essentielle est d’assurer l’ordre et la protection mais les compagnies ne s’en acquittent pas toujours de bonne grâce. A la porte Saint-Martin, les gardes montrent peu d’empressement à secourir le receveur des octrois qui n’arrive pas à faire payer les taxes d’entrée sur les marchandises, tant les fraudeurs sont nombreux. Les gardes sont avant tout des citoyens et estiment que les barrières devraient être abolies, et ce, d’autant plus que les habitants du Haut-Pavé menacent de les huer s’ils interviennent. Pour peu que la récolte soit mauvaise ou que l’approvisionnement en grains soit défectueux, cinquante hommes sont jugés nécessaires pour prévenir les troubles de marché : lorsque la situation s’améliore, le nombre est réduit de moitié. La tâche la plus ingrate et partant la plus mal respectée est de patrouiller à la nuit tombée. La garde montante, une trentaine d’hommes de toutes les compagnies, se rend à la caserne où la garde descendante lui remet les fusils. Première difficulté : les gardes n’acceptent pas toujours d’être commandés par un officier qu’ils n’auraient pas élu, d’où les insultes et les bagarres nourries par des rivalités de paroisses. On change alors de système et les compagnies montent la garde à tour de rôle. Deuxième difficulté : les citoyens répugnent à quitter leur quartier pour aller patrouiller dans d’autres. Un milicien du faubourg des Capucins surnommé «Va-de-bon-cœur » n’accepte de monter la garde que chez lui car les patrouilles n’y passent jamais. En centre-ville, les habitants notent que les soldats évitent soigneusement quelques rues obscures et non pavées... La compagnie de Saint-Gilles ne monte en service qu’au son du tambour, ce qui a le don d’exaspérer les citoyens tirés de leur sommeil.
Comme le service laisse à désirer, l’Etat-major doit sans cesse punir les refus et les insultes, en distribuant quelques jours d’arrêts. « Les prisons de cette ville sont à peine suffisantes pour contenir les prisonniers qui y sont détenus pour crime », observent les officiers municipaux, de plus : « il est humiliant pour des citoyens de se trouver confondus avec des criminels, et dangereux pour leur sûreté...Il serait nécessaire qu’il fût indiqué un endroit pour servir de prison aux gardes nationales ». Les coupables d’indiscipline effectueront leur peine à la caserne, sous la surveillance du concierge, avec interdiction de se faire livrer des liqueurs et du vin autres que ceux nécessaires aux repas ! Le capitaine Piégu subit des conditions de détention tout aussi rigoureuses, il est mis aux arrêts...chez lui !
Pour les gardes, remplir son devoir de citoyen n’empêche pas le patriotisme de clocher. D’une compagnie à l’autre, la coloration sociale et probablement politique est différente. Saint-Pierre et Saint-Martin plus rurales et faubouriennes se tiennent à l’écart de tous les grands débats et participent peu aux votes généraux. Saint-Gilles est farouchement attachée à son indépendance. L’Etat-major lui interdit de porter des épaulettes jaunes et des ceinturons par lesquels elle veut se distinguer. Le tambour Aubin est réprimandé parce qu’il bat la caisse aux baptêmes à la demande des habitants du quartier.
A la fin de l’année 1790, l’engouement pour la Garde nationale retombe, beaucoup d’officiers et de sous-officiers refusent les grades auxquels les suffrages de leurs concitoyens les ont portés. Les assemblées électorales ne réunissent plus que 15 à 50 participants.
La désaffection pour les charges électives
En février 91, après un an d’exercice du pouvoir, le groupe de 28 élus qui assurent l’administration de la ville, s’est profondément modifiée. Il ne reste plus de l’équipe issue de la « révolution municipale » que quatre personnes : le maire, Thomas Petit et trois officiers, L’abbé Boullemier, Meusnier-Pinault les charges qui leur sont offertes.et l’inamovible greffier, Périer. De la quinzaine de notables qui participaient au Conseil général de la commune, trois sont encore en charge. Le vivier dans lequel la ville doit puiser ses nouveaux échevins fonctionne mal, seuls Lavallery et Bannouard-Perrot acceptent sans rechigner les charges qui leur sont offertes. Les autres refusent ou démissionnent en mettant en avant leur âge, leur état de santé ou leurs obligations professionnelles. Les citoyens actifs boudent les assemblées électorales. Une centaine des suffrages se répartissent péniblement sur les candidats qui ne sont pas tous volontaires, si bien qu’il leur faut deux bons mois pour remplacer les magistrats et les notables défaillants ou en fin de mandat. Constance Boyard, fripier de la rue Basse est élu avec seulement 25 voix. Pour parvenir à ses fins, ce citoyen intrigant et ambitieux s’est appuyé sur la farouche autonomie du quartier Saint-Gilles. Le maire et les anciens échevins qui n’apprécient guère ce nouveau venu, le soupçonnent de manipuler les assemblées et de falsifier les procès-verbaux : ils l’accusent de ne pas payer ses impôts et d’être sous le coup d’une sentence de police. Ils demandent, en vain, au Conseil général de la commune d’invalider son élection au poste de notable.
La plupart des acteurs engagés dans la vie publique au début de la Révolution éludent les responsabilités ou prennent du recul. Les plus ambitieux quittent la municipalité pour des fonctions plus attractive dans l’administration du district ou sont élus juge de paix, comme Sureau et Gillot. Une poignée d’anciens magistrats reste par sens du devoir, entourée d’hommes nouveaux de faible envergure, à quelques exceptions près, dont Jacques Guillaume Simonneau, marchand tanneur à Saint-Gilles.
Au printemps 1791, la vague de refus ou de démissions s’amplifie. Nos concitoyens semblent fuir devant les responsabilités du pouvoir. De fin mars à mi-juin, la vie municipale est rythmée par cette débandade dont le registre municipal se fait l’écho. Le greffier enregistre en moins de trois mois : 12 démissions et 36 refus d’exercer une charge d’administration communale. Il est vrai qu’il ne s’agit pas de sinécures, un poste d’officier municipal, de commissaire aux contributions foncières et mobilières nécessite un engagement personnel intense.
La gestion du quotidien
Néanmoins, le corps municipal, malgré toutes ces défections, assure une permanence et un suivi des affaires de la commune.
La question du pont de Saint-Martin est une nouvelle fois à l’ordre du jour. Le problème est simple : le pont est étroit et moins large que la chaussée, il ne permet pas le passage d’un homme et d’une charrette de front ; cet étranglement provoque inévitablement des dégâts aux parapets. La solution serait d’élargir le pont, mais voilà, la commune manque d’argent pour entreprendre ces travaux coûteux et l’affaire traîne depuis 1778. En cette année 1791, tous les espoirs sont permis puisque le citoyen Laborde, offre à la municipalité l’argent nécessaire aux travaux, somme qu’il ne versera que le 10 août 1792 : un moyen comme un autre de manifester son attachement au nouveau régime.
La municipalité qui a un pouvoir règlementaire et exerce des fonctions de police, veille à l’application des lois. Le 21 mars, elle fait saisir chez un boulanger, pour fraude. Lorsqu’une rumeur parcourt la ville, elle s’en inquiète comme en témoigne « l’affaire des poignards » : « Sont comparus plusieurs citoyens lesquels ont dénoncé un bruit qui s’était répandu qu’il se fabriquait des poignards dans cette ville ». Cette dénonciation est appuyée par un cavalier de la maréchaussée : après enquête, la commune convoque le fabricant et les deux possesseurs de couteaux. Pour la tranquillité publique, elle décide de confisquer ces armes après les avoir passées au feu, martelées et émoussées pour les rendre inoffensives.
La justice locale
En août 1790, la Constituante réorganise le système judiciaire. Elle reste fidèle à ses principes : les magistrats sont élus et les juridictions calquées sur le nouveau découpage administratif. Le juge de paix, plus citoyen que juge, exerce sa compétence dans le canton : il s’occupe des petits délits puisqu’il n’inflige que des amendes inférieures à 100 livres. La justice de paix fonctionne bien en ses débuts : elle a à sa tête un magistrat compétent, Gillot, qui exercera ses fonctions jusqu’au Directoire. Cependant la machine judiciaire s’enraye parce que les membres du bureau de paix qui conseillent le juge cantonal ne sont pas payés. Les citoyens élus refusent la place ou s’abstiennent de siéger. C’est le cas en juin 1791 où six notables refusent en bloc l’honneur qui leur est fait. Etampes est également le siège d’un tribunal de district qui a compétence pour statuer sur les délits entraînant une amende inférieure à 1000 livres. Cette juridiction est entièrement confiée aux hommes de loi. A la différence de ce qui se passe pour le canton, ces magistrats assurent sans défaillance la permanence de la justice.
La contribution foncière
On sait le rôle fondamental qu’a joué l’hostilité aux impôts dans le déclenchement de la Révolution. Il est donc logique que la Constituante, répondant au vœu général de la Nation, réorganise de fond en comble le système fiscal. Les impôts disparaissent du vocabulaire et cèdent la place à des « contributions », plus équitables, assises sur les propriétés foncières et mobilières. La réforme adoptée exige, pour être applicable, la confection d’un cadastre, d’une matrice foncière assez précise pour servir de base au calcul fiscal. Le travail d’évaluation des patrimoines et de leur valeur locative retombe sur les municipalités. Il prendra plusieurs années. Le territoire de la commune est divisé en neuf sections : une pour la ville et les faubourgs, huit pour les écarts et hameaux. Les officiers municipaux, assistés de citoyens baptisés « commissaires aux contributions », portent la lourde responsabiité d’établir le cadastre. Une tâche ingrate qu’ils mènent avec lenteur. Constance Boyard chargé de la section de la Marnière (actuellement le plateau de Guinette) justifie son retard en déclarant au greffier municipal « qu’il ne s’est jamais refusé, depuis 15 jours qu’il est en place, à coopérer de tout son pouvoir aux opérations de la municipalité ». Il se déclare surpris puisque sur les neuf sections pour asseoir l’imposition foncière, il y en a à peine la moitié d’achevée ; mais qu’à cela ne tienne. « Il coure y travailler (...) et même sans relâche à compter de ce jour, mais il ne peut se charger seul de faire une section puisque les autres ont commencé le travail de la leur depuis trois mois environ, ce qui l’éloignerait tout à fait des affaires de la municipalité auxquelles il doit tout son temps ».
Etablir la matrice foncière n’est pas une sinécure ; le travail n’est pas rétribué et peut attirer la colère de futurs contribuables. Aussi sur les 50 citoyens élus commissaires aux contributions, seuls 37 acceptent. La municipalité les convoque et demande confirmation sous vingt-quatre heures, parce qu’il y a urgence à pourvoir ces postes. Une fois de plus, le pouvoir est contraint d’assigner des citoyens pour remplir une fonction. Une fois de plus, il se heurte à un refus : 17 pendant le seul mois d’avril. Les excuses invoquées sont toujours identiques : on avance les impératifs professionnels pour décliner toute charge ou toute responsabilité.
La commune d’Etampes est divisée en 9 sections pour la contribution foncière :
1 Section des Granges : Du faubourg Saint-Pierre à Bois Gallon
2 Section de la Prairie : De Gérofosse aux Porteraux jusqu’aux limites d’Ormoy
3 Section de la Grippe-Jésus : Portion de territoire au sud d’une ligne de l’Humery à Villesauvage
4 Section de l’Humery : Portion entre la route de Chalo et la ligne de l’humery à Villesauvage
5 Section de Vaujouan : Entre les routes de Chalo et Pierrefitte, vallées de la Louette et de la Chalouette
6 Section de Champdoux : Partie du plateau au sud de la route de Dourdan
7 Section de la Marnière : Plateau de Guinette jusqu’à la vallée Colin
8 Section de la Belle-hôtesse : Croix de Vernailles et faubourg Saint-Michel
9 Section de la ville : La ville basse, du port à Saint-Martin
Le choc de Varennes
Le 20 juin, Louis XVI, Marie-Antoinette et leurs enfants quittent dans le plus grand secret les Tuileries. Le monarque souhaite franchir la frontière pour convaincre les puissances étrangères d’attaquer la France et mettre ainsi un terme à la Révolution. Le lendemain, Etampes apprend l’incroyable nouvelle qui sera confirmée le 24 par une lettre de Gidoin député de la Constituant des personnes que les circonstances ont pu rendre suspectes du peu d’attachement à la Révolution ». Les autorités locales réagissent immédiatement. Tous les paquets sont immédiatement contrôlés aux relais de poste par un officier municipal et un notable, qui doivent faire parvenir à la maison commune ceux qui sont adressés à la municipalité : pour contrer d’éventuelles menées factieuses, on fait patrouiller chaque nuit quatre corps de garde, et on maintient sur place jusqu’à nouvel ordre un détachement de carabiniers provisoirement stationné à Etampes. On décide de faire ouvrir en présence d’un officiel le courrier « des personnes que les circonstances ont pu rendre suspectes du peu d’attachement à la Révolution ».
La fuite de Louis XVI est ressentie comme une trahison et la cassure est définitive entre le roi et son peuple. A Paris, certains s’en prennent aux bustes des souverains et des fleurs de lys. Un climat de suspicion apparaît partout. Les nobles qui n’ont pas encore émigré en sont les premières victimes, car ils ne peuvent être aux yeux des révolutionnaires que des agents de la Contre-Révolution. Ainsi, lorsqu’on apprend qu’une certaine Choiseul-Beaupré logeant depuis un mois à l’Hôtel des « Trois Rois », y reçoit fréquemment des « citoyens de la ville ci-devant nobles », dépêche-t-on deux membres du conseil pour vérifier son passeport. La suspecte est ensuite convoquée devant les autorités municipales qui l’assignent à résidence : on la relâchera faute de preuves.
La tension croît jusqu’au 24 : ce jour-là, des témoignages accréditent l’idée d’un complot aristocratique. Pierre Aubin Perrier révèle en effet : « qu’il a connaissance, pour les avoir vues hier matin, à six heures et demie, dans la cour du château de Courances (...) de quatre pièces de canon » et le sieur Voizot, notable, ajoute que ce château est « reconnu authentiquement pour être le point de réunion de la noblesse de ce canton où elle tient des assemblées continuelles ». Ces déclarations sont à l’origine de la folle équipée de Courances. Alors que le district fait preuve de modération, la municipalité réagit devant ce qu’elle considère comme une menace : « La garde nationale, la brigade de gendarmerie d’Etampes, des soldats du régiment de cavalerie, soit 150 hommes, partent d’Etampes ; ils sont accompagnés de trois officiers municipaux dotés des pleins pouvoirs : en cours de route ils reçoivent constamment des renforts ; ils seront 800 à l’arrivée. Mais une troupe aussi motivée ne se lance pas sur les routes sans « remontant ». On fait donc suivre 600 litres de vin que le brave abbé Boullemier essaiera pendant des années de faire rembourser au fournisseur. Arrivés au repaire des « brigands », ces citoyens émérites constatent que canon et complot n’ont jamais existé que dans les imaginations. Le retour ne fut sans doute pas glorieux ! Mais l’affaire est révélatrice de l’état d’esprit qui régnait en ce début d’été 1791. La rumeur concernant la présence de contre-révolutionnaires à Courances remontait en effet à six mois : mais à l’époque elle n’avait guère suscité d’émotion.
La hantise de la contre-révolution s’accompagne d’une peur confuse de l’étranger, de l’armée étrangère : et c’est cette peur qui explique l’un des rares sursauts de patriotisme qu’ait jamais connu Etampes pendant la Révolution. Les mesures prises peu de temps auparavant viennent accréditer e que la menace est réelle : le 12 juin 1791 a été votée la loi sur le recrutement de 1000 000 volontaires destinés à appuyer les troupes régulières en cas d’agression aux frontières. Spontanément, à partir du 24 juin de nombreux gardes nationaux et de jeunes citoyens décident de s’engager et le mouvement d’enrôlement dure jusqu’en octobre : 129 engagements au total, dont 118 avant le 18 août. Le plus âgé, Etienne Lornet quadragénaire ; le plus jeune Etienne Piard, a dix ans : il sera tambour. Le 4 juillet, la société des amis de la Constitution - les Jacobins – ouvre une souscription en faveur de ces valeureux patriotes. Dès fin juin pourtant, un relâchement de l’effort est perceptible ; la moisson va bientôt commencer et mobiliser les bras ; la garde de jour est supprimée et celle de nuit voit ses effectifs diminués. Les deux mois qui suivent sont calmes, si l’on excepte une bousculade entre gardes nationaux et gendarmes qui entraîne la démission du major de la Garde Lemaire, du commandant Creuzet et d’un capitaine. Ce qui aura des conséquences fâcheuses lors des troubles de septembre. Ce sont d’ailleurs toutes les campagnes qui sont touchées par cette nouvelle « grande peur ». Immédiatement, on réagit pour faire face à toute éventualité. A Angerville, dès le 22 juin, l’annonce, aussi incroyable soit-elle, de « l’évasion prétendue du roi »provoque la mobilisation jour et nuit de la Garde nationale.
Les « journées » des 10 et 16 septembre
L’été s’achevait. Paris portait encore les traces de la fusillade du Champ de Mars où des manifestants partisans de la déposition du roi avaient été tués par des gardes nationaux commandés par La Fayette.
Mais tout ceci n’avait pas eu d’écho majeur dans le pays étampois accaparé par les travaux des champs, d’autant que la récolte, contrairement aux autres années avait été bonne. Rien ne laissait donc présager la crise qui se préparait. Aucune protestation, aucun murmure par exemple n’avait accueilli l’intervention de l’abbé Boullemier, premier Officier municipal, quand il avait juré, lors de la cérémonie anniversaire du 14 juillet, de protéger « la libre circulation de grains et des subsistances du royaume ».
Tout commence brusquement le 10 septembre. Alors qu’on attend un blé bon marché, la chute de l’assignat et la perte de confiance qui en résulte entraînent une hausse brutale des prix des grains, qui sont alors à leur plus haut cours de l’année à Saint-Gilles. Les consommateurs ne comprennent pas, et les femmes ne sont pas les dernières à manifester leur mécontentement.
En fin de matinée, sur les onze heures, le district est averti de l’existence d’un « rassemblement et attroupement d’hommes » sur le marché. IL se réunit alors en séance extraordinaire et décide alors d’en appeler à la municipalité pour qu’elle prenne immédiatement « toutes les mesures pour maintenir l’ordre et la tranquillité des citoyens ». Vers 13 heures, la foule, parmi laquelle il y a un grand nombre d’ouvriers, « dont beaucoup de tanneurs », se dirige vers la mairie où justement les édiles sont réunis, en petit nombre il est vrai, puisqu’il n’y a là que le tiers des élus. Ce qui en dit long sur le civisme de certains officiers municipaux. Les manifestants sont on ne peut plus clair : ils veulent qu’on taxe les grains ! Et ils entraînent les membres de la municipalité sur le marché...La place Saint-Gilles est en pleine effervescence. Des mots fusent à l’encontre des marchands. Les officiers municipaux effrayés se dérobent : ils disent ne pas pouvoir prendre seuls une mesure qu’ils savent illégale ; ils veulent avoir l’avis du district... Sir le champ, l’un d’eux est envoyé en émissaire auprès de administrateurs ; il en ramène, escorté des « vingt-cinq ouvriers et compagnons » qui l’ont suivi, les membres du Directoire. Leur arrivée est saluée par de nouvelles protestations à l’encontre des fermiers « coupables d’avoir quitté leurs piles » c’est-à-dire leurs sacs de grains, et l’exigence d’une diminution du pain de 9 livres, de 21 à 18 sous. Pour ramener le calme, les autorités demandent aux fermiers effrayés de rejoindre leur place et ils font lire une proclamation. Mais immédiatement, la voix est couverte : on ne veut plus de discours, seulement la diminution du prix du pain ! Le secrétaire du district entreprend alors de rappeler le contenu de la loi du 22 juillet 1791 sur la liberté du commerce des grains. Il n’a pas le temps de s’étendre : des huées, des menaces même, l’interrompent. Voyant que la situation leur échappe, les officiers municipaux et les administrateurs du district décident de se retirer. Ils affirmeront par la suite pour se disculper qu’ils avaient regretté de ne pas avoir pu s’appuyer sur les forces de l’ordre, « qu’elles auraient pu arrêter les suites de l’attroupement »... Ils sortent donc tant bien que mal du guêpier, suivis par une foule de gens. Certains édiles s’éclipsent discrètement et regagnent leur domicile...
La dernière partie de la journée va se jouer au siège du district, rue Saint-Antoine, où les membres du Directoire et de la municipalité ont décidé de siéger ensemble. La salle est archicomble et la séance s’ouvre dans le tumulte général. Une nouvelle fois, on entreprend de lire les textes réglementant le commerce des grains ; une nouvelle fois, les « pétitionnaires » font taire le porte-parole : ce qu’ils veulent, c’est un texte qui réglerait une fois pour toutes, par la taxation, le prix des grains. C’est l’impasse...Au milieu des vociférations, Duverger, vice-président du Directoire, responsable en l’absence du président Charpentier se lève pour faire observer qu’il est impossible de poursuivre les débats, encore moins de voter dans un tel brouhaha...Les « mutins »acceptent de se retirer à condition de conserver deux observateurs. Et sans coup férir, ils désignent un ancien carabinier, Gabriel Baudet et un garçon cordonnier Jérôme Thibault. Duverger qui se fait tirer l’oreille, finit par accepter. La salle est évacuée mais les « taxateurs » vigilants s’installent dans une pièce attenante. Dehors, la rue est noire de monde : on pénètre dans le verger du district, dont on cueille les fruits : quelques vandales en profitent pour ravager le jardin ; des femmes excédées par toutes ces lenteurs saisissent la corde du puits et parlent de lanterner les empêcheurs de taxer-en-rond... Dans la salle de séance, où l’atmosphère est devenue plus calme, les responsables du district et de la mairie cherchent une issue à une situation qui risque à tout moment de dégénérer. Ils proposent que le prix du pain de 9 livres diminue de 24 à 19 sous, acceptant implicitement le principe de la taxation. Une concession incroyable ! Baudet et Thibault jaillissent de la pièce pour annoncer la nouvelle. Mais la salle voisine, comme la rue, clame sa déception : « C’est 18 sous qu’il faut et non 19 ! »Sous la pression populaire, les autorités acceptent 18 sous...
Les vendeurs sont évidemment les grands perdants d’une mesure qui va les décourager de fréquenter le marché d’Etampes ; et la taxation, on le voit, risque de se retourner contre le consommateur : on pourra toujours brandir la taxation, s’il n’y a pas de grains à acheter...Et comment alors approvisionner les boulangeries ? Ce sont les meuniers qui y gagnent. Ils profitent de la taxation populaire pour acheter le blé à bon compte ; et comme ils revendent le sac de farine à un prix prohibitif malgré l’intervention de la municipalité, il empochent une jolie différence.
En cette affaire, les membres du district et de la municipalité n’ont pas eu la même position. Les officiers municipaux se sont montré plus « compréhensifs » que les administrateurs ; Baudet et Thibault ne s’y sont pas trompés, qui au soir de cette journée, contrariés par l’attitude des membres du district, en particulier de Duverger, clamaient haut et fort qu’ils s’y prendraient autrement le samedi suivant... De quoi refroidir les ardeurs des plus dévoués à la cause publique.
Dans la semaine qui suit, le pouvoir se dilue. La municipalité ne prend aucune mesure préventive pour le prochain marché. Alors, le 15, Alexandre Goupy, procureur de la commune décide d’intervenir : il estime « nécessaire de remettre la Garde nationale de cette ville en activité » et rappelle que « les officiers municipaux aux termes de l’Assemblée nationale sont responsables des événements qui peuvent survenir par leur négligence ». IL demande aussi au Directoire de requérir la gendarmerie afin de rétablir l’ordre et la tranquillité publique.
A Versailles, on s’inquiète fort, d’autant plus que les événements d’Etampes sont loin d’être seuls. Depuis le début de septembre, des incidents plus ou moins graves ont éclaté en divers points du département : et partout les perturbateurs n’ont qu’un mot à la bouche : » Taxation ! » On craint une subversion générale... Le directoire du département penche pour la répression. Contre l’avis de la municipalité, et malgré les conseils de prudence de Simonneau et Lavallery, il décide d’envoyer à Etampes un détachement de cavalerie . La décision va à nouveau mettre le feu aux poudres et engendrer une nouvelle « journée », tant est grande l’aversion des démocrates étampois à l’encontre des forces de l’ordre.
On attendait les difficultés pour le samedi jour de marché, et c’est vendredi 16, à 10 heures du matin, que brusquement la tension monte. Alors que chacun est à son travail, voilà que deux cavaliers franchissent au galop la porte Saint-Pierre et gagnent l’hôtel de ville où ils se présentent comme « l’avant-garde des chasseurs de Hainaut envoyés sur l’ordre du ministère de la guerre ». Lorsque la nouvelle est connue, des attroupements se forment, des protestations se font entendre. On sonne le tocsin à Notre Dame et Sainte-Croix, on fait battre la générale à son de caisse. On sort les armes blanches et les fusils. On court à la maison commune, au District. Persuadés qu’ils ont été joués par des "traitres et foutus coquins », les citoyens les plus déterminés se rendent à la porte Saint-Pierre au-devant de la troupe. Boullemier qui fait office de maire comprend vite qu’il n’est pas question de loger les soldats à demeure ; il veut se rendre chez l’étapier pour lui dire de restaurer les cavaliers et faire boire les chevaux, bien décidé à renvoyer immédiatement la troupe. Mais dehors, il est hué : deux femmes se jettent sur lui, le saisissent à la gorge et crient qu’il faut le mettre à la lanterne ! L’abbé est brave mais pas téméraire : il rejoint sa demeure au cloître Notre-Dame. Pour n’en plus bouger.
A la porte Saint-Pierre, pendant ce temps, l’attente continue. Soudain, voilà qu’arrive, venant du centre-ville, un cheval qui demande qu’on lui ouvre le passage. La foule est dense ; on le bloque, on l’interroge avec quelque vigueur. Il avoue être porteur de deux lettres, par lesquelles le commandant de gendarmerie Tessier, sur ordre du District, demande du renfort à La Ferté et à Milly. Une vingtaine de personnes bien décidées à obtenir des explications lui font escorte jusqu’au District, où les lettres sont lancées sur la table. Sur ce, arrivent les chasseurs, tout étonnés de trouver une population sous les armes. On leur signifie de tourner bride mis ils exigent un ordre écrit et la présence du maire .On se précipite alors chez Boullemier que l’on tire de sa retraite. Les cavaliers font demi-tour. On va maintenant s’expliquer entre Etampois !
A la maison commune, quelques officiers municipaux, des membres du District et des officiers de la Garde nationale siègent ensemble ; l’atmosphère est lourde. Goupy, procureur de la commune démissionne, furieux de ne pas avoir été écouté plus tôt ; il quitte la salle, suivi des gardes nationaux. Il est 16 heures. Boullemier fait son entrée. La foule envahit les lieux, et, immédiatement on commence à demander des comptes, à porter des accusations. Des leaders apparaissent : Un chaudronnier officier de la Garde nationale, Vaillant, un vannier, Flizet, Bagault père, et une connaissance Gabriel Baudet. C’est Vaillant qui mène l’assaut, qualifiant de « traîtres, de foutus marchands de blé, de mauvais citoyens » les officiers municipaux présents ; des fusils et des baïonnettes sont dirigés dans leur direction. Mais les plus menacés sont les membres du District. Duverger surtout que l’on accuse de s’être rendu la veille à Melun, d’où venaient justement les cavaliers. Il esquive les coups, séparé de ses assaillants par la largeur d’un bureau... Vaillant exige qu’on lise les lettres trouvées sur le gendarme ainsi que le registre du District, sinon Duverger et Venard seront mis à la lanterne. Boullemier trouve le courage de dire que « tout cela est inconstitutionnel »mais qui l’écoute ? Quand le commis du district est de retour, on constate que les lettres ont disparu... La lecture du registre apporte la preuve que la réquisition a bien été demandée par Versailles ; mais cette nouvelle, loin d’apaiser les esprits accroît l’irritation : "si le département a pris la décision, c’est que le District m’avait sollicité ! On veut voir les signatures... Il est temps de faire justice !"
Un tribunal populaire se constitue pour juger Duverger et Venard. Sans cesse, on entre, on sort : la tension est extrême : « Ne faites pas de grâce ! ... Il faut les pendre ! ». Boullemier atterré essaie d’apaiser les esprits. Brusquement, il saute par-dessus le bureau derrière lequel il est bloqué ; il s’approche de Vaillant et lui murmure : « Mon ami, il ne faut pas aller si loin ». Ils descendent tous deux dans la cour où ils s’entretiennent un bon moment, sans qu’on sache ce qu’ils se disent. Dans la salle commune, on crie « A mort ! » Il est plus de 9 heures, le jugement tombe : « Venard et Duverger doivent être pendus » ! Vaillant qui vient de remonter commence à calmer le jeu. Il dit qu’il ne faut pas aller si loin, qu’il faut se contenter de les emprisonner. Mais certains qui sont « comme des diables » ne l’entendent pas ainsi, et déjà pointent leurs fusils sur les deux hommes. On s’interpose. Les plus modérés préconisent alors de mettre en prison, sous la garde de 12 hommes tous les administrateurs du District. En bon homme de loi, Gudin fils demande la relaxe, faisant valoir habilement « que mettre en prison les administrateurs serait un déshonneur pour la ville ». Il est hué et menacé. Vaillant grimpe alors sur la table et harangue l’assemblée : Duverger et Venard sont coupables mais il faut leur pardonner ; son argument : « on a bien pardonné à ceux qui étaient complices de la fuite du roi »...La salle est divisée. Gudin intervient à nouveau, mais ses propos déclenchent une bagarre : on l’emmène en prison ! On recommence à discuter : la tension retombe un peu. Duverger, après des heures d’angoisse, trouve suffisamment d’énergie pour intervenir : il propose une pétition pour demander à l’Assemblée la taxe des grains. La partie est gagnée : On rédige une lettre, qui est signée par plusieurs émeutiers et déposée au bureau de poste. Alors, sur le coup de minuit, on va tirer Gudin de sa prison ; puis chacun rentre chez soi...Quelle journée !
Le lendemain est jour de marché ; On craint une action concertée des forces répressives : sur les huit heures effectivement, des détachements de gendarmerie venant de Fontainebleau et d’Arpajon se présentent aux postes de garde. Des citoyens armés leur interdisent l’entrée de la ville et obtiennent que les gendarmes s’en retournent. Au marché de l’après-midi, on taxe les grains. Tout se déroule dans le plus grand calme.
Ce 17 septembre, la vacance du pouvoir est totale : il n’existe plus aucune autorité légale à Etampes. Tous les membres du District ont quitté la ville sauf un.Ils vont d’ailleurs démissionner les uns après les autres au cours des quinze jours qui suivent. Les officier municipaux et les notables, eux, n’attendent pas ; invoquant" les circonstances fâcheuses », il faut attendre le 24 septembre pour voir une municipalité réduite à quelques membres recommencer à expédier les affaires courantes : quant au District, c’est seulement le 30 qu’il se remet au travail. Entre temps, le 19, Simonneau et Lavallery délégués spécialement par le département pour enquêter sur la sédition font une brève apparition à Etampes : ils questionnent, écoutent et repartent, convaincus que seule, l’arrivée des soldats a provoqué les troubles. Ils le disent aux autorités départementales qu’ils mettent à nouveau en garde contre l’emploi de la force. Le Département comprend qu’il a commis une erreur en envoyant Simonneau et Lavallery, à la fois juges et parties en cette affaire. En octobre, il dépêche donc à Etampes deux nouveaux commissaires chargés d’enquêter et de rechercher les coupables. Le gouvernement s’inquiète en effet de la tournure prise par les événements. Le roi lui-même adresse une proclamation aux Etampois pour rappeler que « les désordres ne peuvent avoir d’autres résultats qu’un nouveau renchérissement ». Mais le calme revient. "Depuis le départ de Messieurs les commissaires pacificateurs envoyés par le département souligne la municipalité le 18 octobre, les marchés ont été absolument libres et les moulins n’ont pas cessé de tourner ». Une manière de rejeter sur le département la responsabilité des troubles.
La situation politique locale elle aussi se débloque ; péniblement il est vrai. Les élections municipales de novembre ne soulèvent pas l’enthousiasme ; on a bien du mal à former une équipe : il ne faut pas moins de sept tours de scrutin marqués de nombreux refus - dont celui de Gidoin, élu maire contre son gré – pour qu’enfin le 19 novembre, Etampes, après six mois d’intérim, retrouve un maire ! C’est Jacques-Guillaume Simonneau. Dans le drame en trois actes dont la ville est le théâtre du 10 septembre 1791 au 3 mars 1792, le dernier peut commencer : ce sera le plus tragique.
Sources
Archives nationales : Série F 14, réparation du Pont de Saint-Martin
Archives départementales de l’Essonne : Registre de délibérations du district d’Etampes, L 96 (7 mai1791-2 décembre 1791)
Archives municipales d’Etampes : Registres de délibérations municipales d’Etampes : ID 10, tome 10 (février 1790-Février 1791) et ID 11 tome 11 (1 mars 1791-14 mars 1792)
Archives municipales d’Angerville : Registre de délibérations (1790-an II) non coté
Bibliographie
Charles Forteau : Claude julien Boullemier chanoine de Notre-Dame, élu maire en 1791 annales du Gâtinais
Chapitre 5 - L’affaire Simonneau
Le calme des trois derniers mois de 1791 est trompeur. En réalité, la tension demeure. Divers incidents témoignent d’un malaise croissant et d’un véritable effondrement de l’autorité. Tous les ingrédients qui avaient conduit aux explosions de septembre demeurent en effet réunis : la spéculation et le blé rare sur le marché, le mécontentement des plus démunis, le décalage entre une autorité locale soucieuse des intérêts de la population et le Département qui exige par-dessus tout le respect de la loi et le maintien de l’ordre. Mais la nouveauté vient de l’apparition de la contestation en milieu rural ; un nouveau front s’ouvre qui inquiète rapidement les autorités.
Le 3 mars 1792, Jacques-Guillaume Simonneau maire d’Etampes trouve la mort dans une émeute au marché Saint-Gilles, alors qu’il s’oppose, au nom de la loi, à la taxation des grains. L’événement s’inscrit dans un mouvement d’agitation qui perturbe alors les principaux marchés d’Ile-de-France ; par sa gravité, il révèle les tensions profondes de la société révolutionnaire au printemps de 1792. A l’opposition entre la ville et ses campagnes, s’ajoutent en effet des divergences d’intérêt entre producteurs aisés vendeurs de surplus et manouvriers pauvres qui voient s’envoler les prix, entre partisans et adversaires des « grosses fermes ». Deux conceptions de la politique commerciale et de la propriété s’affrontent derrière deux hommes : Simonneau, riche tanneur d’Etampes, défenseur de l’ordre et de la loi et Dolivier, curé de la paroisse rurale de Mauchamps, soucieux de justice sociale.
Très vite, l’affaire prend une dimension nationale : défendre la mémoire du « martyr de la Loi » devient pour les modérés le moyen de mettre en difficulté les Jacobins accusés d’avoir encouragé les émeutiers ; les premiers suscitent une campagne d’adresses dans tout le pays, organisent la fête de la Loi, en réponse à l’exploitation politique par les Jacobins de l’affaire des Suisses de Châteauvieux. A quelques semaines de la déclaration de guerre, ce qui n’aurait pu être qu’un fait divers local est devenu un moment de l’histoire de la Révolution.
Changement de ton, changement de rythme
L’agitation rurale n’est pas à vrai dire une nouveauté dans la région ; au printemps 1789, on s’en souvient, les campagnes autour d’Etampes avaient été déjà passablement traumatisées par des bandes d’errants ; mais l’agitation prend un autre tour à partir de l’hiver 1791-1792. Les délits restent les mêmes, ce sont les auteurs qui changent. Aux mendiants étrangers qui sillonnaient autrefois la plaine, succèdent maintenant des groupes organisés de huit ou dix villageois appartenant à des communautés du Hurepoix, qui n’ont pas de grains à suffisance. Ils se présentent chez les fermiers non pour voler, mais pour obtenir « des bleds au juste prix ». Une manière d’instaurer un contrôle populaire de fait sur les produits de première nécessité. Or, la démarche est doublement illégale aux yeux des autorités, puisqu’il s’agit d’une taxation et que l’achat se fait à la ferme. Et la démarche est jugée d’autant plus délictueuse qu’elle s’accompagne de menaces pour faire céder les cultivateurs réticents.
Pénurie de grains, pénurie de bois aussi. Le vol de bois est de tradition à la campagne, surtout l’hiver, quand il faut à la fois faire cuire la soupe et se chauffer. Avec la Révolution, les délits se multiplient ; mais c’est là encore, au début de 1792 que l’attitude des délinquants change. Jusqu’alors ils fuyaient, quand les gardes forestiers les surprenaient, tant était grande la peur de la répression ; maintenant ils ne se laissent plus impressionner ; ils provoquent même, sont volontiers menaçants ; et une telle attitude en dit long sur l’évolution des rapports d’autorité.
Le 1er mars, un groupe de cavaliers et de gendarmes patrouillant à Lardy tombe à l’improviste sur des gens qui volent du bois dans le parc du Mesnil, un grand domaine appartenant à Madame de Lignerac. Un jeune homme, une hache à la main est en train d’abattre des arbres, et des femmes emportent le bois. Surpris, le jeune homme fait mine de couper une souche de bois mort ; ce qui ne trompe pas les gendarmes. Le commandant de la patrouille le somme d’expliquer « les raisons de cet acte illégal ». Mais bientôt, voilà qu’une « trentaine de particuliers » surgissent en ricanant par une brèche du mur. Fort de ce renfort, les délinquants alors se rebiffent, crient qu’effectivement ils ont coupé du bois mort et qu’ils en couperont encore, « que le bois leur appartient plus qu’à madame de Lignerac… ». Le ton monte ; on menace soldats et gendarmes de la lanterne ; décontenancés, ceux-ci esquissent une retraite, sous les huées et les jets de pierre. L’affrontement a été bref ; mais les forces de l’ordre ont eu le temps de reconnaitre un homme de Lardy, un nommé Messant qui, dit-on, est de ceux qui courent les fermes pour y forcer la main des cultivateurs. Deux jours plus tard, le 3 mars, ils le reconnaîtront sur le marché d’Etampes où il provoquera à nouveau. A une contestation populaire urbaine dont on a vu l’expression en septembre, s’ajoute donc maintenant une contestation populaire spécifiquement rurale. Jusqu’alors, elles ne s’étaient pas rejointes. Ce sera chose faite au soir de l’émeute du 3 mars à Etampes.
L’irruption du peuple sur le devant de la scène politique infléchit durablement le cours de la Révolution. La disette largement artificielle de l’hiver 1791-1792 est à l’origine d’uen vague de fond qui va submerger les autorités locales et poser le problème d’une participation effective de tous aux décisions. L’autorité publique se dilue ; les règles du pouvoir se brouillent ; le débat démocratique se cherche, balbutie ; partout se manifeste une soif d’égalité… C’est bien une seconde Révolution, celle du Dix-Août qui se prépare. Avec en toile de fond, l’affrontement quasi inévitable avec la vieille Europe coalisée contre la Révolution et toutes les idées nouvelles qu’elle incarne. La guerre que l’on sent venir… Une guerre souhaitée par ceux que l’exigence de démocratie prend précisément de court. Comment arrêter la Révolution ?
L’affaire Simonneau est le reflet de tous ces enjeux. S’y ajoutent des traits spécifiquement locaux : les rapports entre la ville et ses campagnes, l’opposition entre une Beauce riche et un Hurepoix miséreux. Et, au cœur de la mêlée, la personnalité mal connue de Jacques-Guillaume Simonneau : maire courageux ou provocateur conscient ? Victime en tous cas d’une situation qui le dépasse.
Objectif : le marché d’Etampes !
Dès janvier 1792, la tension réapparaît sur le marché d’Etampes, où les prix continuent de grimper. Le sac de froment varie alors entre 28, 30 et 34 livres selon la quantité, alors qu’il ne devrait pas s’élever au-delà de 24 à 27 livres, surtout après une bonne récolte. Des « bruits sourds et menaçants » circulent : la campagne serait sur le point de se porter sur la ville pour faire diminuer le prix du blé. Des citoyens d’Etampes écrivent au Département pour demander une protection militaire. La demande a-t-elle été suscitée par les autorités de Versailles, ou vient-elle de certains négociants qui gardent en mémoire le souvenir amer des troubles de septembre, et redoutent de les voir se renouveler ? Toujours est-il qu’elle tombe à pic : le 21 janvier, le Département envoie une compagnie du 18e régiment de Berry à Etampes, pour rassurer la population et éventuellement y maintenir l’ordre. Le maire était-il au courant de la démarche et mène-t-il double jeu ? En tout cas, la municipalité, conformément à sa position traditionnelle, s’empresse de faire savoir que si les troupes sont là, c’est contre son gré… Mais comme le Département lui en fait le devoir, elle se préoccupe du logement des militaires qui sont cantonnés partie à la caserne de la rue Saint-Jacques, partie à la maison commune.
Le 13 février, des troubles graves se produisent sur le marché de Montlhéry. Un groupe de paysans et de compagnons assaille la maison d’un marchand-blatier, Jean-Baptiste Thibault non seulement d’accaparer les grains mais de vouloir « empoisonner le peuple » en mêlant de la farine de pois à la farine ordinaire. L’homme réussit à s’enfuir pour aller se cacher dans un grenier à Linas. Mais on le retrouve et on le débusque ! On parle de le pendre, et deux émeutiers brandissent déjà une corde… Le maire de Linas s’interpose, demande qu’on l’épargne, faisant valoir que l’homme n’est pas de sa commune, que c’est à celle de Montlhéry de décider de son sort. On se saisit du marchand, que l’on traîne jusqu’à sa maison : il est pendu dans sa cour. Les auteurs ne sont nullement inquiétés ; et ils voient dans cette impunité comme un encouragement à poursuivre leur action. Se faire justice !
Quinze jours plus tard, le jeudi 1er mars, le bruit court que c’est le marché d’Etampes qui est visé cette fois-ci. Le Conseil de la commune convoque Hamouy, commandant de la garde nationale pour avis ; celui-ci rassure les officiers municipaux, affirmant qu’ils peuvent compter « sur le zèle et sur l’ardeur des citoyens de cette ville à défendre leur foyer ». Minimisant la gravité de la situation, il juge inutile de « causer des alarmes sur des bruits vagues qui ne sont étayés que sur des soupçons sans apparence de réalité ». Inconscience ou bravade ? Le vendredi 2 on apprend que des rassemblements ont lieu autour de Chamarande, à Souzy, Saint-Yon, Boissy-sous-Saint-Yon , Saint-Sulpice, Bouray, Lardy, Auvers… A Etampes, ou la menace est maintenant prise très au sérieux, la municipalité se réunit d’urgence. Elle fait à nouveau appeler Hamouy, mais aussi Godart, lieutenant de la compagnie de cavalerie, et Reydy de la Grange, lieutenant du détachement de gendarmerie. Ensemble, on met au point une stratégie de dissuasion, jouant sur la traditionnelle opposition entre la ville et la campagne. A la différence des « journées » de septembre, où seuls les Etampois s’étaient affrontés, la situation cette fois-ci fait en effet intervenir des éléments extérieurs ; et c’est cette intrusion étrangère à la ville que Simonneau veut exploiter pour mobiliser la population : on battra la générale pour l’appeler à prendre ses responsabilités. Et pour parer à toute éventualité, on distribuera des cartouches aux soldats ; Reydy donne alors l’assurance qu’on peut compter sur sa troupe comme sur lui-même. Enfin pour prendre la mesure du mouvement séditieux, on enverra des patrouilles aux alentours.
Le samedi matin, trois détachements de 5 hommes partent donc à la découverte, sur les routes de La Ferté, Dourdan et Paris. Une heure plus tard, la municipalité se réunit à nouveau. Averti la nuit même par son ami Mahy, maire d’Etréchy, Simonneau sait maintenant avec certitude qu’une action contre le marché d’Etampes est en cours. Il décide de faire fermer les églises pour empêcher qu’on y tienne des assemblées et surtout qu’on y sonne le tocsin, manifestant par là sa crainte d’une intervention des « enragés » étampois de septembre.
L’échec d’une stratégie
Dès 6 heures et demie du matin ce samedi 3 mars, les tambours de la garde nationale parcourent la ville battant la générale. Une douzaine de gardes, en tout et pour tout, répondent à l'appel. Leur arrivée n'est pas du goût de certains, en particulier Gabriel Baudet qui explique à qui veut l'entendre que "c'est sottise de s'armer pour empêcher l'entrée des gens de la campagne qui ne viennent que pour le bien public"; d'autres opposants conspuent les volontaires, les menacent de représailles et crient qu'il faut protéger et seconder les "attroupés". Un domestique clame bien haut que tout ce remue-ménage, "c'est seulement pour protéger les marchands" ! Simonneau qui l'a entendu l'attrape par le bras et le menace de prison s'il ne se tait pas. Quelque peu effrayés par ces propos, les gardes nationaux rejoignent le détachement de cavalerie et les gendarmes devant la maison commune.
A 7 heures et demie, la municipalité escortée par la troupe se dirige par la rue Saint-Jacques et le faubourg des Capucins vers la sortie nord de la ville en direction de Paris; elle s'arrête à la "Maison neuve", où elle décide d'attendre. On envoie alors les gendarmes en reconnaissance en direction d'Etréchy et l'on dispose la cavalerie en travers de la route, de manière à ne laisser passer que les voitures. Derrière ce cordon, voilà que commence à s'amasser une foule de curieux et de protestataires originaires d'Etampes, qui montrent clairement leur désir de seconder les "attroupés". Vers 10 heures, les gendarmes reviennent; ils disent avoir rencontré des gens armés venant à Etampes. Une heure plus tard, ceux-ci sont en vue ; ils forment une troupe serrée, occupant toute la largeur de la route, et de cette masse compacte ne dépassent que les fusils, les piques et les bâtons. Combien sont-ils ? 500, 600, peut-être davantage. En tout cas, ils paraissent bien organisés. Derrière les deux tambours qui ouvrent la colonne viennent les maires et officiers municipaux : ce qui donne à la manifestation une sorte de légitimité.
Arrivés à quelque distance du cordon de cavalerie, le gros de la troupe s'arrête ; les élus s'avancent alors en parlementaires pour exposer succinctement les raisons du rassemblement; ils disent souhaiter être reçus à la maison commune d'Etampes pour que soit pris conjointement un arrêté provisoire de taxation satisfaisant pour tous. Mais Simonneau, immédiatement, le prend de haut, déclarant qu'il n'entend pas délibérer "sur son terrain" avec des "gens armés et réfractaires à la loi ; qu'il faut mettre bas les armes et se retirer, ou si l'on voulait employer la force, elle serait repoussée par la force". Toisant les représentants des communes, il marque son irritation de les voir cautionner un ramassis de "brigands"… Le élus surpris par le ton du maire déclarent savoir parfaitement que la démarche des communes pour taxer le grain est contraire à la loi, mais avoir été " forcés de la transgresser pour éviter de plus grands malheurs ».
Mahy, maire d’Etréchy explique avec conviction que la cherté et la pénurie de blé sont réels et que tout cela est provoqué par les « monopoleurs », qui cherchent à armer la classe indigente pour entraîner une révolte générale. Il faut mettre le prix du grain à sa juste valeur pour désamorcer le « complot ». On insiste à nouveau pour qu’un texte destiné à calmer les esprits soit rédigé en commun. Mais Simonneau s’y refuse tout net.
L’entretien dure plus d’une heure. Parmi les « attroupés », on s’impatiente fort : il est maintenant 13 heures, et le marché est sur le point d’ouvrir. Un homme de Chamarande, Jean-Baptiste Demolière, lance aux autres qu’il faut forcer le barrage et entrer dans la ville ! Derrière le cordon de cavaliers, une foule de plus compacte de gens d’Etampes clame sa solidarité avec les « attroupés », qui eux aussi se sont rapprochés. La femme Langlois explique qu'il faut passer par les hauteurs, qu'on peut gagner la ville en contournant ainsi le barrage de l'armée. On s'élance… escaladant les pentes de la colline du Mâchefer, à travers vignes et haies, le gros de la troupe évite ainsi le faubourg, et dévalant des hauteurs arrive à l'entrée de la ville, à la porte Saint-Jacques; la jonction est faite avec les taxateurs d'Etampes. C'est l'échec du plan Simonneau. A la " Maison neuve ", ou l'intransigeance du maire conduit à l'impasse, on se rend à l'évidence, et l'on s'empresse de regagner la ville.
L'émeute tourne à la tragédie
Etrange retournement de situation : à la porte Saint-Jacques, une quarantaine de taxateurs armés barre la route et prétend empêcher aux autorités de se rendre au marché ! C’est alors que se produit l’incident qui va décider de l’orientation ultérieure de la « journée ». Simonneau, indigné de se voir interdire l’entrée de sa propre ville, réagit avec vigueur : « On va faire feu ! Que les bons citoyens se retirent ! » s’écrie-t-il à trois reprises. Ces sommations de la loi martiale, dont on ne déploie pas le signe – le drapeau rouge – rappellent trop aux « attroupés » la fusillade du Champ de Mars du 17 juillet 1791 pour qu’ils n’y voient pas une sorte de provocation. Elles dramatisent en tout cas l’affrontement ; et sans doute Simonneau signe-t-il là son arrête de mort. Les sommations faites, comme personne ne bouge, le maire commande à plusieurs reprises à la cavalerie de faire feu ; mais le commandant Godard, craignant l’irréparable, s’y refuse : il évite le drame, mais en même temps il fait perdre face à Simonneau.
La tension est extrême ; des insultes fusent à l’encontre des membres de la municipalité, et Messant de Lardy, qui était de l’affaire du parc du Mesnil, lance à destination de Sibillon, Constance et Simonneau : « Vous ne coucherez pas dans votre lit ce soir ! ». Un trépignement des chevaux impressionne pourtant les émeutiers qui rompent le barrage et, s’engouffrant dans la rue Saint-Jacques, filent vers le marché. En route, ils croisent un marchand, Blanchet père ; ils lui flanquent plusieurs coups de bâtons qui lui mettent le visage en sang.
Escorté par les cavaliers et les gendarmes, et accompagné de quelques membres de la municipalité – Fargis, Sibillon, Baron Delisle, Moreau et Lavallery – Simonneau arrive à son tour sur le marché. Les cavaliers sont immédiatement disposés en ligne de bataille sur deux rangs, appuyés sur la rue de l’Etape-au-Vin : le commandant se place devant, le maire et les officiers municipaux entre les deux rangs ; la gendarmerie se déploie sur un rang le long de la maison des Piliers ; on ne se rend pas compte sur le moment qu’un tel dispositif est facile à tourner par les petites rues voisines ou par le passage sous les Piliers.
La plus grande animation règne alors sur le marché; il y a là plusieurs centaines de personnes fort échauffées, dont une cinquantaine peut-être armés de fusils, de piques et d'instruments tranchants. Une foule bigarrée, dans laquelle on distingue de nombreuses femmes, est là, en attente, sur la place. Les marchands, redoutant sans doute un coup de force, sont venus en petit nombre ; aussi les plus déterminés des taxateurs engagent-ils les officiers municipaux « à faire sortir les grains des greniers et à les faire exposer sur la place ».»Moreau et Fargis, « voyant les choses s’échauffer », et se souvenant sans doute de la « journée » du 10 septembre s’éclipsent discrètement. Plus courageux, Lavallery va de groupe en groupe, dans l’espoir de ramener à la raison « ces têtes exaltées». Mais vite, on le donne comme ami du maire, et un homme appuyant son fusil sur une borne à l’angle de la maison dite « le Château trompette » le met en joue : seul le va-et vient de la foule l’empêche de lâcher son coup ! On lui porte alors de violents coups de bâtons à la tête et il n’échappe aux mauvais traitements qu’en se réfugiant chez Martin Darblay.
Certains des « attroupés » commencent à s’en prendre directement aux forces de l’ordre. Messant défie les gendarmes : « Venez ! Venez, coquins, lundi au parc du Mesnils, c’est le jour que nous commencerons à abattre le parc ! » « Vous n’êtes que des gueux ! » leur lance Charles Simonneau dit Mal-Léché, cabaretier au bas de Cocatrix à Etréchy, les accusant de n’être que des mercenaires payés par les meuniers ! Baudet, omniprésent, tenant son fusil pointé dans leur direction leur conseille « de ne point bouger »… S’approchant ensuite du maire, il lui demande de faire chercher le blé dans les greniers et de taxer les prix. Cette mise en demeure amène Simonneau à préciser à nouveau sa position : « Je n’en ai pas le pouvoir ; la loi s’y oppose ! Qu’on achète d’abord celui qui est sur le marché ! » lance-t-il. Un murmure général de mécontentement lui répond. On l’accuse alors vertement d’avoir voulu « faire exécuter le peuple » à la porte Saint-Jacques. Simonneau répartit qu’il a « simplement averti les bons citoyens de se retirer ». Baudet prenant la foule à témoin crie qu’une telle décision mérite la mort ! A ce moment, le commandant de cavalerie fait faire une sorte de courbette à son cheval ; ce qui est imité par les autres cavaliers ; les mutins croyant que la troupe va charger se sauvent à toute jambe, laissant libre la plus grande partie de la place jusqu’au-delà de l’église.
Trois heures sonnent à l’horloge de Saint-Gilles, et presqu’aussitôt le tocsin se fait entendre ; des coups de feu sont tirés en l’air par les émeutiers, qui, d’un pas assuré se dirigent à nouveau vers le fond de la place ; les plus audacieux viennent se placer face aux troupes, pendant que d’autres les contournent en passant sous les Piliers et par la rue du Mouton. On tire encore des coups de fusils, et l’on crie furieusement. Voyant que la situation dégénère, Simonneau demande aux cavaliers de faire retraite. Mais le mouvement s’exécute mal : en remontant la rue de l’Etape-au-Vin , la ligne des cavaliers se rompt et des émeutiers se faufilent près du maire qui est maintenant à découvert. Tout va alors très vite. « A moi mes amis ! » s’écrie Simonneau. On prend « à la cravate et au collet » ; il se saisit de la bride, d’autres disent de la queue d’un cheval ; un homme en costume de garde national – il s’agit sans doute de Baudet – lui porte un coup de sabre au bras droit qui lui ouvre le coude ; on lui assène un coup de bâton et simultanément il reçoit un second coup de sabre qui lui fend le crâne et fait jaillir le sang sur le pavé ; un coup de fusil tiré à bout portant par René Girard Henry lui fracasse la tête ; Simonneau s’écroule. Près de lui, le procureur de la commune, Sédillon fils est atteint d’un coup de feu à la main en voulant lui porter secours. Le cadavre du maire est alors « injurié, maltraité à coup de pieds » ; Champagne, garçon menuisier d’Etréchy, lui arrache sa cocarde qu’il brandit fièrement ; quant au nommé Lelièvre de Lardy, il fiche son bâton dans le crâne pour faire ensuite « parade du sang qui (est) au bout »… Il est environ trois heures et demie.
Les cavaliers s’empressent de regagner leur caserne toute proche, et la foule se disperse, épouvantée par ce qui vient de se passer. Une soixantaine de personnes, dont la moitié de curieux, entourent encore la dépouille du maire… Certains d’entre eux ne perdent pas de vue leur objectif, entrent sabre au clair chez le marchand de blé Hamouy ; ils le traitent de « foutu gredin » et lui demandent le grain qu’il a chez lui à 22 livres le sac ; le marchand, terrorisé leur laisse à 21 ; il confie la vente à sa nièce, profitant de la première occasion pour s’évanouir dans la nature… Dans la ville, chacun tire portes et volets et se tient coi, comme assommé par la nouvelle. Les officiers municipaux des « communes attroupées », qui dès leur entrée dans la ville s’étaient rendus au district, apprennent la mort de Simonneau alors qu’ils viennent de terminer la rédaction d’un procès verbal destiné au Département. Ils se rendent sur le marché, où ils sont apostrophés par Simonneau-Mal-Léché, qui veut les obliger à taxer le blé ; ils refusent et quittent la ville.
Sur les cinq heures du soir, Claude-Louis Gillot, juge de paix accompagné des responsables du détachement militaire, des gendarmes et de deux notables, arrive rue de l’Etape-au-Vin ; le cadavre du maire gît toujours sur le pavé ; on le transporte dans la demeure du sieur Allais, où deux chirurgiens font l’autopsie du corps. On délivre un permis d’inhumer, et l’on mène ensuite la dépouille au presbytère de l’église Saint-Gilles ; un catafalque est dressé, où figure en bonne place l’écharpe souillée de Simonneau. Le lendemain, on célèbre solennellement les obsèques en l’église Saint-Basile.
L’instruction de l’affaire et le procès
Le registre de délibération du Conseil général de la commune témoigne du désarroi qui s’empare des élus à la nouvelle de la mort de Simonneau : du 3 au 7 mars, il est totalement muet ! Comme si rien ne s’était passé… L’équipe municipale, à l’évidence, a bien du mal à retrouver son souffle. Conséquence des démissions qui sont intervenues, il manquera encore quatre officiers municipaux, le 13 avril ; on les retrouvera finalement le 17. C’est alors seulement que l’on se préoccupe de remplacer Simonneau ; mais Clartan, élu après trois tours de scrutin, refuse. C’est finalement Sibillon qui accepte de porter le fardeau peu enviable de maire de la commune.
On ne siège guère, mais on n’oublie pas d’envoyer des adresses à l’Assemblée pour minimiser les conséquences de l’affaire… En tout cas, aucune enquête n’est ordonnée et les émeutiers d’hier vont et viennent librement dans la ville, se vantant parfois du rôle qu’ils ont joué. On voit même Gabriel Baudet parader fusil sur l’épaule, le jour des funérailles officielles du maire. Des citoyens adoptent les thèses des émeutiers et se présentent au District pour demander la taxe de la farine et la diminution du pain… Mais le Département en accord avec le gouvernement n’est pas décidé cette fois à tolérer ce genre de « faiblesse » : il entend faire appliquer la loi sur les grains et reprendre la situation en main. Le 7 mars, le ministre de l’Intérieur Cahier fait envoyer 600 gardes nationaux et du canon en Seine-et-Oise, pour « ramener dans le devoir des citoyens égarés ». Versailles en outre, dépêche le 9 deux commissaires, Rousseau et Huet, à Etampes ; après avoir interrogé des membres des forces de l’ordre, ils confient au juge de paix Gillot le soin « de faire sans délai toutes informations nécessaires, décerner des mandats d’amener et même d’arrêt et pour ce, employer tous les moyens que la loi a mis en son pouvoir ». Gillot se met immédiatement au travail et du 11 au 27 mars 1792, il enregistre les déclarations de 179 témoins. Les révélations sont suffisamment précises pour que des charges soient retenues contre 104 personnes qui font alors l’objet d’un mandat d’amener : 19 d’entre elles sont d’Etampes, 14 d’Etréchy, 13 de Boissy-sous-Saint-Yon, 12 de Lardy, 10 de Chamarande, 10 de Torfou, 10 encore d’Auvers, 7 de Chauffour et 6 de Bouray. Toutes ces recherches ne se font pas sans difficulté. Au cours des perquisitions dans les campagnes, il arrive que les gardes nationales fassent cause commune avec les habitants ; de toutes manières, la solidarité villageoise joue en faveur de ceux qui ont participé à l’émeute. La gendarmerie est fréquemment accueillie à coups de fusils ; si bien qu’elle doit opérer de nuit pour procéder aux arrestations. C’est ainsi qu’elle surprend au lit dans la maison où il se cache René Girard Henry d’Etréchy ; mais l’homme résiste, ce qui permet aux voisins d’accourir ; la confusion est totale et les gardes nationaux se retirent. Les gendarmes cernés laissent échapper leur prisonnier et ne doivent leur salut qu’au retour de la troupe qui les dégage.
Les interrogatoires des prévenus se déroulent du 19 mars au 12 mai : la minutieuse instruction du juge révèle par le menu toute la structure de l’affaire. Le 23 mai, il fait inculper 45 personnes, parmi lesquelles 7 sont connues pour avoir participé à d’autres attroupements ; il délivre 27 mandats d’arrêt. Le tribunal de District dresse le 1er juin l’acte d’accusation, après avoir entendu les personnes incarcérées. Le procès qui se déroule à Versailles se termine le 28 juillet par la condamnation à mort de Gabriel Baudet et de René Girard Henry ; tous deux, détenus à la prison du District d’Etampes doivent avoir la tête tranchée sur la place du marché Saint-Gilles. On prononce encore huit autres condamnations à des amendes et à des peines de prison allant de 3 jours à deux ans. Parmi ces condamnés, deux femmes d’Etampes : Marie-Françoise Prou et Simone Hardy, celle-ci fort active à la « Maison neuve » au matin du 3 mars.
On connaît la suite : après la Révolution du Dix-Août, l’Assemblée, le 3 septembre 1792 élargit tous ceux qui ont participé au mouvement taxateur. Les 8 et 9 septembre, les dix condamnés sortent libres de la prison d’Etampes et de Dourdan. Dans la capitale, Baudet est accueilli comme un « martyr du patriotisme » ; il va même obtenir, grâce au brasseur Santerre, commandant de la garde nationale un grade dans… la gendarmerie nationale à Paris. L’histoire ne dit pas s’il y fit une belle carrière…
Simonneau, l’homme de la situation ?
Qui est cet homme dont le corps ensanglanté git sur le pavé du quartier Saint-Gilles, au soir du 3 mars ? Il naît en 1738 dans le quartier Saint-Basile du marchand-tanneur, Pierre-Etienne Simonneau, et de Marguerite Leclerc. Son parrain est l’oncle Leclerc, un marchand de blé de Poissy, et sa marraine Geneviève Simonneau, fille d'Etienne Simonneau, officier du roi. Le futur maire d’Etampes appartient donc à cette bourgeoisie d’affaires et de fonction qui aspire aux charges publiques en 1789. La stratégie matrimoniale vient conforter cette situation : en 1767, Jacques-Guillaume Simonneau épouse Marie Pelteau, fille d’un riche tanneur de Châteaurenault, qui lui donne deux enfants, une fille et un fils, qui en 1792 est étudiant à Paris.
Au début de la Révolution Simonneau dirige une tannerie de quelques 60 ouvriers ; ce qui n’est pas rien pour l’époque. Son entreprise l’accapare beaucoup et c’est là sans doute la raison de son engagement relativement tardif dans les affaires publiques. Officier municipal en 1791, il est en septembre à Versailles, où il assiste, on le sait, aux élections à la Législative. Il est alors hostile à l’envoi de troupes à Etampes, et montre qu’il « comprend » les motivations de ceux qui demandent la taxation et s’en prennent aux édiles qui s’y opposent. En novembre 1791, lorsqu’il est élu maire, Simonneau apparaît comme un conciliateur, comme celui qui est le mieux placé pour triompher des difficultés du moment : alors que tous fuient leurs responsabilités, il fait figure d’homme providentiel. Or, six mois plus tard, il provoque par son intransigeance et sa maladresse l’explosion de violence qui va lui coûter la vie. Des témoins peu suspects d’hostilité à son égard comme Sédillon fils, ont noté les effets ravageurs de cette attitude : à la « Maison neuve » face aux responsables municipaux des communes attroupées, à la porte Saint-Jacques lorsqu’il veut faire tirer sur ceux qui lui barrent le chemin, au marché enfin où il refuse de céder, prenant ainsi la responsabilité d’un incident qu’il aurait dû tout faire au contraire pour prévenir. Est-ce la fonction qui a changé l’homme ? Y a-t-il chez Simonneau la perception maintenant plus aiguë d’un « dérapage » de la Révolution ? A-t-il cru pouvoir bloquer grâce à son courage personnel le cours des événements ? On touche là aux ressorts profonds d’une personnalité, que son milieu social a rendu foncièrement hostile au désordre et qui n’entend surtout pas s’en laisser imposer par des étrangers à la cité. Il y a indiscutablement dans l’affaire Simonneau des traces de l’opposition traditionnelle entre la ville et la campagne.
Un complot ? Quel complot ?
Les bruits annonciateurs d’une « journée » à Etampes dans les jours qui précédèrent la journée du 3 mars, la mobilisation d’une troupe d’un demi-millier de personnes, la présence parmi elles d’hommes qui s’étaient déjà signalés par leur comportement dans des situations conflictuelles, la détermination affichée à maintes reprises de taxer les grains en ayant parfaitement conscience de transgresser la loi, tous ces éléments ne pouvaient que suggérer l’idée d’une préméditation, d’une préparation organisée, d’un complot. Soit. Mais si complot il y a , de quel complot s’agit-il ? Et qui sont les comploteurs ? Qui a dirigé l’affaire et qui alors est responsable de la mort du maire d’Etampes ?
Le thème du coup de force concerté est admis par tous les contemporains, et par tous ceux qui ont écrit sur l’affaire au siècle dernier. « La multitude qui s’est portée sur Etampes était composée de personnes dont la plupart étaient inconnues. Quinze forcenés, la hache à la main, entraînèrent avec eux de paisibles ouvrier, de bons cultivateurs, menaçant partout de mettre le feu aux villages si on ne marchait à leur suite ». Mais cette unanimité recouvre en fait des interprétations différentes. La plus commune fait des Montagnards les commanditaires de la mort de Simonneau. A un tournant de la Révolution, les modérés voient derrière le mouvement taxateur et l’agitation du petit peuple des villes et des campagnes la main des démagogues jacobins qui, disent-ils, ne reculent devant rien, pas même le crime, pour compromettre irrémédiablement le cours de la Révolution bourgeoise ; ces agitateurs essaient de profiter de la misère populaire, de l’inquiétude des pauvres devant la montée du prix du pain, pour parvenir au pouvoir. En fait, cette thèse simpliste ne tient pas. L’attitude des Jacobins à propos de l’affaire Simonneau a varié en effet de manière sensible entre mars et juin 1792. C’est seulement fin avril que la Société prend ses distances avec la thèse du complot aristocratique. Il est vrai que depuis 1789, la tentation est grande de mettre sur le dos des contre-révolutionnaires ce que l’on s’explique mal. En cette fin d’hiver lourde de menaces, alors que depuis Varennes s’accentue la méfiance des démocrates à l’égard du roi et des modérés, on croit discerner dans l’affaire d’Etampes une tentative de déstabilisation dirigée contre les institutions ; la mort de Simonneau profitant aux ennemis de la Révolution, ceux-ci en paraissent logiquement les organisateurs… Ne raconte-t-on pas qu’une fois leur forfait accompli, les « brigands » se sont arrêtés dans une auberge du faubourg Saint-Michel pour fêter la réussite de leur plan et qu’on a vu leurs poches bourrées d’assignats… La preuve qu’ils ont été soudoyés par la Contre-Révolution ! Convaincus qu’il y a bien tentative de subversion, les Jacobins ont donc prétendu dans un premier temps défendre la loi contre la subversion. Mais l’évolution politique rapide durant les semaines qui précèdent la guerre les conduit à abandonner cette interprétation, pour se faire alors les défenseurs de la taxation d’Etampes. Ce sont en fait les informations recueillies sur place et analysées par le curé de Mauchamps Pierre Dolivier, qui contribuent à modifier l’opinion des Montagnards, et de Robespierre en particulier. Il est l’un des curés démocrates qui, sans participer directement aux mouvements populaires, ont accompagné, voire précédé, par leurs écrits la spirale révolutionnaire depuis 1789. Bon connaisseur des campagnes, attentif aux revendications des plus pauvres, il sait la situation difficile des « brassiers » du Hurepoix. Il se fait leur interprète lorsqu’il condamne le système des « grandes fermes », qui favorise la concentration des exploitations au profit des entrepreneurs de culture et prive le prolétariat agricole de l’outil de travail qu’est la terre. L’affaire du 3 mars le concerne directement ; après avoir consulté dans le voisinage, il met la main à la plume et publie une « Pétition de quarante citoyens des communes de Mauchamps, saint-Sulpice-de-Favières, Breuillet, Saint-Yon, Chauffour et Breux, voisines d’Etampes, qui ont eu le bonheur de ne tremper en rien dans la malheureuse affaire arrivée dans cette ville ». Ce texte, qui constitue l’analyse la plus approfondie des arrière-plans politiques et sociaux de l‘affaire Simonneau, a été présenté solennellement par Dolivier aux Jacobins le 27 avril, et à la Législative le 1er mai. D’emblée, il écarte la thèse de la subversion extérieure, par des hommes sans foi ni loi : « On a débité que cette émeute avait été excitée par une troupe de brigands dans le dessein de piller et de ravager. Je suis proche voisin du lieu où elle a pris naissance, explique-t-il, et d’après tous les renseignements particuliers qui me sont parvenus et qui portent en moi une pleine conviction, je puis certifier qu’elle n’a eu d’autre cause que l’alarme populaire sur les subsistances, et qu’on ne s’y proposait que de faire diminuer le prix du blé : démarche qui n’était envisagée que comme un moyen de mettre des bornes à la cupidité des vendeurs, et non pour leur faire aucune injustice ». Les ennemis de la Révolution ont pu exploiter l’affaire, ils n’en sont pas les auteurs. « C’est la faim ou la crainte de la faim qui en ont été les seuls instigateurs ».
Aux origines d’une « émotion populaire »
Pierre Dolivier sait à quoi s’en tenir à propos des émeutiers : ils sont ses voisins ! C’est en effet à Chamarande, le 2 mars au matin, que naît le mouvement qui va se terminer le lendemain par la mort de Simonneau. Ils sont une trentaine à se rassembler ce jour-là près de l’église autour de Jean-Baptiste Demolière ; celui-ci explique que la seule manière de mettre un terme à la hausse du prix du pain, c’est d’aller « sur le marché au blé à Etampes demander la diminution des grains et la permission de faire des recherches dans les fermes pour faire mener du blé au marché ». Certains, et pas des moindres – le maire et le capitaine de la garde nationale de la commune – font valoir qu’une telle entreprise n’est pas sans risques ; à Etampes, il y a la troupe, et taxer les grains, c’est se mettre en contradiction avec la loi. Qu’à cela ne tienne ! Demolière rétorque fort justement qu’il était avec quelques autres à Montlhéry lorsque le blatier fut pendu le 15 février, et qu’ils n’ont pas été inquiétés pour autant. D’ailleurs, il a déjà pris contact « dans les vignes » avec les vignerons de Lardy, qui « ne demandent pas mieux que de marcher ». Ceux qui font encore des objections se font traiter d’ « aristocrates » ; on menace même de « les mener avec une corde »… Le soir, au cours d’une seconde assemblée, on fait serment de se rendre à Etampes.
Le malaise lié à la crise viticole qui existe depuis plusieurs années parmi les vignerons du Hurepoix est aggravée par la brusque flambée du prix du pain : un revenu en baisse, un pain de plus en plus cher, permet de comprendre la radicalisation de ces communautés rurales qui s’engagent alors activement dans la Révolution. Il ne s’agit nullement d’un mouvement spontané, dû à la colère ; l’idée est en effet dans l’air : à preuve, la décision prise quelques temps auparavant de « tirer du coffre-fort de la fabrique une somme de 400 livres pour acheter des fusils » ; somme que l’on s’est engagé alors à rembourser en quatre versements.
A la nuit tombée, deux colonnes se forment : la première qui rassemble des habitants de Chamarande, Boissy-sous-Saint-Yon, Saint-Yon, Torfou et Lardy, passe par le plateau avec pour premier objectif Etréchy ; la seconde emprunte la vallée de la Juine par Janville et Auvers. Les deux colonnes doivent faire leur jonction au faubourg Saint-Michel, au nord d’Etampes. En cours de route, pour grossir les rangs, on use de la persuasion ou de la contrainte. Arrivés à Etréchy, on fait sonner la cloche, et tambour battant, on gagne la porte du maire : -« Que demandez-vous et pourquoi venez-vous en armes ? » -« Point dans le dessein de faire aucun mal, répondit tout le monde d’une voix unanime. Nous nous sommes liés par un serment, mais la cherté des grains nous mettant dans l’impossibilité de subvenir aux besoins de notre existence nous sommes décidés à obtenir une diminution, et pour cela, faire la réunion de cette paroisse nous est nécessaire, il le faut. Il leur fut observé par la municipalité que cette démarche était contraire aux lois. Nous le savons bien, ont-ils répondu, mais n’importe, il faut venir avec nous. La municipalité craignant des suites malheureuse et l’exécution de quelques menaces sourdes faites par les étrangers, n’a pas cru à propos de s’y opposer davantage ».
C’est cette organisation que le juge Gillot recherche et découvre au cours de l’enquête. Le pouvoir veut en effet savoir quels ont été les « moteurs » de la sédition. Nul doute que les autorités départementales, et derrière elles, le gouvernement, n’aient voulu faire un exemple en bloquant un mouvement qui risquait de faire tache d’huile. Les instigateurs de l’affaire nous sont connus : le vigneron Jean-Baptiste Demolière de Chamarande, le carrier René-Girard Henri d’Etréchy, le cabaretier Simonneau-Mal-Léché de Cocatrix. Ils ont impulsé un mouvement autonome, dirigé contre la ville-marché lieu de pouvoir.
Simonneau, martyr de la Loi
Durant les jours qui suivent l’émeute, des journaux, tel le « Courrier français », laissent clairement entendre que l’attitude du maire n’a pas été étrangère à la transformation d’une émeute de marché en tragédie. Les modérés qui entendent utiliser l’affaire pour reprendre la main la situation politique, comprennent que cette version des faits dessert l’image de maire vertueux, victime de son devoir, qu’ils défendent. Le rapport que fait le représentant Debry devant l’Assemblée le 19 mars témoigne de cette volonté d’imposer une version favorable à Simonneau : « Ceux qui savent combien il est facile d’exciter les citoyens égarés, cherchant à diminuer l’horreur de l’attentat, ont demandé si le malheureux maire n’avait pas provoqué par quelques indiscrétions l’emportement dont il fut victime. Non, Messieurs, les procès verbaux que les commissaires du département de Seine-et-Oise dressèrent à Montlhéry, Longjumeau, Arpajon, et la déclaration de l’officier de cavalerie du détachement, atteste que Guillaume Simonneau n’eut que le noble tort de remplir les devoirs de sa place seul et sans calculer le danger ». Dès lors, c’est cette image d’un édile exemplaire que l’on peaufine. Une campagne politique appuyée par la presse et l’immense littérature consacrée à la « malheureuse affaire d’Etampes » - éloges funèbres, arrêtés, discours, hommages et adresses envoyés par les municipalités – installe Simonneau sur un piédestal. Le personnage échappe à l’Histoire pour devenir l’instrument d’une politique. Le discours témoigne de cette volonté de faire du « vertueux maire d’Etampes » un héros positif. On loue « le magistrat du peuple qui s’est sacrifié pour la Loi », « l’exemple du respectable Simonneau » ; on dit vouloir rendre « un hommage solennel à la Loi dans la personne du fonctionnaire qui s’immola pour elle ».
La mort de Simonneau doit avoir vertu pédagogique. Il ne faut plus que dans des circonstances identiques, les autorités locales puissent hésiter ; l’heure est à la fermeté. Ainsi à Douai, les membres de la Société des Amis de la Constitution sont-ils invités le 29 mars par le procureur de la commune à jurer sur le livre de la Constitution « de ne jamais balancer, en cas de révolte à la Loi, à se placer entre les bourreaux et la victime, et à devenir autant de Simonneau pour assurer à la Loi son empire et sa force ». Il s’agit bien d’une tentative de stabilisation de la Révolution devant la peur d’une subversion sociale par « la classe laborieuse égarée » : la loi contre l’anarchie. Une loi sacralisée pour les besoins de la cause : « La Loi doit être obéie comme Dieu ». On met dans la bouche de Simonneau des paroles définitives : « Je ne cesserai d’être fidèle à mon serment ; cruels ennemis de ma patrie, vous pouvez m’arracher la vie, et non pas mon parjure ». Le défenseur de la loi, celui qui se sacrifie pour elle est dépositaire des valeurs de la civilisation, alors que l’émeutier qui viole la loi n’est qu’un barbare. L’enflure du discours témoigne d’une vision manichéenne des comportements : « A l’instant où (il) tombe, cette troupe barbare s’avance autour du cadavre fumant, commet mille atrocités dont la seule idée fait frémir ». Ou encore : « Plus de vingt coups de fusils ont été tirés sur le cadavre du maire infortuné et toutes les horreurs des cannibales ont été exercées ».
C’est l’Assemblée nationale qui est à l’origine de cette campagne bien orchestrée. Dès le 21 mars, « empressée de porter à la loi l’appui que tous les corps constitués lui doivent », elle décide d’honorer la mémoire du maire d’Etampes, et décrète qu’il sera élevé aux frais de la Nation sur la place où se tient le marché d’Etampes, une pyramide triangulaire. Sur l’un des côtés seront marqués ces mots : Jacques-Guillaume Simonneau élu maire le 19 novembre 1791, mort le 3 mars 1792, l’an quatrième de la Liberté. Sur le second, Ma vie est à vous, vous pouvez me tuer ; mais je ne manquerai pas à mon devoir, la loi me le défend. Enfin, sur la troisième, l’on gravera cette inscription : La Nation française, à la mémoire du magistrat du Peuple qui mourut pour la Loi. Le décret est adressé aux quatre-vingt trois départements, et parvient à toutes les municipalités. Ainsi, la mort du maire d’Etampes est-elle connue de tout le pays, et d’innombrables services funèbres sont-ils célébrés avec plus ou moins de solennité. La pyramide ne sera jamais édifiée, et un érudit local le regrettait à la fin du siècle dernier, soulignant que les passions étant retombées, les édiles auraient peut-être à cœur de réparer l’oubli. Apparemment, il ne fut guère entendu ; et les mânes de Simonneau doivent aujourd’hui frémir devant tant d’ingratitude… L’Assemblée réalise deux autres engagements : elle fait suspendre aux voûtes du Panthéon la ceinture du maire d’Etampes ; surtout, elle organise la fête de la Loi.
Sous la Révolution, il n’est pas en effet de meilleure pédagogie que celle de la fête. Et ceux qui entendent s’appuyer sur l’affaire Simonneau pour peser sur le cours des événements y recourent donc : deux mois jour pour jour après la mort du maire d’Etampes se déroule en grande pompes à Paris la fête de la Loi. En deux mois, le contexte politique a en effet bien changé. La guerre déclarée le 20 avril pèse maintenant de plus en plus sur la vie publique. Une scénographie froide inspirée de la Rome antique veut souligner la gravité du moment. Aussi la cérémonie l’emporte-t-elle sur la fête. Les slogans, les emblèmes brandis solennellement par les participants insistent tous sur les vertus de la loi. Sur une table sacrée, figure le glaive de la loi : « Elle frappe pour défendre » a-t-on inscrit sur le socle. Un groupe de vétérans porte une enseigne en forme de Tables de la loi : « Triomphe de la Loi » ! Des groupes d’âges différents déploient des banderoles : « Nous chérirons nos parents et la Loi » ! « Nous instruirons nos enfants dans la Loi » ! « Notre force est dans la Loi » ! Un char monumental où l’on a figuré la Loi assise clôture l’immense défilé : « Les hommes libres sont esclaves de la Loi » ! …
Cette fête de la Loi ne se comprend en fait que par rapport à une autre fête, celle des Suisses de Châteauvieux. La révolte de ces soldats contre leurs officiers durant l’été 1790 avait entraîné une répression sévère dirigée par La Fayette : il y avait eu des exécutions, et une quarantaine de mutins avaient été envoyés aux galères. Or, le 15 avril 1792, les patriotes, qui ont obtenu la grâce des bagnards, les accueillent triomphalement à Paris : c’est la fête de la Liberté, qui scandalise les modérés. A une fête un peu débridée en l’honneur de soldats insurgés contre leurs officiers aristocrates, répond donc une autre fête construite comme un spectacle martial. Fête contre fête. En ce printemps de 1792, alors que se creuse le fossé entre modérés (Feuillants) défenseurs de la Loi, et patriotes (Jacobins) de plus en plus méfiants à l’égard de la Cour et favorable au mouvement démocratique, la fête est un enjeu politique. L’affaire Simonneau est « récupérée » par la droite de l'Assemblée, à un tournant décisif de la Révolution.
Mais derrière l’affaire des Suisses de Châteauvieux et l’émeute d’Etampes, c’est aussi l’attitude de l’armée qui est en cause. Mutinerie dans le premier cas, inaction dans l’autre. Les deux années qui se sont écoulées entre les deux événements n’ont fait qu’accroître le divorce entre la Nation et des troupes réglées minées par l’émigration de leurs officiers. Aussi le comportement des cavaliers le 3 mars à Etampes suscite-t-il immédiatement des controverses. Les uns louent le sang-froid du commandant du détachement qui, à un moment difficile, a refuser de faire tirer sur les émeutiers ; les autres, au contraire, dénoncent le lâche abandon du maire par la troupe au moment où il avait le plus grand besoin de protection ; il en est de même pour prétendre que le premier coup de sabre porté à Simonneau le fut par un cavalier pris de panique pour se dégager… Le contentieux n’est pas nouveau : le soldat rappelle toujours à l’habitant le logement militaire tellement contraignant ; cette mauvaise image s’est d’ailleurs détériorée depuis 1791 avec l’intervention de plus en plus fréquente de l’armée dans la répression des troubles sur les marchés, et les premiers affrontements avec les Autrichiens : la désertion des officiers et la défaite accroissent le malaise. C’est la prise de conscience nationale qui entraîne le sursaut patriotique : la Patrie en danger partout fait recette. Partout, sauf à Etampes justement, où la mort du maire a perturbé les esprits et désorganisé le fonctionnement de la municipalité.
Sources
Archives nationales
F7 4572- Jugements relatifs à l'affaire Simonneau
Bibliothèque nationale
Récit de la mort de Guillaume Simonneau, maire d'Etampes, Dijon, 1792.
Éloge funèbre de J.G.Simonneau prononcé par Jean-François Sibillon, 1792.
Ordre de marche et détail de la cérémonie décrétée par l'Assemblée nationale consacrée au respect de la loi, 1792.
Le Moniteur Universel, 8 et 9 mars 1792
Archives départementales des Yvelines
42 L 40 - Affaire Simonneau
Archives municipales d'Étampes
"Notes historiques par un témoin oculaire qui ne dit que ce qu'il a vu, sur la catastrophe arrivée à Étampes le samedi 3 mars 1792." (notes manuscrites anonymes, vraisemblablement de Sédillon, procureur de la commune)
Bibliographie
CHAVAUD Frédéric, Les troubles au sujet des subsistances dans les districts producteurs de grains de Dourdan et d'Étampes, sept. 1791-oct.1792, Mémoire de maîtrise, Paris XIII, 1982.
DRAMARD M. Épisodes de la Révolution française dans le département de Seine-et-Oise, la disette de 1789 à 1792 jusqu'à la loi du maximum, Mémoires de la société des sciences morales, lettres et arts de Seine-et-Oise, t.9, 1873.
FERRE G. L'affaire Simonneau, DEA, Université de Paris 1, 1986.
MARTIN J. L'abbé Dolivier, DES, Institut d'Histoire de la Révolution française, 1968.
MATHIEZ Albert, La vie chère et le mouvement social sous la Terreur, T.1 chap.II, Paris, 1973.
OZOUF Mona, La fête révolutionnaire, Paris, 1976, Chapître III, "1792, la fête au dessus des partis".
PACAUD Robert, La municipalité et le problème des subsistances à Étampes pendant la période révolutionnaire: 1789 - an V, Diplôme d'Etudes Supérieures d'Histoire, Paris, 1970.
PINSON Paul, "Documents inédits sur Jacques-Guillaume Simonneau, maire de la ville d'Étampes, assassiné par le peuple le 3 mars 1792", Bulletin de la Société Historique et Archéologique de Corbeil, Etampes et Hurepoix, 1900, 2e livraison.
Chapitre 6 - « Dans l’ombre de Paris »
La mort de Simonneau a créé un profond désarroi dans la ville et pèse pendant des semaines sur les affaires de la commune. Mais la guerre qui éclate au printemps 1792 impose d’autres urgences. Les premières défaites précipitent les événements et changent le cours de la Révolution : le 11 juillet, « la Patrie est en danger » ! Le 10 août, les patriotes Sans-culottes renversent la monarchie ! Les journées de septembre constituent une première poussée de terreur populaire spontanée. Puis, coup sur coup, la situation militaire est redressée à Valmy et la République proclamée. Etampes obéit scrupuleusement aux ordres de Paris ; elle ne fait qu’emboiter le pas à la Révolution.
En toile de fond, la guerre et les subsistances
Le 20 avril 1792, Louis XVI propose à l’Assemblée législative enthousiaste de déclarer la guerre au roi de Bohême et de Hongrie. Chacun croit y trouver le salut : le roi, la reine, la cour, les Feuillants et les Girondins. En quoi ils se trompent. Cet événement est un tournant dans l’histoire de la Révolution.
Etampes ne célèbre officiellement cette déclaration de guerre que le 17 mai. Constance Boyard accompagné du corps municipal, lit la proclamation en plusieurs lieux de la ville. Les deux bataillons de la Garde nationale, les volontaires nationaux de la Haute-Vienne de passage à Etampes et le régiment de cavalerie en stationnement dans la ville participent à la cérémonie. Celle-ci s’achève par la plantation d’un arbre de la Liberté orné des symboles révolutionnaires : couronne de chêne, bonnet de laine rouge, pique surmontée du bonnet de la Liberté et cocarde nationale. Tous les participants jurent solennellement fidélité à la Constitution et aux lois. La guerre désormais domine la vie quotidienne. Tous les paquets de lois envoyés par le district à la municipalité deux ou trois fois par mois concernent les affaires militaires : habillement, gendarmerie, Garde-nationale, commandement...Le corps municipal doit y faire face. IL faut, conformément à la loi du 3 juin, enregistrer les bataillons déjà constitués, en former de nouveaux, et résoudre le problème du logement de guerre. Comme toujours les troupes de passage sont reçues chez l’habitant. Bien qu’on ait maintenant affaire à une armée de citoyens, les relations n’en sont pas pour autant facilitées : le soldat est toujours un intrus. Une polémique se développe à Saint-Pierre où l’on refuse d’héberger les soldats sous prétexte que cette charge revient trop souvent et que certains y échappent. Il faut rappeler que tous les étampois sans exception y sont tenus et qu’en cas de refus, ils devront supporter les frais engagés pour les loger. Pour soulager la population, les élus envisagent d’effectuer des réparations dans la partie haute de la maison commune pour y placer des lits. Ce qui ne peut se faire du jour au lendemain.
La municipalité reste sur le qui-vive : elle craint un rassemblement. Le 31 mai, le passage de Monsieur de Brissac conduit à la Haute-Cour d’Orléans provoque un attroupement à l’auberge des « Trois-Rois ». Constance Boyard, premier Officier municipal, doit intervenir : accompagné d’un détachement du Poste de la Maison commune, il contrôle l’identité des voyageurs de l’auberge et trouve parmi eux des gendarmes qui transfèrent M. de Brissac. Il somme au nom de la loi les particuliers assemblés de se retirer, ce qu’ils font sur le champ.
Etampes organise sans beaucoup d’ardeur la cérémonie du 14 juillet. Pour prévenir les troubles éventuels, le corps municipal déplace le marché au vendredi 13, ordonne aux boulangers de cuire une fournée d’avance et d’avoir de la farine en réserve. En période de soudure, les subsistances occupent plus que jamais le devant de la scène ; plaintes et réclamations se multiplient en juin et juillet, à tel point que la municipalité doit verbaliser les boulangers qui ne respectent pas la taxe sur le pain, trichent sur la qualité des farines et sur les pesées. Les pains gâtés sont enlevés et distribués aux pauvres des cinq paroisses. On entreprend de réglementer l’approvisionnement et la vente des céréales : blé, méteil, seigle, orge, avoine, grenaille. La moisson faite, le 7 août, la municipalité décide de cesser les achats de grains et de farine.
Mais entre-temps, les nouvelles des frontières sont devenues alarmantes. La Prusse est entrée en guerre le 6 juillet et les échecs militaires obligent l’Assemblée législative à décréter la « Patrie en danger ». La municipalité est alors amenée à prendre rapidement des mesures d’exception. On décide de s’assembler tous les jours à 18 heures : aucun membre ne sortira de la ville sans en faire la déclaration au secrétariat. On oblige tous les citoyens à déclarer sous huitaine et sous peine d’amendes le nombre et la nature de leurs armes, et les munitions qu’ils possèdent. On établit un corps de garde aux Belles-Croix à Saint-Martin pour contrôler les passeports.
Comme toujours lorsque grandit l’inquiétude, la population d’Etampes et des environs demande que l’on descende les châsses des saints patrons protecteurs Can, Cantien, Cantienne, afin d’implorer l’intervention divine par une neuvaine dans l’église Notre-Dame. La municipalité décide d’y participer. Devant la tiédeur des enrôlements, le 3 août, un cortège composé des autorités municipales et judiciaires sillonne la ville et même les faubourgs. On lit solennellement la proclamation en onze lieux différents. On tire cinq coups de canon pendant la cérémonie. On attache un drapeau à la fenêtre de la maison commune, sur lequel est inscrit « Citoyen, la Patrie est en danger », et on affiche le même placard dans la salle des séances. On ouvre un bureau où les volontaires sont appelés à s’inscrire tous les jours, sauf dimanches et fêtes. Malgré les efforts déployés, l’enrôlement est peu important en période de moisson : 84 volontaires se présentent en un mois, soit cinq fois moins que la moyenne départementale. Les Etampois seraient-ils sourds aux malheurs de la Patrie ?
Le renversement du trône : le 10 août 1792
Fin juillet, début août, la tension monte dans la capitale. Le Manifeste de Brunswick du 25 juillet qui somme les Français de n’opposer aucune résistance à la marche des troupes prussiennes, de « se soumettre sans délai au roi, sous peine d’une vengeance exemplaire et à jamais mémorable », est connu dès le 28. Ces menaces déclenchent une ardeur révolutionnaire des Parisiens. Dans la nuit du 9 au 10 août, un pouvoir insurrectionnel se met en place : L’Ancien Régime sombre le 10 août sous la pression du peuple et des fédérés qui prennent les Tuileries.
A Etampes, dès le 10 août, le Conseil général, sur les avis qui lui ont été donnés des événements fâcheux dont la capitale est peut-être le théâtre... «quoique ces avis ne lui soient pas parvenus officiellement, considérant que les précautions de prudence soit du devoir strict des magistrats du peuple, a arrêté que Monsieur le chef de légion sera requis de commander cinquante hommes de garde en sus de la garde ordinaire , et de distribuer ces hommes dans les corps de garde du district, de Saint Martin et de la maison commune ; comme aussi de commander les hommes pour servir en personne sans pouvoir se faire substituer ; et de se tenir en activité jusqu’à nouvelle réquisition. A arrêté que le commandant des canonniers en station en cette ville sera requis de faire tenir le planton au poste de la maison commune à deux hommes... » Deux des membres du conseil seront toujours présents à la maison commune et ne désempareront de jour ni de nuit. De telles mesures prouvent une fois de plus la réaction de prudence et surtout d’inquiétude des élus face aux événements qui se déroulent à Paris.
C’est apparemment sans incidents que les Etampois acceptent les changements. Le 12, on proclame et on affiche aux lieux habituels, la loi du 10 août qui suspend le roi et convoque la Convention. Un détachement de la Garde nationale accompagne la municipalité. Le 17, Sibillon, maire de la commune rédige et expédie à l’Assemblée législative une adresse solennelle, pompeuse et élogieuse. On enregistre aussitôt les prémices d’une mutation qui va instaurer une société civile. Le conseil prend la décision de ne pas assister aux cérémonies religieuses du 15 août : les prêtres ne doivent plus porter le costume ecclésiastique en dehors des églises. Les enseignes qui portent des « qualifications » en particulier les fleurs de lys, symbole de la royauté sont détruites : un jeu de cartes est confisqué et expédié au ministre de l’intérieur ; les billets de l’hôpital portant la mention « Hôtel royal » sont retirés et ne serviront plus. Le greffier du tribunal demande à son tour la suppression le plus tôt possible des fleurs de lys qui sont aux voûtes de la grande salle du prétoire, et il s’interroge sur le retrait d’un tableau représentant « Monsieur d’Orléans décoré du cordon bleu » qui se trouve dans la chambre du Conseil. Ces faits, si modestes soient-ils, témoignent de la volonté de faire disparaître les signes de la royauté, de féodalité et de « superstition ».
Le 10 août, la Commune insurrectionnelle de Paris impose la convocation d’une Convention nationale pour donner une nouvelle constitution à la France. A Etampes, les modalités d’élection sont publiées et l’assemblée primaire électorale est convoquée pour le dimanche 27 août à 7 heures. La section du nord, pour les paroisses Saint-Pierre, Notre-Dame et Saint-Basile se réunit en l’église Saint-Basile. En effet cette réunion se tiendra à Saint-Germain-en-Laye. L’assemblée primaire de la section du midy, pour les paroisses Saint-Gilles et Saint-Martin, a lieu en l’église Saint-Gilles du 26 au 29 août. Il s’agit de désigner huit électeurs comme aux élections précédentes mais pour la première fois en France les députés sont élus au suffrage universel. C’est un changement capital des conditions de citoyenneté ; mais à Etampes, on ne se précipite pas aux urnes. Les deux listes émargées par le président Wacerbach et le secrétaire Bézard comptent respectivement 153 et 46 votants. Ce qui est tout de même bien peu pour une ville de 7500 habitants !
Une ère nouvelle est née : le 22 septembre, la Convention proclame la République. Mais dès le 23 août, on peut lire que 1792 devient la quatrième année de la Liberté et la première de l’égalité ; c’est l’amorce du calendrier républicain. Nos administrateurs mettent peu à peu en place une nouvelle législation. Leur premier devoir est de jurer « de maintenir la liberté et l’égalité ou de mourir en les défendant ». Le maire, les officiers municipaux et les notables prêtent serment le 20 août. Puis les prêtres et les fonctionnaires publics viennent les uns après les autres ; ensuite, sont les juges, les commissaires et les greffiers des tribunaux, ainsi que certains citoyens. Le 30 septembre, tous se rendent en la maison commune pour renouveler publiquement le serment d’ « être fidèle à la Nation et de maintenir de tous leurs pouvoirs la liberté et l’égalité ou de mourir à leur poste ».Le corps municipal se déplace enfin à la chapelle de l’Hôtel-Dieu pour recevoir le serment des hospitalières.
Le redressement militaire : Valmy
Le 23 août, Longwy tombe aux mains des Prussiens ; le 2 septembre, c’est au tour de Verdun, dernière place avant Paris. Devant le danger, le 4 septembre, après la lecture des instructions du Conseil général du département, injonction est faite aux Etampois de remettre toutes leurs armes dans la journée aux commissaires nommés à cet effet. L’appréhension gagne la population : 60 volontaires veulent former une nouvelle compagnie. Ils réclament à la municipalité la désignation d’officiers qu’ils obtiennent difficilement. La situation est préoccupante : L’Assemblée proclame à nouveau « La Patrie en danger » demande l’ouverture de trois registres : un premier pour l’engagement des vétérans, un deuxième pour l’engagement des troupes de ligne, et un troisième pour l’inscription « des citoyens choisis par leurs frères d’armes pour servir de volontaires ». Il semble difficile au Conseil général de faire usage du troisième registre. 300 enrôlements sont enregistrés les 6 et 7 septembre : il y a très peu de natifs d’Etampes. Il faut désigner un commissaire à l’enrôlement ; le choix se porte sur Guillaume Rémond qui refuse ; on nomme alors le 11 septembre Lemaire et Fricaud. Il faut aussi subvenir à l’équipement de ces volontaires, et le nombre de fusils est insuffisant. On menace d’appliquer la loi du 2 septembre : « Tout citoyen doit déposer ses armes sous peine de mort ». Il faut encore faire face aux mesures annoncées par lettre officielle du Ministre de l’intérieur, Roland, pour accélérer l’équipement des citoyens volontaires. Les électeurs du district d’Etampes adressent une lettre à l’Assemblée électorale du département pour se plaindre des retards apportés au « départ des citoyens qui s’étaient empressés d’offrir leurs bras et leurs armes à la Patrie » ; ils mettent en cause le zèle des administrateurs du district ajoutant « il ne sera pas dit que dans les grands dangers de la Patrie, les citoyens de notre district conservent l’empreinte honteuse de l’égoïsme , et que vous soyez rendus indignes de la confiance dont vous êtes honorés ».
Jusqu’à la victoire de Valmy, le 21 septembre 1792, la pression des affaires militaires sur les administrateurs de la ville reste forte. Sans totalement disparaître des délibérations, elle s’atténue ensuite, surtout au début de l’hiver. C’est le 8 décembre, dans la sérénité, qu’est organisée la fête civique destinée à honorer le succès des armées de Savoie. Sur la place Notre-Dame, le citoyen Dergny, adjudant du bataillon du Nord monte sur les gradins et chante « l’hymne des Marseillais ». Les citoyens assemblés l’écoutent « dans un religieux silence et donnent le témoignage de la plus vive satisfaction ».
Le calme revient...
Retour à la gestion quotidienne
A mesure que les rumeurs de guerre se font moins menaçantes, assurer de bonnes conditions de vie aux habitants redevient le rôle principal de la municipalité. On se préoccupe donc du problème d’entretien des bâtiments : demande de devis estimatif à Pommeret pour des aménagements dans la maison commune, intervention près du District pour des travaux à la prison... Autre souci, la voirie : il y a des trous à combler sur la Promenade du Jeu de Paume, 30 arbres malades à abattre, ce qui fournira du bois de chauffage. On passe un contrat avec les citoyens Renier pour l’arrachage, le tronçonnage et le cassage à raison de 7 livres par corde*, et Delanoue pour le transport dans la maison commune. Toutefois, Etampes tient à l’agrément de ses promenades et, en novembre, moment favorable, prévoit aussi des plantations d’ormes au Port « tant côté eau que le long des remparts entre la Porte dite de la Couronne et celle de Saint-Jacques ». Cela fait l’objet d’une adjudication à des conditions très soigneusement définies qui obligent l’entrepreneur à donner 5 ans de garantie.
Les rivières sont toujours un objet de préoccupation : au Perray, les riverains du Juineteau se plaignent d’être privés de leur eau, le procureur de la commune va aussitôt enquêter au Portereau de Vauroux. Finalement il constate la nécessité de curer la rivière, une opération usuelle mais négligée depuis 8 à 9 ans ; obligation est donc faite à tous les propriétaires en amont, depuis la Fontaine Pezé près de Vauvert, de procéder au curage le 26 novembre, sous peine de 50 livres d’amende. Enfin, au nom de l’intérêt général, on nomme en janvier deux commissaires pour assister à six heures du martin au nivellement de la rivière entre le Pont des Deux-confluents et le Grand Moulin ( !) Ces problèmes sont bien sûr à mettre en relation avec le fonctionnement des nombreux moulins de toutes sortes qui jalonnent les rivières d’Etampes et se livrent à une féroce concurrence pour l’eau !
Le nettoiement laisse aussi beaucoup à désirer, le procureur de la commune se plaint en novembre du relâchement dont la ville donne le triste spectacle. Comme l’ancien n’est plus respecté, un nouveau règlement de Police est rédigé pour rappeler aux citoyens leurs obligations : 40 sous d’amende à qui ne balaie pas devant sa maison aux jours et heures prescrits, même peine à qui fait des amas de paille dans les rues et places, encore 40 sous à qui ne lave pas le sang répandu en abattant du bétail... On autorise les citoyens, à récupérer, pour leurs terres, au lieu de les laisser enlever par l’entrepreneur, les boues et fumier devant leurs portes... mais pas devant celle du voisin ! On précise les précautions à prendre pour traverser la ville avec des chevaux mais on prévoit la peine la plus lourde (amende et même détention) pour ceux qui jetteraient de l’eau par les fenêtres ou y placeraient toutes choses susceptibles de blesser les passants.
C’est également l’ordre et la sécurité qu’il faut respecter. Outre les postes fixes de garde aux sorties de la ville et à la maison commune, des postes temporaires sont installés aux points « chauds » : le marché bien sûr et la foire Saint-Michel pour laquelle on mobilise 20 gardes nationaux, un officier et un sous-officier du 28 septembre au 7 octobre. Quand « l’heureuse nouvelle » de l’évacuation du territoire par les ennemis de la République le permet, on s’empresse de supprimer la garde du jour ; seule une garde de nuit est maintenue entre six heures du soir et six heures du matin. Cette obligation est ressentie comme assez pesante et de nombreux incidents en témoignent. Il faut rappeler aux habitants du Petit Saint Mars et de Saint-Pierre que ce service est obligatoire pour tous. Fontaine, conseiller municipal entre en conflit avec le chef du bataillon du Midy Fricaud qui lui reproche de donner la priorité à sa permanence au Conseil plutôt qu’à son service dans la Garde nationale : il demande un arbitrage. Le médecin Engaz sollicite l’autorisation de se faire remplacer : ce qui est laissé à l’appréciation du capitaine de compagnie. En décembre, on dresse d’un coup 16 contraventions pour défaut de service; tarif : une amende équivalent à deux journées de travail par jour de garde manquée. Cela vaut peut-être mieux pour eux que la prison où les conditions de détention se sont dégradées : la disparition des aumônes n’a guère été compensée par la décision du Conseil d’augmenter la ration quotidienne du prisonnier « trop modique pour le sustenter »
Comment faire payer les contributions ?
Les trois nouveaux impôts institués par la Constituante en remplacement des anciens supprimés au 1er janvier 1791 reposent lourdement sur les communes qui doivent se charger de la répartition et de la perception. Pour survivre le nouveau régime a besoin d’argent ; matrices et cadastre n’étant pas prêts, le receveur Gudin est alors contraint de faire payer des acomptes sur la contribution foncière de 1791. En avril 1792, Marceau Faucheux est nommé percepteur ; le district tarde encore quatre mois à lui faire parvenir les rôles ! Le Conseil général, qui ne cesse de recevoir des réclamations et demandes de rectifications doit nommer deux commissaires pour en examiner le bien-fondé.
Le bureau des impositions du district est lui-même débordé et demande à la mi-août la nomination d’un commis, le sieur Lemarchand, « considérant que la totalité des rôles des impôts fonciers et mobiliers de 1791 n’est pas encore complète ; qu’à peine auront-ils atteint ce but qu’il faudra former ceux de 1792 ». Le malheureux commis, déjà employé depuis le 1er juillet devra attendre la mi-octobre pour voir sa situation régularisée et rétribuée (400 livres par an payables par trimestre). Au même moment, deux employés, Hombert et Quinton payés, le premier 700, et le second 600 livres an, « considérant que l’ouvrage du bureau des impositions et du secrétariat s’augmente de jour à autre et que les vivres sont fort chers à Etampes » réclament et obtiennent une augmentation de salaire de 200 livres à partir du premier janvier dernier ; la revalorisation est substantielle, mais ... payée en assignats.
Chaque année, la ville se voit réclamer une enveloppe globale qu’elle a la charge de répartir entre les différents contribuables ; elle y ajoute la somme qu’elle-même juge nécessaire à sa propre gestion. Etampes, qui s’estime trop lourdement taxée fait rédiger une demande de dégrèvement par deux commissaires, assistés « d’écrivains calculateurs payés à 40 sous par jour ». Marceau Faucheux, pensant faciliter sa tâche et accélérer les paiements, imagine de convoquer les contribuables à son bureau par avertissement : initiative malheureuse qui lui vaut une injonction de se conformer à la loi et de se transporter lui-même pour percevoir.
Tous ces efforts ne doivent pas faire illusion, l’impôt rentre mal comme en témoigne le bilan fait en décembre : 4 % des 150 000 livres de contributions sont perçues ! Mais le 23 janvier 1793, Marceau Faucheux remet au conseil en vue d’une publication un état nominatif des retardataires, mesure destinée à faire pression sur les contribuables récalcitrants. En effet, un mois plus tard, 6 670 livres de contributions foncières et 2054 de contributions mobilières soit 8 724 livres se sont ajoutées. Il ne reste plus à percevoir que 90 % des impôts de 1791 ! Le bilan des impositions de 1792 présenté par le receveur Gudin le jeune semble moins catastrophique. Pourtant, il est certain que le passage brutal d’un système d’impôt à un autre, aggravé par le contexte politique d’une monarchie de plus en plus déconsidérée et finalement renversée, est totalement défavorable à de bonnes rentrées fiscales.
Encore les subsistances !
Après la soudure, la deuxième période sensible se place à partir d’octobre, au moment où la récolte est mise sur le marché.
Le premier problème qui surgit est celui de l’approvisionnement en pain, accentué par la nécessité de pourvoir non seulement aux besoins des Etampois, mais aussi des étrangers attirés par la foire Saint-Michel. Les boulangers, accusés de ne pas cuire de pain en quantité suffisante, se plaignent des difficultés qu’ils ont à se procurer des grains, et les laboureurs prétendent ne pouvoir battre assez promptement pour fournir les marchés. Le spectre de l’accaparement hante les esprits et le Conseil se transporte sur le champ chez les boulangers pour vérifier leurs déclarations. Des commissaires sont chargés de procéder aux achats de grains pour les faire convertir en farines qui seront vendues aux boulangers. Mais en décembre, Constance Boyard, avec son agressivité habituelle requiert la municipalité de leur faire rendre des comptes détaillés dans les trois jours, sous peine de « les dénoncer aux autorités supérieures » ! IL refuse toutefois d’assister à la séance prévue à cet effet et c’est sans lui que les comptes des commissaires sont finalement approuvés.
Autre problème épineux : le prix du pain. Le cas du boulanger Gaudrille dénoncé pour avoir vendu 27 sous le pain de 9 livres au lieu de 25 sous du prix taxé est banal. Mais la proposition du citoyen Lavallery est beaucoup plus originale : rédiger et adresser à la Convention nationale une pétition pour obtenir une loi « qui établira le prix du pain à taux proportionné au gain du journalier ». L’idée est retenue et dix jours plus tard, une réunion des citoyens à Sainte-Croix donne pouvoir à des commissaires pour porter cette pétition. En mai 1793, cette revendication reprise par le peuple et soutenue par le Montagnards, impose à la Convention girondine le vote d’une loi du maximum.
Le point « chaud » où s’expriment toutes les tensions, on le sait bien à Etampes depuis la mort de Simonneau, c’est le marché ! Les voitures chargées de blé doivent être munies d’un certificat de la municipalité pour être autorisées à décharger. Jean-Baptiste Portehault, commissaire aux grains, s‘opposant au déchargement d’une voiture sans papiers, qui provient de Boissy-le-Sec, est violemment pris à partie par le voiturier Morizet : la commune décide de poursuivre ce dernier en justice « pour insultes à agent public ». Les esprits ne semblent pas calmés pour autant, car quelques jours plus tard, on place sur le marché « une garde de cinquante hommes, 2 officiers et un juge de paix pour statuer sur les délits ». Sont exceptés de cette garde « les marchands de blé, les meuniers, boulangers, portefaix ou mesureurs » dont probablement l’impartialité est douteuse, mais ils protestent qu’on veut « les priver de l’exercice de leurs droits de citoyens » et obtiennent satisfaction. Ces mesures exceptionnelles sont supprimées le 22 novembre, ce qui témoigne d’un certain apaisement.
Le rôle de la Beauce est essentiel pour le ravitaillement de Paris et de la région et la Convention a besoin de connaître les disponibilités en grains. Des lois de septembre ont prévu l’ouverture d’un registre sur lequel chaque habitant est invité à déclarer « les grains qu’il possède et la quantité nécessaire pour sa subsistance et la semence ». Le District nomme des commissaires, 4 pour la ville d’Etampes et 2 pour chacun des 5 arrondissements de la campagne. Malgré de nombreux désistements, le 9 octobre, ces commissaires commencent la vérification des déclarations et procèdent au recensement prescrit par la loi. Deux obstacles entravent le commerce des grains. D’abord le refus des laboureurs de vendre contre des assignats : le 3 novembre, invitation aux citoyens est faite de rétablir « la circulation des billets de confiance de Paris au cours précédant le récent discrédit qu’ils viennent d’essuyer ». Ceci atteste le début de la chute des assignats dont l’émission s’est accrue massivement en octobre. Ensuite, la réticence de la commune d’Etampes à se démunir est évidente. Quand des commissaires envoyés par Tours adressent une demande au Conseil « pour procurer à la Commune les grains dont elle a le plus pressant besoin », la municipalité les accompagne chez les marchands « pour préserver la subsistance d’Etampes et la part prévue pour Paris ». Quelques jours plus tard, des commissaires envoyés par le département viennent rappeler aux Etampois les lois sur la libre circulation des grains. Le citoyen Simonnet, chargé d’acheter grains et farines pour sa ville de Romorantin « qui éprouve en ce moment la disette la plus affreuse » a pris ses précautions : il arrive muni d’une lettre du ministère de l’intérieur et obtient satisfaction !
Mais l’affaire de Tours n’est pas terminée : en janvier 1793, trois mois après les incidents, une plainte a été déposée et le corps municipal d’Etampes est menacé de sanctions par le ministre ; une adresse est alors rédigée et envoyée aux administrateurs du District pour justifier la ville et demander leur appui « contre cet acte de despotisme ». Le Conseil trouve des accents lyriques pour se défendre contre des inculpations fausses « qui attaquent la pureté de ses intentions (et) même blessent son civisme ». Il ne faut y voir que « le fiel de la calomnie la plus atroce contre une commune jalouse de vivre fraternellement avec ses voisins ». Mais que reproche Tours à Etampes ? D’abord l’accueil fait à ses délégués « abandonnés » par le Conseil au milieu d‘une assemble houleuse d’Etampois dont « quelques têtes échauffées par le vin » ! Mais qu’étaient-ils donc venus faire dans cette assemblée, alors que tour était réglé ? Ils auraient dû « aller annoncer à leurs frères de Tours qu’ils avaient trouvé des frères à Etampes prêts à voler à leur secours»... Plus grave, le blé promis n’a pas été livré ! Les marchands sont en effet peu enclins à se lancer sur les routes où leur cargaison risque d’être « interceptée » : le citoyen Doucet qui avait vendu de la farine à Châteauroux n’a exécuté le marché qu’après avoir reçu un ordre assorti d’une promesse de « secours et protection ». Alors pourquoi s’en prendre au conseil ? Il connaît la loi sur la circulation des grains, mais « il n’en connaît point qui l’astreigne à forcer les marchands à fournir quand ils refusent »... c’est du ressort des tribunaux ! Tous ne l’entendent pas de cette oreille : le Conseil fait preuve de mauvaise foi en prétendant ignorer la défaillance des marchands « comme si 335 sacs de farine pouvaient sortir d’une commune sans que la municipalité en soit instruite ». La réponse d’Etampes est bien intéressante et révélatrice de l’importance du marché : « La commune de Tours a une bien faible idée de notre commerce pour tenir un semblable raisonnement », « vingt moulins tournent continuellement dans notre ville et produisent par semaine environ 5 000 sacs de farine ». Le ton monte entre les deux communes. Tours écrit au ministre : « Poursuivez cette municipalité insouciante, rebelle à vos ordres, aux autorités constituées et aux lois... C’est sur l’échafaud que doivent s’expier tant de crimes ! "En vérité- répond Etampes qui redoute le pire, 3 jours après la mort de Louis XVI –" Quand nous serions dans l’Ancien Régime, on ne parlerait pas plus despotiquement. »
Cette affaire permet de comprendre comment les obstacles psychologiques, la peur de manquer, peuvent créer des difficultés d’approvisionnement, alors même que la récolte a été suffisante...
Les problèmes internes du Conseil de commune
La lourdeur des tâches du Conseil général de commune qui doit, en plus de la gestion habituelle d’une ville mettre en place la réforme fiscale et faire face à une période de troubles à la fois économiques et politiques, perturbe son fonctionnement. Des règles de publicité des séances ont été fixées par la loi du 15 août, mais à Etampes, les séances étant publiques, le Conseil décide simplement de les fixer de façon ordinaire au mardi, jeudi et samedi à 5 heures du soir. La lecture des lois est transférée du dimanche entre11 heurs et midi au mercredi à 6 heures du soir, ce qui est jugé plus convenable. Sans doute faut-il y voir la volonté de ne plus lier cette information civique à la messe. Les lois arrivent par paquets, en moyenne deux fois par mois à des dates irrégulières ; elles sont immédiatement enliassées, enregistrées et placardées aux lieux habituels. La mise en application de ces lois entraîne souvent des décisions et des travaux nouveaux auxquels on fait face en convoquant des assemblées extraordinaires et en déléguant des tâches précises à des commissaires : vérifications de comptes, représentations de la commune à des inventaires ou à des ventes de biens nationaux, établissement de listes concernant des chevaux, des chariots ou autres, remises de pétitions... On retrouve souvent les mêmes noms pour assumer ces fonctions : FIlleau, Nasson, Constance Boyard, Marceau Faucheux, Clartan, tous citoyens très actifs pendant cette période.
Pourtant un malaise apparaît nettement entre le 30 octobre et le 22 novembre 1792 : c’est la fin du mandat du Conseil en place et les difficultés croissantes sur le marché justifient la mise en place d’une garde nombreuse. La réunion du 13 novembre est levée « attendu le tumulte occasionné par les citoyens qui assistent à la séance et l’impossibilité où est le Conseil de pouvoir s’entendre ». Une nette démobilisation se manifeste : 4 assemblées sont annulées « faute de quorum » ; les présents attendent longtemps, s’impatientent et envoient une lettre de réprimande aux absents et menacent de les dénoncer aux autorités supérieures, quitte le lendemain à rayer dans le registre ces phrases assassines ! Un peu plus tard, le procureur de la commune fait un rapport sur ces difficultés et déplore le retard accumulé par les Conseils généraux, que la loi sur les dangers de la Patrie a constitué en « état de permanence ».
Cette lassitude se manifeste lorsqu’à partir du 2 décembre se déroulent les élections pour renouveler le Conseil. Plusieurs constatations s’imposent : d’abord la faible participation des électeurs malgré le suffrage universel proclamé en septembre, 85 à 212 voix au maximum, et le plus souvent une centaine ! On constate ensuite l’éparpillement des voix surtout pour les officiers municipaux : dans la section du Nord, 48 citoyens ont une seule voix et 42 dans la section du Midy, ce qui prouve qu’il n’y a pas de liste de candidats. En conséquence, après proclamation des résultats par le Conseil, les élus sont priés de faire acte d’acceptation. Mais c’est alors une fuite éperdue devant les charges et la responsabilité, ce qui multiplie les opérations de vote : Sibillon, maire sortant réélu, accepte mais Héret puis Sédillon refusent de devenir procureur et il faut un troisième tour pour désigner Filleau qui enfin consent. Trouver des officiers est un casse-tête pire encore : refus et nominations se succèdent sans arrêt ; les élus hésitent tellement à se prononcer que le Conseil décide, dans l’espoir d’accélérer la procédure, d’envoyer le secrétaire-greffier recevoir leur réponse à domicile. Le nouveau Conseil n’est finalement constitué et installé que le 28 février, après trois mois d’opérations électorales !
Il est vrai qu’un élément perturbateur s’ajoute à ces difficultés : le terrible Constance Boyard obtient l’annulation par le District du premier tour de scrutin pour l’élection du maire, malgré l’avis défavorable émis par le Conseil. Ensuite, nommé officier municipal, il tarde à répondre, mais finit par déclarer au greffier envoyé à son domicile : « Malgré mon manque de fortune, la santé altérée de mon épouse, enfin les circonstances où je me trouve journellement, je me fais un devoir d’accepter, surtout au moment où la Patrie est encore en danger et vu la circonstance où la municipalité se trouve dans son organisation... ». Mais cette réponse suscite aussitôt l’opposition du citoyen Portehault et surtout une plainte des citoyennes hospitalières de l’Hötel-Dieu « pour son comportement vexatoire et violent » dans le cadre de ses fonctions de commissaire ! Le dossier est transmis au District et une enquête est ouverte, ce qui paralyse tout le processus d’installation. Enfin le Directoire du District estime que les faits ne sont pas de nature à empêcher sa nomination mais « qu’au lieu d’apporter un esprit de fraternité qui seul doit animer un vrai républicain, il y a apporté un esprit d’aigreur et même d’inquisition, attribut des agents du despotisme » ; de plus, le Conseil à qui on reproche de ne pas surveiller ses commissaires se voit recommander de ne plus envoyer Boyard à l’Hôtel-Dieu !
Ce problème à peine réglé, un nouveau conflit éclate : Boyard accuse le Conseil et en particulier Clartan, de ne pas appliquer la loi. Le débat du 24 février tourne en altercation et Constance quitte la séance ; ce qui permet enfin au procureur d’exposer les faits ; l’irascible fripier n’ayant pas assisté à plusieurs assemblées, Clartan l’ayant cru absent d’Etampes et sans chercher à l’avertir, avait reçu à sa place un acte de mariage. Après son départ, ses adversaires peuvent enfin dresser une liste sans doute non exhaustive de leurs griefs et constituent un dossier d’accusation envoyé au District pour avis de transmission au département !...
Pourtant cette période de la fin de 1792 –début 1793 oblige Etampes à dépasser ses querelles de clocher pour appliquer les mesures liées au cours d’une Révolution de plus en plus soupçonneuse à l’égard de ceux qu’elle va bientôt appeler des « suspects »
Le clergé et ses biens
La chute de la monarchie a marqué le début d’une dégradation de l’attitude du Conseil envers le clergé. La décision prise en janvier que « les grands et petits marchés de la commune, fixés irrévocablement au samedi de chaque semaine, ne pourront être dérangés par quelque fête ou cérémonie ecclésiastique que ce puisse être », apparaît très significative d’une évolution qui aboutira à la déchristianisation. Mais en cet automne 1792, les affaires ecclésiastiques se limitent encore à deux points : l’état civil et les biens du clergé.
Le 18 octobre, le conseil prend les mesures nécessaires pour la reprise de l’état civil aux curés : on élit un officier public chargé de cette tâche ; on demande aux ecclésiastiques d’apporter leurs registres à la maison commune. On se contentera de tourner la page pour continuer les enregistrements ! A Saint-Gilles, dès le 20 octobre, on mentionne un décès puis la naissance de deux filles qui, selon la coutume portent les prénoms de leur marraine ; mais à Saint-Martin, le premier garçon déclaré, le 22 octobre, est gaillardement nommé Michel-Républicain Marat !
Le second point est plus litigieux. Il faut dresser un inventaire exact avec description de tous les meubles, effets en or et argent des églises Notre-Dame,, Saint-Basile, Saint-Martin, Saint-Pierre et de l’Hôtel-Dieu « à l’exception des vases sacrés, conformément à la loi ». La nomination, parmi les commissaires affectés à cette tâche de Constance Boyard est inévitablement source de troubles : Jean-Baptiste Portehault, marguillier de Notre-Dame refuse de faire l’inventaire en sa présence. Le conseil dénonce sa conduite aux administrateurs du département et ordonne aux commissaires de poursuivre leur travail. Aussi, fin novembre, une partie de l’argenterie de Saint-Basile est envoyée à la Monnaie. Au même moment, les fabriques et autres établissements de charité dépendant des paroisses cessent de percevoir les revenus de leurs biens et le Conseil enjoint aux marguilliers de rendre leurs comptes.
Pendant ce temps, au District, on procède activement à la vente des biens du clergé. Ces biens, constitués de terres, fermes, moulins, granges et aussi de bâtiments, ecclésiastiques ou non, sont considérables : environ 7% de la superficie du district, mais beaucoup plus à Etampes (10 à 20 %) et sur les meilleures terres des plateaux. La part importante des terres (45%) appartient à des établissements religieux extérieurs au District, surtout de Paris, mais aussi de Tours, Sens, Chartres et Orléans. Les quatre-vingt-dix cures et fabriques paroissiales se partagent le reste. La vente se déroule au Collège d’Etampes, siège du District, « à la chaleur des enchères *et « à l’extinction des feux » en deux séances espacées de quinze jours. Mais quelle est la finalité de ces ventes ? Il faut se rappeler que la confiscation des biens du clergé a été votée le 2 novembre 1789 sur proposition de Talleyrand pour payer les dettes de l’état. La valeur des biens confisqués sert de garantie aux assignats, que l’on émet à partir du printemps 1790 comme papier monnaie. Aussi le souci majeur des administrateurs est, dans cette période qui se prolonge en 1793, d’assurer le maximum de rentabilité financière aux ventes. C’est pourquoi les fermes dont la taille est importante sont proposées en un seul lot ; le morcellement de l’exploitation n’étant accepté qu’en cas de prix supérieur à la vente globale (ce cas se produisit dans 2 ventes sur 414 soit 16 ha sur 4895), ou d’entente entre paysans pour un achat collectif (6 cas soit 90 ha). En novembre, le Conseil d’Etampes décide d’acquérir « la maison des religieuses de la Congrégation de cette ville » située à l’actuel carrefour des religieuses ; il reçoit l’autorisation du département et fait soumission pour la somme de 40 500 livres. Cette démarche est indispensable pour déclencher la procédure d’expertise et d’estimation. Mais la vente n’eut lieu que quelques années plus tard et échappa à la ville.
Les conditions de paiement sont intéressantes : un acompte de 12% pour les biens agricoles (30 % pour les bois et les bâtiments), le solde payable en 12 années à 5% d’intérêt : les baux d’exploitation ne peuvent être résiliés mais les biens sont francs de toute rente ou redevance. De plus, la chute de l’assignat, sensible dès 1793 (en février, il a déjà perdu 50% de sa valeur nominale), allège rapidement la dette des acheteurs. Peu d’entre eux s’acquittent au comptant ou en utilisant le délai offert ; la majorité liquide sa dette en l’an III quand l’assignat est tombé au plus bas. Or la plupart des terres (81% de la surface soit 4 978 ha) sont vendues pendant cette période.
Mais qui en tire bénéfice ? La paysannerie affamée de terres ? Les modalités de vente ne lui ont permis de récupérer que des miettes, alors que 35 % des terres ont été acquises par des nobles. Ainsi Jacques Alexandre de Gorlade achète la ferme de Villesauvage (237 ha). François-Honoré de Viani, secrétaire du roi, acquiert la maison abbatiale de Morigny, ses dépendances et la ferme de la Basse-Cour attenante , puis la ferme de Beauvais (123 ha)... soit en tout 283 ha ! La bourgeoisie récupère elle aussi une part importante, 33% des terre. Le cas le plus original est celui de Jean-Baptiste Lanon, planteur créole de Saint-Domingue venu s’installer à Etampes avec sa nombreuse domesticité un peu avant la Révolution, qui acquiert la ferme de Champdoux (107 ha).
Et l’Etat ? L’inflation croissante et les délais de paiement rongent très vite la rentabilité que laissent espérer des prix de vente très supérieurs à l’estimation initiale. Son problème financier n’est donc pas résolu en 1793 malgré ces ventes massives de biens du clergé, mais l’évolution du problème des émigrés lui permet d’envisager de nouvelles ressources.
Les émigrés et autres suspects
Prise de la Bastille, retour forcé du roi à Paris, échec de la fuite à Varennes, chute de la monarchie, ces événements inquiétants jettent par vagues les nobles sur les routes de l’exil. Après la déclaration de guerre du 20 avril, certains ne partent pas seulement pour se mettre à l’abri mais pour prendre les armes contre la Révolution. Tous deviennent alors des ennemis contre lesquels on prend des mesures : leurs biens mis sous séquestre dès février, sont promis à la vente par une loi de juillet. Cette grave atteinte au droit de propriété se heurte aux principes affirmés en 1789 : il faut attendre la fin de 1793 pour une mise en application effective. Toutefois, dès le mois d’octobre, des commissaires vérifient l’état des chevaux et des mulets confisqués aux émigrés, en vue de les envoyer au camp de Paris ; d’autres procèdent à l’inventaire des effets trouvés à leurs domiciles. On proclame « la confiscation au profit de la République » des biens des émigrés Germain et Demazis : ce dernier est propriétaire de la ferme du Chesnay évaluée à 448 ha ! En novembre, des gérants (notaires ou procureurs) et exploitants de biens nobles (laboureurs ou meunier) viennent déclarer de façon détaillée les biens dont ils ont connaissance et se disent prêts à les remettre « à qui il appartiendra ». Leur inquiétude et leur prudence transparaissent à travers les formules qu’ils emploient. Si louis-Martin Venard notaire déclare que ledit « Devalory est parti de la ville depuis octobre 1791 pour accompagner son épouse aux bains d’Aix-la-Chapelle", les autres affirment « qu’ils ignorent le domicile actuel de leur propriétaire", parlent d’absence depuis quelques mois, seul, le notaire Alexandre Goupil ose avancer le mot d’émigré.
Une surveillance de plus en plus étroite de la circulation des individus se manifeste : le poste de garde du Moulin Branleux, situé sur la Louette près du carrefour de « l’Ecce homo » est transféré rue des Belles-Croix en l’auberge du « Sauvage » c’est-à-dire à la Porte de sortie vers Orléans, et la garde de nuit renforcée de dix hommes avec consigne « de ne rien laisser sortir de suspect ». Etampes, par sa position entre Paris et Orléans, est un point de contrôle important ; ce que démontre la correspondance entretenue avec la section parisienne du Luxembourg, le comité de surveillance de la Convention nationale et la municipalité d’Orléans, au sujet d’une voiture suspectée de transporter des effets volés, qu’on a interceptée. D’ailleurs, le citoyen Carpentier nouveau venu dans la ville et décidé à s’y installer, juge prudent de se signaler à la maison commune.
Dès janvier 1793, la mise en application d’un décret de la Convention oblige de nombreux citoyens à se faire délivrer un certificat de résidence, « exigé des fonctionnaires publics et des autres créanciers ou pensionnaires de la Nation » et nécessaire à quiconque doit prouver qu’il n’est pas compris dans la liste des émigrés. Leur délivrance est soumise à des prescriptions très rigoureuses : inscription dans les registres communaux, visas par les autorités du district et du département, affichage dans les chefs-lieux du canton, et, quinze jours après seulement, délivrance par la commune avec perception d’un droit d’enregistrement... Tout cela pour trois mois de validité. Le certificat porte le nom et le prénom du demandeur, le temps et le lieu de sa résidence, mais aussi un signalement très détaillé ; par exemple Charles-Toussaint Seringe « 48 ans, cheveux et sourcils blonds, yeux gris, visage lourd, front découvert, menton allongé, nez aquilin, taille 5 pieds 3 pouces 5 lignes ». Joseph-Pierre Vigny a le visage « marqué de petite vérole » et tel autre « porte perruque ». L’exactitude de ces renseignements est garantie par 8 témoins qui signent le registre ou déclarent « ne savoir signer ». Leur responsabilité est lourdement engagée car la loi punit les fausses déclarations de 4 ans de fer et du remboursement « sur tous leurs biens des pertes que le faux aurait occasionné à la République ».Néanmoins, la fréquence de certains noms les années suivantes, incitent à douter que tous aient été comme le souhaitait la loi, « des citoyens probes et véridiques » ! Du 7 janvier au 15 mai, pas moins de 188 certificats sont délivrés, pour un tiers à des femmes, ce qui mobilise une part de l’activité municipale.
Lorsqu’au début de mars les inquiétudes se trouvent ravivée par la formation de la première coalition, la chasse aux suspects s’intensifie : « les citoyens fixés à Etampes depuis quelques mois et inconnus avant cette époque, ont trois jours pour faire une déclaration et apporter les certificats justifiant qu’ils n’ont pas quitté le territoire de la République sous peine de poursuite ». Au même moment, les premiers certificats de civisme sont accordés aux bons citoyens, essentiellement des gens qui ont des fonctions publiques ou administratives : avoués, huissiers, commis, abbés ou gendarmes... mais aussi parfois refusés comme à Auger, curé de Saint-Basile ou Bonnet maître du collège !
Le 7 mars 1793, le Conseil prend les premières dispositions pour fournir les volontaires demandés par la loi du 24 février décrétant une levée de 300 000 hommes. Désormais toute la vie de la commune va être subordonnée aux impératifs de la guerre.
Sources
Archives départementales de l’Essonne :
L11, L113, organisation et fonctionnement de l’administration du district
L 97 registre de délibérations du district (3 décembre 1791- 12 septembre 1792)
L 98 registre de délibérations du district (12 septembre 1792- 1è avril 1793)
Archives municipales d’Etampes :
1 D 12 registre de délibérations municipales d’Etampes
Bibliographie
FORTEAU Charles, Episodes de la Révolution à Etampes, « l’Argousin », Fontainebleau 1911
FORTEAU Charles, L’église Saint-Basile pendant la Révolution : caserne, prison, salpêtrière, Etampes 1911
CHAPITRE 7 - La crise de l'An II : La guerre et le gouvernement révolutionnaire
Durant l’été 1793, la montée des périls extérieurs et intérieurs fait de la sauvegarde de la République la priorité de l’action gouvernementale. Le soulèvement vendéen crée un véritable front au cœur du pays. A partir de l’été, s’y ajoutent en Normandie les tentatives fédéralistes et dans le sud-est l’agitation royaliste : la place de Toulon tombée aux mains des Anglais ne sera reprise qu’en décembre. Les révolutionnaires ont le sentiment d’être dans une citadelle assiégée. Et la tâche à accomplir est d’autant plus difficile qu’il est nécessaire de tout faire en même temps : lever des troupes, les équiper et les ravitailler, nourrir les populations affamées après la longue soudure du printemps, créer les conditions d’un sursaut politique alors que la situation paraît désespérée...Dans ce combat général pour sauver la Révolution, il n’y a plus de place pour les tièdes. Les menées ouvertes ou obscures de groupe contre-révolutionnaires deviennent une hantise. En 1792 déjà, la menace des armées étrangères et le Manifeste de Brunswick avaient été à l’origine de la Révolution du Dix-Août, qui avait emporté les Tuileries et balayé la royauté. La peur de la trahison et de la subversion avait conduit alors aux pires excès, à la folie collective des Massacres de Septembre. Cette fois-ci, rien de tel : mais progressivement, à partir du printemps 1793, la mise en place de toute une série de mesures destinées à permettre la reprise en main du pays.
Sauver la République : l’effort de guerre
Subitement, le 7 mars 1793, la guerre envahit massivement, et pour longtemps, les pages des registres de délibération du Conseil Général de la commune. Le soulèvement vendéen est le détonateur de la crise, auquel il faut bientôt ajouter les revers militaires en Belgique et sur le Rhin. La trahison du général Dumouriez le 1er avril achève de ruiner les espérances du gouvernement girondin. Les armées de la République - celle qui existe ou celle que l’on est en train de constituer – deviennent prioritaires, partout, pour tout.
L’effort demandé au pays, à l’arrière, est considérable. Chacun se trouve mobilisé à son poste. A la maison commune les séances extraordinaires se succèdent. On réquisitionne tout ce qui peut permettre d’équiper les armées de la République, qui vont bientôt trouver en face d’elles les armées coalisées de l’Europe entière. Le 10 mars, on fait appel aux détenteurs d’uniformes, on réquisitionne cordonniers, tailleurs et autres ouvriers capables d’habiller et d’équiper les citoyens volontaires, on demande 6 000 livres au directoire de district pour faire confectionner immédiatement des chemises et vêtements. Les membres de la municipalité se dépensent sans compter, pour vérifier, passer commande, expliquer dans les deux sections, les lois et décrets qui mettent le pays sur le pied de guerre. L’agitation des esprits, la multiplicité des tâches à accomplir font que le 13 mars, on s’aperçoit subitement que la boîte contenant les pièces relatives à la séance de tirage au sort des 54 enrôlés a été oubliée en l’église Sainte-Croix… Panique générale…Finalement le scrutin est légalisé…
La perspective de partir aux armées ne fait guère sourire. On maugrée contre le sort ; certains même ne se présentent pas à la réquisition. Le 12 avril, le District envoie un rappel à l’ordre à la municipalité pour qu’elle fasse respecter la loi ; le 19, on met la main sur trois insoumis qui se retrouvent à la maison d’arrêt, avant d’être expédiés à leur centre de mobilisation escortés par la gendarmerie ; le 6 mai, Baude, commissaire du département, intime l’ordre à la municipalité de « fournir les hommes qui restent à partir pour leur contingent » Le lendemain, on fait le point : deux hommes sont considérés comme déserteurs ; cinq autres servent déjà, paraît-il, dans une brigade d’artillerie à Sedan ; mais l ‘affaire n’est pas claire. Ce qui est lumineux c’est que la jeunesse étampoise ne manifeste pas un enthousiasme patriotique débordant…
Flanqués de leurs remplaçants, voilà que se présentent ceux qui entendent bien se dispenser de partir : la loi autorise la pratique, mais il faut payer l’homme et l’équipement… L’appel qui a été lancé à tous ceux qui possèdent des armes destinées à équiper les recrues ne rencontre pas grand succès. Le 17 mars, les commissaires chargés de collecter les fusils des particuliers reviennent avec un maigre butin ; 15 en tout et pour tout, dont 6 appartiennent à la municipalité… Une misère ! Le 29 mars, averti sans doute de la défaite des troupes de la République en Belgique et de l’invasion du territoire, le Conseil de la commune décide de siéger en permanence. On délivre chaque jour, certificats de résidence et certificats de civisme. A nouveau, comme après Varennes ou après le Dix-Août, réapparaît plus forte que jamais la hantise des suspects… On établit deux nouveaux postes de garde, l’un à la « maison neuve » à la sortie nord, près des actuels abattoirs, l’autre au Perray, entre la ville et Saint-Pierre : il s’agit d’arrêter ceux qui seraient sans passeport ou dont le comportement inspirerait quelque soupçon...La peur du complot trotte dans les têtes ; le spectre d’une « Saint-Barthélémy des patriotes » est toujours là, tenace. Alors, on effectue les premières visites domiciliaires ; on décide de surveiller tout particulièrement les ci-devant châteaux, les maisons de campagne...Le 11 avril, la commune de Paris fait parvenir un mandat d’amener contre le fils Laborde, de Méréville. Le Conseil et le District se déclarent incompétents et décident de faire suivre à Méréville.
Sur la route de Paris à Orléans passent maintenant chaque jour des colonnes de soldats qui montent vers les frontières du nord ; mais de plus en plus souvent voilà qu’ils croisent à Étampes des convois se dirigeant vers l’ouest, vers cette province dont le nom commence à être connu de tous : la Vendée… Le soir, les deux étapiers chargés de nourrir les chevaux n’ont plus ni avoine ni foin. Et puis où loger tous ces hommes ? Les rôles sur lesquels on s’appuyait autrefois pour loger les gens de guerre, sont périmés : certains disent qu’il faudrait faire un nouveau recensement … Comme si c’était le moment ! Constance Boyard qui ne rate pas une occasion de faire parler de lui, se plaint qu’on ne lui envoie pas de soldats à loger… alors que sa femme leur refuse régulièrement sa porte !
La mobilisation des énergies ne se fait pas sans difficultés. Si la gravité de la situation, l’immensité de l’effort à accomplir révèlent les tempéraments, les conflits ne manquent pas d’éclater. Conflits de personnes ? Assurément ; mais aussi conflits de compétence entre institutions donc conflits politiques : entre municipaux et membres du district ; entre le Conseil de la commune et Lemaire, chef de légion, à propos des conditions de contrôle des personnes et des marchandises aux postes de garde ; entre la municipalité encore et le comité de surveillance du Nord, parce que le représentant Couturier a nommé « révolutionnairement » trois nouveaux officiers municipaux. Ce qui ne semble pas plaire…
Les difficultés viennent également de la situation désastreuse ; la constitution des rôles d’imposition a toujours deux ans de retard et la perception des contributions traîne d’autant. Et puis dans une période aussi exceptionnelle, il est forcément des dépenses imprévues que l’on ne peut couvrir que par l’emprunt. La ville s’endette, à bon compte il est vrai avec l’inflation et la dévaluation de l’assignat. On fait face plus aisément aux besoins en matériel, par la réquisition des biens meubles des suspects. Ainsi en nivôse an II, alors qu’il fait froid, les édiles sont-ils tout heureux de pouvoir chauffer la salle des séances avec un poêle de faïence confisqué à un émigré.
La large autonomie financière qu’avait instaurée la constitution de 1791 ne résiste pas à l’épreuve de la guerre. Le District et la municipalité d’Etampes sont pris dans un étau : il faut répondre en priorité aux besoins des armées, exécuter les ordres du gouvernement et du Département, obéir aux réquisitions de la Commune de Paris, approvisionner en grains la population de la ville et des communes environnantes ; la quadrature du cercle en ces temps de pénurie ! Et puis il y a tous ceux qui arrivent un beau jour à Etampes, attirés par la richesse proverbiale du grenier beauceron : l’un vient de Ruffec en Saintonge, l’autre de La Rochelle où il est chargé du ravitaillement des troupes côtières, un autre encore du Puy-de-Dôme. Mais ceux-là repartent régulièrement les mains vides. Durant l’hiver 1793-1794, la situation est à ce point paradoxale que la ville d’Etampes complètement démunie doit emprunter de l’argent à Paris pour pouvoir acheter du blé ! La place Saint-Gilles est plus que jamais le cœur économique de la ville, l’un des ventres de la capitale ; on redoute alors tous les problèmes politiques que ne manquerait de susciter une disette générale des grains. La capitale continue donc à entretenir de manière permanente un commissaire chargé de veiller à l’approvisionnement ; Guyot est un homme efficace, qui transforme le ci-devant couvent des Cordeliers en une vaste halle aux grains, veille à ce que les producteurs-vendeurs fassent diligence pour y acheminer leurs surplus, organise des convois réguliers pour la capitale. Mais une rumeur persistante, qu’il demande à la municipalité de faire cesser, l’accuse de trafiquer sur les grains … Au printemps 1794, il est remplacé par le citoyen Eloy.
Les « bleds » du marché Saint-Gilles ne sont pas les seuls à être réquisitionnés pour assurer le redressement militaire. Les armées de l’an II ont besoin de tout ! A partir de l’été 1793, c’est en effet une véritable économie de guerre qui se met en place. Localement, elle s’appuie à la fois sur le savoir-faire de l’artisanat urbain et sur la main d’œuvre féminine des campagnes. A la mi-décembre (23 frimaire), le comité de subsistance pour l’Habillement envoie un commissaire des guerres, logé à demeure dans l’ancien presbytère Saint-Basile. Il commence par réquisitionner les chevaux pour la cavalerie et les charrois chez les voituriers et les cultivateurs ; aussi certains se plaignent-ils amèrement du tort qu’on leur fait en les privant de leur outil de travail ; mais l’intérêt de la République ne commande-t-il pas à chacun des sacrifices ? Les couvertures destinées à la troupe et aux hôpitaux militaires, ainsi que les bas, intéressent particulièrement le commissaire. Autour de Pussay, Oysonville et Janville, la laine des moutons de Beauce avait fait naître la fabrication des bas et de draps grossiers, que l’économie de guerre redynamise alors de manière autoritaire ; et les tricoteuses beauceronnes ont encore de belles veillées devant elles… L’essentiel du travail est effectué à domicile, le « fabriquant » se contentant de fournir la matière première achetée après délainage à Etampes, et de reprendre la marchandise.
Des blocages apparaissent sans cesse : l’approvisionnement est fréquemment interrompu. Fin nivôse (décembre1793), la veuve Rebuffé de Janville insiste pour qu’on lui fournisse 2 000 livres de laine à bas prix pour approvisionner sa fabrique mais on estime sa demande déraisonnable, et les marchands d’Etampes ne sont autorisés à lui en fournir que 600. Les cordonniers pour leur part déplorent que les corroyeurs leur livrent du « cuir humide et de qualité inférieure pour la fabrication des souliers »… Autorités locales et commissaires doivent alors user de leur pouvoir pour trouver rapidement une solution, sous peine de se voir accusés d’incompétence et de porter atteinte aux intérêts de la République.
Les difficultés viennent parfois de situations inattendues. Ainsi en février 1794, on constate que l’huile qui sert à l’éclairage des ateliers de bas et de tanneries est sur le point de manquer. On passe alors commande de cent tonnes de colza à la maison Rémy et Sur de Lille, en promettant en échange de favoriser la municipalité lilloise lorsqu’elle aura besoin de denrées de première nécessité. Ce type d’arrangement réciproque est d’ailleurs caractéristique d’une économie de pénurie. Mais alors que les fournisseurs sont sur le point d’expédier la commande, l’huile est réquisitionnée sur place ; à l’automne suivant, elle n’a toujours pas pris le chemin d’Etampes ; ce qui, note la municipalité, porte « un préjudice notable aux intérêts de la République ».
Alors que les ouvrières doivent travailler dans une quasi obscurité, comment pourrait-on tolérer que certains gaspillent la chandelle ? Les Etampois de l’époque sont en effet passionnés de billard et ils y jouent fort avant dans la nuit. La municipalité jugeant que le jeu...n’en vaut pas la chandelle, l’interdit pour cause d’économie.
L’intendance militaire réclamant sans cesse de nouvelles voitures, on réquisitionne les essieux ; les textiles pour vêtir les soldats venant à manquer, on impose à chacun d’apporter « au moins une livre de chiffons »… Plus grave : La Nation assiégée est coupée de ses sources habituelles d’approvisionnement en matières premières stratégiques. Le salpêtre indispensable à la fabrication de la poudre à canon, que l’on importait des Indes avant le conflit, n’arrive plus. Qu’à cela ne tienne ! Les savants de la République mettent au point de nouveaux procédés : lessivage des caves et de certaines terres ; utilisation des cendres pour transformer les sels en nitrate de potasse. Comme de telles opérations nécessitent beaucoup de matériel, on fait appel une fois de plus au civisme des Etampois pour qu’ils apportent baquets et ustensiles en tous genres : la seule brasserie qui existait à Etampes avant 1789 fournit deux grandes chaudières en cuivre qui servent à faire déposer les sels : il faut également un nombreux personnel. On paie des ouvriers et les prisonniers autrichiens pour assurer le lessivage et les diverses manipulations. Enfin, on a besoin pour diriger les opérations de traitements de responsables compétents : le District d’Etampes envoie « deux citoyens robustes et intelligents » aux cours de formation que l’on donne en mars 1794 au Muséum d’Histoire naturelle de Paris. C’est Pailhès, alias « La Liberté », qui devient chef d’atelier, un bien mauvais gestionnaire celui-là, avec qui on aura par la suite bien des déboires. Cet atelier du salpêtre est d’abord installé dans une dépendance du ci-devant couvent des Cordeliers, où la présence de la bibliothèque et des magasins aux blés pose problème, car l’atelier est constamment submergé par la fumée et les vapeurs : on le transfert alors à Saint-Basile. Très vite la production y devient fort importante, à tel point que les abords sont bientôt encombrés de tas de terre à lessiver… Mais la ville contribue ainsi efficacement à l’effort national.
Passée la première alerte, on se rend compte que pour tenir, il faut être mieux organisé. De Paris arrive d’ailleurs de nouveaux ordres, qui prévoient de nouvelles structures, de nouveaux organes locaux de pouvoirs. Cette guerre imposée à la République par « l’Europe des tyrans » est la guerre de toute la Nation ; elle déplace les hommes, modifie les habitudes, et au bout du compte porte la Révolution en avant.
Les mesures révolutionnaires et la « mission Couturier »
Jusqu’à l’élimination des Girondins par les Montagnards, toute cette improvisation se fait sur fond de luttes politiques. Sans doute sont-elles peu perceptibles à Étampes ; mais la Seine-et-Oise est particulièrement surveillée par le pouvoir Montagnard à partir de la fin 1793 ; la menace fédéraliste s’estompe, mais les sympathies girondines de certaines autorités constituées n’ont certainement pas été étrangères à l’envoi de représentants dans les districts, à commencer par Couturier dans ceux de Dourdan et d’Etampes. Et l’on peut se demander si la brutale déposition du maire Sibillon à la mi-octobre ne s’explique pas en partie par ce contexte politique.
Progressivement, à partir de mai 1793, apparaissent dans la ville les différents organes du gouvernement révolutionnaire : Comité de Salut public, qui s’occupe surtout de la réquisition et du contrôle de l’économie de guerre, Comité de police chargé de la répression des fraudes et de la surveillance des prisons, Comité de subsistances qui dépend étroitement de Paris. Mais c’est après l’arrivée du conventionnel représentant en mission Jean-Pierre Couturier, que la ville prend vraiment son tournant politique.
L’homme qui arrive à Étampes le 15 octobre 1793 a derrière lui une solide expérience ; au début de l’année, il a effectué dans l’est, dont il est originaire, plusieurs missions de confiance qu’il a su mener à bien dans des conditions difficiles et sans excès. Jean-Pierre Couturier n’est pas du tout l’extrémiste que l’on a volontiers décrit. C’est de Rambouillet, où il est adjoint à la Commission des dix pour surveiller la vente des effets de la liste civile du ci-devant monarque, que Couturier gagne les deux districts céréaliers de Dourdan et Étampes. Sa mission compte trois volets. Son intervention est d’abord politique et s’inscrit dans le cadre de la régénération des autorités constituée ; elle présente aussi une dimension patriotique essentielle, puisqu’il s’agit de faire appel aux forces vives du pays pour assurer la victoire des armées de la République ; elle intervient enfin au moment où la Révolution rompt brutalement avec l’Église constitutionnelle et la religion. En fait, ces trois aspects sont étroitement liés, chaque mesure prise dans un domaine réagissant sur les deux autres.
En octobre sont créés les deux Comités de surveillance ; élus par les sections du Nord et du Midi, ils sont composés chacun de 12 membres qui travaillent en étroite relation avec la société populaire. « La création de ces comités est de la plus haute importance pour le succès de la Révolution et pour déjouer les trames de nos ennemis », souligne la municipalité qui ajoute : « les bons sans-culottes s’empresseront d’aller concourir par leurs suffrages à la formation d’un établissement qui peut leur garantir les avantages puissants de la Révolution ». La compétence de ces deux comités est étendue : ils recherchent les suspects, perquisitionnent maisons et caves, lorsqu’on leur dénonce une cache d’armes ou quelque « amas de grains ». Le contrôle du commerce des grains est en effet dans leurs attributions, et ils ont pour cette raison de fréquents contacts avec le détachement de cinquante hommes de « l’armée révolutionnaire », qui lui, est chargé de visiter systématiquement les fermes du district. En nivôse an II, le représentant Crassous fusionnera les deux comités, dont les membres seront en partie renouvelés, et destituera en même temps l’officier municipal Bruère : une mesure qu’il faut sans doute mettre en relation avec l’agitation des « Enragés » parisiens de Jacques Roux.
Le contrôle des personnes devient de plus en plus strict au cours de l’hiver 1793-1794, c’est-à-dire au moment où la crise est la plus grave, alors que croît le soupçon, la hantise du complot contre-révolutionnaire. Pour combattre les tentatives factieuses, déjouer les malveillants, on établit des registres d’auberge, sur lesquels les hôteliers doivent impérativement inscrire les personnes de passage ; on oblige tous les propriétaires à déclarer leurs locataires ; et tous ceux qui veulent s’installer à Étampes sont sommés d’en faire la demande par écrit.
La Société populaire est la structure politique sur laquelle s’appuie Couturier dans son entreprise de régénération à l’automne 1793. Le 16 Septembre, un mois avant son arrivée, la « Société des Amis de la Constitution », - le club des Jacobins - est rétablie à Étampes. L’un des premiers actes du représentant est d’en modifier la composition, le mode de fonctionnement et jusqu’au nom même : ce sera désormais la « Société républicaine ou Club des Sans-culottes de la ville d’Etampes ». En relation avec la maison-mère de Paris, elle échange des informations avec les sociétés voisines qui forment avec elle un véritable réseau dans la région : Chamarande, La Ferté Alais, Lardy, Maisse, Milly, Méréville, Chalo-Saint-Mars et Angerville. Le 23 août 1794, un membre de la Société d’Etampes dûment mandaté, se déplacera même dans l’Oise pour demander l’affiliation de la Société à celle de Senlis, dont la notoriété et les publications sont connues dans toute l’Île-de- France.
Les archives de la Société populaire d’Etampes ayant malheureusement disparu, nous ne saisissons que de manière indirecte sa composition et son action politique. Les membres du club ne sont pas très nombreux : 152 pour une ville qui doit approcher les 8 000 habitants à l’automne 1793. C’est qu’on entre pas à la Société en en poussant simplement la porte ; il faut faire acte de candidature, être présenté et être admis après un vote des membres. Alors ces révolutionnaires étampois de l’an II, des terroristes sans foi ni loi ? Tout le contraire ! Si l’on retranche les quelques personnes extérieures à la commune, comme certains administrateurs du district ( Baudouin de Milly, Chartrain maire d’Angerville, Gaudion de Dhuison, Fier de Chamarande, Meunier maire de Méréville), le délégué permanent de la commune de Paris chargé des subsistances (Guyot) et Jean-Pierre Couturier lui-même, nommé membre à titre honorifique, il reste une proportion significative de membres de cette bourgeoisie éclairée qui s’étaient engouffrés dans la Révolution parce que celle-ci leur apportait ce qu’ils avaient jusqu’alors revendiqué en vain : la reconnaissance de leurs mérites, de leurs compétences et l’accession aux responsabilités locales. La structure socio-professionnelle de la Société vient confirmer l’idée que celle-ci n’est nullement le lieu d’une revendication sociale extrême. Hommes de loi, membres des professions intellectuelles et médicales sont là, en bonne place ; mais au total ils ne constituent qu’une minorité active. C’est le monde de l’échoppe et de la boutique qui l’emporte de loin, ce qui ne constitue pas vraiment une surprise. La surprise, elle vient plutôt des meuniers, au nombre de 8 ; mais on connaît les appétits des membres de cette profession, et les profits qu’ils surent tirer de l’épisode révolutionnaire.
L’examen des listes nominatives montre que la figure-type de la Société est bien celle de l’artisan de quartier. Le monde des portefaix, manouvriers, vignerons et garçons d’ateliers est au contraire fort peu représenté. Le poids politique de ces salariés ou petits exploitants agricoles est minorisé dans une ville comme Étampes, face aux maîtres-artisans et à tous ces hommes de plume et de savoir que sont les membres des professions libérales, plus aptes qu’eux à écrire le texte d’une pétition ou à diriger, voire à orienter un débat. Un document tardif, « l’état des cent plus imposés de la ville d’Etampes » datant de 1809, vient confirmer cette impression : 21 d’entre eux avaient été membres de la Société républicaine des sans-culottes d’Etampes en l’an II. La société populaire n’a donc pas été à Étampes un instrument politique aux mains des plus démunis. Lieu de débat, elle a pourtant joué un rôle dans l’éducation politique de ses membres, dans l’apprentissage de la démocratie.
Les compétences de la Société populaire sont nombreuses mais mal définies ; elle attire l’attention de la municipalité sur telle affaire, elle préconise des interventions, elle appuie les initiatives des deux Comités de surveillance qui émanent d’elle. Elle s’occupe tout particulièrement de l’aide sociale : c’est elle qui reçoit les dons patriotiques qu’elle redistribue aux familles de défenseurs de la patrie ; c’est elle qui assiste les plus pauvres des citoyens auxquels elle assure chaque décade des rations de pain. L’organisation des manifestations civiques est l’une des choses auxquelles la société populaire tient le plus : fête donnée à l’occasion d’une victoire, comme lors de la reprise de Toulon en décembre 1793, ou fête civique comme la fête de l’Etre Suprême en juin 1794.
La Société populaire est théoriquement indépendante du pouvoir municipal : elle est même chargée de surveiller la municipalité pour s’assurer que les décisions qu’elle prend sont bien en conformité avec les directives gouvernementales. En fait, l’appartenance à la municipalité n’est pas incompatible avec l’adhésion à la Société ; et à Étampes, les édiles, à commencer par le maire Clartan, et les responsables du District, dont le procureur Baron Delisle, en font partie : tout comme les principaux représentants du pouvoir judiciaire.
Il faut s’assurer du patriotisme de tous ceux à qui la République a confié à quelque niveau que ce soit une fonction, une responsabilité politique ou administrative ; il importe de surveiller les déplacements des personnes, de contrôler l’identité et le domicile de nouveaux venus ; il s’agit par dessus tout de repérer les suspects pour les mettre hors d’état de nuire : le salut du pays est à ce prix ! Ainsi se met en place une législation d’exception que l’on justifie par l’exceptionnelle gravité de la situation. Bientôt Saint-Just aura ce fameux mot, mais combien lourd de sens et de conséquences : « Pas de liberté pour les ennemis de la Liberté » !
Étampes applique immédiatement ces mesures restrictives. L’augmentation sensible du nombre de certificats de domicile et des déclarations d’installation dans la ville prouve d’ailleurs l’important brassage des hommes en cette période mouvementée. Pour pouvoir circuler, un passeport est indispensable. Pour avoir méconnu cette règle, Antoine Rué du faubourg Saint-Pierre est arrêté à Paris, début octobre ; aussi sa femme vient-elle le 7 solliciter de la municipalité un certificat de civisme, qu’on lui accorde. La même mésaventure arrive à Fricaud, ancien commandant et officier de la garde nationale de la ville, qui est incarcéré à Versailles le 30 Octobre.
La loi fait également obligation d’obtenir un certificat de civisme à toute personne accédant à une charge publique : de l’officier du District au dernier greffier de la mairie. Chacun s’engage alors par serment.
Progressivement, le travail municipal s’organise sur des bases nouvelles ; pour chaque affaire, des commissaires, généralement deux, sont nommés pour régler les litiges, obtenir rapidement le dénouement d’une affaire : il faut faire bien et vite. A partir de l’hiver, certains officiers municipaux commencent à se spécialiser dans le traitement des dossiers ; ils se retrouvent en commissions. Ils doivent d’ailleurs sans cesse rendre des comptes au Département et aux commissaires du gouvernement. On fait l’appel, on sermonne ceux qui arrivent en retard aux séances – ce qui n’est pas digne d’un bon citoyen – et à partir de floréal, on ne siège que couvert du bonnet civique !
La terre aux paysans ?
Pour sauver la République des périls qui la menacent, il ne suffit pas de faire la guerre ; il faut aussi que les plus pauvres des citoyens identifient le nouveau régime à une amélioration de leur condition. « Pour réformer les mœurs, écrit Saint-Just, il faut commencer par contenter le besoin et l’intérêt ; (…) je défie que la liberté s’établisse, s’il est possible qu’on puisse soulever les malheureux contre le nouvel ordre des choses ; je défie qu’il n’y ait plus de malheureux, si l’on ne fait en sorte que chacun ait des terres. » C’est dans cette nouvelle perspective que reprennent après deux mois d’interruption, les ventes de biens d’Eglise. Alors qu’il avait prévalu précédemment le souci d’effectuer une opération rentable pour l’État, ce sont maintenant les préoccupations politiques et sociales qui l’emportent. Les décrets des 2 frimaire et 4 nivôse an II obligent les districts à morceler les biens à vendre en petits lots : les délais de paiement, réduits de 12 à 10 ans, restent confortables ; ainsi pense-t-on permettre aux paysans pauvres d’accéder à la propriété. C’est ce que souhaitait déjà Barère en 1790 : « Nous croyons qu’il importe à la chose publique de ne les revendre que par parties divisées autant que possible, pour que les citoyens les moins riches puissent devenir propriétaires. » C’était là répondre à une attente de la paysannerie comme le montre une lettre adressée dès juin 1790 au Comité d’aliénation des Domaines nationaux par le maire de Mondeville : « Notre municipalité se fait l’honneur de vous demander s’il nous est permis d’acquérir des biens ecclésiastiques, attendu que nous avons une ferme appartenant à Madame l’abbesse de Port-Royal. Nous vous supplions, Messieurs, d’avoir la bonté de nous rendre réponse des termes fixés pour le payement de la distribution des terres... » Vendue au cours de la première période de vente, la ferme en question fut acquise en bloc par un receveur général des finances étranger à la commune.
Il en est tout autrement de décembre 1793 à novembre 1795. Près de 900 hectares et une cinquantaine d’édifices sont vendus dans le district d’Etampes pendant cette période : c’est relativement peu si l’on compare aux 5 000 hectares vendus par unité d’exploitation sous le régime de la loi de mai 1790. Il s’agit le plus souvent de biens qui appartenaient auparavant aux fabriques paroissiales ; constitués de parcelles isolées et non de grande exploitations, ils sont moins attractifs pour les gros acheteurs désirant avant tout faire un placement. Les dispositions légales relatives au morcellement sont en général appliquées et la majeure partie des lots vendus avant le 9 thermidor an II se situent en dessous d’un hectare ; on y veille moins scrupuleusement après la chute de Robespierre : le morcellement est alors moins systématique et les lots sont un peu plus grands ; moins de 20 % d’entre eux excèdent cependant 20 hectares. Les intentions des législateurs sont donc suivies d’effets et plus de 80 % des acheteurs sont des paysans ; ils sont parfois contraints de se grouper pour acquérir des parcelles pourtant dérisoires. Cent livres en assignat n’en valaient plus que trente-quatre en thermidor an II et une seule en brumaire an V, ce qui contraint le Directoire à suspendre les ventes ; cette inflation galopante permet aussi de fructueuses affaires aux rares gros acheteurs de la période, tel ce Laurent Villas, un parisien acquéreur des biens de la Commanderie de l’ordre de Malte à Chalou-Moulineux : il rafle les 113 hectares et les bâtiments pour un peu plus de 4 millions de livres et se libère en six mois en vertu de la loi du 27 prairial an III, qui a réduit de façon drastique les délais de paiement ; au bout du compte, il n’a déboursé qu’un peu moins de18 000 livres, une somme dérisoire. Ce n’est d’ailleurs pas le seul exemple de non morcellement après le 9 thermidor an II ; plusieurs corps de ferme sont vendus en bloc : ferme de l’hôpital de Fontenette à Abbéville-la-Rivière, d’Aubret à Mérobert, de la Goupillière à Chalou, du Prieuré Saint-Pierre à Étampes. Au total, six cents hectares seulement ont été vendus par petits lots, soit moins de 10 % des biens ecclésiastiques aliénés dans le district d’Etampes.
Il est vrai que les paysans peuvent aussi acheter au cours de cette période les biens des émigrés. Ces ventes, effectuées dans le cadre d’une loi de juin 1793, commencent dès le 2 décembre de la même année avec la mise aux enchères des biens d’Anne-Joseph Mauroy, seigneur de Presles, à Cerny. Des bons de 500 livres-assignats, à valoir sur les achats de biens d’émigrés, sont même distribués aux chefs de famille non propriétaires, s’il le désirent. Les propriétés de Mauroy, d’Ange-Henri Desmazis à Chalo-Saint-Mars, de Choiseau de Gravelles près d’Etréchy et à Boutervilliers sont ainsi morcelées en petit lots. Au total, une cinquantaine d’édifices et près de 2000 hectares sont vendus, dont plus de la moitié à des paysans. La taille moyenne des lots tourne autour de cinq hectares, mais cela résulte surtout d’un abandon progressif du morcellement après la chute des Montagnards. Ainsi le 7 prairial an VIII, les bâtiments et jardins du Bourgneuf, qui appartenaient au ci-devant marquis de Valory, sont achetés par Jean Prax, un marchand parisien. Les velléités sociales n’ont finalement prévalu que pour une brève période : très vite, le temps des spéculateurs et des marchands lui succède...
Prêtres abdicataires et déchristianisation
Le dernier assaut contre l’Église s’ouvre à l’automne 1793. Depuis l’automne 1792, les prêtres réfractaires étaient considérés comme des ennemis de la Révolution ; et plusieurs d’entre eux avaient été victimes de la vindicte publique lors des massacres de Septembre. L’affaire de Vendée aidant, c’est maintenant tout ecclésiastique, même constitutionnel, qui est assimilé à la Contre-Révolution. La méfiance s’installe ; partout le curé est l’objet de pressions, de brimades. Et en quelques mois s’opère un détachement des populations à l’égard des sacrements et de la pratique.
On a dit que c’étaient l’action de quelques « enragés » et l’intervention autoritaire de Couturier dans les affaires de la commune, qui avaient été à l’origine de la déchristianisation à Étampes et dans le district. Or, le mouvement déchristianisateur a été autrement plus virulent à Corbeil par exemple, qui ne reçut pourtant la visite d’aucun envoyé en mission. On perçoit aussi un décalage entre Étampes et sa région : la ville indiscutablement va plus vite et plus loin dans le détachement à l’égard de la religion ; A Étampes, ce qui surprend le plus dans l’enchaînement des événements, c’est l’attitude des prêtres eux-mêmes. En quelques jours, du 8 au 20 frimaire, la plupart des curés constitutionnels abdiquent leurs fonctions sacerdotales et pour bien montrer leur volonté de rupture avec l’ordre ancien., brûlent publiquement leurs lettres de prêtrise. En se mariant, certains d’entre eux font un pas de plus dans leur volonté de ne plus se distinguer des autres citoyens. Mais, dira-t-on, ces prêtres étaient-ils vraiment libres, lorsqu’ils prirent des décisions aussi graves ? Auraient-ils alors cédé à la contrainte, à la peur ? L’arrestation de plusieurs ecclésiastiques, dont Auger ci-devant curé de Saint-Basile et Périer ci-devant curé de Saint-Pierre confirmerait l’idée d’une menace générale contre les constitutionnels. Mais lorsqu’on apprend de la bouche même de Jean Baptiste Tabary, ex-vicaire de Saint-Martin « qu’il a renoncé depuis environ 3 semaines à toutes fonctions en qualité de prêtre », qu’il est marié et domicilié dans la commune, on se dit que pour certains il s’agit d’un choix : en se « déprêtrisant », on régularise en fait un concubinage ancien ; c’était déjà le cas de Pierre Dolivier, curé de Mauchamps, un an auparavant. Plus que la menace directe, c’est la pression sociale ici qui a été déterminante. Et les grands perdants ont été les curés qui localement avaient cru pouvoir continuer à exercer leur ministère en acceptant la Révolution et en s’engageant même dans les structures révolutionnaires. Comme en témoigne à Chalo-Saint-Mars l’affaire Perchereau.
Etienne Richard Perchereau avait remplacé en 1790 à Chalo le curé Pierre Blanchet qui avait d’abord prêté le serment civique avant de se rétracter deux mois plus tard en évoquant « la gêne de sa conscience » et sa volonté de ne rien faire qui soit « contraire à la volonté de Dieu, aux lois de l’Église et à la foi apostolique et romaine ». Devenu réfractaire et clandestin, il avait alors choisi comme bon nombre de ses semblables d’émigrer en Angleterre. Perchereau, lui n’a pas ces états d’âme ; élu par le district le 16 octobre 1791, il prête le 13 novembre le serment civique. Il a d’autant plus facilement la confiance de la population que c’est un enfant du pays : son grand-père et son père étaient marchands-bouchers à Chalo. Le voilà participant à la gestion des affaires publiques, notable de la commune en décembre 1792, puis en janvier 1793 comptable, responsable des fonds municipaux : un bon curé patriote qui trouve compatible le sacerdoce et la charge publique. Et puis voilà qu’en une année tout bascule : le climat antireligieux qui s’accentue, et surtout la déclaration de l’assemblée qui interdit à tout prêtre d’être responsable des affaires publiques. Perchereau qui s’est engagé sans arrière-pensée depuis trois ans se sent floué. Parce qu’il refuse sans doute de se démettre, la Société populaire d’Etampes expédie deux de ses membres Bernard et Fargis, pour enquêter sur l’attitude du ci-devant curé. L’entrevue est orageuse, et le rapport des deux commissaires sans ambiguïté : Percherau est un « tartuffe », qu’ils accusent « de tenir le peuple dans la plus crasse ignorance et d’exercer un empire tel sur les esprits qu’il peut quand il lui plaira enfanter une nouvelle Vendée ». Situation aggravante : les corps constitués lui sont tout dévoués, y compris la Société populaire de Chalo… Mis en état d’arrestation par le district le 14 Nivôse (03/01/1794), il est incarcéré à la maison d’arrêt d’Etampes et ses papiers sont saisis. Ce qu’on paraît surtout lui reprocher, c’est de continuer à dire la messe...à un moment où la célébration de l’office divin est assimilé aux menées contre-révolutionnaires. De retour au village en vendémiaire an III (octobre 1794), Perchereau injuria copieusement les membres de la municipalité : ce qui lke fit dénoncer au District comme fauteur de troubles ! De quoi dégoûter à tout jamais un curé de la Révolution.
L’itinéraire du curé Rousselet d’Angerville n’est pas sans ressembler à celui de Perchereau : même acceptation de la Constitution civile, même volonté de jouer loyalement son rôle dans le nouveau régime.Tout se complique à l’automne 1793 avec la suppression des symboles religieux, la réquisition de l’argenterie et des cloches, la fermeture de l’église. Rousselet, comme la loi l’y oblige, se démet de ses fonctions le 12 frimaire. Un drame personnel pour cet homme. En janvier 1793, confiant, il avait proposé d’exercer gratuitement les fonctions de secrétaire-greffier ; mais au fil des mois il en vint à s’opposer parfois violemment à Louis-Charles Vallet, ancien commandant de la garde nationale, l’un des Montagnards influents d’Angerville. Il devint, sans doute à son corps défendant, chef d’un clan local qui, au nom de la liberté religieuse n’acceptait pas les mesures prises, et bataillait ferme contre la Montagne. A la fois religieux et politique, le conflit ne pouvait que se retourner contre Rousselet et tous les prêtres jureurs de la région qui avaient accepté la Révolution, avant d’être balayés par elle.
Le contexte révolutionnaire n’explique pourtant pas à lui seul l’effondrement des structures religieuses et de la religion. Localement, le terrain a été préparé de longue date. Depuis les années 1730, l’influence janséniste dans le diocèse de Sens dont Étampes faisait partie, donnait à la religion une image contraignante pour la masse des fidèles ; les hommes surtout commençaient à prendre discrètement leurs distances. Autre indice qui ne trompe pas : le déficit chronique de prêtres dans toute la région parisienne, à tel point que depuis le début du XVIIIe siècle, on devait faire appel à des desservants extérieurs irlandais en particulier – afin de pourvoir les paroisses. Et c’est bien à cette situation de déficit que Pierre Dolivier, rejeté par la hiérarchie auvergnate, devait son installation dans cette cure crottée du Hurepoix qu’était alors Mauchamps. Fait significatif qui, en octobre 1792, est le premier dans la région à annoncer à ses paroissiens sa volonté de se marier. Autre nouveauté, le 4 avril 1793, alors que pèse la crainte d’une subversion d’ensemble de la République, le Conseil communal décide que le cloître Notre-Dame sera désormais appelé cloître de la République.
Tout est imbriqué, le politique et le religieux. En août 1793, la République est tout autant menacée à l’intérieur qu’aux frontières. Le redressement, on en est convaincu, passe par un effort de mobilisation des hommes et des ressources matérielles de la Nation. Pour les hommes, la « levée en masse » doit y pourvoir. Pour les matières premières, la situation s’avère plus dramatique. Confisquer les dernières richesses de l’Église apparaît alors aux yeux des révolutionnaires comme le moyen d’équiper les régiments en voie de constitution. On recherche le plomb pour faire les balles : la couverture des bâtiments ecclésiastiques se révélant être un gîte inestimable , c’est alors que le grand « clocher de plomb » de Notre-Dame est mis à bas ; on manque de fer pour la fabrication des fusils : on arrache les grilles du chœur et barreaux des fenêtres ; on réquisitionne tout ce qui est en bronze pour fabriquer de nouveaux canons ; toutes les cloches des églises d’Etampes et des communes du district sont descendues pour être fondues. L’opération se solde par un bilan impressionnant ; les rues et les places de la ville sont encombrées de tas de métaux ainsi récupérés. A plusieurs reprises, le représentant Couturier expédie à la Convention des convois de plusieurs dizaines de charrettes remplies des précieuses dépouilles. Au total, 121 tonnes de bronze, 107 tonnes de fer, 37 tonnes de plomb et 4 tonnes 1/2 de cuivre…
On a d’autant moins de peine à faire accepter la confiscation des objets du culte pour en monnayer l’or et l’argent qu’au même moment on s’efforce de faire disparaître les armoiries ainsi que les derniers vestiges de la royauté. Bon nombre de calices et de patères ne portent-ils pas la fleur de lys gravée en leurs flancs ? Lingots de vermeil, galons d’or, d’argent, flambeaux, plats, louis d’or et écus prennent ainsi le chemin de la Monnaie.
Mais ce sont aussi les « fabriques », ces institutions chargées autrefois de gérer les biens d’Eglise, qui disparaissent : leurs comptes sont apurés et les fonds dont elles disposaient versés dans les caisses publiques.
En quelques semaines, la rupture est consacrée avec le vieux monde et l’Église ou ce qu’il en reste, est emportée par le mouvement. La confiscation des biens d’une Eglise constitutionnelle discréditée et moribonde pour sauver la patrie en danger apparaît logique dans sa simplicité même. Les révolutionnaires sont persuadés qu’ils ne font que rentrer en possession d’un dépôt que le peuple, aveuglé qu’il était par le « fanatisme », avait dû consentir autrefois.
La disparition des objets du culte a des conséquences plus importantes qu’il n’y paraît au premier abord ; c’est un moment essentiel dans l’histoire longue de la relation au sacré des populations. Comment croire encore aux lieux, à leur charge mystérieuse, dès lors que la nef de l’église est désespérément vide, lorsque tout a été réquisitionné, dispersé, vendu, lorsque les reliques des corps saints, les patrons de la ville Cant, Cantien et Cantienne ont été traitées comme de vulgaires ossements. L’Église « d’après », celle du Concordat et du XIXe siècle, ne retrouvera jamais son ancienne audience : les plantations de croix, les processions, les jubilés, l’exaltation du culte marial, toutes les manifestations d’une « religion en sentiment » ne parviendront jamais à effacer la trace.
La confiscation des cloches est douloureusement ressentie tant à Étampes que dans les communes rurales. Aux yeux des habitants, la cloche – leur cloche – incarne l’esprit de la communauté ou du quartier, dont jour après jour elle rythme le temps. Alors on fait valoir qu’on commet une erreur, que les contre-révolutionnaires auront beau jeu de surprendre une ville dépourvue du moindre tocsin…..Sensible à l’argument, la municipalité décide d’installer « une cloche pour servir de beffroi » à la maison commune.
A peine désaffectés, les lieux sont investis par l’administration. L’église Saint-Basile est convertie en caserne, avant d’être transformée en prison puis en atelier de salpêtre, Saint-Gilles devient le magasin aux grains de la ville et Saint-Martin est transformé en entrepôt. Quant à Sainte-Croix et Saint-Pierre vendues comme biens nationaux, elles vont tomber sous le pic du démolisseur. Seule Notre-Dame, va conserver une fonction cultuelle, comme Temple de la Raison.
Faire disparaître les symboles de l’Église pour les remplacer par ceux de la Révolution constitue le point d’aboutissement de cette logique. La ville qui vit depuis tant de siècles à l’ombre de la croix en est dépouillée en quelques jours. Le 8 frimaire, au moment précisément où les lettres de prêtrises sont solennellement brûlées sur la place publique, la municipalité « désirant détruire jusqu’au moindres signes de la superstition, arrête que la croix existante sur le clocher du Temple de la Raison sera enlevée et remplacée par une girouette tricolore avec un œil, attribut de la Raison ». Plus que le fruit d’une politique délibérée, cette laïcisation de l’espace apparaît comme résultat d’un enchaînement de faits, comme le point d’une transformation profonde des esprits, la traduction d’une vision nouvelle du monde.
Pour bien montrer qu’une page est tournée, Couturier organise à Étampes le 31 octobre 1793 une grande fête civique, qui au soir se termine par un bal public à Notre-Dame. L’Église, on le sait, n’avait pas eu de mots trop forts autrefois pour condamner la danse. Nul doute que l’événement fut ressenti comme une profanation par ceux qui étaient restés fidèles à la religion. La dernière messe eut lieu à Étampes le 13 novembre. Deux ans plus tard, la porte des églises fut à nouveau entrebâillée. En fait, après bien des vicissitudes, ce ne fut qu’avec le Concordat de1801 que la liberté de culte fut pleinement restaurée.
Les résistances à la Révolution
Des actes de résistance à la Révolution se sont manifestés à Étampes au moment de la crise de l’an II. Si les plus farouches opposants au « nouveau cours » ont alors émigré depuis longtemps, des nostalgiques de l’Ancien Régime sont toujours là. Condamnés à la clandestinité, ils se manifestent par quelques actes isolés, qui au total n’ont guère d’incidence politique.
Le 10 mars 1793, on rapporte au Conseil que le citoyen Louis dit le Basque, armurier de son état, tient volontiers des propos inciviques, et qu’un certain Allais fait circuler une lettre pour dégoûter les jeunes gens de s’enrôler. Le 14 mai 1793 au petit matin, en un temps où la ville est mobilisée par les réquisitions et soumise au passage incessant des troupes envoyées en Vendée, le notable Jean-Pierre Angot trouve à l’entrée de sa boutique une cocarde blanche, qu’une main coupable a glissé sous la porte de sa boutique. Il demande qu’on fasse des recherches et perquisitions qui s’imposent, mais elles ne donnent aucun résultat. Deux mois plus tard éclate l’affaire des placards ; à plusieurs reprises, entre le 20 et le 25 juillet, des écrits anonymes sont répandus en plusieurs points de la ville : « Avis au peuple, peut-on y lire : vous ne voyez pas que votre municipalité vous trompe ! Bientôt vous n’aurez plus de pain ! » Ces tracts qui cherchent à l’évidence à attiser le mécontentement, à dresser les ventres creux contre les autorités, sont pris très au sérieux par le Conseil général de la commune ; celui-ci décide « d’éclairer le peuple sur les suggestions perfides que pourraient lui insinuer les malveillants ». On entend tour à tour ceux qui ont trouvé les « pancartes » subversives ; l’affaire est instruite, mais les auteurs – royalistes ou ex-girondins – n’ont apparemment jamais été découverts.
Une autre affaire qui éclate début août est d’une toute autre nature. Des groupes de citoyens d’Etampes se préparent alors à partir pour Paris, où doit avoir lieu la grande fête commémorant le premier anniversaire de la prise des Tuileries. C’est le moment choisi par le perruquier Viart pour se répandre à plusieurs reprises en « propos incendiaires contre la Révolution » ; propos qui sont vite colportés, on s’en doute, dans la ville entière. Qu’a-t-il donc osé dire ? Entre autres que « tous les fédérés qui allaient à Paris, y allaient pour s’y faire égorger et que les départements contre-révolutionnaires ainsi que les Autrichiens s’y trouveraient pour les égorger ». Mais aussi que « la Nation ne pourrait satisfaire à ses obligations, parce qu’il y avait en circulation des assignats trois fois plus qu’il n’y avait de numéraire dans toute l’Europe (…) Que la Convention ne faisait que commettre des meurtres, attendu qu’on disait que la reine et le dauphin allaient être traduits au Tribunal Révolutionnaire ». On rapportait encore que le jour de la vente des biens de l’émigré Demazis, on l’aurait entendu affirmer « qu’on ne risquait rien de vendre les meubles dudit émigré : que sous quinze jours, il rentrerait dans ses biens »… Ces « propos très inciviques » adressés à la cantonade étaient-ils le fait d’un irresponsable, jouant involontairement les provocateurs ? Ou quelqu’un avait-il intérêt à discréditer le perruquier en alimentant une rumeur malveillante ? Plusieurs témoins qui en diverses occasions avaient assisté aux interventions de Viart, vinrent témoigner en sa faveur, disant qu’ils n’avaient rien entendu...On ne sait comment se termina l’affaire pour l’intéressé.
Dernier exemple, à Etréchy, au cours de sa mission de régénération, Jean-Pierre Couturier vient dans la commune, où il procède à l’épuration des corps constitués et fait modifier les règles de vente des biens nationaux, soulignant qu’il faut les vendre par petites parcelles, afin que les pauvres puissent eux aussi s’en porter acquéreurs. C’est alors que certains dénoncent le comportement du citoyen Choizeau, le père, dont on dit qu’il a insulté des sans-culottes, tenu des propos favorables aux Vendéens, dit du mal du général Custine lorsque celui-ci passait pour patriote et du bien lorsqu’il fut guillotiné. Et puis il aurait eu des propos mal sonnants à l’égard des autorités locales. Un instituteur nommé Gesnar est également dénoncé pour avoir approuvé des atrocités dont les Vendéens s’étaient rendus coupables (s’agit-il des massacres de Machecoul ?). On rapporte à Couturier les propos tenus par le charretier Ravet qui se dit partisan convaincu de l’Ancien Régime ; on attire son attention sur l’attitude suspecte de gardes forestiers amis de Choizeau. Couturier décide alors l’arrestation de tous ces contestataires et les fait incarcérer à la maison d’arrêt du District.
Ces exemples traduisent la lassitude, la désillusion d’une partie de l’opinion à l’égard de la Révolution, quatre ans après la prise de la Bastille ; quatre années de troubles de subsistances, de réquisitions, de bouleversement des habitudes : l’angoissante incertitude du lendemain… Mais est-ce seulement cela ? Il est tout de même significatif que toutes ces manifestations interviennent entre le début de mars et la mi-octobre, c’est à dire au moment où le régime républicain se trouve dans une situation particulièrement critique. Sans doute certains ont-ils pensé que la fin du nouveau régime était proche et que le temps était venu de dire ce que l’on avait sur le cœur... Mal leur en prit !
Le bataillon d’Etampes
La Révolution brasse les hommes. Elle fait d’Étampes un lieu de détention pour les prisonniers de guerre. Elle envoie les enfants d’Étampes sur les lieux de conflits, intérieurs et extérieurs.
Lorsque les « volontaires de l’an II » quittèrent la ville le 16 nivôse (5/1/1793), la municipalité et la population d’Etampes durent être soulagées. Les jours qui avaient précédé leur départ avaient été particulièrement agités. Ces volontaires qui étaient en fait des « requis », constituaient le premier « bataillon d’Etampes » du régiment du Temple de Paris ; il avait été constitué en septembre 1793, en vertu du décret du 23 août sur la circonscription. Un second bataillon était en formation. La situation militaire s’aggravait en effet aux frontières, les Vendéens révoltés battaient les troupes républicaines mal aguerries, la chouannerie s’étendait. Les Anglais tenaient Toulon et laissaient planer la menace d’un débarquement sur les côtes de Bretagne.
A partir de la mi-septembre, les recrues du district commencèrent à être entraînées sur la place du Port. Le moral n’était pas brillant : le passage de l’armée de métier, que l’opinion abhorrait à l’armée de conscription ne se fit pas à Étampes sans grincements. Cette troupe nombreuse, bruyante, indisciplinée fut pendant près de quatre mois l’un des soucis majeurs de la municipalité. La situation était devenue tellement préoccupante qu’il fallut un beau jour que trois officiers municipaux viennent solennellement sermonner les recrues sur leur lieu d’exercice et « rendre leurs officiers responsables des délits qu’ils n’auraient pas empêchés ou dénoncés ». Le jour même du départ, des incidents éclatèrent, certains soldats refusant de prendre la route en l’absence d’un volontaire : on rapporte qu’il fallut toute l’énergie du maire Armand Clartan, pour qu’enfin la colonne s’ébranlât.
On ne sait rien sur la conduite de ces hommes sur la longue route qui les mena au lieu d’affectation : Tréguier dans les Côtes-du-nord. Mais dès leur arrivée dans le petit port breton, le 24 janvier 1794, ils firent payer aux habitants la rage d’avoir été éloignés de chez eux…En septembre 1792, la région du Trégor n’avait pas débordé d’enthousiasme républicain ; on avait dû faire venir la troupe de Saint-Brieuc, après l’émeute qui avait marqué le tirage au sort des « volontaires ». La grande tolérance qu’avait manifestée l’administration municipale à l’égard des familles d’émigrés et des prêtres non-assermentés avait rendu la ville suspecte au gouvernement révolutionnaire. D’où l’envoi du bataillon d’Étampes. Imaginons une troupe de 842 hommes mal encadrés, avec à leur tête un commandant, Désiré Lemaire, sans grande autorité, arrivant un beau jour dans cette petite ville dont les habitants parlaient breton… Le choc de deux mondes ! Le 27 janvier 1794, le conventionnel Barère n’identifiait-il pas le bas-breton au « féodalisme et à la superstition » ?
Tréguier n’avait rien perdu de son décor ancien : jusqu’en 1790, elle avait été le siège d’un petit évêché et les marques du culte étaient partout visibles. Les « volontaires » prirent cela comme les preuves d’un fanatisme insupportable; avant même d’entrer dans la ville, ils saccagèrent un calvaire qui se trouvait sur leur chemin. C’était un début… On attendait en effet de la troupe que par sa présence elle appuie les sans-culottes de Tréguier et la Société Populaire qui venait de se constituer. Très vite le bataillon entra en conflit avec la municipalité modérée. Son attitude anti-religieuse scandalisait en effet dans un milieu attaché à ses saints et à ses antiques croyances. Les Etampois se mirent à détruire tout ce qui rappelait les « momeries » d’autrefois ; dans la chapelle des Ursulines et la partie de l’évêché où on avait commis la maladresse de les cantonner, autels, boiseries, marbres, statues, tout fut cassé, arraché. Le magnifique cloître, transformé en armurerie, n’échappa pas au vandalisme ; quant aux vitraux des bas-côtés de la cathédrale qui était fermée, ils furent brisés à coup de pierre. Ce ne fut bientôt partout que tas d’immondices et de débris… Le pire était pourtant à venir.
La journée du 15 floréal (4 mai) tourna au cauchemar. Lemaire et ses hommes qui participaient activement à la lutte contre les suspects avaient arrêté sur dénonciation une mère de 5 enfants qui cachait chez elle deux prêtres réfractaires. Au matin, Ursule Tierrier épouse de Pierre Taupin, ancien valet de chambre de l’évêque, fut guillotinée sur la grand’place, alors que les hommes du bataillon assurait l’ordre. L’après-midi, la municipalité ayant entrepris, sur injonction de la Société populaire, de faire disparaître de la cathédrale « les derniers vestiges de la superstition et du fanatisme » pour y faire célébrer la fête de la Raison, les soldats entrèrent en force dans son sillage et cassèrent tout à coups de hache et de gourdin : vitraux, statues, orgues, banc d’œuvre, et les deux tombeaux de Jean V et surtout de Saint Yves, dont on sait combien il était vénéré en Bretagne. Revêtus des ornements sacerdotaux qu’ils avaient trouvés dans la sacristie, et parodiant un enterrement, les soldats organisèrent dans la ville une mascarade sacrilège. De la lutte anti-religieuse, on était passé à la déchristianisation forcenée. On prétendait combattre le « fanatisme des prêtres » par un autre fanatisme.
Au bout du compte, le « bataillon d’Etampes » fit sans doute davantage que les menées contre-révolutionnaires pour rendre suspecte aux yeux de la population du Trégor une Révolution qui se manifestait par de tels excès. Les administrateurs des Côtes-du-nord le comprirent qui le 5 prairial (21 mai) rappelèrent d’urgence le bataillon. Une page peu glorieuse écrite par des enfants d’Etampes. En tous cas, à Tréguier aujourd’hui, on n’a pas oublié…
Prisonniers de guerre : « Vendéens » et Autrichiens
Étampes devient en l’an II un important centre de détention. A la prison du district, d’où vont être libérés en 1793 ceux qui ont participé au meurtre de Simonneau, sont envoyés maintenant les parents proches des émigrés ; comme la loi l’y autorise, l’épouse demande parfois le divorce et retrouve alors la liberté… C’est également à la prison du district que sont incarcérés les curés récalcitrants, les auteurs de propos séditieux contre les autorités constituées ou la République, ceux enfin qui ont été condamnés pour délits économiques. La prison communale, elle, compte peu de prisonniers : le mauvais entretien de ses locaux, les disputes entre gardiens facilitent d’ailleurs les évasions : la prison d’Etampes est une passoire ! Les coupables de délits graves sont transférés à Versailles ou à Paris ; Armand Clartan, victime d’une machination à laquelle Constance Boyard n’était sans doute pas étranger, fait au printemps de 1794 un séjour de plusieurs mois à la Conciergerie ; mais comme le dossier se révèle vide et la population vigoureusement solidaire de ce maire qu’elle apprécie, l’affaire se termine au soulagement de tous par un non-lieu.
Parce qu’elle est éloignée des zones de conflits, Étampes devient un lieu de détention pour prisonniers de guerre. En l’an II, trois groupes y sont internés. Le premier est constitué de réfractaires à la réquisition des 300 000 hommes, originaires de Sablé dans la Mayenne. Il sont plus de 400 à arriver à Étampes, le 17 brumaire (7/11/1793), après une longue marche par Saumur, Blois et Orléans. L’opinion locale voit immédiatement en eux de ces Vendéens dont on parle tant ! Le nom leur restera. Incarcérés à Saint-Basile, ils y vivent dans des conditions difficiles, couverts de vermines, victimes du froid, de la maladie et de la faim. Au début de 1794, un second groupe de quelques 130 hommes amenés d’Eure-et-Loir par Charpentier, originaire d’Etampes et administrateur du département de Seine-et-Oise vient rejoindre les précédents. L’entassement est alors à son comble ; et par malheur, ces Vendéens – de vrais Vendéens ceux-là ! - sont porteurs d’un virus épidémique, qui ne tarde pas à faire des ravages parmi tous les détenus. A tel point qu’on craint maintenant que la contagion gagne la population… Le Conseil de la commune, appuyé par la Société populaire décide alors de transférer les prisonniers hors de la ville. Mais où ? On propose d’abord l’église désaffectée de Saint-Germain-lès-Etampes ; puis le 26 ventôse, on opte finalement pour le Temple, un ensemble de bâtiments à demi-ruinés, où la plupart des rescapés de Saint-Basile vont connaître à leur tour une destinée tragique, à l’exception d’une quarantaine d’entre eux qui réussissent à s’évader au début de thermidor.
Une centaine d’Autrichiens et quelques Espagnols prisonniers de guerre constituent le dernier contingent. On les installe face à l’Hôtel de Saint-Yon, au Petit-Mesnil-Girault, aujourd’hui disparu, qui appartenait avant sa vente comme bien national au chapitre Sainte-Croix d’Orléans. Loué 200 livres par an, il est complètement réaménagé pour y loger cette troupe. Ces hommes posent d’emblée des problèmes. Problème de communication tout d’abord : on ne se comprend pas, et il faut très vite partir en quête d’un interprète. Problème de statut également : ils jouissent d’une semi-liberté dont ils abusent ; chaque fin d’après-midi, ils fréquentent assidûment les cabarets que, le soir venu, ils quittent passablement éméchés. Le Conseil de la commune interdit alors aux tenanciers de les servir au-delà de 19 heures… Une captivité si peu contraignante a pour contrepartie l’obligation de travailler. Les réquisitions militaires successives ont en effet effectué une ponction significative sur la main d’œuvre locale : on attend donc de prisonniers jeunes et solides qu’ils aident à l’atelier du salpêtre , moyennant un salaire que l’érosion monétaire va rendre rapidement dérisoire. D’où un absentéisme chronique. Certains d’entre eux enfreignent même l’interdiction de sortir de la ville close pour aller s’aérer dans la campagne environnante...Mais les plus heureux sont encore ceux que l’on autorise à travailler chez les agriculteurs de banlieue. Il y a encore des prisonniers autrichiens à Étampes en l’an VII : mais s’agit-il des mêmes ? On sait aussi qu’en 1794, pour avoir volé des vêtements, trois prisonniers espagnols ont été exposés toute une journée au pilori de Saint-Gilles.
Subsistance et Maximum
En l’an II, avec la guerre et les réquisitions, la question des subsistances demeure préoccupante pour les responsables municipaux. Elle a même tendance à s’aggraver localement. Le marché est peu approvisionné ; les prix montent, et le climat social s’en trouve alourdi. Des éléments nouveaux ont modifié la situation. Le 4 mai 1793, le gouvernement finit par instituer un maximum des prix, la fameuse taxation qui avait été l’enjeu de la journée du 3 mars 1792, où Simonneau avait perdu la vie. En fait, cette taxation n’est proposée par le pouvoir girondin, que parce qu’il espère désamorcer ainsi le mécontentement grandissant des classes populaires.
Ce premier Maximum interdit les ventes de grains et farines hors des marchés publics (art.6) et oblige par réquisition les marchands, meuniers et fariniers à amener chaque jour de marché un certain nombre de sacs (art.12). Mais cette loi de circonstance révèle vite ses incohérences. En décidant par exemple que le niveau de taxation des denrées serait fixé par l’administration départementale, on crée des appels d’air et au bout du compte on accroît la pénurie. Ainsi, Étampes qui applique immédiatement le Maximum voit-elle courant juin son marché déserté par les fermiers vendeurs, ceux-ci préférant aller le proposer dans les départements voisins, à Auneau, Toury ou Janville-en-Beauce, « pour la raison que les grains n’y sont pas encore taxés malgré les dispositions de la loi (…), ou le sont à un prix beaucoup au-dessus de celui fixé par le département de Seine-et-Oise ».
Parce qu’il est appliqué de manière plus stricte, le Maximum général institué le 11 septembre 1793 est davantage respecté ; mais à Étampes, malgré le système des réquisitions, le marché n’est toujours pas approvisionné. Les cultivateurs n’obéissant pas aux injonctions qui leur sont faites, on les menace de leur envoyer « l’armée révolutionnaire »,spécialement chargée de veiller aux subsistances, et dont un détachement de 50 hommes stationne dans la ville.
L’approvisionnement du marché est un objectif d’autant plus important à partir de l’été 1793 , qu’il faut nourrir, outre la population d’Etampes, les 1500 volontaires de la réquisition que l’on est en train d’instruire, et fournir chaque jour des rations aux nombreux militaires de passage. Les besoins hebdomadaires de la commune sont alors estimés à 400 sacs de blé, alors qu’il n’en n’arrive que le dixième sur le marché ! Heureusement, il y a le magasin d’abondance récemment créé et approvisionné autoritairement en obligeant toutes les charrettes qui transitent par Étampes à y déposer le cinquième de leur chargement. Jusqu’au jour, ou l’on apprend que la mesure est illégale…
On fait maintenant rechercher activement les stocks clandestins dans les greniers des particuliers ; on use plus que jamais de la procédure des acquis à caution qui permet de contrôler sévèrement tout transport de grains et de farines. En octobre enfin, le règlement du marché Saint-Gilles est renforcé. Mais la pénurie demeure. Dans un tel climat, la taxation entraîne de fréquents conflits entre meuniers-fariniers et boulangers ; les premiers refusent de livrer aux seconds des sacs de farine qui leur seraient payés au prix taxé : les boulangers, qui eux, sont sévèrement contrôlés se plaignent alors de travailler pour rien ; certains proclament même qu’ils ne vont pas cuire… La municipalité juge la menace intolérable et somme les boulangers récalcitrants de retourner à leur fournil et de tenir leurs boutiques achalandées sous peine de sanctions. De telles tensions résultent en fait de l’ambiguïté de la politique économique, puisqu’on veut tout à la fois maintenir la liberté de commerce des denrées de première nécessité et la taxation.
Étranglée par les réquisitions au profit des armées et de la capitale, Étampes n’arrive plus à se suffire elle-même. Dans cette situation d’extrême pénurie, où l’heure est « au chacun pour soi » , la ville ne peut même pas compter sur la solidarité des communes du District. Souvent, d’ailleurs, elles ne sont guère mieux pourvues ; mais il en est aussi qui profitent de la situation. Parce qu’elles n’en produisaient pas à suffisance sur leurs territoires pauvres du Hurepoix, les communes de Breux, Breuillet et Bouray s’approvisionnaient de tout temps en céréales sur le marché d’Étampes, où en échange, elles apportaient leurs pois, lentilles et haricots. En l’an II, elles continuent à faire des achats de grains à Étampes, mais elles se gardent maintenant d’y apporter leurs produits, qu’elles écoulent à meilleur compte à Arpajon… La municipalité étampoise s’en émeut le 11 pluviôse dans un texte qui se veut à la fois ferme et fraternel : le conseil général d’Etampes « bien éloigné de refuser à ses frères de Breux, Breuillet et Bouray le secours que se doivent tous frères et républicains, mais considérant aussi qu’il doit y avoir réciprocité dans ces secours et qu’elle manque dans le procédé des citoyens de Breux, Breuillet et Bouraay, arrête que l’administration du District sera invitée de requérir les citoyens de Breux, Breuillet et Bouray d’amener leurs pois, haricots et lentilles sur la place du marché de cette commune ».
Prisonniers de guerre : « Vendéens » et Autrichiens
Étampes devient en l’an II un important centre de détention. A la prison du district, d’où vont être libérés en 1793 ceux qui ont participé au meurtre de Simonneau, sont envoyés maintenant les parents proches des émigrés ; comme la loi l’y autorise, l’épouse demande parfois le divorce et retrouve alors la liberté… C’est également à la prison du district que sont incarcérés les curés récalcitrants, les auteurs de propos séditieux contre les autorités constituées ou la République, ceux enfin qui ont été condamnés pour délits économiques. La prison communale, elle, compte peu de prisonniers : le mauvais entretien de ses locaux, les disputes entre gardiens facilitent d’ailleurs les évasions : la prison d’Etampes est une passoire ! Les coupables de délits graves sont transférés à Versailles ou à Paris ; Armand Clartan, victime d’une machination à laquelle Constance Boyard n’était sans doute pas étranger, fait au printemps de 1794 un séjour de plusieurs mois à la Conciergerie ; mais comme le dossier se révèle vide et la population vigoureusement solidaire de ce maire qu’elle apprécie, l’affaire se termine au soulagement de tous par un non-lieu.
Parce qu’elle est éloignée des zones de conflits, Étampes devient un lieu de détention pour prisonniers de guerre. En l’an II, trois groupes y sont internés. Le premier est constitué de réfractaires à la réquisition des 300 000 hommes, originaires de Sablé dans la Mayenne. Il sont plus de 400 à arriver à Étampes, le 17 brumaire (7/11/1793), après une longue marche par Saumur, Blois et Orléans. L’opinion locale voit immédiatement en eux de ces Vendéens dont on parle tant ! Le nom leur restera. Incarcérés à Saint-Basile, ils y vivent dans des conditions difficiles, couverts de vermines, victimes du froid, de la maladie et de la faim. Au début de 1794, un second groupe de quelques 130 hommes amenés d’Eure-et-Loir par Charpentier, originaire d’Etampes et administrateur du département de Seine-et-Oise vient rejoindre les précédents. L’entassement est alors à son comble ; et par malheur, ces Vendéens – de vrais Vendéens ceux-là ! - sont porteurs d’un virus épidémique, qui ne tarde pas à faire des ravages parmi tous les détenus. A tel point qu’on craint maintenant que la contagion gagne la population… Le Conseil de la commune, appuyé par la Société populaire décide alors de transférer les prisonniers hors de la ville. Mais où ? On propose d’abord l’église désaffectée de Saint-Germain-lès-Etampes ; puis le 26 ventôse, on opte finalement pour le Temple, un ensemble de bâtiments à demi-ruinés, où la plupart des rescapés de Saint-Basile vont connaître à leur tour une destinée tragique, à l’exception d’une quarantaine d’entre eux qui réussissent à s’évader au début de thermidor.
Une centaine d’Autrichiens et quelques Espagnols prisonniers de guerre constituent le dernier contingent. On les installe face à l’Hôtel de Saint-Yon, au Petit-Mesnil-Girault, aujourd’hui disparu, qui appartenait avant sa vente comme bien national au chapitre Sainte-Croix d’Orléans. Loué 200 livres par an, il est complètement réaménagé pour y loger cette troupe. Ces hommes posent d’emblée des problèmes. Problème de communication tout d’abord : on ne se comprend pas, et il faut très vite partir en quête d’un interprète. Problème de statut également : ils jouissent d’une semi-liberté dont ils abusent ; chaque fin d’après-midi, ils fréquentent assidûment les cabarets que, le soir venu, ils quittent passablement éméchés. Le Conseil de la commune interdit alors aux tenanciers de les servir au-delà de 19 heures… Une captivité si peu contraignante a pour contrepartie l’obligation de travailler. Les réquisitions militaires successives ont en effet effectué une ponction significative sur la main d’œuvre locale : on attend donc de prisonniers jeunes et solides qu’ils aident à l’atelier du salpêtre , moyennant un salaire que l’érosion monétaire va rendre rapidement dérisoire. D’où un absentéisme chronique. Certains d’entre eux enfreignent même l’interdiction de sortir de la ville close pour aller s’aérer dans la campagne environnante...Mais les plus heureux sont encore ceux que l’on autorise à travailler chez les agriculteurs de banlieue. Il y a encore des prisonniers autrichiens à Étampes en l’an VII : mais s’agit-il des mêmes ? On sait aussi qu’en 1794, pour avoir volé des vêtements, trois prisonniers espagnols ont été exposés toute une journée au pilori de Saint-Gilles.
Maximum des salaires et « coalitions » des salariés
A l’usage, le Maximum ne satisfait personne ; ni le producteur-vendeur déçu dans ses espérances de gain, ni le consommateur qui constate que le pain certes augmente moins qu’auparavant, mais qu’il devient introuvable ! Le grand perdant est donc le salarié qui nourrit de plus en plus difficilement sa famille. D’autant plus que le Maximum des salaires qui accompagne le Maximum des prix est, lui, strictement appliqué. En septembre 1793, on l’a calculé sur la base des salaires de 1790 augmenté d’un tiers : un « rattrapage » dérisoire, bien inférieur à l’évolution des prix qui se sont envolés au cours de ces trois années de dévaluation de la monnaie. Aussi les ouvriers à la tâche manifestent-ils leur mécontentement. A Étampes, le 26 brumaire, les chapeliers de l’atelier Leroux qui confectionnent des chapeaux pour les jeunes gens de la réquisition, demandent une augmentation ; sans doute a-t-on fait valoir que l’effort de tous était nécessaire pour sauver la patrie, car l’affaire sur le moment n’a pas de suite…. Le 5 pluviôse éclate un autre conflit avec les portefaix du marché Saint-Gilles ; ils prétendent que leur salaire « pour frais de décharge et de montage des grains » ne sont pas taxés et qu’ils sont donc parfaitement en droit d’exiger jusqu’à 5 sous par sac. La municipalité trouve la demande exorbitante : la rémunération ne devrait pas dépasser un sou six deniers pour le déchargement des sacs sur la place et leur dépôt au rez-de-chaussée de la halle, deux sous pour la montée au premier étage et trois sous pour la montée au second. « les citoyens forts de la halle de la commune »envoient alors une pétition pour protester contre une taxe jugée insuffisante ; la municipalité fait un geste et accorde 5 sous pour la montée des sacs… Ce qui a immédiatement pour conséquence de relancer l’action des chapeliers !
Le 15 pluviôse, la municipalité est en effet invitée par le Comité de la section du Midi « d’aviser et de faire cesser les inconvénients qui peuvent résulter de la combinaison qui paraît exister entre les compagnons chapeliers et annoncer encore une corporation entre eux ». Les édiles prennent immédiatement des dispositions en s’appuyant sur le décret d’Allarde et la loi Le Chapelier de 1791 qui interdisait les associations d’ouvriers et les grèves : « Vu la disposition des lois qui prohibent toute espèce de corporation, considérant que toutes corporations, de quelque espèce et nature qu’elles soient , sont prohibées, qu’il est d’ailleurs contraire à l’ordre public que les compagnons ou ouvriers refusent leur travail ou se permettent d’interdire l’entrée et le service de leurs camarades dans un atelier ou boutique de la République, que la conduite des compagnons-chapeliers présente une coalition prohibée et défendue, oui l’agent national, le Conseil général arrête que défenses soient faites, 1 – à tous les ouvriers et compagnons de quelqu’état et profession qu’ils soient de former aucune coalition entre eux, 2 – de refuser leur travail à aucun maîtres ou entrepreneurs, même sous prétexte de non présentation par un autre compagnon ou ouvrier, 3 – de se présenter les uns les autres sous prétexte d’interdiction de boutique desdits entrepreneurs ou fabricants ou maîtres et de s’opposer à ce qu’aucun ouvrier ou compagnon travaille chez lesdits entrepreneurs, maîtres ou fabricants. Le tout sous peine portée par les lois ». Ce texte laisse entrevoir un conflit d’envergure, qui dut se terminer après la publication de cette sévère mise en garde, car il n’en est plus question ultérieurement.
Restrictions et marché noir
Les réquisitions militaires, la dévaluation de l’assignat, la crise politique, entraînent rapidement la disparition des principaux produits du marché. A partir de l’hiver de l’an II, la population s’installe – et pour longtemps – dans une situation de pénurie. Tout le monde n’est d’ailleurs par concerné au même titre. Les restrictions touchent surtout la grande masse des citadins qui n’ont pas de famille ou de connaissances à la campagne, ou …. qui ne savent pas ruser ! Le temps est venu des trafics divers, du marché noir, de la dénonciation et du règlement de comptes.
En premier lieu viennent les nombreuses entorses au Maximum qui intéressent aussi bien le beurre, le pain que les filasses, l’avoine ou les oignons ; ainsi le 21 septembre 1793, Jean-Baptiste Bourgeois aubergiste « A l’image Saint-Jean », accuse-t-il le citoyen Cornu, cabaretier et marchand de vin, d’acheter « journellement de l’avoine qui se trouve au marché » ce qui est illicite. Il y a aussi les petits malins qui certes respectent le Maximum du lait, mais fraudent sur la quantité en utilisant des mesures à lait trop petites… A tel point qu’en janvier 1794 (1er pluviôse) la municipalité est contrainte de faire fabriquer par les potiers d’étain de nouvelles mesures dûment validées. Il y a encore ceux qui se font prendre en tentant d’introduire clandestinement dans la ville des denrées prohibées ; Tel le citoyen Ciret de la Forêt-Sainte-Croix, arrêté début novembre 1793 (17 brumaire an II) au poste de garde avec des « pièces de gibier » : des mets sans doute appréciés, mais à quel prix ? Même en temps de pénurie, on peut continuer à faire des extras ; à condition d’avoir de l’argent… Aux portes de la ville, aux postes de garde, le contrôle des individus et des charrois est pourtant tatillon. Issus des classes populaires, les gardes nationaux de l’an II ne semblent pas entretenir toujours d’excellentes relations avec la municipalité, vite accusée de faiblesses dès qu’il s’agit de subsistances. A maintes reprises, ils n’hésitent pas à faire main-basse sur les denrées qui leur semblent suspectes. Le 12 floréal (1er mai 1794), le citoyen Doucet vient se plaindre qu’on l’a dépossédé d’ « un jambon et d’un pain de sucre de 4 livres et demie » ce qui n’est pas rien, en un temps où l’on manque de tout ! Mais la municipalité fait alors preuve d’un étonnant laxisme, déclarant qu’elle n’a jamais donné l’ordre à la garde nationale d’arrêter les subsistances, et demandant la restitution des marchandises confisquées.
Certains, qui ont parfaitement compris le risque encouru en franchissant les entrées de ville avec des produits alimentaires trouvent la solution : ils font tout bonnement de l’élevage ...dans la ville. Sa structure aérée sans doute s’y prête ; tout de même ! A la mi-septembre 1793, la municipalité reçoit une pétition d’habitants demeurant près de Notre-Dame : tout le quartier est empesté par l’odeur du lisier provenant d’un élevage de pourceaux qu’y entretient une certaine veuve Hugo ; les protestataires demandent avec insistance que la propriétaire soit contrainte de transférer son cheptel hors de la ville. La commune leur donne raison et décide qu’en cas de refus la citoyenne sera traduite en justice. Apparemment sans grand effet, puisque le 11 germinal (31 mars) , nouvelle pétition « qui annonce que la veuve Hugo, malgré la disposition d’un jugement du tribunal de police municipal, conserve ses porcs chez elle, qui donnent une exhalaison malsaine et contraire à la salubrité de l’air ». L’agent national est alors chargé de mettre bon ordre à la situation. La veuve Hugo fut-elle effectivement obligée de quitter les lieux avec ses cochons ?
Dix jours plus tard, la municipalité est saisie d’une demande de sons par la citoyenne Pontchaux, demeurant rue de la Propagande : « son mari est propriétaire d’une truie, ou porc femelle pleine, qu’il se trouve forcé de tuer étant dans l’impossibilité de nourrir plus longtemps faute de subsistances (…) ne croyant pas devoir le faire sans en prévenir la municipalité », il réclame « qu’il lui soit accordé des sons pour la nourriture de sa truie ». Peut-être l’odeur était-elle moindre au quartier Saint-Gilles qu’au quartier Notre-Dame, ou bien y avait-on l’odorat moins fragile… ? Ou alors la municipalité fut-elle particulièrement sensible au caractère anti-économique de la disparition prématurée d’une portée de porcs ? Toujours est-il que les édiles consentirent à fournir des sons, « considérant l’intérêt qu’avait la République de conserver la propagation de l’espèce ».
A côté de ces débrouillards, qui ne sont pas tous des profiteurs, mais simplement des hommes et des femmes soucieux de ne pas laisser une famille nombreuse dans le besoin, il est des citoyens probes animés par le seul souci de défendre la République. Au cœur de la mêlée, de mars à octobre 1793, ils multiplient les dons patriotiques. L’un des premiers, le notaire Sagot offre 10 paires de souliers pour équiper les volontaires ; quant au cordonnier Jérôme Thibault, il propose d’en céder 70 paires à 7 livres la paire. Parfait Périer fait don d’une ceinture et d’une garniture de boutons destinées à l’équipement d’un volontaire. Jean Chevalier « ci-devant chantre du ci-devant chapitre Sainte-Croix » verse mille livres au profit de la Nation ; quant à Gidoin, député du Tiers aux Etats Généraux en 1789, il offre douze chemises et quatre paires de bas de coton pour les jeunes soldats. Le départ d’un soutien de famille pour l’armée a souvent pour conséquence de laisser plusieurs personnes dans le besoin : une situation moralement inacceptable aux yeux des bons patriotes ; le jour de Noël 1793, le citoyen Champigny annonce qu’«il versera douze livres par mois pendant neuf mois pour le soulagement des mères ou femmes de volontaires qui sont dans l’indigence » ; et comme la Société populaire s’est déjà occupée d’une « distribution en faveur des pères et mères des volontaires au service des armées de la République » c’est elle qui reçoit le don de Champigny. Ainsi passe-t-on progressivement au cours de l’hiver, du don patriotique individuel pour l’équipement de volontaires à une œuvre en faveur des familles de combattants, gérée par la Société populaire, qui renoue là, mais dans un esprit laïc, avec les fonctions charitables de l’Église d’autrefois.
Les sommes réunies servent à parer au plus pressé : à assurer la subsistance des pauvres, en faisant distribuer du pain « en différents temps et à jours de décade ». A la mi-mars 1794, le District décide d’appliquer les décrets de ventôse et de distribuer des secours aux défenseurs de la Patrie. Enfin en floréal (mai), on inscrit au « Livre de la bienfaisance nationale » nouvellement créée, les noms des vieillards, infirmes, mères de famille, veuves ou chargées d’enfants. L’effort de guerre et la prise en charge des indigents se trouvent donc étroitement associés. Et lorsque le sort des armes commence décidément à basculer en faveur de la République, les autorités municipales invitent la population à honorer les vaillants défenseurs de la Patrie : la reprise de Toulon, fin décembre 1793, est fêtée solennellement à Étampes. A travers mille difficultés, par un effort de mobilisation sans précédent des forces vives du pays, un peuple libre s’affirme contre l’Europe coalisée : celle des « tyrans ».
Subsistance et Maximum
En l’an II, avec la guerre et les réquisitions, la question des subsistances demeure préoccupante pour les responsables municipaux. Elle a même tendance à s’aggraver localement. Le marché est peu approvisionné ; les prix montent, et le climat social s’en trouve alourdi. Des éléments nouveaux ont modifié la situation. Le 4 mai 1793, le gouvernement finit par instituer un maximum des prix, la fameuse taxation qui avait été l’enjeu de la journée du 3 mars 1792, où Simonneau avait perdu la vie. En fait, cette taxation n’est proposée par le pouvoir girondin, que parce qu’il espère désamorcer ainsi le mécontentement grandissant des classes populaires.
Ce premier Maximum interdit les ventes de grains et farines hors des marchés publics (art.6) et oblige par réquisition les marchands, meuniers et fariniers à amener chaque jour de marché un certain nombre de sacs (art.12). Mais cette loi de circonstance révèle vite ses incohérences. En décidant par exemple que le niveau de taxation des denrées serait fixé par l’administration départementale, on crée des appels d’air et au bout du compte on accroît la pénurie. Ainsi, Étampes qui applique immédiatement le Maximum voit-elle courant juin son marché déserté par les fermiers vendeurs, ceux-ci préférant aller le proposer dans les départements voisins, à Auneau, Toury ou Janville-en-Beauce, « pour la raison que les grains n’y sont pas encore taxés malgré les dispositions de la loi (…), ou le sont à un prix beaucoup au-dessus de celui fixé par le département de Seine-et-Oise ».
Parce qu’il est appliqué de manière plus stricte, le Maximum général institué le 11 septembre 1793 est davantage respecté ; mais à Étampes, malgré le système des réquisitions, le marché n’est toujours pas approvisionné. Les cultivateurs n’obéissant pas aux injonctions qui leur sont faites, on les menace de leur envoyer « l’armée révolutionnaire »,spécialement chargée de veiller aux subsistances, et dont un détachement de 50 hommes stationne dans la ville.
L’approvisionnement du marché est un objectif d’autant plus important à partir de l’été 1793 , qu’il faut nourrir, outre la population d’Etampes, les 1500 volontaires de la réquisition que l’on est en train d’instruire, et fournir chaque jour des rations aux nombreux militaires de passage. Les besoins hebdomadaires de la commune sont alors estimés à 400 sacs de blé, alors qu’il n’en n’arrive que le dixième sur le marché ! Heureusement, il y a le magasin d’abondance récemment créé et approvisionné autoritairement en obligeant toutes les charrettes qui transitent par Étampes à y déposer le cinquième de leur chargement. Jusqu’au jour, ou l’on apprend que la mesure est illégale…
On fait maintenant rechercher activement les stocks clandestins dans les greniers des particuliers ; on use plus que jamais de la procédure des acquis à caution qui permet de contrôler sévèrement tout transport de grains et de farines. En octobre enfin, le règlement du marché Saint-Gilles est renforcé. Mais la pénurie demeure. Dans un tel climat, la taxation entraîne de fréquents conflits entre meuniers-fariniers et boulangers ; les premiers refusent de livrer aux seconds des sacs de farine qui leur seraient payés au prix taxé : les boulangers, qui eux, sont sévèrement contrôlés se plaignent alors de travailler pour rien ; certains proclament même qu’ils ne vont pas cuire… La municipalité juge la menace intolérable et somme les boulangers récalcitrants de retourner à leur fournil et de tenir leurs boutiques achalandées sous peine de sanctions. De telles tensions résultent en fait de l’ambiguïté de la politique économique, puisqu’on veut tout à la fois maintenir la liberté de commerce des denrées de première nécessité et la taxation.
Étranglée par les réquisitions au profit des armées et de la capitale, Étampes n’arrive plus à se suffire elle-même. Dans cette situation d’extrême pénurie, où l’heure est « au chacun pour soi » , la ville ne peut même pas compter sur la solidarité des communes du District. Souvent, d’ailleurs, elles ne sont guère mieux pourvues ; mais il en est aussi qui profitent de la situation. Parce qu’elles n’en produisaient pas à suffisance sur leurs territoires pauvres du Hurepoix, les communes de Breux, Breuillet et Bouray s’approvisionnaient de tout temps en céréales sur le marché d’Étampes, où en échange, elles apportaient leurs pois, lentilles et haricots. En l’an II, elles continuent à faire des achats de grains à Étampes, mais elles se gardent maintenant d’y apporter leurs produits, qu’elles écoulent à meilleur compte à Arpajon… La municipalité étampoise s’en émeut le 11 pluviôse dans un texte qui se veut à la fois ferme et fraternel : le conseil général d’Etampes « bien éloigné de refuser à ses frères de Breux, Breuillet et Bouray le secours que se doivent tous frères et républicains, mais considérant aussi qu’il doit y avoir réciprocité dans ces secours et qu’elle manque dans le procédé des citoyens de Breux, Breuillet et Bouraay, arrête que l’administration du District sera invitée de requérir les citoyens de Breux, Breuillet et Bouray d’amener leurs pois, haricots et lentilles sur la place du marché de cette commune ».
La disette et la fête
Ce printemps de 1794 est un printemps paradoxal, fait de victoires, de brassées de fleurs et de têtes coupées… La République, en un magnifique sursaut venu des profondeurs, rétablit la situation militaire ; mais le temps de Fleurus est aussi celui de la Grande Terreur, de l’affirmation du pouvoir d’un seul, Robespierre, qui vient d’éliminer coup sur coup Hébert et Danton. A Étampes aussi ce printemps est fait de situations contradictoires. Mais la Terreur ici, du moins celle de la guillotine, n’est pas à l’ordre du jour, et l’écho des batailles n’y arrive que très amorti. Ce printemps est celui de la fête et de la faim : les roses sans le pain…
La soudure en effet se fait mal, et Étampes dès la mi-juin est soumise à une pression constante de la capitale, toujours à court de grains. Recensement des subsistances, réquisitions repartent de plus belle ; les cultivateurs sont sommés de livrer le peu qui leur reste : ils ne peuvent conserver pour eux que quinze livres de farine ou vingt livres de grain. Pour attendre la prochaine récolte… Tout le monde est frappé par le rationnement. On délivre des bons de pain : ils sont désormais indispensables pour obtenir la moindre portion chez le boulanger. On définit des catégories prioritaires, comme les nourrices : on nomme des commissaires pour surveiller la répartition égalitaire des farines chez les boulangers et assurer l’ordre dès la pointe du jour aux portes des boutiques. Le 25 messidor, il ne reste que trois jours de vivres… Les temps sont durs ! Et pourtant ce printemps est aussi un printemps de fêtes.
Fête civique pour l’anniversaire de la chute de la Gironde, le 31 mai ; on la célèbre par « la cessation des travaux » et un défilé de la maison commune au Temple de la Raison. Fête spontanée d’une population soulagée d’avoir retrouvé son maire : le 28 messidor, Clartan libéré trois jours plus tôt des geôles parisiennes arrive dans une ville en liesse qui l’acclame ; couronne civique à feuillage de chêne sur la tête, il effectue son tour de ville escorté par la foule et salué par des chants patriotiques : « sa vertu seule nous l’a rendu » !
Mais ce printemps de l’an II est dominé à Étampes comme ailleurs par la fête de l’Etre Suprême, cette fête déiste voulue par Robespierre, en réponse aux déchristianisateurs et athées. C’est la Société populaire qui prend l’initiative de la journée : le culte nouveau, fondé sur la croyance en un être suprême et en l’immortalité de l’âme doit être dignement célébré. Trois semaines avant le 20 prairial, des commissaires sont nommés pour assurer à la fois l’aménagement du Temple et le déroulement de la cérémonie. On construit au autel de la patrie circulaire et un amphithéâtre destiné à accueillir les musiciens ; on installe des tribunes latérales et des bancs pour les corps constitués ; on confectionne des guirlandes, et l’on fait venir du château de Méréville des cassolettes pour bruler l’encens. La municipalité et les commissaires soulignent constamment la nécessité de faire régner l’ordre ; ils recommandent « le respect, la décence et le silence dû aux lieux ». Le jour de la fête on défend aux cabaretiers de « vendre du vin depuis huit heures du matin et pendant la durée de la cérémonie ». On interdit également de « danser dans d’autres lieux que les allées de tilleuls qui sont au bout du Jeu de Paume », sous peine d’amende.
Tout l’ordonnancement du cortège obéit aux mêmes préoccupations moralisatrices. La veille, on a balayé les rues et les places, réglé les horloges. A huit heures du soir, une salve d’artillerie et des roulements de tambours annoncent l’ouverture de la fête. Le lendemain matin, chacun gagne son lieu de rassemblement : le bataillon du Midi place de la Régénération, le bataillon du Nord place de l’Unité. Tout est militairement réglé, encadré. Mais on n’a pas oublié les symboles : vieillards ou mères tenant des enfants par la main, « corbeilles de fruits de la nature » portées par des adolescents, banderoles qui évoquent la liberté, l’égalité, les droits de l’Homme, jeunes filles habillées de blanc ornée d’une ceinture tricolore offrant les prémices des moissons...Après un parcours rythmé par la musique dans le centre ville, le cortège entre en silence dans le Temple, où se déroule alors la cérémonie cultuelle : dépôt solennel des corbeilles sur l’autel de la patrie, chœurs, symphonie, discours civiques. Nous sommes bien loin de la fête révolutionnaire débridée que l’on imagine parfois. Ici, la fête est corsetée, guindée, et tout écart est passible de sanction. Ici commence le règne de la Vertu.
Dans cette fête l’enfant est constamment sollicité. C’est que la Révolution va plus loin que l’Ancien Régime dans sa prise en charge, et en cela elle annonce la période contemporaine. Depuis pluviôse d’ailleurs, les pères, mères et instituteurs de la commune sont invités « à faire apprendre les droits de l’Homme aux enfants confiés à leurs soins ».Quant à la municipalité, elle encourage le zèle des élèves en accordant un jour par décade « une récompense civique à celui des dits enfants qui les aura le mieux récités de mémoire en public »… l’enfant est porteur d’un avenir neuf ; il devient l’espérance de la Nation en fête.
Temps nouveaux, espaces nouveaux
A l’automne 1793, avec l’introduction du calendrier révolutionnaire et l’ouverture de nouveaux chantiers dans la ville, le pouvoir local entend remodeler le temps et l’espace et faciliter ainsi l’émergence d’un « homme nouveau » . Si la référence au calendrier républicain dans les délibérations du Conseil général de la commune apparaît dès le 9 octobre, elle est plus tardive dans les autres domaines de la vie publique ou sociale. Ainsi, ce n’est que le 5 pluviôse an II (25 janvier) que la périodicité du marché est modifiée pour obéir à la nouvelle structure hebdomadaire, la semaine étant remplacée par la décade. Le marché qui se tenait de temps immémorial le mercredi et le samedi est désormais fixé au quartidi (4e jour) et au nonidi (9e jour de la décade. Une modification qu’on a bien du mal à faire admettre, tant est grande la force de l’habitude. Le 25 ventôse par exemple, on arrête au poste de Saint-Martin la citoyenne Dubois, qui vient de Garancières-en-Beauce ; on la trouve en possession de 9 volailles et 20 à 22 douzaines d’œufs, qu’elle transporte sans « acquit à caution » ; questionnée, elle déclare qu’elle croyait que c’était le jour de marché ; comme elle paraît de bonne foi, on l’autorise à entrer dans la ville et à vendre. La situation est d’ailleurs compliquée, car toutes les communes ne respectent pas le nouveau calendrier ; en février, Étampes se plaint que Méréville n’applique pas le Maximum et conserve son ancien jour de marché : les marchés se chevauchent et tout est déréglé…
Si le calendrier décadaire est mal accueilli, c’est aussi parce qu’il ne permet plus de se reposer qu’un jour sur … dix ! De plus le décadi qui prend la place du dimanche n’est pas synonyme de temps libre ; dans l’esprit des révolutionnaires, il doit être l’occasion d’une communion collective dans le culte civique. Les Etampois sont ainsi conviés chaque décadi à se rendre au Temple de la Raison, dans la ci-devant église Notre-Dame réaménagée pour les besoins de la cause, où devant l’autel de la Patrie, on célèbre les mânes des héros tombés pour la défense de la liberté, on stigmatise les tyrans et les contre-révolutionnaires, on mobilise les esprits pour maintenir « Une et Indivisible » la République.
C’est aussi le visage de la ville qui évolue à cette époque ; sans doute ne faut-il pas exagérer la nouveauté de ce changement du cadre de vie, puisque c’est depuis le milieu du XVIIIe siècle qu’il a commencé à évoluer sensiblement. Dans les années 1780, pour répondre à l’engouement des habitants pour la promenade, on a ainsi aménagé les bords de la Juine entre les remparts et les marais, notre actuelle Promenade des Prés : les étampois en usent et en abusent, à tel point qu’on ne compte plus ceux qui souffrent de rhumes et de coryzas attrapés le soir à la fraîche en bonne compagnie ! Avec la Révolution, la volonté de changer la vie des hommes vient accélérer le mouvement de transformation : le démantèlement même limité de l’ancien système de défense ouvre la ville sur sa périphérie, sur la campagne, sur la « nature », à la fin d’un siècle qui en a tant parlé. Le « grand chantier » de l’époque est au nord-est de l’ancienne ville close. A l’automne 1793, on donne en effet les premiers coups de pioche à la porte Evezard ; l’importance de la démolition est telle que le terrain vague en déclivité vers la rivière qu’est devenu « le Port » d’Etampes depuis son abandon un siècle auparavant, est encombré de monceaux de pierres. Mais comme on veut profiter de cette opération pour aménager l’actuelle place du Port en nivelant le terrain, on s’aperçoit vite que les déblais ne suffisent pas : on fait alors appel aux particuliers pour qu’ils y apportent leurs gravats. En nivôse (fin janvier 94), sans attendre même la fin des travaux, on entreprend de planter la vaste esplanade de jeunes marronniers ; mais il faut alors protéger les jeunes pousses des voitures et de la dent des chevaux qui les arrachent et qui les brisent… En floréal (mai), on décide d’interdire la place aux charrois qui la rendent dangereuse pour les femmes et les enfants. Aujourd’hui, il ne reste qu’un seul témoin de cette plantation qui a fait jusqu’en 1967 le charme de ce quartier ; l’avant-dernier a été abattu le 18 mai 1989, pour aménager l’entrée du parking du Port : en plein Bicentenaire…
Ce n’est pas que l’an II ait un culte particulier pour l’arbre, hormis l’arbre de la liberté bien sûr. La disette de bois d’œuvre et de chauffage pousse au contraire à l’abattage : les ormes et les aulnes qui bordent la rivière derrière le jardin des Cordeliers, les taillis qui poussent au pied du rempart nord, du côté de Guinette sont mis en coupe. Mais le long des berges au moins, on replante aussitôt. En ventôse, la pépinière de l’émigré Viart est d’ailleurs disjointe du domaine vendu comme bien national pour en faire une pépinière municipale.
En pluviôse an II (fin janvier 1794), la municipalité examine un rapport de Pailhès, qui prévoit le transfert du cimetière Saint-Gilles à l’emplacement de l’actuelle place du Filoir et celui de Saint-Martin. En entreprenant de faire disparaître les cimetières du centre urbain, les édiles révolutionnaires montrent qu’ils sont sensibles aux arguments des médecins des Lumières qui préconisaient la mise à l’écart des lieux de sépulture, au nom de l’hygiène. Mais l’initiative témoigne aussi d’une nouvelle conception de la vie de la ville, qui a progressivement germé au cours du siècle. La proximité des morts autrefois tant recherchée – la plupart des cimetières entouraient alors les églises – est ressentie désormais comme une gêne. On évoque l’hygiène, mais sans doute est-ce pour en dissimuler la vraie raison : la mort – le mort – maintenant fait horreur.
Dans l’esprit des hommes de l’an II, il ne suffit pas de gagner de nouveaux espaces à la vie sociale ; il s’agit aussi de transformer révolutionnairement l’espace ancien, celui de la rue. C’est à l’occasion du passage de Couturier à Étampes que l’on procède au changement des noms de rues. Dans la vieille ville où beaucoup rappelaient jusqu’alors le vieux fonds de culture chrétienne, le bouleversement est d’importance. Les nouveaux noms sont autant de signes d’une régénération politique en cours ; ils manifestent les orientations de la république montagnarde.
Quatre thèmes dominent cette nouvelle géographie politique. Le premier témoigne de la volonté d’anéantir les dernières traces du « fanatisme » religieux, de toutes ces « momeries » qu’on a trop longtemps supportées. Disparaît la référence à tous ces saints qui avaient donné leurs noms aux églises et aux rues. La rue Saint-Jacques est rebaptisée rue de l’Égalité, la rue Saint-Mars rue de la maison commune. Disparaît aussi tout ce qui de près ou de loin rappelle les vieilles croyances : la rue d’Enfer devient la rue de l’Oubli, la rue de la Sacristie la rue des Songes, et, clin d’œil à l’actualité du moment, la rue de la Châsse la rue de la Refonte… Le second thème est l’affirmation du régime nouveau : révolutionnaire et républicain. La rue de la Révolution remplace la rue Saint-Antoine, la rue de la Liberté la rue de la Juiverie, la rue Brise-Chaîne la rue du Puits de la Chaîne et des Droits de l’Homme, la rue du Tripot. Le troisième thème marque l’affirmation des idées montagnardes : à la rue Saint-Martin on substitue la rue des Bonnets Rouges, à la rue de la Boucherie la rue des Piques, à la rue de la Savatterie la rue des Sans-culottes, à la ruelle Saint-Jean la rue de la Surveillance, à la rue de la Tannerie la rue de la Montagne. Et alors que le fédéralisme girondin qui constituait aux des Montagnards une menace pour l’unité du pays vient d’être écrasé, la place Notre-Dame est symboliquement rebaptisée place de l’Unité. C’est enfin l’avenir meilleur de l’homme que l’on proclame à travers les nouvelles dénominations : la rue de l’Abondance remplace la rue du Pain et la place de la Régénération la place Saint-Gilles. Cœur économique de la ville, cette place de la Régénération où Couturier fait édifier une « Montagne » et plante l’arbre de la Liberté un jour de novembre 1793, en devient aussi la nouvelle matrice politique, puisque c’est dans le local même de la Société populaire que sont régénérées les autorités constituées d’Etampes.
La police des rues continue à être une préoccupation majeure des édiles ; ils veillent à leur propreté, ce qui n’est pas chose aisée en ces temps de passage intense ; trois jours par décade et les jours fériés, on procède au balayage et à l’enlèvement des « boues ». Le vieux problème de l’éclairage des rues la nuit venue est relancé par Couturier ; ce n’est plus la délinquance commune que l’on entend pourchasser, mais davantage le suspect qui profite de l’obscurité pour perpétrer ses mauvais coups. Le symbole est une fois de plus constamment associé à la lutte politique, dans la vie de chaque jour. Contre les forces de l’ombre, la lumière est révolutionnaire.
La chute de Robespierre, le 9 thermidor, n’affecte guère apparemment la ville d’Etampes. De longs mois vont s’écouler avant que n’interviennent des changements – somme toute mineurs – dans la vie politique locale. Mais au fond, il n’y a rien là qui surprenne vraiment. L’opinion y est modérément révolutionnaire, nous le savons, et l’on ne voit pas s’y exprimer les idées « exagérées ».
Bien entendu, toute la ville n’est pas à l’unisson ; des divergences politiques existent ; mais pas de luttes sociales durables et exacerbées, de rivalités de factions conduisant les uns ou les autres à la prison et à la guillotine. Et même si en 1796, on y perçoit l’écho du complot babouviste à travers une histoire mal élucidée de papiers subversifs expédiés de Versailles, l’épisode demeure isolée, sans conséquence apparente sur les esprits. Étampes accompagne la Révolution plus qu’elle ne la fait.
Sources
Archives départementales des Yvelines
2 LM 4353 Cahiers du Comité de surveillance d’Etampes
1 Q 41 à 44 ; 1 Q 53 et 54 Biens du clergé
1 Q 45 à 50 – 1 Q 55 Biens d’émigrés
5 Q 33 à 156 Décomptes individuels d’acquéreurs
Archives départementales de l’Essonne
L 115 Tableau des membres de la Société populaire d’Etampes
L 137 Dossier Perchereau, curé de Chalo-Saint-Mars
Archives municipales d’Etampes
Registre de délibérations municipales 1D 12 (15 mai 1792-10 mai 1793) et 1D 13 (12 mai 1793- 31 décembre 1794)
Archives municipales de Chalo-Saint-Mars
Registre de délibérations municipales 1791-1837
Archives municipales d’Angerville
Registre de délibérations municipales 1790-an II
Bibliographie
BIANCHI Serge, La révolution culturelle de l’an II ; élites et peuple 1789-1799, Paris 1982
BIANCHI Serge, Essai d’interprétation de la déchristianisation de l’an II, Annales d’histoire de la Révolution française, 1978
CHASTEL René, Recherches sur la déchristianisation dans le district d’Etampes, mémoire de maîtrise, Institut d’histoire de la Révolution française, Paris I, 1979
DURAND Jean-Pierre, La vente des biens nationaux de première origine dans le district d’Etampes (1790-1801) ; Mémoire de maîtrise, institut d’Histoire de la Révolution française - Paris I, 1981
FORTEAU Charles, L’église Saint-Basile pendant la révolution : caserne, prison, salpêtrière, Étampes,1911
FORTEAU Charles, Episodes de la Révolution à Étampes « L’Argousin », Fontainebleau, 1911, 39p.
PINSON Paul, Un épisode de la terreur, le citoyen Armand Chartran, maire d’Etampes au tribunal révolutionnaire (11 juillet 1794) ; Bulletin de la Société Historique et Archéologique de Corbeil, Étampes, et Hurepoix, 1900, 2e livraison, 16p.
POMMERET Hervé, Le vandalisme révolutionnaire à Tréguier, bulletins et mémoires de la Société d’émulation des Côtes du Nord, t.70 (1938), p.239-254.
VOVELLE Michel, La Révolution contre l’Église, de la Raison à l’être Suprême, Paris 1988.
CHAPITRE 8 - De Robespierre à Bonaparte
Le 9 thermidor an II, à Etampes l’heure n’est pas au changement, et le principal souci de la municipalité n’est pas politique mais alimentaire.
Les cinq années qui suivent ne sont pas faciles. La Convention thermidorienne et le Directoire qui lui succède manquent d’assise politique ; seule la lassitude de l’opinion permet aux équipes au pouvoir de durer. Le régime se veut républicain mais n’a plus guère à voir avec la tradition de l’an II, doit combattre sur deux fronts : contre les Jacobins (répression du complot de Babeuf en février 1796) et contre les royalistes surtout qui, à plusieurs reprises (13 vendémiaire an III/4 octobre 1795 et 18 fructidor an V/4 septembre 1797) sont sur le point de l’emporter par la voie légale. Pour se maintenir, les membres du Directoire sont conduits à des coups de force permanents ; et l’armée pèse de plus en plus sur la vie publique.
Etampes, comme à l’habitude, perçoit peu tous ces remous. La continuité l’emporte et les édiles font preuve d’une étonnante adaptation aux circonstances ; certains traverseront même sans encombre le Consulat et l’Empire...Si la question des subsistances demeure préoccupante, elle tend à s’améliorer pour les Etampois. Mais la guerre, elle, est toujours là, en toile de fond. La nouveauté est d’ordre politique : le pouvoir local est progressivement dépossédé d ‘un certain nombre de compétences au profit de l’administration départementale, alors que l’échelon intermédiaire qu’était le district est supprimé.
La disette de l’an III
Tout commence durant l’été 1794 : la récolte s’annonce mauvaise et la soudure difficile. A ces causes naturelles s’ajoute, dans un contexte incertain, la mauvaise volonté des agriculteurs à mettre rapidement en vente le produit des premiers battages. La municipalité est contrainte, une fois de plus, d’intervenir ponctuellement afin de pourvoir le marché. Le 18 messidor (6 juillet), alors que les seigles sont mûrs, les cultivateurs n’ont pas encore commencé la récolte. Invoquant le salut public, le corps municipal prend un arrêté de réquisition pour qu’ils fassent « couper et resserrer les grains sans délai ni retardement, à peine de saisie tant que la coupe ou la resserre aura été reconnue avoir éprouvé du retard ». Le 21, la Société populaire avait commencé le recensement des personnes qui pouvaient y participer. Deux jours plus tard tous « les journaliers et manouvriers, tous ceux qui refuseraient d’obéir (…) seront jugés et traités comme suspects (…), faisait-on savoir. Les journaliers et ouvriers qui se coaliseraient pour se refuser aux travaux exigés ou pour demander une augmentation de salaire seront traduits au tribunal évolutionnaire ».
En thermidor, ces mesures la moisson n’avance guère et le District s’en inquiète. Le 8, les commissaires à la surveillance des battages constatent que les producteurs se débrouillent pour échapper à la réquisition. Ils trichent du Maximum sont poursuivis. Des communes refusent de livrer leur grains et sont dénoncées au District. Le 10, les premiers quintaux de grains sont enfin livrés au magasin de la Congrégation. Mais comme il n’y a que 300 quintaux, on interdit aux boulangers de vendre du pain aux étrangers à la commune. Pour grossir les stocks et casser les prix, la garde nationale prend en charge le battage, mais la mesure se révèle inefficace et est bientôt rapportée. Tout ce qui touche à la commercialisation des grains est sévèrement contrôlé : le 29, le boulanger Lelièvre qui a vendu du pain aux prisonniers Autrichiens est traduit devant le juge de paix, tandis que dix sacs de grains non livrés sont saisis chez Ciret à Villesauvage.
Au fur et à mesure que l’on avance dans l’hiver 94-95, la situation qui n’a jamais été brillante se détériore. Elle va déboucher à Paris sur les émeutes de la faim durement réprimées de Germinal et Prairial. A Étampes, le marché est déserté ; pour y attirer les producteurs, on confie aux commissaires affectés aux réquisitions des sommes d‘argent destinées à les indemniser ; mais les résultats ne sont pas concluants. Les hommes en place ne donnent pas l’exemple : Duverger aîné, maître de poste et propriétaire, anciens élu et futur maire, répartiteur des impôts et régulièrement nommé expert en matière agricole, figure le 5 pluviôse parmi les producteurs les plus en retard. Pour vaincre la mauvaise volonté de ceux-ci, on recourt à des mesures qui se révèlent efficaces : ainsi loge-t-on des dragons chez Ciret, en lui promettant de les retirer après paiement de ses arrérages d’impôts et fourniture des réquisitions. Seuls les petits cultivateurs acceptent de livrer leurs grains, leur beurre et leurs œufs ; mais les arrivages ne sont pas suffisants. En ventôse (mars 1795), on décide donc de réquisitionner les précieuses denrées chez les producteurs les plus récalcitrants. La réponse est immédiate : le marché n’est plus approvisionné. Dans l’espoir de faciliter la reprise, on rétablit les jours du marché au mercredi et samedi : sans résultat concluant ;
Malgré l’obligation faite aux communes de porter leurs grains sut tel marché, l’offre demeure partout insuffisante et la nécessité se fait vite sentir d’acheter hors du district, en particulier à Janville-en-Beauce, où le grain est réputé abondant. Les commissaies d’Etampes y jouent des coudes avec ceux de l’Yonne, du Loiret et de Pais bien sûr. Le représentant Loiseau qui protège les convois à destination de la capitale, consent pourtant à verser 600 quintaux de grains à la ville d’Etampes où la crise est terrible pour les indigents, mais aussi pour tous ces petits artisans que la hausse jette à leur tour dans la misère. Le 17 floréal (6 mai), il y a 3030 citoyens d’inscrits sur la liste des assistés : soit 2 Etampois sur 5 ! Ces citoyens « malaisés » reçoivent alors une demi-livre de pain par jour, grâce à un système de cartes d’alimentation.
En fait, tout le marché est déréglé par la spéculation ; le blé se cache et ne cesse d’augmenter, l’inflation aidant, le sac s’achète 500 livres place Saint-Gilles, mais s’enlève 1.100 hors du marché. Il se vend officiellement 4 à 5 fois moins de blé que n’en consomme la commune. Dans la coulisse fleurissent de beaux trafics et se réalisent de substantiels profits. Une fois de plus, les édiles se trouvent dans la situation d’accusés : Paris se plaint de ne pas recevoir les arrivages espérés et les menaces d’arrestation… C’est l’époque où la municipalité se trouve confrontée à l’un de ces profiteurs de la pénurie, le citoyen Gernin, qui prétend être délégué par les subsistances militaires de Paris, pour enlever de la farine des moulins Godin et Creuzet. On apprend qu’il a fait moudre par ailleurs 200 sacs à Boissy-la-Rivière, mais qu’il en a fait inscrire seulement 39 sur sa commission. D’après des témoignages concordants, on apprend aussi qu’il a fait vider des sacs marqués « commune de Paris » dans des sacs anonymes, afin de les vendre à un marchand de vin de Montrouge ; on soupçonne fort l ‘existence d’un trafic, et les farines sont donc mises sous séquestre au magasin militaire. Le Conseil signale l’affaire au ministère de l’Intérieur. Or, trois semaines plus tard, Gernin justifie ses achats à l’aide d’un papier officiel manifestement signé en blanc, ce qui sous-entend des complicités parisiennes. La confiscation est maintenue et l’original envoyé au ministère. Mais début 1796, le ministère donne l’ordre de verser les farines à Gernin. La municipalité maintient pourtant la confiscation… Finalement, les farines confisquées serviront à cuire le pain des troupes.
En 1796 et 1797, la disette s’amortit à Etampes ; mais la flambée inflationniste liée à la dépréciation catastrophique de l’assignat perturbe gravement les transactions. Les producteurs acceptent difficilement de vendre leur bon grain contre de la mauvaise monnaie !
Evolution du prix du quintal de blé de première qualité
(vendémiaire-ventôse an IV)
Vendémiaire 1 650 livres assignats
Brumaire 2 200
Frimaire 6 000
Nivôse 7 500
Pluviôse 8 000
Ventôse (1er) 8 500
Le dérèglement des échanges a des répercussions immédiates sur le prix du pain. La livre de pain commun qui valait 3 sous 6 deniers en novembre 1794 atteint 10 francs, puis 20 début 1796, enfin 50 à la fin de l’hiver, avant de redescendre à 40 francs. Dans ces conditions, tout le monde ne peut en acheter, d’autant que dans le même temps le travail manque. La municipalité se démène donc pour subvenir à la subsistance des plus pauvres qui sont nombreux ; en nivôse an IV (janvier 1796), elle obtient 350.000 livres qui permettent de répondre partiellement aux besoins de l’hôpital : on était sur le point de le fermer, faute de ressources pour nourrir et soigner les malades… La municipalité fait également travailler des ouvriers indigents qu’elle paie en pain. Et il est vrai que devant le manque de bonne monnaie, l’administration demande maintenant que les contributions soient payées partiellement en nature. On voit réapparaître une économie de troc.
Une telle situation ne facilite pas la gestion quotidienne ; il faut sans cesse arbitrer entre les différents responsables de magasins pour éviter les désordres comptables. Il faut aussi rappeler régulièrement aux gardes-magasins qu’il est inutile d’adopter une attitude vexatoire vis à vis des agriculteurs et qu’il est indispensable de leur fournir des quittances et des reçus réguliers. jusqu’à l’automne 1796, cette activité absorbe la plus grande partie du temps des édiles. Puis la situation redevient normale.
L’administration municipale n’a plus alors à régler que le problème du pain de prisonniers et à gérer d’anciennes affaires. Parmi ces dernières, retenons les « vaches républicaines » destinées à vernir en aide, grâce à leur lait, à des citoyens dans le besoin. Le ou la bénéficiaire « doit élever la vache en bon père de famille », veiller à la faire se reproduire et tenir l’administration informée des détails de la vie du ruminant. A sa mort, on vend la peau de la vache républicaine…
Etampes en Thermidor
Deux jours après Thermidor, la municipalité d’Etampes envoie une adresse à la Convention par laquelle elle s’empresse de féliciter les hommes du jour.
« Citoyens représentants des républicains français,
La commune d’Etampes s’empresse de féliciter les fondateurs de la liberté d ‘avoir fait triompher la justice nationale en terrassant la cohorte infâme des modernes Catilina. Ils osaient donc abuser le peuple en vils scélérats ! Ils osaient conspirer au sein même de la Convention ? Ils aspiraient à l ‘asservissement des enfants de la liberté ! Eux qui avaient juré solennellement, au milieu du peuple français de poignarder celui qui voudrait ressusciter les mots abhorrés de tyrans. Quel est donc l’ascendant d’une réputation usurpée par un patriotisme simulé, si des passions personnelles peuvent stériliser les travaux de la Convention et menacer la Patrie ? Mais elle est imperméable ; déjà l’esprit républicain a dénoncé, dévoilé, tous les complots patricides ; la Patrie est adorée de tous les Français ; ils ne savent plus s’attacher ni à un homme ni à une réputation. Le mot d’ordre, ce mot sacré qui retentit sans cesse au fond de nos cœurs est Liberté et Union à la Convention. Restez donc à votre poste, citoyens représentants, achevez de combler l’abîme entr’ouvert sous nos pieds, foudroyez les têtes coupable et pendant vos glorieux travaux la commune d’Etampes va multiplier ses efforts de bien mériter de la République, les fruits précieux qu’une récolte abondante leur assure.
Vive à jamais la Convention nationale, vive la Liberté, la République. »
En se ralliant avec lyrisme à l’équipe thermidorienne qui vient de mettre fin à la dictature montagnarde, la municipalité étampoise pense donner un gage et se maintenir. Bien lui en prend, puisqu’elle traverse sans encombre les lendemains de la chute de Robespierre, et reste même au pouvoir jusqu’en pluviôse (février 1795).
Qu’il n’y ait pas de règlements de compte et de chasse aux « terroristes » à Etampes, comme c’est la cas ailleurs, prouve que l’an II n’y a pas été vécu comme une période de dictature insupportable. Heureusement pour Constance Boyard qui donne le 18 thermidor une preuve supplémentaire de ses bizarreries de caractère : il fait publiquement état de son amitié pour Robespierre ! Vantardise ? Il et de retour à Etampes depuis le 10 ou le 11 floréal, protégé des condamnations prononcées contre lui par un sauf-conduit du Comité de police générale et de surveillance. La délibération du Conseil est transmise aux autorités supérieures qui ne prennent aucune mesure.
La chute de Robespierre se traduit d’abord par l’élargissement des prisonniers politiques. Entre le 7 fructidor et le 14 brumaire (de fin août à début novembre), tous les Etampois incarcérés (parents d’émigrés et suspects) sont libérés. Il s’agit uniquement de nobles locaux, de bourgeois aisés et d’ecclésiatiques. Ces détenus étaient en prison à Etampes, Versailles ou Paris. C’est aussi le moment où la jeunesse dorée vient troubler la ie publique. En frimaire, des jeunes gens perturbent les séances des actes civils et celles de l’institut de musique. Le conseil les menace du juge de paix. Bien plus tard, en messidor (juillet 1795), les arbres de la Liberté déjà morts sont entaillés à coups de sabre. On ne peut donc pas parler de réaction thermidorienne spontanée à Etampes.
L’équipe municipale , dont le maire Clartan a été incarcéré sous la Terreur, est modéré dans son ensemble ; elle ne ressent pas le besoin de passer la main ni de s’épurer. Et on ne le lui demande pas ! Ce n’est que le 21 pluviôse (9 février 1795) que le représentant Delacroix entreprend de rénover la municipalité. Clartan demeure maire, et avec lui seul Angot et Ruelle conservent leur place au sein du Conseil. Mais il ne faut pas s’y tromper : la nouvelle équipe fera encore appel à d’anciens membres pour exercer les fonctions de commissaires. Malgré l’arrive massive de nombreux édiles, c’est bien la même politique qui continue. En même temps le tribunal de district est rénové : Gudin aîné (ancien président), Simonneau (ancien lieutenant du bailliage), Geoffroy (ancien juge) Sergent (commissaire national) et Hochereau réapparaissent ou se maintiennent en place. Delacroix précise bien que les citoyens destitués ne doivent pas être considérés comme suspects.
D’autre changement de personnel interviennent ; Nasson nommé au Directoire du district est remplacé par Gabaille comme agent national, Dufresne prend cette place peu après, puis Baron lui succède, tandis que Filleau conserve son poste de substitut de l’agent national.
Il ne faudrait pas croire que rien n’a changé : certains d’ailleurs manifestent leur hostilité sourde au nouveau régime. Ainsi, Vacquin, ancien membre du comité révolutionnaire déclare-t-il après la rénovation du Conseil général qu’il ne veut pas monter la garde « pour garder les coquins qui sont en place actuellement » : il est astreint à se présenter deux fois par jour à la maison commune . Le 19 ventôse, le Conseil refuse des passeports à quelques anciens membres destitués… Au printemps le problème des subsistances est si prenant que le Conseil général, échaudé par le problème précédent, ne se hâte pas de désarmer les « terroristes ». Le District doit lui forcer la main… On trouve parmi ces « terroriste Baron-Delisle, Sibillon, Gamet, Bruère, Vacquin, Boullemier, et évidemment Constance Boyard. Ce désarmement intervient le 6 floréal an III, et il est difficile de le dissocier des dernières journées révolutionnaires parisiennes. Les émeutes de la faim de Germinal et de Prairial, réprimées par la troupe, marquent la cassure définitive entre le peuple et le pouvoir bourgeois. Ce dernier va réduire au maximun les droits des plus pauvres (exclusion de la garde nationale, privation du droit de vote), mais son autorité dépend maintenant largement du bon vouloir des militaires. Pourtant, à l’exception de Constance Boyard, tous les « terroristes » sont réarmés et réintégrés parmi les bons citoyens dès l’automne. Il s’agit en fait du contre-coup de Vendémiaire : pour contrer les menées des royalistes, le pouvoir s’appuie sur l’armée qui réprime, et sur les citoyens qui ont donné des preuves de leur attachement à la République.
La porte des églises s’entrouvrent à nouveau. C’est l’une des conséquences du changement de cap politique . En prairial, le culte est rétabli à Notre-Dame (temple de la Liberté) et à Saint Martin, puis en messidor à Saint Gilles et Saint Basile. Les objets du culte qui n’ont pas été égarés (missels, graduels…) ou détruits pour en récupérer le métal précieux sont restitués.
L’anniversaire de la chute du « tyran », le 9 thermidor est célébré solennellement. Mais on reste vigilant ; et pour assurer une meilleure surveillance des suspects de tout poil, on décide que les passeports dorénavant seront imprimés. Le dernier certificat de civisme esst délivré le 11 thermidor. C’est bien la fin d’une époque. La Convention va se séparer : une nouvelle Constitution, celle de l’an III voit le jour en fructidor (août 1795). Clartan assisté de Baudry en lit officiellement le texte à Saint Gilles, tandis que Florat et Manfroy font de même à Notre-Dame.
La crise des subsistances rend indispensable la nomination de nombreux commissaires. Les plus efficaces deviennent édiles ou sont nommés à nouveau par les municipalités suivantes. Les changements politiques jouent peu : la première municipalité directorienne nomme plus d’anciens membres de la société populaire que la première municipalité Clartan.
Le pouvoir de quelques-uns
Le Directoire sonne le glas de l’autonomie dont jouissaient les communes depuis 1789 : le contrôle politique de l’administration départementale se fait plus pesant : c’est la centralisation administrative contemporaine qui s’installe. La municipalité est privée d’un certain nombre de compétences et l’équipe des élus ne compte plus que 5 membres : Petit-Ducoudray, Bouquin-Duboulay, Fricaud, Bureau (notable-juré à Versailles) et Hochereau qui va démissionner en ventôse pour être remplacé par Boivin. L’abstention aux élections reste forte : mais ceux qui votent apportent massivement leurs suffrages aux citoyens reconnus compétents : ainsi, Gillot est-il réelu juge de paix avec 140 voix sur 156.
Le changement constitutionnel s’accompagne d’un changement d’affectation des locaux. On déménage beaucoup en l’an IV. En frimaire, Bureau se rend au local de la Société populaire pour transporter les archives à la maison commune. Le local, la chapelle des Barnabites, est accordé au garde-magasin Aubé pour y entreposer l’impôt en nature. En pluviôse (février 1796), l’administration municipale qui, depuis des semaines lorgne les locaux de l’ancien District obtient gain de cause ; les bureaux, le magasin militaire, la bibliothèque, le musée et la conservation des hypothèques sont réunies en un même lieu. L’ancienne maison commune est transformée en gendarmerie.
Les édiles sont désormais moins surchargés qu’autrefois ; et la place ett d’autant plus intéressante...La charge est devenue un honneur et l’on assiste alors à une véritable compétition entre les hommes. La désignation des administrateurs de la commune en germinal an V (mars 1797) s’accompagne de frictions. C’est Duverger qui devient président du Directoire exécutif de la commune : Bouquin-Duboulay qui digère mal d’avoir été éliminé, refuse tout net de procéder à l’installation des nouveaux élus…
Il n’est pourtant pas toujours facile d’être élu sous le Directoire ; le régime constamment menacé ne se maintient en effet que par le coup d’État, en annulant à plusieurs reprises des élections qui lui paraissent constituer une menace. Les répercussions en sont sensibles au niveau local où, pour faire une carrière politique, il faut à l’évidence se garder de trop se marquer. Duverger, Sergent et Bureau en font l‘expérience après les élections de fructidor an V qui voient une forte poussée royaliste : avaient-ils donné des gages à droite ? Toujours est-il qu’ils sont destitués, en même temps que sont annulés les résultats du scrutin national. Le renouvellement par tiers des éluys chaque année est une des failles du système : à Etampes, comme dans tout le pays, on a constamment à l’esprit les élections prochaines. L’instabilité est donc la règle au sein des institutions locales. En fait, on assiste à un chassé-croisé d’homme qui sont souvent de vieilles connaissances : Clartan, Filleau, Nasson, Fricaud ou Gillot, le juge de paix, sans oublier … Constance Boyard, qui réapparaît en floréal an V en exigeant d’être réarmé ! Il ne le sera pas, tant qu’il ne se sera pas soumis « aux arrêtés et jugements qui le concerne », vu « le caractère turbulent, séditieux et toujours insubordonné du citoyen Constance Boyard (qui) l’a fait exclure (…) de ses droits de citoyen ». Mais il a tout de même de nouvelles têtes parmi ces élus : Boysson, Chevallier ou le libraire Gamet, ancien administrateur du district, qui remplace Nasson destitué. La suppression du district comme rouage administratif oblige en effet un certain nombre d’hommes à se recaser dans les structures municipales. Sédillon se retrouve commissaire de police ; mais il va bientôt céder la place à l’imprimeur Dupé.
A chaque fois qu’une équipe est destituée, elle pétitionne au département, au ministère de l’Intérieur et au ministère de la Police générale en multipliant les témoignages de son attachement aux institutions et à la Constitution de l’an III. Signe des temps : voilà qu’on entend résonner à nouveau dans l’enceinte de la maison commune le tire de « Monsieur » ! Immédiatement, on fait poser partout des affiches portant en gros caractères : « l’administration n’avoue que la dénomination honorable de citoyen « !
Conscient de ses faiblesses, le Directoire a besoin de s’attacher les hommes. Mais il se méfie beaucoup des ecclésiastiques et les surveille. En l’an V, il leur impose ale renouvellement de leur serment d’allégeance, et à Etampes, en brumaire, plusieurs curés s’engagent, en particulier Auger, ancien curé de Saint-Basile.
Le patriotisme et la fête
On exalte d’autant plus le patriotisme que la guerre continue et que les menées royalistes sont toujours à craindre. En thermidor an VI, on fait procéder à des visites domiciliaires destinées à rechercher « les agents de l’Angleterre, les émigrés rentrés, les prêtres déportés et les chefs chouans ». L’obligation de porter la cocarde s’inscrit dans une même perspective politique : le 2 floréal, l’administration rappelle que « la cocarde nationale est le signe auguste de la réunion de tous les Français (et que) la loi fait obligation de la porter » En floréal an VII (mai 1799), on flétrit l’assassinat des plénipotentiaires français à Rastadt en Allemagne : « L’horrible attentat commis sur des ministres de paix ne doit être ignoré d’aucun Français… Il doit exciter leur indignation et provoquer leur vengeance ». Du patriotisme blessé, on attend le sursaut salutaire. C’est bien là le dernier ressort d’une Nation fatiguée par dix ans de tumulte. Un général corse ne va pas tarder à lui proposer une cure de repos.
Pour redresser un civisme défaillant, le Directoire use et abuse des fêtes : des fêtes graves et ennuyeuses, qui exaltent la vertu, en un temps où les gens en place n’en donnent guère l’exemple… Mais ce qui importe au régime, c’est de contrôler l’opinion, et la pédagogie de la fête lui en fournit les moyens. La fête de la jeunesse du 10 ventôse an IV témoigne de cette volonté politique. Les jeunes de 16 à 21 an sont convoqués armés et sabres et de fusils ; à 16 ans, on est apte à assumer le service de la garde nationale et à 21 ans on jouit du droit de vote. Les fonctionnaires et les administrateurs, la garde nationale sont de la fête. Les vieillards, symboles de sagesse et de vertu, donnent un air plus solennel encore. Au programme, il y a des discours, des chants patriotiques, un concours de musique et la plantation d’un arbre de la liberté dans les jardins de la nouvelle maison commune.
En vendémiaire an V, Etampes célèbre les pompes funèbres de Hoche ; en frimaire, décision est prise d’illuminer les maisons pour célébrer la paix avec l’Empereur ; en ventôse, on fait en sorte que la fête de la « souveraineté du peuple » qui se déroule à la Rotonde du port ait « un caractère auguste et majestueux ». En floréal se déroule la « Fête des Epoux »,à laquelle sont conviés tout particulièrement ceux qui se sont mariés au cours des dernières décades. En messidor , « la célébration de la fête nationale de canton – le 14 juillet – consiste en chants patriotiques, en discours sur la morale du citoyen, en banquets fraternels, en divers jeux publics propres à chaque localité et dans la distribution de récompenses » .
Le 2 pluviôse (21 janvier 1799), on fête la punition du dernier roi des Français. Pour donner du relief à la commémoration, on mobilise le ban et l’arrière ban : fonctionnaires publics, instituteurs et institutrices encadrant les élèves, bataillons de la garde nationale et troupes réglées en stationnement à Etampes. La population bien entendu, es t invitée à participer. A 11 heures, on se rend en cortège à Notre-Dame et les « citoyens possédant la musique vocale et instrumentale sont invités à assister à la fête pour exécuter des chants et des airs analogues à la cérémonie ». A 15 heures, on procède à la plantation de deux arbres de la liberté, l’un au Carrefour Doré, et l’autre sur la grande place Carrefour du Midi. A 17 heures, une pièce républicaine est jouée par la « Société des Arts » de la commune. Le tout est clôturé comme il se doit par un bal public.
Dans le temps où l’on vogue de fête en fête, où l’on fait appel au civisme, à la morale, le régime déliquescent favorise tous les trafics, spoliant les citoyens honnêtes ou démunis, ainsi que la Nation. A Etampes, la jeunesse dorée se réunit au café Hulin dit Conty – l’ancien presbytère Saint-Basile – où elle forme un comité : le Directoire soupçonne fort ledit « comité » de menées subversives, il l’interdit en ventôse an VII.
La fête peut d’ailleurs être aussi l’occasion de règlements de comptes politiques. A l’occasion de la Saint-Michel, en l’an VII (septembre 1799), un groupe d’artistes obtient l’autorisation de jouer dans l’ancienne chapelle des Barnabites une pièce intitulée « Adèle », Or, trois jours après la représentation, le corps municipal est destitué… En vrac, on reproche aux édiles d’être incapables de faire respecter le calendrier républicain – on danse hors du décadi – et surtout d’avoir toléré dans la pièce un couplet qui, aux dires du commissaire du Directoire exécutif, révélait des intentions malignes...Fait aggravant : le couplet en question a provoqué des bravos et des applaudissements prolongés...L’équipe municipale limogée est remplacée illico par d’anciens officiers municipaux qui n’attendaient que cela, même si certains se font un peu prier : Petit Ducoudray, Chevallier et Duché, rejoints peu après par les inévitables Clartan et Sédillon. Les édiles destitués « l’ont mauvaise » et ils protestent ; les fêtes civiques et décadaires sont célébrées dans la commune ; et si des particuliers ont dansé les jours des anciennes fêtes et les jours correspondants aux dimanche, ils l’ignorent, car le commissaire de police n’a fait aucun rapport à ce sujet...Quant à la représentation d’ « Adèle », ils n’ont rien permis de contraire aux lois, et les acteurs ont très bien pu modifier le texte une fois en scène, ce dont la municipalité n’est pas responsable. Le débat comme on le voit est d’un excellent niveau.
L’affaire Hamouy Bouté témoigne de la permanence de conflits entre Etampois. En janvier 1797, le meunier Hamouy se répand en propos après boire chez un limonadier de la place Saint-Gilles : la municipalité est composée de brigands, clame-t-il à qui veut entendre. Il y a là d’anciens édiles qui lui font observer que son cousin Petit Ducoudray est administrateur ; ce qui lui vaut une réponse lapidaire : « Mon cousin est trop bête pour être un brigand comme les autres »...Emporté par son verbe, Hamouy accuse encore Boivin-Chevalier d’avoir détourné une bascule, lors de la vente des objets du magasin des subsistances… Une fois dégrisé, il ira s’expliquer au tribunal de police.
Derrière les incessants conflits de personnes se dessine l’état de crise permanent qu’est l’époque du Directoire. Il n’y a que face à l’administrateur étranger que les Etampois savent retrouver une unité de façade. En floréal an IV, un nommé Raguideau ex-administrateur du district de Dourdan remplace Nasson. Mais il en fait trop, et très vite irrite la municipalité...Finalement, Raguideau est éliminé et Nasson retrouve sa place.
La guerre, toujours la guerre…
Derrière cette petite guerre locale, il y a toujours en toile de fond la guerre, la vraie. De l’été 1794 au 18 brumaire de Napoléon Bonaparte, la vie est rythmée par les incidences locales du conflit qui oppose toujours la Révolution – ou ce qu’elle est devenue – à l’Europe. Et même si les théâtres d’opérations sont éloignés, on la ressent à Etampes. Ce sont d’ailleurs toujours les mêmes problèmes qu’il faut résoudre : levée et logement des troupes, réquisitions de chevaux et de matériel ; souscription destinées à financer les armées de plus en plus professionnelles d’une République conquérante.
Pour faire la guerre, il faut des moyens, que l’État n’a pas toujours en quantité suffisante. En fructidor an II (août 1794) la Société populaire ouvre une souscription destinée à financer la construction du vaisseau « Seine-et-Oise » ; mais les Etampois ne montrent guère d’intérêt pour les questions maritimes, et les dons resteront modiques. Pour faire la guerre, il faut surtout des hommes. Les contingents succèdent aux contingents ; mais c’est surtout en 1798 et 1799 que l’effort demandé apparaît le mieux. En 1798, le registre de délibérations fait état d’une proclamation de Bonaparte aux officiers et soldats de « l’armée d’Angleterre ». L’expédition d’Egypte – car c’est d’elle qu’il s’agit – se prépare à embarquer à Toulon. Deux Etampois y participent : Etienne Geoffroy, en tant que naturaliste et son frère Marc-Antoine, capitaine du génie.
En brumaire an VII (novembre 1798) , en application de la loi Jourdan, on forme un jury destiné à examiner les conscrits qui doivent ensuite rejoindre Versailles. En floréal (avril 1799), nouvelle levée de 200 000 hommes : 36 hommes partent sur les 38 prévus (l’un est ajourné pour deux mois et l’autre est absent). Ils reçoivent 9 francs, des bas, des chemises, des souliers et un havresac fourni par Foret, un ceinturier u Pont Saint-Michel à Paris. Les conscrits dont le nom correspond à celui de personnalités locales sont remplacés ou déclarés inaptes pour la plupart, mais ce doit être une pure coïncidence…
Faute de casernes, le logement des troupes demeure le problème le plus épineux pour la ville. Cela passe encore de loger pour quelques jours un petit groupe de soldats : comme en vendémiaire an III (octobre 1794) les 20 chasseurs à cheval qui doivent participer à Etampes aux mesures de réquisition. L situation se complique lorsque le détachement est plus important et les militaires exigeants. Le 14 juillet 1795, un certain Dubois, commandant de dragons cantonnés à Etampes fait un beau scandale en séance du Conseil général, parce qu’il n’a pas obtenu le logement décent qu’il avait demandé à la municipalité, il traite les édiles de malhonnêtes et écrit au commandant général. Les membres du Conseil outrés du procédé envoient une lettre de protestation. l’affaire paraît suffisamment grave pour que le général Baraguay d’Huillier écrive personnellement à la municipalité ; il fait sortir le détachement de la ville, et se réserve d’adresser au citoyen Dubois « les reproches mérités ». En fructidor, c’est un conflit de compétence qui éclate entre le capitaine de dragons et le chef de légion de la garde nationale. Les troupes de ligne n’ont jamais eu beaucoup de considération pour les gardes nationaux, et ceux-ci, qui entendent être les maîtres chez eux, le leur rendent bien…
La municipalité est également amenée à sévir contre les militaires en congé et contre les jeunes gens de la réquisition qui tardent souvent à rejoindre leur corps. En frimaire an IV (novembre 1795), on les menace de poursuite s’ils n’obtempèrent pas et la gendarmerie est réquisitionnée pour faire cesser leurs attroupements. La désertion est un problème permanent et certains jeunes Etampois fatigués des contraintes militaires ne résistent pas à l’appel du large… Ainsi, en janvier 1796, la municipalité est avisée de la désertion avec armes et bagages de Magloire Hutteau affecté au 5ème régiment de dragons ; comme l’exemple pourrait être pernicieux, on frappe avec sévérité : sa famille est rayée de la liste des parents des défenseurs de la Patrie, et ses biens propres sont mis sous séquestre.
La guerre dure et avec elle l’économie de guerre, donc des réquisitions, qui ne se limitent pas aux grains et farines. A la fin de l’été et à l’automne 1794, c’est l’étain que l’on recherche, puis c’est le tour du chanvre. L’on récupère le marc de raisin que l’on continue à utiliser dans la fabrication du salpêtre. L’avoine, les fourrages et la paille indispensables à la cavalerie et aux chevaux des convois sont particulièrement convoités ! Et puis les harnais manquent….
Les chevaux constituent un souci cons tant pour la municipalité. Il y a d’abord ceux qu’il faut réquisitionner pour une armée ui en demande et en redemande sans cesse. Au printemps de 1796, on en recense 300, et 10 sont réquisitionnés en vertu d’une loi sur la levée des chevaux, juments, mules et mulets ; certains pensent profiter de l’aubaine pour faire main basse sur un beau cheval hongre considéré comme « cheval de luxe », au profit du Directoire exécutif. Mais son propriétaire , le citoyen Eloy a préféré disparaître avec le cheval...Tout un chacun essaie en effet d’éviter par tous les moyens d’être privé de ses chevaux : on verse bien des indemnités, mais elles sont tellement faibles. Le citoyen Simonneau, tanneur et fils de son père qui en possède quatre, use de manœuvres dilatoires pour couper à la réquisition ; les non-cultivateurs sont tout particulièrement visés par ces mesures. Jean Harman, voiturier de son état, en fait la douloureuse expérience. Il a perdu ses trois bêtes réquisitionnées à Vendôme en l’an II ; comme il n’a touché aucune indemnité, il est ruiné et ne peut payer ses contributions de l’an I et de l’an II. En novembre 1797, on lui accorde généreusement un acompte égal à la somme de ses contributions.
Les chevaux de troupes de passages causent aussi bien des inquiétudes. Certains en effet sont malades et l’on craint toujours la contagion. En frimaire an IV, il faut nettoyer à fond les écuries de la caserne de gendarmerie, parce que des chevaux y sont morts dans des conditions suspectes ; on fait appel aux maréchaux pour qu’ils visitent les chevaux restants et détectent ceux qui sont contaminés. En nivôse même problème avec 80 chevaux de « l’armée de l’Ouest » : certains sont galeux ou attaqués par le farcin, tandis que d’autres ont la morve ; on les isole dans l’église Saint-Pierre transformée en écurie.
Prisons et prisonniers
Après Thermidor, les familles Picart, Bouraine et leurs domestiques, ainsi que des parents d’émigrés, emprisonnés au rez-de-chaussée de la Congrégation, changent de lieu de détention car l’ancien couvent est entièrement réquisitionné comme magasin de subsistances. Les autorités ne trouvent pas d’autre solution que de transférer la prison dans la maison de Picart père ! Lorsqu’il apprend la nouvelle, l’ancien lieutenant général demande qu’on lui laisse au moins la jouissance de ses meubles et tapisseries et l’usage du jardin pour prendre l’air, ce qui lui est refusé. Cette curieuse situation de résidence surveillée ne dure que quelques mois, Picart et ses co-détenus sont libérés au début de l’an III et la maison, remise en ordre, est rendue à son légitime propriétaire.
Pour les détenus de droit commun dont le nombre fluctue de 15 à 30 pendant toute la période du Directoire, les conditions de détention sont rendues délicates par l’état lamentable des locaux, l’incurie de l’administration pénitentiaire et les difficultés alimentaires. En ces temps de pénurie, la ville a du mal à se procurer les grains nécessaires à l’alimentation de la population carcérale ; les soldat sont prioritaires sur les civils, surtout s’ils sont prisonniers. Les boulangers qui craignent de ne pas être payés par l’administration rechignent à cuire le pain des prisons. Le citoyen Voillard, chargé de la surveillance, avance sur ses propres deniers la paille et les chandelles nécessaires aux détenus ; au bout de deux ans et demi, excédé, il en demande le remboursement à l’administration ainsi que son traitement qui n’a pas été versé depuis cinq mois, soit 250 F.
Pour améliorer l’ordinaire, des prisonniers acceptent contre une double ration de travailler à la réparation de la maison d’arrêt. L’incendie d e la prison, dix ans auparavant, et les aménagements pour la faire communiquer avec le tribunal rendent cet établissement peu étanche. En mars 1796, le concierge Voillard doit mettre aux fers deux criminels évadés. Les murs sont élevés et garnis de tessons de bouteille. L’ouvrage est sans cesse repris, les travaux commandés en octobre 1792 ne sont achevés qu’en juillet 1797, la qualité en et si médiocre qu’on doit les reprendre deux ans plus tard. Il faut à la décharge de l’entrepreneur qu’il a été ruiné par les retards de paiements de l’administration pénitentiaire.
Timide réapparition de la Garde nationale
La garde nationale qui, pendant la Terreur était restée dans l’ombre, reprend du service. Malgré des réorganisations constantes elle se fait remarquer, comme à son habitude, par des manquements répétés à la discipline. Dans la nuit du 26 au 27 nivôse an V par exemple, on constate que le poste de garde de la maison commune est désert. Quant ils ne sont pas absents, les gardes nationaux se font remplacer par des sexagénaires. Les fils Hamouy et Pommeret non seulement ne font pas leur service, mais ils se livrent à des plaisanteries inciviques qui leur valent d’être cités devant le juge de paix. Pendant l’été 1796, les autorités épurent la garde en éliminant les citoyens peu fortunés – journaliers, artisans – et dispensent du service certains fonctionnaires, instituteurs et receveurs des domaines nationaux. Les patrouilles de nuit n’empêchent pas l’insécurité. Durant le printemps 1796, des vols ont lieu chaque nuit. Le citoyen Riquois est assassiné… Un bois propice aux réunions de malfaiteurs (près de l’actuelle gare Saint-Martin) doit être visité la nuit par des gardes du poste de la barrière du midi. Pour plus de sûreté la gendarmerie y patrouille aussi. C’est l’époque où la bande d’Orgères terrorise les campagnes beauceronnes.
Les contributions et les percepteurs
En août 1794, comme l’impôt rentre mal , on prend la décision de ne délivrer des certificats de civisme et de passeports qu’aux seuls citoyens à jour de leur contribution. Deux mois plus tard, l’instituteur Brou démissionne du Conseil général pour se consacrer à la perception des contributions dont il devient adjudicataire pendant 5 ans. La confusion est totale : il reste 23 651 livres à recouvrer pour 1791 et 1792. l’existence de plusieurs caisses, qui viennent seulement d’être réunies, ne facilite pas l’apurement des compte. Brou n’a finalement pas plus de succès que ses prédécesseurs ; omme il s’est porté acquéreur de la maison des Barnabites convoitée par la municipalité, on le soupçonne de détournement de fonds ; ses comptes sont disséqués par le chirurgien Filleau, administrateur municipal. Cette affaire empoisonne les relations entre les responsables étampois jusqu’au Consulat et explique bien des rivalités personnelles. Quant à Gudin, receveur municipal, il est bien incapable de rendre ses comptes. Menacé d’une amende de 10 000 livres en justice de paix, il finit par obtenir une promotion et abandonne purement et simplement ses fonctions.
La police des marchés, des rues et des campagnes
La municipalité compense son manque de prise sur les évènements par une volonté désordonnée de tout contrôler qui confine parfois à l’impuissance. Pendant la crise de subsistance de l’an III le marché au blé est fixé « l’équivalent des mercredis et samedis » place Saint-Gilles ; La commune qui est prioritaire achète à midi ; à une heure, c’est le tour des boulangers, ensuite celui des marchands. Jusqu’à trois heures il est interdit d’enlever les grains à l’aide de chevaux et de voiture. Quatre représentants de la municipalité sont sur place pour requérir la gendarmerie en cas de besoin. Les expositions de droits communs au pilori perturbent le marché. Le Conseil propose de les transférer hors de la place.
La crise passée, on revient au calendrier républicain en fixant les jours de marchés aux quartidi et nonidi, ce que les paysans ont du mal à admettre. Même le marché aux cerises place Notre-Dame est réglementé et la vente fixée à trois heures. En 1797, seule la vente des comestible est au impraticable
Les rues sont encombrées de gravats et d’immondices. Les terres rejetées par l’atelier du salpêtre encombrent les abords de Saint-Basile ; elles sont transportées au Port par des journaliers pour élever le niveau de la promenade. La rue des Marionnettes rendue impraticable par les riverains qui y déposent des gravats finie par être murée et privatisée de fait. Pendant quatre ans, à partir de l’été 1796, l’ingénieur Brice est fort occupé à vérifier les alignements ; en effet, les demandes de construction (souvent des ouvertures de portes et fenêtres) ne cessent pas. Ces travaux sont à peine ralentis par l’impôt sur les portes et fenêtre de novembre 1798. A l’époque où les caisses publiques sont vides, il faut penser que les poches de certains particuliers sont pleines et non pas de papier-monnaie, car les ouvriers et les entrepreneurs travaillent pour du numéraire. Si les Etampois ont les moyens d’embellir leurs maisons, la municipalité n’a toujours pas réussi à assurer l’éclairage des rues , le problème ne sera réglé que sous l’Empire. Durant l’été de l’an IV à cause des fortes chaleurs, on interrompt les travaux de destruction de l’église Sainte-Croix ; le sous-sol de l’église renferme de nombreux cercueils de plâtre dont les corps ne sont pas complètement décomposés. La puanteur devient intolérable et l’on craint les épidémies.
Le contrôle des personnes et des biens demeure une préoccupation constante ; souvent tatillon il s’exerce aussi bien sur les Etampois que sur les voyageurs. Les postes de garde vérifient les passeports : après neuf heures, toute personne qui entre en ville, même s’il s’agit d’un glaneur est conduite à la maison d’arrêt. Mais les arrêtés municipaux ont peu de prise sur les habitudes agraires ; les paysans malgré l’interdiction utilisent toujours l’ancien calendrier pour fixer les dates des baux des fermages et des louées de moissonneurs. L’administration se méfie plus particulièrement des chasseurs dont les rassemblements lui paraissent séditieux et n’autorise qu’avec parcimonie la vente de « poudre à giboyer ». La surveillance s’étend aussi au terroir proche de la ville ; des mesures sont prises selon les besoins du calendrier agricole. En prairial les foins et les regains de la commune sont mis en vente. En messidor on procède à des arpentages car les propriétaires ont tendance à empiéter sur les sentes communales. En brumaire on réglemente le ramassage du bois mort et on fait savoir aux bouchers qu’ils ne doivent pas faire pâturer leurs bêtes n’importe où. En ventôse il faut désenneiger le chemin de Dourdan au dessous du château de Guinette.
La crise monétaire de 1795-1796
Après la chute de Robespierre, l’abandon progressif du contrôle monétaire et la fin du Maximum entraînent une flambée des prix et la chute du cours de l’assignat. En novembre 1795, le billet de 100 livres à perdu 99 % de sa valeur. 34 milliards d’assignats sont en circulation, si bien que le 19 février 1796 le Directoire détruit publiquement la planche à billets. Un nouveau papier-monnaie, le mandat territorial est créé, gagé sur les biens nationaux non encore vendus. C’est un échec total ; en un mois il a perdu toute sa valeur. La perception de l’emprunt forcé destiné à éponger une partie des assignats en circulation suscite des protestation. l’administration municipale représentant les intérêts des notables, fait observer que les fortunes ont beaucoup bougé depuis 1790 et qu’il faudrait en tenir compte. Pour compenser une partie de l’érosion monétaire le département surimpose les meuniers et les agriculteurs, ainsi que les acquéreurs de biens nationaux de troisième et quatrième mutation.
Se repérer dans ce paysage monétaire mouvant où se mêlent, livres, francs, mandat et assignats n’est pas chose facile. La pièce d’un franc (4,5 d’argent) devient à partir de 1795 la seule référence table.
Pendant l’été 1796, la municipalité ne dispose plus de fonds pour payer les employés. Ceux-ci reçoivent un acompte sur les farines confisquées. Au cours de l’hiver 1796 les ouvriers n’acceptent d’être payés qu’en numéraire. Du coup, la commune, faute de 2 000 livres, renonce à faire en clore d’un mur le cimetière de la Vallée Colin. Pour les mêmes raisons les mêmes raisons la municipalité est assaillie de demandes de dégrèvement de patentes et de contributions. Le retard de perception des impôts et l’inflation font que les caisses de la commune sont presque vides et les comptes particulièrement flous.
Les moulins
Le problème est relativement simple : un moulin rapporte et rapporte même beaucoup, mais la force motrice dépend de la puissance du courant, variable selon la pente. Si la pente est faible, et c’est le cas à Etampes, il existe deux moyens de l’augmenter ou d’augmenter la chute. En amont on élève l’eau grâce à une vanne et on aval on « fouille » la rivière sur une assez grande longueur pour baisser le niveau. Ces deux systèmes ont un gros défaut, s’ils sont pratiqués avec excès : ils inondent en amont et ils assèchent en aval. De plus, augmenter la pente de son propre moulin revient à diminuer celle du moulin aval et du moulin amont. c’est ce qu’on appelle « se voler l’eau », une pratique à laquelle les meuniers excellent. Ce sont d’éternelles contestations où les précipitations, la sécheresse, les mauvais calculs et la mauvaise foi viennent à mettre leur grain de sel. Prenons des exemples :
La hausse du portereau de Vauroux commande les niveaux de l’eau de la Juine qui alimente le moulin de Saint-Pierre. Déjà, dans les années 1780, le moulin de Saint-Pierre, propriété du futur émigré Valory (château du Boug neuf), se faisait remarquer. Devenu propriété du Citoyen Béchu, ce moulin continue à faire des siennes. En fructidor an II les prés sont inondés : ce qui fait craindre pour les regains. On répare et on cure la rivière ; en vain, le 15 vendémiaire cela recommence. Pendant 2 ans il y a un répit, mais fructidor an IV les habitants d’Ormoy sont inondés, alors qu’à Saint-Pierre on manque d’eau. La rivière est à nouveau curée et Béchu doit remettre le portereau en état, conformémrnt aux instructions de juin 1792.
Le 30 floréal an V Béchu doit payer les réparations du portereau de Vauroux . En thermidor an VI, le département autorise la municipalité à refaire le déversoir de Vauroux aux frais, pour moitié de Béchu, pour moitié des riverains. Le 25 ceux-ci dénoncent Béchu qui n’a pas respecté les normes. Les travaux sont refaits et terminés le 27 floréal. Mais le 5 prairial on met à sec la rivière forcée (d’où détournement dans la rivière des Prés) et l’on enlève la hausse du portereau de Vauroux, car Gérome au moulin du port n’a plus d’eau. Le lendemain, il faut d’urgence reposer la hausse sinon l’apport d’eau ajouté au gonflement de la rivière des Prés provoquera l’inondation du Perray… Un peu plus tard, le citoyen Magnon refuse obstinément de payer le quart des travaux du portereau de Vauroux sous le prétexte pas si mal fondé que son moulin (à Morigny) n’en profite que faiblement. Le 25 messidor, enfin on pose une hausse de 5 pouces à Vauroux. Narquois, insensible aux changements politiques et aux desseins des hommes le portereau de Vauroux, comme éternel, continuera ses fantaisies durant le Consulat, l’Empire et la Restauration. Quelle permanence !
Le moulin de Gérome – celui d’Innocent Gérome ou Gérome aîné – au Port, est une usine dont l’histoire est fort instructive. D’abord Gérome a construit sans autorisation ; on la lui aurait peut-être refusée, mais il est tout aussi possible que las d’attendre, Gérome ait passé outre en 1791. Il n’a pas eu tort : condamné à détruire son moulin, ce dernier est toujours là. Pour accéder au moulin de façon pratique il a un peu construit le chemin sur le terrain communal, mais si peu...Certes, il y avait des bornes pour limiter le terrain, et d’autres pour contrôler le niveau de l’eau. Elles ont disparu depuis les travaux, mais que voulez-vous elles devaient gêner et puis les ouvriers sont parfois maladroits… Gérome ajoute à ces quelques détails la particularité de manquer parfois d’eau pour son moulin. Il choisit en définitive d’améliorer la pente en remblayant le lit de la rivière. Mais l’inondation le dénonce si vite qu’il doit arrêter aussitôt le 7 fructidor an IV. Il renonce, demande à louer des portions du Port à des conditions avantageuses pour la ville, prête son cheval et son tombereau, fait niveler à ses frais pour montrer sa bonne volonté et les poursuites s’arrêtent. Vraiment pourquoi chagriner un si brave homme ? Mais un meunier est une variété d’’homme obstiné : ce que Gérome n’obtient pas en amont, il le cherche en aval. Le 5 floréal an VI Gérome fait fouiller si intensément qu’il assèche le marais.
Le citoyen Berchère, la veuve Gérome, la veuve Aubin et son fils, le citoyen Lepaix et leurs moulins auraient des histoires out aussi édifiantes à nous conter.
Pour finir voyons les tanneurs triompher de la régie des domaines nationaux et des soumissionnaires. Le citoyen Pailhès soumissionne le moulin à tan comme bien national le 7 fructidor an IV. Les tanneurs ripostent immédiatement et envoient une pétition aux présidents du Directoire, les deux Conseils, aux ministres des Finances, de la Guerre, de l’Intérieur, et au département. Il est vrai qu’ils ont des arguments. On leur a donné le moulin à tan il y a des siècles ; ils possèdent un reçu du receveur des domaines de 1361 qui en témoigne, de nombreuses pièces des XVIe et XVIIe siècles. Ils peuvent démontrer que le moulin a brûlé il y a 40 ans et qu’ils l’ont reconstruit à leurs frais. La régie s’inclinera.
La vie intellectuelle et l’instruction publique
Au printemps de l’an IV, Boivin Chevalier doit prendre des renseignements sur les talents, les mœurs et le patriotisme des citoyens et citoyennes voués à l’éducation dans la commune. Il fait aussi un rapport sur le jardin et le local qu’il faudrait attribuer à chacun d’entre eux. L’administration écrit au département pour savoir si les maisons nationales qui sont louées pourront faire l’affaire à l’expiration des baux. C’est que les événements politiques ont complètement désorganisé le système éducatif. Les Barnabites n’enseignent plus et à plusieurs reprises la municipalité évoque le problème d’une école intermédiaire. Le 21 ventôse an VI les livres de chirurgie, médecine et pharmacie déposés à la maison commune sont donnés à l’hospice où de jeunes élèves apprennent ces différents arts. N’oublions pas qu’à cette époque sont créés la Bibliothèque et le Musée (à partir du fonds constitués par des biens d’émigrés). Ces créations semblent aller au-delà du souci de conserver à la commune des biens nationaux.
Il existait, en effet, depuis le début du siècle, une élite intellectuelle à Etampes. En faisait partie la grand-père de Guettard, Descurain, le médecin Pichonnat, le curé Lemaitre, ou encore l’apothicaire de Dourdan Mayol. Guettard, dans la seconde moitié du siècle, en représente le plus beau fleuron. Il eut Lavoisier pour collaborateur ; il a découvert l’absorption de l’eau par les racines des plantes, et ses travaux minéralogiques et géologiques avaient parfois trois quarts de siècles d’avance sur son temps. L’agronome Tessier d’Angerville était familier de cette société cultivée étampoise qui perd Boncerf en 1792. Comme par une sorte de phénomène de compensation Etienne Geoffroy Saint-Hilaire en 1795 est nommé professeur au Muséum national d’Histoire naturelle. Tessier, ami de son père, lui signale la présence d’un jeune talent en Normandie : il s’agit de Cuvier. Ce dernier est appelé presqu’aussitôt à Paris. Enfin, un chanoine du chapitre de Sainte-Croix, frère du géologue, pamphlétaire, « diplomate », et archiviste Jean-Louis Soulavie est un distingué géographe. Tous ces Etampois, fiers de leurs connaissances sont de dignes représentants du « siècle des Lumières ».
Des inoculations ont lieu à Etampes à la fin du siècle et c’est en mai 1801 que se déroule la première séance quasi systématique de vaccination contre la variole. En dehors des savants reconnus il existe un monde d’apothicaires, de chirurgiens, d’hommes cultivés qui signalent leurs observations curieuses aux précédents, les secondent parfois dans leurs recherches. Guettard publie à plusieurs reprises des faits curieux observés par ces « amateurs » étampois. Pour ces hommes l’amélioration de la condition humaine passe nécessairement par l’éducation. Malgré des sensibilités politiques probablement différentes (comme à Paris) ce n’est pas dans leurs rangs que se recrutent les émigrés de la première vague.
Quel bilan, quelles interprétations ?
Arrivé à la veille du 18 Brumaire il faut bien conclure en essayant de trouver une raison logique à ces évènements parfois nés du nouveau contexte politico-économique, parfois inscrits dans la continuité. Le facteur déterminant semble être à la guerre, lointaine certes, mais qui, en mobilisant 750 000 hommes au moment de Fleurus (26 juin 1794) désorganise l ‘économie parla masse des réquisitions . Seize mois plus tard il y a moins de 500 000 hommes aux armées, 326 000 en l’an VI. Ce fardeau décroissant soulage d’autant l’économie de la République. L’atelier du salpêtre disparaît, puis les différents magasins. Début 1797 la nouvelle administration réduit le nombre des employés municipaux ; quoique ramenée à 5 administrateurs, elle ne délègue plus ses pouvoirs à des commissaires. Seuls, des experts son nommés (des horlogers, des entrepreneurs comme B.Pommeret, très certainement honnête ou Cancalon qui l’est moins, des répartiteurs des contributions). Ce changement s’accompagne d’un renouvellement partiel des hommes ; la politique n’y est pas étrangère : en 1796, on se méfie des membres de la Société populaire dans la municipalité Hochereau ; on voit alors réapparaître des hommes connus, d’anciens « Jacobins » en particulier tels Nasson, Gamet, Raguideau qui ont eu des responsabilités au District ; Boisson est un ancien commissaire des guerres ; et à chaque destitution Clartan revient à la municipalité. Mais ce renouvellement n’a pas que des causes politiques. Beaucoup refusent de s’engager et laissent de fait le champ libre aux hommes disponibles que les responsabilités n’ont pas usés.
Quelques-uns ont profité de la situation dès que l’ombre sinistre de l’échafaud a cessé de se dessiner à l’horizon. Cancalon, Pailhès, Duverger et dans une certaine mesure Brou (sa situation n’est pas claire), ont profité de l’achat de biens nationaux. Dans certains cas ce fut un mauvais calcul (Pailhès). Mais ce sont là de petits profiteurs alors que l’affaire Gernin nous mêle un instant à des entreprises certainement plus importantes et dont les organisateurs se trouvent dans les bureaux du ministère, proches du pouvoir. Le danger extérieur passé, la dictature sanglante mais égalitaire est tombée. Les appétits se sont réveillés et les ambitions que ne freinaient plus « la peur du rasoir national » ont pu se donner libre cours au mépris de la devise républicaine. Que pense le voiturier Harman de tout cela ? Quelle considération peut nourrir le citoyen Eloy pour ceux qui tentent de lui « voler » son cheval de luxe ? Enfin le citoyen Vigriau « en activité dans les armées de la République » doit apprécier modérément la situation lorsqu’il apprend qu’Angot empiète sur ses terrains au voisinage de Sainte-Croix. Le « laisser faire, laisser aller » du Directoire est peut-être beaucoup moins sanglant que l’époque de la Terreur (qui n’a pas fait de victime à Etampes), mais il n’en bafoue pas moins les concepts de Liberté et d’Egalité. Dans l’armée des fonctionnaires payés pour faire marcher la machine républicaine, il devait bien se compter quelques petits malins prêts à favoriser les entreprises les plus frauduleuses. La connaissance des affaires par les élus et les administrateurs permettait ces délits qui concouraient à désorganiser la République tout en permettant des enrichissements aussi rapides que criminels. Mais l’État ne donnait-il pas l’exemple en garantissant ses emprunts sur le pillage des pays conquis ? Dans ces conditions ne peut-on pas voir dans les réquisitoires de Gamet la réaction écœurée d’un homme qui aurait bien aimé croire encore à quelque chose ? Cela expliquerait la désinvolture avec laquelle certains ont pu servir la République de la Terreur à Brumaire ; il est même d’étonnantes permanences jusqu’au Consulat, l’Empire, voire la Restauration. Quand on s’est parjuré une fois pourquoi s’arrêter ?
Adresse aux consuls de la République du 29 frimaire An VIII
« LIBERTE EGALITE
Etampes le 29 frimaire an 8 de la République française une et indivisible,
- les Administrateurs municipaux de la commune d’Etampes, chef-lieu de Canton, Département de Seine et Oise,
- aux Citoyens Consuls de la République
Citoyens,
L’Administration municipale et les habitants d’Etampes au nom desquels nous avons l’honneur de vous adresser la présente, ont vu avec admiration les évènements des journées mémorables des 18 et 19 Brumaire, et ils ont été pénétrés de vénération et de reconnaissance envers les hommes célèbres qui en sont les coopérateurs, et envers le bras de l’Italie et de l’Egypte, qui a été l’appui d’un changement devenu nécessaire.
Ils sont également vu avec la plus grande satisfaction, paraître presque simultanément une constitution évidemment fondée sur des principes conservateurs de l’ordre social , d’une juste représentation du peuple de l’égalité, de la liberté, et sous l’égide de laquelle les personnes et les propriétés seront respectées
Enfin quand ils voient à la tête du gouvernement trois citoyens illustres par leurs actions, leurs lumières, leur sagacité et leur esprit pacificateur, Ils s’écrient Oh !! Nous touchons à une paix générale intérieure et extérieure... »
Puis vient un long panégyrique de la ville d’Etampes destiné à démontrer combien un tribunal civil est indispensable dans la commune.
Ont signé le vertueux républicain Gamet, Chevalier, Petit, Duché et Péteil.
Rappelons pour mémoire que Duché, membre de la municipalité rénovée a déjà signé l’adresse à la Convention de Thermidor an II.
Pour faire bon poids l’administration envoie une lettre au Consul Lebrun pour lui demander d’appuyer cette démarche en tant qu‘ancien élu de Seine et Oise. Un dernier constat s’impose : la plupart des hommes qui ont exercé le pouvoir localement ont cherché à agir au mieux de l’intérêt de leurs concitoyens. Leur tâche n’était pas facile, car la municipalité était prise de façon permanente entre le souci de défendre les administrés et les demandes pressantes de l’autorité supérieure. Cette situation devait être assez embarrassante pour les quelques dizaines de citoyens susceptibles de maintenir le pouvoir local et désireux de le faire.
SOURCES
Archives municipales d’Etampes
Registres de délibérations municipales d’Etampes
tome 12 (15 mai 1792- 12 mai 1793), 1D12
tome 13 (13 mai 1793- 31 décembre 1794), 1D13
tome 14 (11 nivôse an III- 30 frimaire an IV), 1D14
tome 15 (8 nivôse an V- 5 fructidor an VIII), ID 15
tome 16 (11 fructidor an VIII- 26 juin 1807), ID 16
tome 17 (1er mai 1807- 5 août 1814), 1D17
FLG 14. Anonyme, Mémoire pour MM. Laperche et consort, contre MM. Sédillot et consorts (affaire du portereau de Vauroux et du moulin de Gérofosse), 1833.
BIBLIOGRAPHIE
BRUGUIERE Michel, article « Assignats » p. 462-472 in Furet F. et Ozouf M., Dictionnaire critique de la Révolution française, Paris 1988.
FORTEAU Charles, Le collège Geoffroy Saint-Hilaire à Etampes ; Etampes 1910.
GEOFFROY Isidore, Vie, travaux et doctrine scientifique d’Etienne Geoffroy Saint-Hilaire, Paris 1848.
PINSON Paul, La réaction à Etampes sous le Directoire, un cercle contre-révolutionnaire sous le nom de Comité de Saint-Basile (1797-1799) Paris 1903, 34 p.
Pour conclure
Le bicentenaire de la Révolution a été pour nous l’occasion d’éclairer une période mal connue de l’Histoire d’Etampes. Une période qu’il faut prendre comme un tout. Dix années riches en évènements, pendant lesquelles les choses se firent et se défirent, pendant lesquelles les hommes et les femmes furent tour à tour saisis par l’espérance, la déception ou la peur.
En écrivant ce récit de la Révolution à Etampes, nous n’avons pas voulu faire une histoire savante, une histoire pour spécialistes : ce qui aurait lassé sans distraire. Nous avons souhaité reconstituer la trame d’une histoire au fil des jours, en nous gardant de tomber dans l’anecdotique : ce qui aurait escamoté les enjeux sociaux et politiques.
Etampes n’a pas traversé la Révolution sans encombre, même si le comportement de ses habitants a été plutôt modéré. Après avoir appelé de leurs vœux la venue des temps nouveaux, les élites étampoises s’effrayent du tour pris par les événements. La fuite du roi au printemps 1791 entraîne à Etampes une crise morale dont les conséquences politiques à long terme sont considérables. On ne se reconnaît plus dans les changements qui interviennent alors. A l’engagement des deux premières années, succède un attentisme prudent, puis une sorte de résignation.
La question des subsistances ne cesse de peser sur la ville pendant la plus grande partie de la période : le pain est au centre même du débat politique. Le traumatisme qu’est pour la ville la mort de Simonneau en 1792 renforce l’attitude de modération des Etampois et explique qu’un l’an II, la revendication sociale reste prudente ; d’autant plus que les éléments potentiellement les plus contestataires, les jeunes en particulier, sont rapidement évincés de la scène politique locale par l’enrôlement aux armées. L’engagement enfin d’une large fraction de la bourgeoisie locale dans les structures révolutionnaires – municipalité, district, société populaire – désamorce les velléités d’expression avancée autonome.
Mais la raison essentielle de cette passivité étampoise est ailleurs : elle est dans la dépendance étroite de la ville à l’égard de Paris. Durant la terrible période de crise politique et militaire de l’an II, la capitale a trop besoin des ressources du grand marché beauceron pour s’autoriser une faiblesse, pour tolérer que la ville manifeste une quelconque velléité d’indépendance. Plus que jamais, Etampes est une ville sous surveillance.
Lorsqu’un monarque disait la loi à Paris ou à Versailles, Etampes était « Ville royale » avec tout ce que cela comporte de relations privilégiées. N’ayant ni les moyens, ni la volonté de rompre les liens traditionnels qui l’unissaient à la capitale, elle devient une ville révolutionnaire et républicaine, lorsque la Révolution et la République triomphent à Paris. Elle deviendra bonapartiste, puis à nouveau royaliste selon le cours de l’Histoire au début du XIXème siècle. Etampes a toujours été une ville de légitimité.
Etampes n’est pourtant pas en marge de l’Histoire pendant la Révolution ; elle en a même été au cœur avec l’affaire Simonneau, puisque l’évènement est devenu un enjeu politique majeur. Mais tout cela s’est fait malgré elle. Dans le temps où la Révolution fait vaciller les trônes et suscite l’enthousiasme des peuples d’Europe, Etampes suit le mouvement plus qu’elle ne le crée.
Quel bilan tirer de cette décennie révolutionnaire ? La ville n’y a rien gagné, au contraire. A la veille de la Révolution, elle aspirait à devenir le siège d’une circonscription administrative, et en 1789, elle défendit l’idée d’un « département d’Etampes ». Ce fut un échec. Sans doute parce qu’elle n’était pas de taille à se mesurer à Versailles, qui devint le chef-lieu de l’énorme département de Seine-et-Oise ; mais aussi parce que la ville n’avait pas alors de personnalité de premier plan capable de défendre ses intérêts. Cette carence du politique est d’ailleurs une des constantes de l’histoire d’Etampes. Non seulement l’espérance ne se réalisa pas, mais la ville perdit même ce qu’on lui avait concédé pendant un temps : le siège de la circonscription intermédiaire qu’était le district. Et, en 1799, elle n’était plus que chef-lieu de canton... C’est Napoléon qui en fera une sous-préfecture.
Mais la révolution, ce sont aussi les hommes. Bien entendu, tout le monde n’a pas vécu ces dix années de la même manière. Il y a ceux qui, parce qu’ils étaient argentés ou disposaient de solides appuis dans les structures du pouvoir purent faire main basse en toute impunité sur des biens nationaux acquis à vil prix ; il y a ceux qui spéculèrent sur les grains, soumissionnèrent de fructueux marchés, et profitèrent à des titres divers de la situation. Il y a ceux enfin qui étaient pauvres et qui le restèrent. D’un côté, le conservatisme social, et, après Brumaire, le réconfort de l’ordre retrouvé ; de l’autre, la bouche amère, les rêves déçus...
Alors, une Révolution pour rien ? Ce n’est pas si simple. Qu’on y songe : en quelques dix années, ces hommes et ces femmes ont tout vécu, tout expérimenté : les diverses formes de pouvoir, les incertitudes d’une Révolution qui se cherche. Des hommes et des femmes partagés, au milieu d’événements que bien souvent ils ne maîtrisent pas. La peur de la nouveauté, de l’inconnu. Et aussi, tout à la fois, l’espérance d’un monde neuf, de justice et de fraternité, dans lequel chacun serait libre de penser, de dire et de faire. Plus que les évènements eux-mêmes, ce sont ces anticipations sur les rapports humains, sur les relations entre l’individu et la société, qui font de la Révolution un vivier inépuisable.
Nous ne sommes pas restés insensibles à la destinée de ces « hommes quelconques » vivant à Etampes la grande épopée tragique de la Révolution. Certains de ces" inconnus de l’Histoire " font maintenant partie de notre univers. Derrière les gros registres et les liasses d’archives, nous avons partagé leur vie quotidienne découvrant leur générosité ou leur petitesse. Notre plus belle récompense serait de vous avoir fait partager ce plaisir.
Biographies
Ces notices veulent attirer l’attention sur un certain nombre d’acteurs de la période révolutionnaire à Etampes. Elles n’ont rien d’exhaustif.
BOULLEMIER Claude-Julien
Prêtre sous l’ancien régime, maire d’Etampes en 1791, Boullemier fait partie de ces hommes qui, loin d’avoir eu un destin hors-série, ont joué au plan local un rôle non négligeable dans le tourbillon de la Révolution.
Né à Etampes le 7 novembre 1742, il est destiné par ses parents à la carrière ecclésiastique : ordonné prêtre, il devient d’abord vicaire de Saint-Martin en 1766, puis de Saint-Basile, et enfin chanoine de Notre-Dame en 1771. Homme cultivé, il adhère dès 1789 aux idées nouvelles et prend une part active à la vie publique de la commune. Il n’est donc pas étonnant qu’il soit à Etampes le deuxième homme d’Eglise à prêter le serment exigé par la Constitution civile du clergé. Mais cet engagement en faveur d’un régime qui abolit les prérogatives du clergé lui vaut quelques griefs de la part de ses anciens collègues. Ainsi en décembre, il doit subir à deux reprises les affronts publics du chanoine Véraquin.
Très dévoué à la cause publique, il est élu maire à une large majorité, le 29 mai 1791, après la démission de Thomas Petit du Coudray ; mais l’élection n’est pas validée par le procureur de la commune et il s’ensuit un conflit juridique ; Boullemier n’en exerce pas moins les fonctions de maire avec sérieux et zèle pendant quatre mois.
Esprit modéré, Boullemier sait faire preuve à l’occasion de grand sang-froid et contribuera à rétablir une situation difficile. Lors des journées de septembre 1791, en particulier, il réussit à sauver la vie de deux représentants du District en fâcheuse posture. Mais pour l’ancien chanoine, un rêve alors se brise : La réalité ne correspond plus à la conception qu’il se fait de l’exercice du pouvoir, il démissionne le 4 octobre. Emportant sa désillusion dans sa retraite, il ne réapparaîtra qu’à de rares exceptions. Ainsi le 15 novembre 1793, quand Couturier célèbre son mariage ; ou encore le 8 prairial an III, lorsqu’il est inscrit sur la liste des terroristes à désarmer. Il meurt le 13 mars 1797.
BROU Jean-Baptiste
Instituteur, le citoyen Brou enseignait entre autres choses, la comptabilité. En 1794, il met ses compétences au service de la ville, de la nation et peut-être aussi à son profit, en devenant percepteur des deniers publics. En 1796, il achète la maison des Barnabites aménagée pour l’enseignement. C’est pour lui une aubaine, même s’il n’a pas pu acquérir au passage le couvent où s’est installée la municipalité ; celle-ci, d’ailleurs, l’accuse d’avoir financé son achat en puisant dans les caisses publiques ! En 1799, la tension est à son comble, et ce d’autant plus que Gamet, l’encombrant commissaire du Directoire exécutif a pris parti pour Brou. La municipalité croit avoir enfin trouvé le moyen de neutraliser les deux compères : Brou a perçu plus que les sommes inscrites sur les rôles des contributions ; des quittances signées de sa main l’attestent. Il est mis en état d’arrestation ; mais quelques mois plus tard, Gamet fait destituer la municipalité...Les comptes de Brou sont apurés et il apparaît qu’il n’y a eu ni détournement, ni « trop perçu ». Que faut-il penser ?
Le statut du couvent des Barnabites demeure indécis jusqu’en 1806. Cette année-là, le préfet suggère à la municipalité d’y installer l’école intermédiaire municipale : ce qui est fait. Delanoue, ci-devant curé d Méréville, marié par Couturier, ancien fonctionnaire du District, et devenu le meilleur instituteur en prend alors la direction.
CLARTAN Armand
D’origine suisse, ce futur maire d’Etampes est déjà relativement âgé en 1789. Démocrate, il semble avoir été peiné par le renvoi de son compatriote Necker. Ancien officier de la garde de Monsieur, frère du roi, il devient officier de la garde nationale à Etampes, où il s’est marié. C’est le point de départ d’une carrière politique locale au service de la ville et de la Nation.
Clartan est rapidement élu au Conseil général et, en 1793, Couturier en fait le maire de la municipalité régénérée. Le bataillon d’Etampes hésite-il à partir pour Tréguier ? Clartan, se saisissant d’un drapeau montre l’exemple aux jeunes conscrits et ouvre la marche. Au printemps 1794, il est arrêté pour une sombre histoire de fusil, dont Constance Boyard n’est peut-être pas tout à fait innocent. A cette occasion, la ville fait corps avec son maire incarcéré à la Conciergerie. Innocenté, il est escorté solennellement par le Conseil général et les Etampois jusqu’à la maison commune, où il reprend ses fonctions. Ce jour-là, sur le registre municipal, le paraphe du maire est encore plus tremblé qu’à l’ordinaire : Faut-il y voir le signe de son émotion ?
Clartan reste maire jusqu’en 1795 : Mais le Directoire fera encore appel à lui après chaque destitution. Voici un Etampois d’adoption dévoué à sa ville, qui a assumé pleinement le pouvoir local aux heures les plus dramatiques, avec un courage tranquille et une compétence certaine. Aujourd’hui, aucune rue, aucune place ne rappelle même son souvenir.
CONSTANCE BOYARD Sulpice-Charles
La classe politique étampoise fut dans son ensemble plutôt modérée pendant la Révolution. Il est cependant un personnage qui se signala par ses comportements extrêmes : Il s’agit de Constance Boyard.
Agé d’une quarantaine d’années en 1789, l’homme est fripier-tapissier rue Basse-de-la-Foulerie, au quartier Saint-Gilles. D’emblée la Révolution est pour lui le moyen de satisfaire sa soif de notoriété. En novembre 1790, grâce à ses nombreux partisans de Saint-Gilles, il réussit à devenir notable ; mais l’élection n’est pas du goût de tout le monde au Conseil général, car on connaît le caractère chicanier du fripier. Jouant sur le faible empressement des Etampois à assumer les tâches municipales, il réussit à se faire nommer premier notable, puis en juin 1791, officier municipal.
Le personnage est instable, et totalement incompétent ; comme en témoigne son comportement lors de l’affaire de la « section de la Marnière », où il se montre incapable d’établir l’assiette de l’impôt. A la fin de 1791, alors qu’il n’y a pas de maire à Etampes, il devient par le jeu de l’ancienneté premier officier municipal, c’est-à-dire qu’il fait fonction de maire... Mais en novembre, c’est Simonneau qui est élu maire... D’où la hargne de Constance Boyard contre lui. Après la mort de Simonneau, furieux d’avoir été évincé à nouveau au profit de Sibillon, il ne cesse d’attaquer la municipalité ; mais au District comme au Département, on sait à quoi s’en tenir à son sujet : « a donné les preuves les plus fortes de son caractère brouillon, colère, chicanier, pour ne pas dire plus ». Le manque de sérieux du personnage explique sans doute qu’il n’ait pas été retenu, quoique jacobin, par Couturier pour faire partie de la municipalité régénérée d’octobre 1793.
Dès lors, il ne lui reste plus que l’intrigue et les basses manœuvres ; multipliant les dénonciations, il gagne le surnom d’ « argousin », c’est-à-dire flic ; Mais comme il conserve des appuis, il arrive parfois à ses fins. Il est probablement à l’origine de la provocation qui, au printemps 1794, conduit le maire Clartan à la Conciergerie. Quelques jours après Thermidor, il clame, par dépit sans doute son soutien à l’Incorruptible... Désarmé comme terroriste sous la Convention thermidorienne, il quitte la scène politique étampoise. On perd sa trace après 1816.
COUTURIER Jean-Pierre
Le nom du représentant en mission Couturier est lié à Etampes et sa région à l’œuvre de « régénération » des institutions entreprises à l’automne 1793. Qui est cet homme ? Un lorrain, né en 1741 près de Saint-Avold. Homme de loi, il est ayu début de la Révolution lieutenant général civil et criminel au grand baillage royal de Bouzonville, dans l’actuel département de la Moselle (la rue des Cordeliers, à Etampes deviendra la rue de Bouzonville en octobre 1793). Révolutionnaire, il se fait élire à la Législative puis à la Convention, où il montre une grande activité. A la fin de 1792 et au début de 1793, on confie à Couturier plusieurs missions dans les départements de l’Est menacés par l’invasion ; il s’y préoccupe de la régénération des municipalités et prend des mesures exceptionnelles pour assurer la défense des frontières. Energique et patriote, il entre en rivalité avec l’alsacien Rühl et il est destitué.
Nous retrouvons Couturier adjoint à la commission des Dix chargée de surveiller la vente des effets de la liste civile - biens royaux – à Rambouillet, en septembre 1793. C’est alors qu’il est délégué pour opérer la « régénération » de Dourdan et d’Etampes. La mission en réalité est double : il s’agit d’une part de régénérer les institutions politiques locales immédiatement après l’insurrection fédéraliste de l’été 93, et d’autre part, d’assurer les réquisitions pour ravitailler les armées et redresser la situation militaire. Couturier fait alors preuve de ses qualités d’organisateur.
Les historiens ont fait à Couturier une très mauvaise réputation. : Il aurait forcé les prêtres à se marier, favorisé les actes de vandalisme et destitué autoritairement de nombreuses municipalités. En réalité, Couturier n’a nullement pris l’initiative d’une campagne antireligieuse à Etampes ; il a certes reçu solennellement l’abdication des prêtres et encouragé leur union, mais il n’a pas fait de zèle outrancier. Il a nommé une nouvelle municipalité, celle de Clartan mais il a répondu ici largement à un vœu général : l’ancien maire Sibillon était sans cesse en conflit avec son conseil municipal et Clartan jouissait d’une grande estime dans la population.
La « mission Couturier » a sans doute marqué les esprits parce qu’elle intervenait dans une période de rupture : rupture politique, avec la reconnaissance officielle du rôle de la société populaire dans la vie locale ; rupture mentale avec la saisie des objets religieux envoyés à la refonte et la fermeture des églises. Mais à Etampes, la « déchristianisation » n’a pas pris un tour violent et provocateur de mascarades anti religieuses.
DOLIVIER Pierre
Prêtre non conformiste d’origine auvergnate, Pierre Dolivier a déjà été suspendu de ses fonctions par ses supérieurs du diocèse de Clermont lorsqu’il devient curé de Mauchamps en 1784. L’homme constitue un bon exemple de ces curés « éclairés » par l’esprit nouveau du XVIIIème siècle, et, sans doute a-t-il lu Rousseau et l’Encyclopédie. Il est en tout cas profondément désireux de changer le cours des choses dans l’Eglise comme dans la société.
On n’a souvent retenu de Dolivier que l’annonce de son mariage avec son ancienne bonne Marie Chosson un beau jour d’octobre 1792, en chaire, devant ses paroissiens assemblés. C’est diminuer un personnage dont l’influence sur la région pendant la Révolution pendant la Révolution fut plus grande qu’on ne l’a dit. Bon connaisseur des paysans dont il a pu en Auvergne comme en Hurepoix mesurer les peines, c’est aussi un doctrinaire, qui publie de nombreux écrits, désireux qu’il est de communiquer aux autres ses idées sur les grandes questions du moment : les Etats généraux, les droits sociaux, le partage des grandes fermes, la circulation des grains. Lors de l’affaire Simonneau en mars 1792, il rédige et fait circuler la fameuse « Pétition des quarante citoyens » qu’il va présenter à la Législative. Il montre que ce n’est pas à un complot qu’il faut attribuer l’origine des troubles de marché, mais à la misère des plus démunis. Reprenant par la suite son analyse dans l’« Essai sur la justice primitive », il souligne que l’une des carences des législateurs est d’avoir maintenu le principe de la propriété de la terre. Après la chute de Robespierre, déçu sans doute par l’évolution de la situation, il devient professeur d’histoire à l’Ecole centrale (le lycée) de Versailles, où il enseigne jusqu’en 1805. On perd sa trace l’année suivante.
DUPRÉ Claude
Dupré n’est pas étampois ; il est né dans la Nièvre en 1752, et il s’établit à Etampes avant la Révolution ! Il y exerce alors tour à tour ou simultanément les fonctions d’huissier, de greffier de la Régie et de régisseur de biens. Un homme débordant d’activité. Un homme de mouvement aussi, influencé bien avant 1789 par les idées nouvelles : Ne s’était-il pas signalé à l’attention de ses supérieurs de la Régie en s’ingéniant à « différer les poursuites contre les redevables de l’impôt" ?
L’autonomie nouvelle de la municipalité passait par l’autonomie de son expression : en octobre 1790, Claude Dupré s’associe au libraire Gamet pour ouvrir dans l’ancienne auberge du « Bras d’or », face à la maison commune, la première imprimerie d’Etampes. Il est alors imprimeur officiel de la municipalité ; mais Dupré st un homme entreprenant ; il obtient, toujours avec l’appui de Gamet, le titre d’imprimeur officiel du District. Il publie un périodique hebdomadaire, le journal d’Etampes, lancé en novembre 1790 par l’abbé Menard ; mais la feuille agonisera un mois plus tard.
D’une activité débordante, il tente sans succès en 1790, puis en 1793, d’établir un moulin à tan sur la Juine. Ami du curé Dolivier dont il imprime les écrits, il est son témoin lorsque celui-ci se marie en novembre 1792. Malgré ses idées et son rôle d’imprimeur « engagé », Dupré traverse Thermidor sans encombre. En février 1796, il devient même commissaire de police, une responsabilité qu’il continue à exercer sous le Consulat. Puis il devient contrôleur des Poids et Mesures. Il meurt en 1833 : ainsi se termine la longue carrière d’un homme au carrefour de la politique, de l’information et de la fonction publique.
DUVERGER Théodore Adrien
Maître de Poste, Duverger apprend les nouvelles avec un temps d’avance sur ses concitoyens. Dès 1789, il s’engage dans la Révolution. En 1790, il est officier de la Garde nationale ; l’année suivante, il devient vice-président du District et échappe de peu à la mort lors de la journée du 16 septembre 1791. Il est régulièrement nommé commissaire et répartiteur des impôts. En 1797, il devient président de l’administration municipale et, quoiqu’ancien membre de la société populaire, il est destitué après le coup d’état de fructidor.
Déjà à l’aise avant la Révolution, Duverger achète des biens nationaux. Il arrive que son civisme ait pour limite la hauteur de ses poches : pendant la disette de l’an III, il cherche par tous les moyens à échapper à la réquisition. Pourtant, pendant sa courte présidence municipale il donne l’impression de protéger les intérêts de la ville et de ses concitoyens. Duverger est un homme ambigu qui paraît irréprochable dans la gestion des biens publics, mais qui, déchargé de ses fonctions électives et des responsabilités, se laisse aller à des compromis, si ce n’est pas à des compromissions rentables.
NASSON Pierre
Petit fils d’aubergiste et instituteur, Nasson est procureur de la commune en 1789. Il exerce les fonctions d’agent national auprès de la commune pendant l’an III et en 1795, il est nommé au Directoire du District. Ce dernier supprimé, Nasson se retrouve tout naturellement commissaire du Directoire exécutif auprès de l’administration municipale. Mis à part une courte période pendant laquelle il est remplacé par Raguideau, Nasson assume ses fonctions jusqu’à sa destitution en 1798.
Très au courant des affaires, il semble davantage soucieux de gestion que d’espionnage des édiles, à la différence de Raguideau et de Gamet. Les électeurs le savent qui l’élisent en 1798 administrateur municipal. Il est destitué lors du coup d’état de Brumaire, mais il figure pourtant en 1806 sur la liste des personnalités susceptibles d’être nommées au Conseil municipal.
PAILHES Jean-Baptiste
Le citoyen Pailhès, dit « La Liberté », entrepreneur en bâtiment et s’intitulant architecte, passe déjà des contrats avec la ville dans les années 1780. A la Révolution, il construit à Saint-Gilles sur un terrain vendu comme bien national et déborde largement sur le terrain communal. Il est déféré devant le juge de paix. En 1793, il devient agent salpêtrier et se révèle comme d’autres, incapable de rendre des comptes en règle. La vente des biens nationaux lui donne surtout l’occasion de se procurer des matériaux de construction à bon marché : il achète pour démolir et récupérer ce qui est utilisable. En 1794, il parvient à acquérir la forteresse de Guinette ; mais l’année suivante, celle-ci est classée parmi les biens nationaux inaliénables ; sous la pression des savants, la régie des domaines nationaux a résilié le marché, car la tour peut abriter le télégraphe et servir de repère géodésique. Qu’à cela ne tienne, une telle réserve de matériau ne peut laisser Pailhès indifférent. En 1796, profitant de la vente de la Congrégation, il achète la « Tour Guinette des Religieuses ». Immédiatement, il envoie ses sous-traitants habituels commencer la démolition de la forteresse. Averti, le président de l’administration municipale constate le délit et déférer le délinquant devant le juge de paix. Mais rien n’arrête l’audacieux Pailhès ; il graisse la patte des fonctionnaires de la régie, achète les experts et se fait représenter par des hommes de paille. Pour finir, il achète des fragments de l’ancien cimetière Saint-Gilles et une partie des trottoirs qu’il encombre immédiatement de gravats. C’en est trop ! Le curé Devaux, l’irascible fripier Gaillard et l’administrateur Fricaud, spécialiste des affaires militaires, organisent une émeute : à la nuit tombée les paroissiens, emmenés par Gaillard très décidé, forcent l’entrée de la maison Pailhès ; l’entrepreneur échappe de peu à la lanterne en s’enfuyant par la porte de derrière... Fricaud est destitué, Devaux arrêté, mais Gaillard n’est pas inquiété. Les élections de 1798 ramenèrent triomphalement Fricaud à la mairie. A cause des contradictions dans les rapports, le Ministère classe l’affaire. Cependant le coup a porté : Pailhès ne fera plus parler de lui.
La famille PÉRIER
On ne peut manquer d’être frappé à la lecture des registres municipaux du XVIIIème siècle de la répétition fréquente des mêmes noms de famille : parmi eux, celui des Périer. Tous sont issus d’un marchand drapier de la paroisse Notre-Dame mort en 1723, Charles Périer. En deux générations, et malgré une descendance nombreuse, l’ascension sociale est évidente. Si les fils de Charles Périer restent marchands-drapier ou merciers, deux d’entre eux au moins accèdent à l’échevinage dans le courant du siècle. Des mariages adroits, comme celui de François-César avec Catherine Laumosnier, fille du receveur de l’abbaye de Morigny, confortent leur position. A la troisième génération, la famille a investi les offices judiciaires et les bénéfices ecclésiastiques : Jean-Valéry est greffier en chef civil et criminel au bailliage... puis au district ! Son cousin, François Périer-Desboquaires, secrétaire-greffier de la ville, est procureur es-sièges royaux. Un autre cousin, également prénommé François est vicaire puis chanoine de Notre-Dame en 1772. Enfin, Charles-César-Périer devient curé de Saint-Pierre dix ans plus tard : il est en 1789 le député du clergé aux Etats-Généraux.
D’autres membres de la famille sont restés dans le négoce, comme Jacques-Chrétien Périer Leroux, marchand-drapier comme son aïeul, ou Ferdinand-Parfait-Chrétien de la Chasse (du nom de son épouse !) qui exerce les fonctions de syndic de la communauté des marchands-drapiers-merciers en 1789. La Révolution ne met pas un terme à la carrière de ces hommes prudents qui s’adaptent aux circonstances. Cependant, l’ascension sociale semble stoppée et les Périer de la quatrième génération perdent leur influence.
ROBERT Georges-François
Voilà bien un de ces « inconnus de l’Histoire » ! Une déclaration faite par son père au Conseil général de la commune le 14 pluviôse an II l’a sauvé de l’oubli et lui vaut de figurer ici.
Georges-François est un adolescent de 16 ans et demi qui vient alors de regagner le domicile familial. Il l’avait quitté le 10 août précédent lorsqu’il était parti à Paris avec une délégation d’Etampois qui voulaient commémorer l’anniversaire de la prise des Tuileries. En cet été de tous les périls pour la République, notre jeune patriote s’était laissé gagner par l’ambiance de la capitale. Mais laissons la parole à son père : « Par légèreté de son âge, (il) s’était absenté de cette commune le dix août dernier, engagé (le mot est rayé dans le registre), compris par erreur (!) dans l’un des bataillons de la Halle au blé, à Paris, comme faisant partie de la première réquisition, quoiqu’il n’ait pas l’âge requis par la loi ». Mais la vie des camps, la discipline militaire, le mal du pays ont sans doute poussé Georges-François à faire état de son âge véritable, dans l’espoir d’échapper au sort qu’il avait choisi dans l’enthousiasme du moment. Toujours est-il que le père vient signaler un beau jour de février 1794 que son fils « s’en est revenu en cette commune et y travaille et réside chez le comparant ». Le retour du patriote prodigue ...
ROUSSEAU Jean-Henri
Jean-Henri Rousseau est un de ces laboureurs dominant l’économie des villages beaucerons. A Angerville, sa richesse personnelle lui permet de diriger pendant toute le Révolution la poste aux chevaux pour laquelle il utilise 35 de ses bêtes (1790). A partir de 1792, il devient un partisan de la jeune République, espérant une reconnaissance publique impossible sous l’ancien régime. Candidat malheureux à la mairie en décembre, il devient conseiller municipal à partir du 15 brumaire an II, fonction qu’il retrouve de nouveau en brumaire an III, après avoir été inquiété un moment lors de la chute de Robespierre.
Sa position économique dominante explique peut-être cela : il fournit en tout cas, dès les premières réquisitions de l’an II, la contribution en grain la plus importante de la commune (5 sacs de farine par décade au marché contre 2 sacs et demi pour le cultivateur suivant) Réquisitions à bas prix qui ne sont pas de son goût si l’on en juge par les réclamations qu’il envoie au département en pluviôse an III pour obtenir en vain une rémunération plus élevée. La municipalité d’Angerville se rend compte d’ailleurs qu’il a « oublié » de déclarer 400 sacs d’avoine pendant l’hiver 1793-1794, considération qui en dit long sur « l’abnégation » de l’homme public face à ses propres affaires... Rousseau fait partie de ces citoyens pour qui la Révolution a été pleinement bénéfique. Le 16 brumaire an IV, en devenant président du canton, il est reconnu par la République des notables comme un des siens.
SIMONNEAU Jacques-Guillaume
Le nom du maire d’Etampes a fait le tour du royaume au printemps 1792. Sa mort dans l’émeute du marché Saint-Gilles, le 3 mars, a suscité bien des questions. La personnalité même de Simonneau est mal connue : elle intrigue d’autant plus que son comportement au cours de la « journée » qui allait lui être fatale, tranchait avec son attitude antérieure.
Né dans la paroisse Saint-Basile, la plus aisée d’Etampes, Simonneau appartient par ses origines sociales à cette bourgeoisie de l’artisanat et du négoce qui achète des charges, qui aspire à la considération et aux responsabilités politiques à la veille de la Révolution. Son père, Pierre-Etienne est un riche marchand tanneur ; son oncle maternel est marchand de blé à Poissy ; Un autre oncle, du côté paternel est officier du roi. Lui, possède une tannerie où travaillent une soixantaine d’ouvriers.
A la différence de plusieurs représentants des élites étampoises, Simonneau ne semble pourtant pas dévoré par l’ambition politique ; il devient maire en novembre 1791 parce que tout le monde fuit la place ; après une période de six mois, pendant laquelle Etampes n’a pas de maire, il accepte cette responsabilité, conscient que nul autre ne peut faire face aux dangers qui menacent : la situation politique est confuse, et l’agitation sociale ne cesse de croître. Simonneau apparaît d’autant plus comme l’homme de la situation qu’il n’a trempé en rien dans les émeutes de septembre 1791 : à cette occasion, il a même bien défendu les intérêts de la ville devant le Directoire de département à Versailles.
Deux éléments expliquent sans doute son raidissement face à l’émeute. D’abord, la prise de conscience que la nature même de la Révolution est en train de changer : l’arrivée des masses populaires sur le devant de la scène politique inquiète ce ressortissant d’une bourgeoisie modérée, qui cherche par tous les moyens à mettre un terme à la Révolution. Par ailleurs, la présence à la tête des « attroupés » des représentants légaux des communes a fait échouer le plan du maire d’Etampes, qui ne pouvait plus considérer les taxateurs comme un ramassis de brigands. On saisit ainsi à travers l’affaire Simonneau, les contradictions même des révolutionnaires.
Le déroulement de la journée du 3 mars incite d’ailleurs à se poser la question du comportement d’un homme au cœur du processus révolutionnaire. Devenu homme de pouvoir, Simonneau n’a plus la même attitude que lorsqu’il était simple officier municipal ; son raidissement n’a pas été compris, et on l’a même accusé d’avoir alors joué double jeu. En fait, tout s’est joué ce jour-là entre la maison commune et la porte Saint-Jacques ; déçu d’avoir été privé d’une arme contre les émeutiers par la présence des élus municipaux des communes soulevées, il revient à Etampes, pour se rendre compte qu’il a été tourné par les plus hardis des émeutiers. Il ne lui reste plus que la force ; et là, il commet l’erreur fatale de proclamer la loi martiale et de commander le feu : l’armée refusant de tirer, il est dès ce moment un homme seul, emporté par une logique folle : il s’enferme dans une attitude de rigueur pour sauver la face, alors que la raison commande de négocier, de gagner du temps. Dolivier aura ce mot terrible pour qualifier le manque de sang-froid du maire : « La loi martiale dans les mains d’un homme qui n’en sait pas redouter l’usage, est un poignard dans les mains d’un assassin ». Les « attroupés » le prirent bien ainsi qui, emportés à leur tour par leur propre logique, perdirent de vue leur mobile initial, pour régler leurs comptes avec un homme public qui venait de donner l’ordre de les fusiller. Deux logiques inconciliables s’affrontaient, celle de l’ordre et celle du droit à la vie, qui ne pouvait conduire qu’à l’inéluctable.
GLOSSAIRE
Abbé commendataire : Abbé qui jouit d’un bénéfice*ecclésiastique sans remplir les conditions requises, ni exercer effectivement ses fonctions. Ce peut être un laïc qui se contente de percevoir le tiers des revenus. Seul le roi peut donner une abbaye en commende. A Morigny, il n’y a plus de moines depuis 1743. L’abbé Marie-Elisabeth de la Vergne de Tressan, fils d’un lieutenant général des armées de France, neveu d’un archevêque de Rouen, perçoit, selon Expilly, 6 200 livres de rente en 1763. Il cumule ces revenus avec ceux attachés à la fonction de vicaire général du diocèse de Rouen. Pendant la Révolution, il choisit d’émigrer et ne rentre en France qu’après le 18 Brumaire an VIII.
Administration municipale : Assemblée communale (de 5 à 9 membres) élue dans les commune de plus de 5 000 habitants sous le Directoire ; renouvelable chaque année par moitié elle est surtout chargée de répartir et de percevoir les contributions.
Agent national : Fonctionnaire chargé de requérir et de poursuivre l’exécution des lois auprès de communes et des districts ; en outre il doit dénoncer les négligences et les infractions commises, il est nommé par la Convention.
Appréciateurs : A Etampes, deux appréciateurs sont désignés chaque année par la commune pour dresser un « apprécis » des denrées figurant chaque semaine sur le marché. Ils observent, notent et dégagent les prix moyens des grains ; la « mercuriale » qu’ils dressent permet à la municipalité de taxer le prix du pain entre deux marchés hebdomadaires.
Ateliers de charité : Dès la fin du XVIIème siècle apparaît l’idée que les pauvres doivent être séparés de la Société. C’est le « grand renfermement des pauvres ». Au XVIIIème siècle, l’assistance devient de plus en plus un devoir de l’Etat mais en même temps, on traque les mendiants et les vagabonds, considérés comme des paresseux et parfois même comme des déchets de la société. A partir de 1764, des dépôts de mendicité financés par le roi sont créés dans beaucoup de villes : les mendiants sont internés et doivent travailler dans des ateliers de charité pour mériter leur pitance. Le contraste est net entre les pauvres domiciliés sur place à l’égard desquels se manifeste une bienfaisance philanthropique, et les vagabonds victimes de la répression.
Aulnage : Mesure d’un tissu. Ce terme vient du nom d’une ancienne mesure, l’aulne. (=1,18 m environ)
Bailliage : Circonscription judiciaire d’Ancien Régime placée sous l’autorité d’un bailli. La création des gouverneurs puis de intendants*, réduit très fortement leur rôle. La charge de bailli devient de plus en plus honorifique, le tribunal de bailliage étant présidé par le lieutenant général*, d’où le conflit entre Valory et Picard de Noir-Epinay en 1789. Ce tribunal comporte aussi des lieutenants particuliers (à Etampes, il n’y en a qu’un : Pierre-Etienne Simonneau en 1789) et un lieutenant criminel. Le bailliage est l’instance immédiatement supérieure aux prévôtés et aux justices seigneuriales. Il sert de cadre à l’élection des députés des Etats Généraux en 1789.
Banalité : Droit perçu par le seigneur en vertu de son pouvoir de commandement ou droit de ban. Le seigneur peut contraindre ceux qui sont sous son autorité à utiliser le four, le pressoir ou le moulin banal moyennant redevance.
Bénéfice ecclésiastique : Revenu attaché à une charge ecclésiastique, constitué de terres, bâtiments divers, droits seigneuriaux et dîmes. Le montant varie selon l’importance de la fonction. La chasse aux bénéfices est une constante sous l’Ancien Régime. C’est le roi qui nomme aux bénéfices majeurs (évêchés, abbayes) ; pour les bénéfices mineurs, la nomination revient en principe à ceux qui ont « le droit de patronage » (évêques, abbés, prieurs et même laïcs). Certaines familles finissent par considérer ces bénéfices comme des biens patrimoniaux et s’efforcent de les conserver grâce à leur crédit à la Cour. Le cumul des bénéfices et la non-résidence des titulaires de bénéfices majeurs restent fréquents à la veille de la Révolution
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Blutage : Lorsque le grain a été écrasé par la meule du moulin, il reste à séparer le son de la farine : c’est le blutage. On utilise alors un tamis très fin qui, animé d’un mouvement de va-et-vient, ne laisse passer que la farine. Le tamis est la pièce essentielle du bluteau.
Capitation : Impôt direct créé en 1695 dont seul le clergé est au départ exempté. Les contribuables sont répartis en 22 classes imposées, de 2 000 livres pour la première, à 1 livre pour la dernière. A partir de 1701, le système est modifié ; chaque généralité doit fournir une certaine somme à répartir entre les contribuables (c’est l’assiette de la captation). Exemptions et abonnement finissent par éliminer le caractère novateur de cet impôt qui apparaît de plus en plus comme un supplément à la taille*
Champart : Redevance en nature perçue par le seigneur et prélevé sur place au moment de la moisson, tout de suite après la dîme*. Son taux varie entre le tiers et le vingtième de la récolte. Le champart est d’autant plus mal supporté que les paysans risquent toujours de voir leur récolte gâchée par les intempéries qui peuvent survenir, avant que l’agent champarteur en soit venu prélever son dû.
Chanoine : Clerc membre d’un chapitre*.
Chapitre : Collège de clercs plus ou moins nombreux attachés au service d’une église cathédrale ou collégiale et dotés de biens fonciers. Les chanoines ont souvent jouissance d’une maison canoniale. A Etampes, il y a au XVIIIème siècle deux collégiales et deux chapitres : Notre-Dame et Sainte-Croix. Le premier possède alors dix membres ; les maisons canoniales qui en dépendent forment le cloître Notre-Dame ; elles ont disparu du fait de l’extension de l’hôpital. A Sainte-Croix, il n’y a que huit chanoines, au rang desquels Etienne Geoffroy Saint-Hilaire.
Châtellenie : Juridiction d’un seigneur châtelain.
Citoyen actif : La loi du 22décembre 1789, transgressant la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, crée deux catégories de citoyens. Les citoyens actifs sont ceux dont la contribution directe, ou cens, représente la valeur de trois journées de travail (2 livres 5 sols à Etampes). Ils jouissent du droit de vote et participent aux assemblées primaires qui élisent les municipalités.
Colombier (privilège de) : Privilège des seigneurs d’élever des pigeons. Un colombier peut abriter des centaines d’oiseaux qui font des ravages dans les cultures. Les paysans sont unanimes à dénoncer ce privilège comme un fléau. Les bénéficiaires de ce droit ne sont pas forcément des nobles ou des ecclésiastiques : c’est ainsi que Christophe Guettard-Rabier, marchand à Etampes, vient se plaindre à la mairie le 17 novembre 1789 : deux paysans de Torfou ont tiré sur les pigeons qu’il élève dans la ferme dont il a hérité de son oncle, acte qu’il va jusqu’à qualifier ... de « séditieux » !
Comité de surveillance : Au nombre de deux, un pour la section du Nord, l’autre pour la section du Midy, les comités de surveillance, composés chacun de 12 membres, jouent un rôle important durant l’an II. Ce sont eux qui recherchent les suspects, font les visites domiciliaires et veillent au maintien de l’ordre dans la ville. En janvier 1794, ils sont regroupés en un seul comité.
Commissaire du Directoire exécutif : Titre remplaçant celui d’agent national sous le Directoire.
Compagnie de l’Arquebuse : Etablie par Henri III en 1549, la compagnie de l’Arquebuse à Etampes compte quarante arquebusiers à la veille de la Révolution. Chaque année, un concours de tir à l’oiseau désigne le « Roi de l’oiseau » qui bénéficie de l’exemption fiscale, jusqu’en 1787. Celui qui obtient le titre à trois reprises devient « l’Empereur de l’oiseau ». De temps à autres, les arquebusiers d’Etampes participent à des joutes avec d’autres villes, en vue d’obtenir le prix général de l’Arquebuse de France. La compagnie est dissoute en 1790.
Conseil général de la commune : Assemblée élue composée des officiers municipaux, dont le maire (= corps municipal), et des notables, en nombre double des précédents.
Contribution patriotique : Contribution extraordinaire votée par l’Assemblée constituante sur l’initiative de Necker afin de faire face aux difficultés financières grandissantes : plus de 4 milliards de dettes et des dépenses supplémentaires dues à la disette ou aux réformes en cours. Cette contribution, qui rentre très mal, s’inscrit dans un ensemble de mesures et d’expédients : emprunts lancés en août 1789, envoi de la vaisselle royale d’or à la Monnaie, appel pour que les citoyens offrent eux aussi leurs bijoux et objets en métal précieux.
Corde : Mesure désignant un volume de bois correspondant à la charge d’une charrette (environ 4 mètres cube)
Dîme : Portion du produit de la terre ou des troupeaux versée chaque année au clergé pour son entretien, la dîme constitue un prélèvement global fort important ; son taux varie selon les paroisses. Elle se lève avant le champart et tous les autres droits seigneuriaux. A la veille de la Révolution, un certain nombre de dîmes sont détournées au profit des laïcs ; mais la plupart profitent au haut clergé ; les curés et les vicaires doivent se con tenter d’un fixe, « la portion congrue », qui leur permet tout juste de vivre.
District : Division administrative intermédiaire entre le canton et le département, supprimé en 1795 et remplacé sous le Consulat par nos arrondissements.
Directoire : Direction collégiale élue pour un an, qui a la charge de l’administration d’un département ou d’un district.
Droits casuels : Offrande versée aux curés et aux fabriques* à l’occasion des messes, baptêmes, mariages et enterrements. Laissée théoriquement à l’appréciation des fidèles, elle est en fait tarifée par les évêques ou les synodes (Assemblées diocésaines). Le casuel est très variable mais constitue une ressource appréciable pour les curés urbains. Les sentiments des fidèles à l’égard de cette institution sont pour le moins partagés.
Echevin : Magistrat municipal dont la compétence est celle d’un actuel maire-adjoint.
Election : Circonscription financière d’ancien régime, soumise à la juridiction des élus. Il n’en existait pas partout dans le royaume, c’est pourquoi on distingue pays d’Election et pays d’Etats. Les élus sont des officiers du roi détendeurs d’une charge vénale et héréditaire. Leur rôle est e répartir la taille entre les communautés d’habitants de leur ressort et de juger le contentieux fiscal. Leur importance décline depuis le XVIIIème siècle au profit des intendants* et subdélégués*.
Enchères : Les ventes de biens nationaux ont lieu à la bougie : l’extinction des feux marque la fin des enchères.
Etats provinciaux : Certaines provinces, en particulier la Bourgogne, la Bretagne, le Languedoc et la Provence ont des assemblées représentatives organisées selon le système des ordres : ni le bas-clergé, ni les paysans, ni le petit peuple des villes n’y sont représentés. Ces assemblées jouent un rôle assez important en matière fiscale et constituent un écran entre la population et les représentants du pouvoir central. Ils expriment aussi les particularismes régionaux.
Fabrique : Ce terme désigne à la fois le temporel d’une paroisse, c’est-à-dire ses biens et ses revenus, et l’organisme chargé de la gérer. Celui-ci est composé de notables élus par les paroissiens, les marguilliers. Les revenus de la fabrique servent à entretenir les églises et à couvrir les frais du culte. Les biens des fabriques sont mis en vente comme biens nationaux pendant la Révolution.
Fermiers généraux : Sous l’Ancien Régime, la perception des impôts indirects est affermée. Depuis 1726, tous les droits sont adjugés par bail de six ans à la Ferme générale. Le bail est passé au nom d’un seul adjudicataire, mais en réalité, 60 fermiers généraux le cautionnent : ces financiers réalisent d’énormes bénéfices, d’où les haines populaires à leur encontre.
Finage : Au sens strict, ensemble des terres cultivées d’une commune ; par extension, synonyme de terroir, bois, friches, communaux inclus.
Fouille : A l’époque, tout type de creusement.
Gabelle : Impôt sur le sel créé dès le XIVème siècle. Les modalités de perception et le taux sont extrêmement variables d’une région à l’autre, ce qui encourage la contrebande des faux-sauniers. Ceux-ci risquent des peines très lourdes pouvant aller jusqu’à la mort. Les agents de la gabelle (gabelous) ont le droit de faire des visites domiciliaires : Il faut être en mesure de prouver la quantité de sel acheté au grenier à sel* d’Etampes : le sel y est particulièrement cher et une quantité minimale doit être obligatoirement consommée, le « sel du devoir ».
Gardes françaises : Corps de troupe d’infanterie créé au XVIème siècle. Considéré comme un corps d’élite au sein duquel aucun étranger n’est admis. Il jouit de certains privilèges. En 1789, les gardes françaises se joignent aux émeutiers et participent à la prise de la Bastille.
Garde nationale : Milice de citoyens chargés du maintien de l’ordre et de la défense de droits constitutionnels. En juillet 1789, elle remplace dans les villes les anciennes milices bourgeoises*. Paris ayant donné l’exemple. La loi du 14 octobre 1791 astreint tous les citoyens actifs*et leurs enfants âgés de dix-huit ans à en faire partie.
Généralité : Circonscription financière née au XVème siècle. Avec la centralisation croissante sous Louis XIV, elle devient le cadre de l’action des intendants* et à ce titre une des plus importantes divisions administratives du royaume.
Grenier à sel : Désigne à la fois le lieu où le sel est entreposé et la juridiction chargée des procès concernant la gabelle*. A Etampes, le grenier çà sel est situé près de l’hôtel de ville ; on y entrepose le sel provenant essentiellement des marais salants de l’Atlantique. Les habitants d’Etampes et des paroisses dépendant de son grenier doivent y acheter le sel à un prix très élevé incluant la taxe. Il y a évidemment des exceptions ; le privilège de franc-salé permet à quelques officiers*, nobles ou clercs, d’obtenir du sel exonéré de taxes. Il est aussi possible d’acheter des petites quantités chez les regrattiers*.
Gros : Mesure de masse égale à 7é grains (3 g 82)
Hausse : Planche à régler le niveau de l’eau destinée à alimenter les moulins.
Intendant : Commissaire royal établi dans une généralité*. Agent de la centralisation monarchique. Il dispose de pouvoirs très étendus en matière de justice et finances.
Laboureur : Cultivateur disposant d’un attelage et d’un train de culture. Souvent propriétaire, c’est un cultivateur aisé.
Lieutenant général : Officier royal présidant le tribunal de bailliage*.
Logement des gens de guerre : En l’absence de caserne, le logement des gens de guerre est à la charge des habitants ainsi que « l’ustensile » (fourniture du feu, de la chandelle, des instruments de cuisine et du sel). Cette charge est parfois remplacée par une redevance, la municipalité se chargeait alors de loger les soldats. Bien entendu, les nobles et quelques autres en sont exemptés.
Marché : Toute transaction concernant « les produits » de première nécessité, en particulier les grains, doit obligatoirement avoir lieu au marché d’une ville ou d’un bourg qui a droit de tenir marché : Dourdan, Angerville, Montlhéry, Pithiviers. Mais c’est à Etampes, place Saint-Gilles, que se tient chaque samedi le plus gros marché de la région. Un « petit marché » (légumes, volailles, beurre, œufs, fromages) se tient chaque mercredi place Notre-Dame. Le libéralisme économique depuis Turgot autorise le fermier vendeur à se rendre sur le marché de son choix. La Révolution va revenir –temporairement en l’an II - sur la liberté de transaction, qui favorise la hausse des prix, la spéculation et la fraude.
Mégissier : Artisan qui travaille les peaux blanches destinées à la ganterie, à la cordonnerie de luxe, à la reliure. Arès les avoir trempées dans un bain d’alun, le mégissier enduit les peaux d’une mixture à base de jaune d’œufs et de farine de froment. Cette activité, ainsi que la tannerie est très répandue à Etampes à la fin du XVIIIème siècle, à cause de l’élevage du mouton en Beauce.
Mesures agraires : On trouve quatre systèmes différents dans la région d’Etampes à la veille de la Révolution : Le plus utilisé est l’arpent d’ordonnance (51,07 a) divisé en quatre quartiers (12,76 a), seize quartes (3,19 a) ; Il est égal à cent perches (0,51a), à vingt-deux pieds pour perche. On trouve aussi l’arpent commun à vingt pieds pour perche (42,21) utilisé dans la région de Milly mais aussi à Torfou, Itteville, Bouray et Maisse en partie. L’arpent de Paris (34,19 a) a dix-huit pieds pour perche est en usage dans le Hurepoix (Breuillet, Breux, Lardy, Saint-Sulpice-de-Favières, Saint-Yon, Souzy-la-Briche, Boissy-sous-Saint-Yon et Mauchamps. Enfin, dans la région d’Angerville et de Dourdan, on se sert d’un système très différent : le muid (4,89 ha) est divisé en vingt-quatre mines, quarante-huit minots, cent-quarante-quatre boisseaux et neuf-cent-soixante perches à vingt-deux pieds.
La complexité et l’infinie variété des mesures avaient pour effet de multiplier les fraudes et les contestations : elles constituaient aussi une sérieuse entrave au commerce. Cependant, le système métrique ne devint obligatoire qu’en 1837, sous la Monarchie de Juillet et les mesures anciennes restent employées dans le langage courant au moins jusqu’en 1914.
Mesures anciennes de la région d’Etampes : Dans un monde cloisonné où les échanges sont faibles et les particularismes très vivants, il n’y a pas, sous l’Ancien Régime de système cohérent de mesures. On utilise souvent les mêmes termes mais en leur donnant des valeurs différentes : ainsi, la perche, unité de mesure très courante, peut être à 18, 20 ou 22 pieds sans qu’on le précise toujours ! Quant au muid, c’est à la fois une mesure agraire et de volume ; et il n’a pas du tout la même valeur s’il s’agit de mesurer du blé (18 hl), du sel (24 hl) ou de l’avoine (37 hl). Encore faut-il préciser si la mesure est « rase » ou « comble », ce qui la fait varier d’un tiers ou même davantage. En ce sens, l’adoption du système métrique par la Convention (loi du 18 germinal an III) est en soi une révolution !
Mesures de longueur : La lieue de Poste (3,9 km environ) vaut 2000 toises : une toise six pieds (un pied à peu près 32 cm)
La perche est égale à 18, 20 ou 22 pieds selon les régions ; le pied se divise en douze pouces, le pouce en douze lignes, la ligne en douze points.
Mesures de masse : La livre (489,5 g) est divisée en deux marcs ; le marc (244,75 g) en huit onces ; l’once (30, 6g) en huit gros (de 3,8 g chaque. On utilise aussi le tonneau qui vaut 2000 livres (979 kg).
Mesureur : Le mesureur lève le droit, à l’origine féodal, de mesurage perçu sur tout produit agricole, en particulier le blé. A Etampes, les mesureurs de la Place Saint-Gilles interviennent dans toutes les opérations de marché et constituent de ce fait une force sociale.
Méteil : Mélange de seigle et de blé.
Milice bourgeoise : Cette institution remonte au Moyen-Age ; lors du renouveau urbain des XI – XIIIème siècles. Un des signes de l’indépendance des communes réside dans le droit des communes à former une milice pour assurer soi-même l’ordre et la défense de la cité. Au XVIIIème siècle, les milices bourgeoises ont surtout un rôle de parade. Cependant, dans les temps troublés, elles peuvent être utilisées au maintien de l’ordre par les magistrats municipaux. En 1789, elles cèdent la place à la garde nationale*.
Minage (droit de) Droit levé sur chaque « mine » de grain mesuré. Dans la région parisienne, la « mine » est une mesure de capacité d’une contenance de 78 litres.
Monnaie : La monnaie de compte est la livre, divisée en vingt sous ou deux-cent-quarante deniers. Les principales pièces qui circulent sont le louis d’or (24 livres), les écus d’argent (3 livres) et pour la petite monnaie, des pièces de cuivre ou de billon, les sous et les liards.
Octroi : Droit perçu à l’entrée d’une ville, sur les boissons, le bétail, le bois, parfois les céréales et les farines. Ce terme provient du fait qu’à l’origine il s’agissait d’un droit octroyé par le souverain. Depuis 1647, le montant des octrois a doublé de manière que l’Etat et la ville se les partagent à moitié. En 1681, ils sont attribués par adjudication au fermier des Aides. Les exemptions et les fraudes sont innombrables. La Révolution supprime les octrois mais Bonaparte les rétablit.
Officiers de Judicature : Officiers de justice. Sous l’ancien régime, la vénalité des offices est une pratique courante : On peut acheter une charge judiciaire et même la transmettre héréditairement contre un versement de droits de mutation (1/8ème de la valeur de l’office) et d’une redevance annuelle (1/60ème de sa valeur). Nombre de bourgeois enrichis par le négoce font ainsi accéder leur fils au monde des officiers de justice (Voir biographie de «la famille Périer »).
Péage : Redevance en nature ou en argent perçue par le seigneur dans certains lieux de passage, ponts, bacs, chemins, sur des personnes, du bétail ou des denrées. Le pouvoir royal s’est efforcé de faire disparaître ces entraves à la circulation, mais il en reste encore 600 environ en 1789 dans l’ensemble du royaume.
Physiocrates : Philosophes et économistes du XVIIIème siècle, ils attachent une grande importance à l’agriculture, dont ils font la seule source de richesse. Leur influence est grande jusqu’à la Révolution. Les réformes de Turgot (liberté du commerce des grains, tentative de suppression des corporations), les projets de subvention territoriale imaginés par Calonne pour résoudre la crise financière sont d’inspiration physiocratique.
Prévôté : Juridiction royale de première instance. On fait appel de ses sentences auprès du tribunal de bailliage.
Procureur : Avoué (charge vénale)
Procureur de la commune : Magistrat municipal institué par la loi du 14 décembre 1789.Son rôle est de défendre les intérêts de la commune en justice.
Procureur du roi : Magistrat municipal représentant le pouvoir royal au sein du corps de ville, sous l’Ancien Régime.
Procureur syndic : Au sein de chaque administration de District, le procureur syndic est chargé de veiller à l’application des lois. Le procureur général syndic joue le même rôle au niveau départemental ; il est en communication directe avec les ministres.
Règlement municipal de 1786 : Arrêt du Conseil d’Etat du roi réorganisant le fonctionnement de la municipalité d’Etampes. Il, prévoit notamment que le maire doit obligatoirement être gentilhomme ou officier de judicature*, à moins qu’il n’ait déjà exercé cette charge ou celle d’échevin. Des restrictions du même type sont formulées pour l’élection des échevins et des conseillers assesseurs. De même la composition de l’Assemblée générale, chargée d’élire et de se faire rendre des comptes annuellement de la gestion municipale est strictement fixée. Ce règlement est contesté dès l’origine par une partie des notables étampois. Dès juillet 1789, ils mènent l’assaut contre ce règlement : c’est la « révolution municipale ».
Regrattier : Marchand qui vend au détail des légumes, des fruits, des épices et surtout du sel, à raison d‘une livre et demie à la fois au maximum.
Représentant en mission : Délégué par le département ou la Convention, disposant de pouvoirs étendus mais limités dans le temps, le représentant en mission joue un rôle important dans la reprise en main de l’administration locale, jugée peu patriote ou incapables. Trois représentants ont effectué une mission à Etampes : Couturier qui « régénère » la commune en octobre 1793. Crassous dont l’activité est plus limitée en 1794 et enfin Delacroix qui procède, au printemps 1795 à quelques destitutions.
Roulier : Le transport des marchandises à longue et moyenne distance est effectué par des charrettes à deux roues ou des chariots à quatre roues tirés par des chevaux ou des bœufs : c’est le roulage. Les rouliers sont le plus souvent de simples paysans. Cependant, au XVIIIème siècle, il existe dans la région parisienne quelques entreprises de roulage pour le trafic à longue distance.
Section : C’est au sein de la section que se déroule l’activité politique du citoyen. Etampes en compte deux : la section du Nord qui englobe les anciennes paroisses Saint-Basile, Notre-Dame et Saint-Pierre et la section du Midy, qui comprend Saint-Martin et Saint-Gilles. Les sections sont parfois le lieu de débats animés. Entre elles il est des différences de sensibilités politiques : la section du Midy est, dès 1791, d’idées plus « avancées »: c’est un temps le fief de Constance Boyard. La section du Nord est au contraire plus réservée ; elle proteste à la fin de 1793 parce que le représentant Couturier a nommé « révolutionnairement » de nouveaux officiers municipaux.
Six-corps : Sous l’Ancien Régime, six corps de métier étaient groupés dans la même communauté : il s’agit des marchands merciers, drapiers, épiciers, apothicaires, orfèvres et bonnetiers.
Subdélégué : Devant la multiplicité des tâches qu’ils doivent accomplir et l’étendue de leur ressort administratif, les intendants installent, à partir de la fin du XVIIème siècle des subdélégués qu’ils nomment et révoquent à leur gré. Chacun d’eux a en charge, sous l’autorité de l’intendant, une partie de la généralité, ou subdélégation.
Suffrage censitaire : Système électoral en vigueur sous la constituante, la législative puis le Directoire. Le droit de vote est réservé à ceux qui paient un montant d’impôt déterminé (le cens). Pendant ces périodes, il est même à deux degrés : Les citoyens actifs* élisent des électeurs qui à leur tour élisent des députés. Le cens exigé augmente à chaque degré. Les citoyens passifs (non propriétaires) sont écartés de tout droit politique.
Suffrage universel : En vigueur pendant la Convention, le suffrage universel n’est appliqué qu’une seule fois en septembre 1792 et dans des circonstances troubles. Il ne s’impose qu’en 1848. Les femmes en sont exclues.
Taille : C’est ‘impôt par excellence. Selon les régions, la taille est réelle et porte alors sur les biens, ou personnelle et pèse alors sur les personnes (c’est le cas en Ile-de-France). Etampes ne paie ni l’une ni l’autre, mais bénéficie d’un statut particulier : celui du Tarif*
Tarif : Etampes n’est pas exempte de taille* mais elle a reçu le droit en 1755 d’acquitter cet impôt direct « d’abord par un droit d’entrée sur les vins et autres boissons et ensuite par une imposition sur les biens » (Archives municipales d’Etampes 1 D9 F°275). Un registre ouvert en 175 et constamment mis à jour jusqu’en 1790 permet de connaître la valeur locative estimée des biens possédés à Etampes.
Terrier : Registre souvent assorti d’un plan, qui renferme le dénombrement de tous les droits seigneuriaux et de ceux qui y sont assujettis. Au XVIIIème siècle, beaucoup de seigneurs font procéder à la révision des terriers par des juristes spécialisés, les feudistes. Cela aboutit à remettre en vigueur d’anciens droits tombés en désuétude, ce qui exaspère les paysans.
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Vovelle Michel, La Révolution contre l’Eglise. De la Raison à l’Etre suprême, Paris, 1988.
Table des Matières
Avant-propos
Chapitre 1 - Etampes et sa région à la fin du XVIIIème siècle
Au sud et à l’ouest, « le belle et féconde Beauce »
A l’est et au nord, la diversité des paysages et des activités
A Etampes, le commerce et le pouvoir
Une ville qui s’ouvre
Une ville de l’eau
Etampes et ses quartiers
Une société contrastée
Les attitudes devant la vie
Chapitre 2 - Les derniers beaux jours de l’Ancien Régime (janvier 1787 - mars 1789)
Avant la Révolution, la réorganisation du pouvoir municipal
Le temps des projets (Janvier 17871788)
Un événement lourd de conséquences : la grêle du 13 juillet 1788
Des élites philanthropes ?
La préparation des Etats Généraux mobilise les énergies (décembre 1788 - mars 1789)
Les paysans du plat pays d’Etampes n’ont-ils rien à dire ?
Le Tiers Etat d’Etampes exprime son désir de réformes
Les ordres privilégiés en proie à des sentiments contradictoires
La préparation des Etats Généraux s’achève à Etampes
Chapitre 3 - Etampes entre en révolution (avril 1789-juillet 1790)
Les troubles au marché Saint-Gilles
Le maintien de l’ordre : prévention et répression
Quand Paris entre en scène
Les premiers symptômes d’une crise politique à Etampes
Malgré la moisson, la crise s’aggrave
La « révolution municipale » à Etampes ?
Etampois et Parisiens : des rapports toujours difficiles
Des élections municipales laborieuses (26 janvier – 1erfévrier 1790)
Le contentieux entre l’ancienne et la nouvelle municipalité
Etampes dans la bataille administrative
Le District et la commune
La fête de la Fédération à Etampes
Chapitre 4 - Lassitude des élites et craintes populaires (août 1790-novembre 1791)
L’édifice religieux se fissure
Grandeur et servitudes de la Garde nationale
La désaffection pour les charges électives
La gestion du quotidien
La justice locale
La contribution foncière
Le choc de Varennes
Les « journées » des 10 et 16 septembre
Chapitre 5 - L’affaire Simonneau
Changement de ton, changement de rythme
Objectif : le marché d’Etampes !
L'échec d'une stratégie
L’émeute tourne à la tragédie
L’instruction de l’affaire et le procès
Simonneau, l’homme de la situation ?
Un complot ? Quel complot ?
Aux origines d’une « émotion populaire
Simonneau, martyr de la loi
Chapitre 6 - « Dans l’ombre de Paris »
En toile de fond la guerre et les subsistances
Le renversement du trône ; le 10 août 1792
Et toujours la guerre
Le calme revient... retour à la gestion quotidienne
Comment faire payer les contributions ?
Encore les subsistances !
Les problèmes internes du conseil de la commune
Le clergé et ses biens
Les émigrés et autres suspects
Chapitre 7 - La crise de l’an II : La guerre et le gouvernement révolutionnaire
Sauver la République : l’effort de guerre
Les mesures révolutionnaires et la « mission » Couturier
La terre aux paysans ?
Prêtres abdicataires et déchristianisation
Les résistances à la Révolution
Le bataillon d’Etampes
Prisonniers de guerre : « Vendéens » et Autrichiens
Subsistances et Maximum
Maximum des salaires et « coalitions » de salariés
Restriction et marché noir
La disette et la fête
Temps nouveaux, espaces nouveaux
Chapitre 8 - De Robespierre à Bonaparte
La disette de l’an III
Etampes en Thermidor
Le pouvoir de quelques-uns
Le patriotisme et la fête
La guerre, toujours la guerre
Prisons et prisonniers
Timide réapparition de la Garde Nationale
Les contributions et les percepteurs
La police des marchés des rues et des campagnes
La crise monétaire de 1795-1796
Les moulins
La vie intellectuelle et l’instruction publique
Quel bilan ? Quelle interprétation ?
Pour conclure
Biographies
Boullemier Claude-Julien
Brou Jean-Baptiste
Clartan Armand
Constance-Boyard Sulpice Charles
Couturier Jean-Pierre
Dolivier Pierre
Dupré Claude
Duverger Théodore-Adrien
Nasson Pierre
Pailhès Jean-Baptiste
La famille Périer
Robert Georges-François
Rousseau Jean-Henri
Simonneau Jacques-Guillaume
Glossaire
Bibliographie