Description d'un monument disparu: l'hôtel du Petit Mesnil-Girault
Nous avons trouvé dans deux fonds d'archives distincts concernant les biens du chapitre cathédral de Sainte-Croix d'Orléans, seigneur du Mesnil-Girault, la description d'un hôtel aujourd'hui disparu, dit du "Petit Mesnilgirault", résidence des chanoines lorsqu'ils venaient à Etampes. Le "grand" Mesnil-Girault étant le château et la ferme qui se trouvent aujourd'hui sur la route de Pithiviers à la limite d'Ormoy et de Boissy-la Rivière. Sur le chemin entre leurs deux résidences, se dressaient "les fourches patibulaires", c'est à dire le gibet, témoignage de leur droit de haute justice. Cette justice était rendue à Etampes, dans l'hôtel du Petit Mesnilgirault par un juge-bailli. Les bâtiments se trouvaient sur l'actuelle place de l'Ancienne Comédie, face à l'hôtel de Saint Yon.[1]
Dans le dossier de la base Mérimée, rédigé par Monique Chatenet, l'auteure fait état d'une description rédigée en 1791, à l'occasion de la vente de l'hôtel comme bien national. Il semble que les deux procès-verbaux que nous citons ci-dessous aient échappé à sa sagacité. La suite du dossier analyse l'évolution du bâtiment qui fut utilisé comme salle de spectacle ainsi que les projets architecturaux de théâtre, jamais réalisés. Dernière transformation du lieu : l'hôtel du "coq en pâte" sur lequel le corpus étampois a réuni des photos et documents.[2]
Extrait du rapport de visiste de 1777 conservé aux Archives départementales du Loiret, 51 J 13. Nous avons respecté au plus près l'orthographe et la ponctuation originales du texte.
[Avec] « Mr Poisson nouveau Receveur dud. Mesnilgirault avons examiné l'état des choses comme il suit, et d'abord par l'examen d'un petit Batiment appelé l'échaudé ou se tient ordinairement la justice, lequel batiment ayant porte et croisée sur la rüe, consiste en une chambre basse carrelée ; avec cheminée, une chambre haute aussi carrelée et a cheminée avec une croisée sur la rüe, grenier au dessus non carrelé mais en platre. Avons reconnu qu'il serait nécessaire de ravaller plusieurs entrevous [= matériau de remplissage entre les poutres et poutrelles] de la chambre au rez de chaussée, que la porte sur la rüe auprès de laquelle, en dedans serait un tambour en planches servant d'antichambre, celle donnant sur la cour serait en bon état, ainsi que la croisée. Que l'escalier qui se trouve en ladite chambre et conduit à celle du haut et au grenier serait en bon état de réparations ; qu'il serait nécessaire de faire à neuf et à petit bois une croisée avec chassis dormant et un contrevent dehors à la place de celle qui existe et qui est en très mauvais état, dans la chambre haute, de ravaller quelques entrevous du plancher ; que la couverture du grenier a été très bien entretenu et est en bon état".
Dans le rapport de visite du même bâtiment effectué par deux chanoines d'Orléans en 1724, il était fait mention de la présence "d'une vieille chaise" et de la nécessité de "ravaller la croisée en mauvais état et y manquant trois panneaux de vitres". [3]
La visite se poursuit dans l'hôtel proprement dit : "La principale porte d'entrée [charretière] et qui conduit à deux grandes chambres au rez de chaussée et au grenier, quoique ancienne nous a paru devoir durer très longtems. Il est necessaire de redresser et reposer le verroux à se forcer de boucher avec une planche d'un pied quarré un des petits panneaux.
Avons trouvé sous le portail une espèce d'écurie faite en muraille de pierres entre deux poteaux avec ratelier et mangeoire, n'avons pas jugé à propos d'en faire l'examen ny la visite, attendu que c'est Mr Petit qui l'a fait faire, et qu'il n'en ait fait aucune mention dans le dernier procès verbal de visite de réparations par le Sr Guyot, Bailly de Mesnilgirault.[4] Ledit portail nous a paru quant au pavé et au plancher en bon état de réparations."
"Sommes entré dans une grande chambre ouvrante sous le portail, éclairée par deux croisées sur la cour, carrelée et sans cheminée. Les croisées et leur chassis nous ont parus bons, il est nécessaire seulement d'y mettre des verres, la porte de cette première chambre en bon état, le carrely en mauvais état, les carraux fendus mais tenans, et tels qu'ils étoit lors de l'ancien procès verbal de visite."
"Suit une seconde chambre carrelée et à cheminée ayant barreaux de fer sur la cour. Dans cette chambre se trouve la prison faite en gros mur et bouchant une partie consédérable de ladite croisée. Il manque à cette chambre une porte d'entrée, il en faut une avec ses ferrures. Le carrely est dans l'état de l'autre chambre, les bois de la croisée en très mauvais état, il n'est pas nécessaire d'en faire une autre attendu la prison qui l'obstacle de façon qu'on ne pourrait en placer une nouvelle, mais il faut un contrevent en deux feuilles ; les gonds pour les recevoirs étant posés. Il est nécessaire de ravaller plsieurs entrevoux au plancher lequel nous a paru en bon état."
"Nous sommes ensuite transporté à un grand escalier qui conduit aux greniers [Dans le procès verbal de 1724, l'escalier est décrit comme étant en pierre avec quelques marches à refaire] la porte d'ycelui est en très mauvais état il en faut une neuve en bonnes planches de chesne et en se servant des anciennes ferrures."
La visite se poursuit par la description de sept greniers. Contrairement au bâtiment de l'auditoire de justice, il n'y a pas de chambre haute mais trois étages de greniers :
"Premier grenier au dessus du portail et des chambres, l'aire de ce grenier est en platre pour la plus grande partie, certaines en tuilleaux, certaines en pierres, le total en mauvais état, c'est à dire fracturé avec des petits vides. Il est nécessaire de reposer la potence la plus proche de la fenêtre au dessus du portail, dans son aplomb, la ratacher avec chevilles de fer, de faire quelques entrevoux au plancher. Il est nécessaire de faire poser deux faux linsoirs [pièce de bois sur le mur] pour remplir les places du corps de cheminée qui a été détruite."
"Deuxième grenier au dessus du précédent, l'aire de ce grenier est dans le même état que celuy cy précédent ; il est nécessaire de ravaller quelques entrevous du plancher, de faire un volet neuf à une des fenêtres, en place d'un qui est très mauvais. La première poutre, celle la plus proche de la porte d'entrée est cassée, et étant creuse hors d'état de servir ; il en faut une neuve de la longueur de 28 pieds de 13 à 14 pouces d'équarissage. Il est nécessaire de mettre sous la seconde poutre un chapeau de neuf pieds de long qui sera assemblé dans un poteau de 8 pieds de haut qu'il faudra poser auprès du mur, avec un lien de trois pieds, lequel chapeau sera porté sur un autre poteau assemblé avec dux liens en place de celui qui est trop faible."
Cette réparation à faire nous permet d'évaluer les dimensions de ce grenier, une poutre de 28 pieds sur 14 pouces correspondait à plus de 9 mètres sur une section de 37 cm. La hauteur du poteau était de 2,60 mètres.
"troisième grenier au dessus du précédent. L'aire de ce grenier semblable a celuy des précédens. La première filière du côté droit est cassée, il est nécessaire d'en poser une nouvelle ; aussi de faire trois volets neufs pour les lucarnes refaites qui n'en ont point. La couverture en assez bon état à l'exception de quelques tuiles à repiquer ou besoin est, de rivages et d'en faites quelques parties d'icelles. [Goutières et faîtes]
"De ce grenier nous avons passé dans un autre qui est du petit corps de batiment à côté. L'aire comme celuy des précédens est dans le même état, il faut un volet du côté de la rüe, relever une partie de la couverture depuis la première filière jusqu'à la troisième jusqu'à la troisième dans la longueur des dites filières du côté droit en entrant."
"dans le grenier au dessous du précédent, ce grenier est carrelé et en assez bon état, il sera nécessaire de poser trois poteaux neufs sous les poutres, lesquels auront 7 pieds 6 pouces chacun [environ 2,50 m] avec un chapeau de 6 pieds et des liens de 3 pieds"
"Dans le grenier au dessous du précédent, ce grenier est carrelé et en assez bon état. Il faut sous une poutre cassée un chapeau de six pieds de long et d'un pied de large et de six pouces d'épaisseur pour être posé sur deux poteaux neufs de 7 pieds de haut et de 8 pouces d'équarissage [2,28 m] avec trois liens de quatre pieds.
"Dans le grenier au dessous et qui sert à l'avoine et qui est carrelé nous n'avons trouvé que quelques carraux à poser ou besoin est".
"De là nous sommes entrés dans une petite cour environnée de murailles de pierres, celle qui la sépare d'avec le domaine du Sr Desroziers est écroulée. Il est nécessaire de la relever de concert avec ledit Sr, ce mur a 20 pieds de long [6,5 m] sur 12 de haut [3,9 m] non compris la fondation. Il est nécessaire aussi que le chapeau qui sera fait au dessus de ce mur qui ne doit être qu'en terre fut fait à chaux et à sable.". Dans la cour il y avait aussi "un puiset à latrines qui n'a point de porte [...] Mr Petit assurant qu'il n'en a jamais vu. Le Sieur Poisson désirant avec raison qu'il y en ait une, nous députés nous sommes engagés à la faire faire". Cette négligence dans l'entretien des commodités montre surtout que l'hôtel n'était pas habité en permanence.
Le procès verbal de visite de 1777, que nous avons largement reproduit dans sa forme initiale, est plus complet et plus précis que celui établi en 1724. La comparaison des deux textes ne montre pas de modification importante dans la distribution des lieux. Il nous donne des informations originales sur le bâti, les techniques et l'utilisation de l'espace.
Le bâtiment dit "l'échaudé", une dénomination locale venant peut-être de la déformation d'échauguette, faisait fonction d'auditoire de justice. Bien qu'intégré dans l'hôtel, il semble dans toutes les descriptions avoir eu un fonctionnement autonome avec une porte sur la rue et une autre sur la cour. Au rez de chaussée, une unique "chambre basse" dans laquelle on a improvisé une antichambre en bois pour recevoir les justiciables. La chambre haute devait probalement servir d'archives ou héberger le greffier. Les audiences de justice étaient hebdomadaires, soit le lundi soit le jeudi. On apprend aussi dans ce rapport de visite l'existence d'une prison "en gros murs" à l'intérieur même d'une des pièces du rez de chaussée, le mur allant jusqu'à masquer la fenêtre à barreaux de fer.
On accèdait à l'hôtel par une grande porte charretière et un passage pavé qui conduisait à la cour, à partir de la rue du Petit Mesnil-Girault qui se confond aujourd'hui avec la rue de la Tannerie. Dans cette cour, le Receveur de la seigneurie avait fait construire une écurie indispensable à ses dépacements personnels puisqu'il faisait la navette entre le Château et l'hôtel pour consulter le juge-bailli ou le procureur fiscal de la seigneurie, tous deux résidents étampois. On notera d'ailleurs que le dernier grenier, le mieux entretenu, sert à stocker l'avoine. Le texte ne nous dit pas quelle était la destination des six autres greniers, superposés sur trois niveaux. Comme dans bien d'autres demeures de la ville, ils servaient à entreposer du blé et d'autres céréales destinées au marché. Dans la liste des travaux à entreprendre d'après le procès verbal de visite de 1777, les chanoines, qui ne venaient que très rarement à Etampes, jugeaient inutile de refaire à neuf les planchers des chambres basses qui ne pouvaient "résister au poids des sacs de grains que l'on jette dans les greniers qui sont au-dessus". L'hôtel était surtout utilisé pour sa capacité d'entrepôt. La seigneurie de Mesnil-Girault s'étendait sur cinq paroisses et avait aussi une "grange champartesse" près de l'église de la Forêt Sainte-Croix. Une partie des grains collectés étaient reversée dans les greniers. Les chanoines pouvaient aussi louer les greniers à des laboureurs qui alimentaient le marché d'Etampes, une pratique courante dans la ville. Mais nous n'avons pas trouvé trace de tels contrats de location.
Pour que les grains puissent être à l'abri des intempéries et des risques de moisissures, il fallait que les lieux fussent correctement entretenus. L'examen portait une particulière attention aux sols. Les entrevous, c'est-a-dire l'espace entre les poutres du plancher était rempli de plâtre ou à défaut de tuiles brisées. Les pièces à cheminée étaient carrelées, en revanche on ne parle pas de parquet. Le bois étant réservé à la charpente, au chassis et aux lattis de la couverture. A Etampes, avant la Révolution, quand on parlait de maçon, le terme cachait deux professions distinctes. Les "maçons en gros murs" peu nombreux dans la ville, construisaient les murs en pierre ou en moellons. Les autres étaient qualifiés de "maçons en plâtre et couverture", spécialisés dans le ravalement des façades, des sols et dans la couverture. En 1724, les deux religieux d'Orléans étaient accompagnés d'un maçon de Villeneuve-le-Roi et d'un plâtrier d'Etampes. En 1777, le doyen du chapitre était venu en compagnie d'un maître charpentier d'Orléans et de son ouvrier. Les maîtres charpentiers qui travaillaient à Etampes employaient des "compagnons" qui, si l'on en croit les registres paroissiaux, où ils apparaissent parfois, étaient souvent originaires du Limousin ou de La Marche, des provenances que l'on retrouve presque systématiquement pour les scieurs de long.
Nous n'avons pour nous représenter cet hôtel que la description citée plus haut, mais les trois étages de grenier devaient dominer de leur hauteur la rue étroite sur laquelle ils s'élevaient.
Claude Robinot Etampes-Histoire.
[1] Archives départementales de l'Essonne : Bailliage et haute châtellenie du Mesnil-Girault. Procédure civile et criminelle, B/2142. Et Archives départementales du Loiret, Biens du chapitre de Sainte-Croix d'Orléans, 51J13.
[2] Monique Chatenet, Base Mérimée IA00126486 et le Corpus Etampois, à l'adresse suivante http://www.corpusetampois.com/cee-aubergeducoqenpate.html
[3] ADE : Bailliage et haute châtellenie du Mesnil-Girault. Procédure civile et criminelle, B/2142.
[4] Pierre Petit, Receveur de Mesnilgirault, administre et exploite les terres du domaine, sa résidence habituelle est le château et la ferme de Mesnil-Girault à la limite d'Ormoy et de Boissy. Julien Guyot Sieur de la Barre, juge-bailli du Mesnilgirault lors du rapport de visite de 1724. Ce magistrat, avocat en Parlement était aussi Président du grenier à sel d'Etampes.